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“Segalen et la Chine : écriture intertextuelle et transculturelle” (Publication, 2003)

Year

2003

Text

Qin, Haiying. Segalen et la Chine : écriture intertextuelle et transculturelle. (Paris : L'Harmattan, 2003). (Seg40)

Type

Publication

Contributors (1)

Qin, Haiying  (um 2003) : Professeur de littérature française, Beijing-Universität

Mentioned People (1)

Segalen, Victor  (Brest, Finistère 1878-1919 im Wald von Huelgoat, Finistère) : Schriftsteller, Dichter, Marinearzt

Subjects

Literature : Occident : France

Chronology Entries (14)

# Year Text Linked Data
1 1904-1919 Victor Segalen : Sekundärliteratur allgemein.
1975
Eva Kushner : Victor Segalen conceived during his stays in China the ambition of translating through verbal means the forms of painting and sculpture. This aesthetic probing into correspondences between the arts might have occurred independently of his Chinese experience ; however, is that it was on the contary stimulated, enriched and channelled by concepts of Chines origin.To speak of Chinese 'influences' upon his poetry apart from this aspect would therefore be to isolate the intercultural process which occurs in his poetry as well as in his aesthetic thought from their very main-springs : the vision of a creative tension between the imaginary and the real. Any correspondence we can look for proceeds, not directly from Chinese reality and experience to the imaginary transformation in Segalen's poetry, but from his knowledge of Chinese works of imagination, permeated by Chinese thought, to the creations of his own imagination ; and as such they can help us to understand the intercultural and interlingual dynamics of the poetic process as it occurs in the poetry of those who have stood at the cross-roads of the history of nations.
Segalen’s ambition is to let his apperception of the world, and especially of his Chinese discovery. His aesthetic and ethic of travel in time and space rests upon an exaltation of otherness, complementary to the cultivation of individualism. To ensure that he will discover China in the objective and naturalistic way he claims is appropriate to the discovery of the wholly other he will, in fact, become a sinologist, learn the language, undertake several archaeological explorations, and write a book on Chinese scupture. To him, China is part of the real, an immense domain which it is for man to enjoy and to transform through his imagination. It is to be noted that the dialectic of reality and imagination assumes in his mind the form of a Chinese symbolic seal. The taoist and buddhist conception of unity in diversity, and of the identification of the particular with the universal, was attractive to Segalen inasmuch as he would not see diversity abolished, but on the contrary, esasperated and intensified, though he too views it in the wide context of a universal process. There is nothing self-denying in Segalen's ethical philosophy, and it would be wrong to claim that he ever agreed with much of buddhism. What he does admire in Siddharta is the immense human energy required to overcome the human in himself because, as he expresses it, 'man is something that should be overcome'. To him Siddharta represents this supremely human overcoming, but his motivation does not coincide with that of buddhism, nor for that matter with the ultimate motivation in taoism. For the taoist, sympathy for the created follows the attainment of what constitutes the experience of non-being : the illumination and the simplicity. Segalen's apprehension of tao remains solely intellectual. It is at the level of universal sympathy and of its manifestations that he shows a striking kinship with the taoist conception. Tao cannot be expressed but its infinitely diverse manifestations can be ; and it is, furthermore, in this realm of signs that poetry assumes its place.
The stele, originally a funeral monument meant to carry an inscription, and which Segalen translates into lapidary poetry, can serve as a prime example of the importance of signs in a world where, since being is unknowable, man is surrended and guided by signs alone, poetry being, a network of signs in the second degree, corresponding to the first and yet self-subsistent. There is a striking convergence between Segalen's thought and its basis in the Chinese respect for the sign, on the one hand ; and on the other hand the present-day emphasis on the relative freedom of signifier from signified. On the latter, that is, in regard to the involvement of personal ethics in the process of creation, it would rather seem that Segalen with his antecedents including the Chinese stands at the end of a long tradition. For him, in conformity with taoist thought, the work of art could not exist without the personal commitment of the artist, which the poem communicates to the reader.
Segalen's context appears to be that of Oriental spirituality, pertaining more particularly to the taoist doctrine of the mutual abolition of opposites, rather than tat of Western philosophical speculation.

1990
Anne-Marie Grand : La Chine va offrir à Victor Segalen la mise en scène de ces impressions personnelles. Deux éléments de la civilisation chinoise vont être, dès d'abord, fondamentaux : l'architecture et l'écriture. Deux inscriptions, à la pierre et au pinceau, à partir desquelles va se construire un univers symbolique. La Chine de Segalen est 'une vision de la Chine', comme il le confiait à Debussy et comme il l'a maintes fois répété. Le palais impérial devient un chef-d'oeuvre d'ordre, d'harmonie, d'équilibre. Mystérieux certes, mais d'un mystère fondamental, celui de l'être et du pouvoir. Il convient de reprendre l'itiniéraire intellectuel de Segalen pour y mesurer comment la Chine, et quelle Chine, se transforme en univers littéraire. Si l'architecture et l'écriture en sont les deux éléments dominants, il en est un troisième, tout aussi essentiel quoique plus diffus, l'impact de la pensée taoïste. Elle ne se présente jamais sous la forme d'une philosophie élaborée, plutôt comme une vision poétique qui viendrai corroborer certaines intuitions.
L'écriture en Chine est un art, non seulement art littéraire mais aussi art pictural. Ou plutôt comme l'écrit Segalen, une 'sorte d’art, ni peinture, ni littérature, vraiment inconnu à l'Europe'. La calligraphie a ses maîtres, fait l'objet d'un enseignement et peut s'apprécier en deça du sens, même si c'est en perdant un des éléments de sa beauté. C'est à cette présence picturale du caractère, sa compacité, l'énigme qu'il pose, comme s'il était toujours plus chargé de significations qu’un mot alphabétisé, qu'il doit d'avoir séduit de nombreux poètes occidentaux. Que dire alors de celui qui commence d'en percer les arcanes et, comme le narrateur de René Leys découvre 'une architecture et toute und philosophie dans la série ordonnée de caractères'. Pour Segalen, cependant, il s'agit de bien davantage que d'un constat ou d’une admiration esthétique, il s'agit de la confirmation, de la concrétisation d'une intuition, celle de l’autonomie de l'écriture.

2001
Henri Bouillier : La Chine n'était pas une fatalité pour Segalen. Même s'il n'était pas allé en Chine, même s’il avait tout ignoré de sa culture, il n'en aurait pas moins été le poète qu’il fut. Ses convictions auraient été les mêmes, et ses incertitudes, et ses recherches. Simplement, le détour l'eût conduit par d’autres chemins, l'allégorie aurait pris une autre forme, mais l'essentiel, le centre serait resté le même. Il reste que la Chine l'a admirablement servi. Le détour chinois adopté au départ comme un instrument d'exotisme est devenu bientôt le moyen de rejoindre la voie royale. La Chine a permis à cet homme si pudique et si secret d'exprimer son monde intérieur sans l'étaler, ni le galvauder. Il a trouvé dans la Chine l'instrument le plus propre à servir une poésie de voyant. On peut dire en ce sens que toute l'oeuvre 'chinoise' de Segalen est une immense allégorie de son univers de poète, une allégorie grâce à laquelle il pouvait projeter des éclairs dans la nuit ou fixer l'illumination d'un moment.

2003
Qin Haiying : Dans les oeuvres d'érudition de Segalen, comme dans ses textes de création, il formule ici et là des réflexions sur la langue chinoise dans sa particularité grammaticale et stylistique, sur l'écriture chinoise dans sa spécificité graphique et calligraphique ; ses réflexions, basées sur un solide savoir sinologique, ne se cantonnent pourtant pas sur le seul plan philologique, mais d'orientent toujours vers un but précis et qui est ailleurs : mettre au service du fait poétique la leçon de chinois, ou, selon ses propres termes, 'laisser prédominer la Littérature sur la Sinologie'.
Le poète a une connaissance suffisamment riche du chinois pour savoir que l'intérêt poétique de cette langue ne vient pas seulement de son étrangeté à la famille indo-européenne, mais aussi du fait qu'elle porte en elle-même une double différence : le chinois classique et l'écriture chinoise, tous les deux instaurant un rapport d'écart, à l'état naturel, oral, du chinois. Cette double différence interne contient une saveur exotique encore plus authentique et marquera profondément et la théorie et la pratique poétiques de Segalen.
Dans l'oeuvre de Segalen, les caractères chinois ne sont pas seulement revés, remotivés, démontrés, dilués dans le texte français, mais aussi directement présents sur la page de couverture, à la fin du livre, à la même page qu'un poème, sous forme de titre, d'intertitre, de sceau, d'épigraphe, affichant par là leur immédiate étrangeté et participant à la stratégie d'exotisme littéraire. Mais, si, dans ses version manuscrites, Segalen copie toujours lui-même des caractères, il ne laisse jamais apparaître son écriture manuscrite quand il s'agit d'insérer les mêmes caractères dans les textes imprimés. L'écriture chinoise qui figure dans ses livres édités, Stèles et Peintures, est toujours une calligraphie, d'un style scrupuleusement choisi par lui et exécutée par un maître chinois.
  • Document: Kushner, Eva. Victor Segalen and China : a dialectic of reality and imagination. In : Tamkang review ; vol. 6 (1975-1976). (Seg24, Publication)
  • Document: Grand, Anne-Marie. Victor Segalen : le moi et l'expérience du vide. (Paris : Méridiens Klincksieck, 1990). (Connaissance du 20e siècle). S. 47-49, 69-70. (Seg27, Publication)
  • Document: Les écrivains français du XXe siècle et la Chine : colloque internationale de Nanjin 99' = 20 shi ji Faguo zuo jia yu Zhongguo : 99' Nanjing guo ji xue shu yan tao hui. Etudes réunies par Christian Morzewski et Qian Linsen. (Arras : Artois presses Université, 2001). (Lettres et civilisations étrangères).
    20世紀法國作家與中國 99'南京国际学朮硏讨会 S. 107. (Morz, Publication)
  • Person: Segalen, Victor
2 1904-1918 Segalen, Victor. Notes sur l'exotisme [ID D21561].
Er schreibt : "Exotisme : qu'il soit bien dit que moi-même je n'entends par là qu'une chose, mais universelle : le sentiment que j'ai du 'Divers'. Je conviens de nommer 'Divers' tout ce qui jusqu'aujourd'hui fut appelé étranger, insolite, inattendu, surprenant, mystérieux, amoureux, surhumain, héroïque et divin même, tout ce qui est 'Autre' – c'est-à-dire, dans chacun de ces mots de mettre en valeur dominatrice la part du Divers 'essentiel' que chacun de ces termes révèle."
"La sensation d'Exotisme : qui n'est autre que la notion du différent ; la perception du Divers ; la connaissance que quelque chose n'est pas soi-même ; et le pouvoir d'exotisme, qui n'est que le pouvoir de concevoir autre." "Voici un fait : je conçois autre et sitôt, le spectacle est savoureux. Tout l'exotisme est là."

Sekundärliteratur
1988
Yvonne Y. Hsieh : The relationship between 'self and other' preoccupied Victor Segalen for most of his life. The subject is inextricably linked with the concept of exoticism, on which he accumulated a series of notes. His broad definition of exoticism as 'la notion du différent', 'la perception du divers', 'la connaissance que quelque chose n'est pas soi-même' and the power of exoticism as 'le pouvoir de concevoir autre'.

(2000)
Marc Contard : L'essai se présente comme un ensemble de notes et aphorismes, des plans. En dépit de son inchèvement, cependant, malgré ses incertitudes, ses contradictions locales, l'essai nous révèle les grands principes de la poétique de Segalen, au sens le plus large : ésthétique et vision du monde. Son but est en effet de développer une conception du monde. La première tâche à laquelle il s'adonne est la redéfinition du terme même 'd'Exotisme', 'compromis', 'dangereux', 'équivoque', contaminé par l'idéologie coloniale ou par un usage touristique superficiel. Tout ce qui est 'en dehors' de l'ensemble de nos faits de conscience actuels, quotidiens, tout ce qui n'est pas notre 'tonalité mentale'.
Il est évident que, pour Segalen, l'Exotisme, dont il est venu chercher en Chine une sensation exacerbée, ne peut venir que de l'institution impériale, saisie à la fois dans l'archaïsme de ses 'Dix-mille années' et dans l'étrangeté rituelle de son focntionnement. La Chine moderne, entropique, ne l'intéresse pas et s'il a parfois des mots injustes, contre Sun Yat-sen ou même, contre le peuple chinois, c'est parce qu'il s'est construit autour de la figure de l'empereur une Chine imaginaire, idéale, intérieure, une Chine épurée par le point de vue exotique.
Car la Chine de Segalen réduite aux traces architecurales et monumentaires de la présence impériale reste und Chine littéraire, très éloignée de la réalité d'un pays alors en pleine mutation sociale. Touts sa vision de l'Empire du Milieu est dominée par la figure de l'empereur dont la symbolique et le mode rituel de gouvernement produisent sur lui un effet d'étrangeté intensément exotique.

2003
Qin Haiying : Jusqu'avant sa mort, Segalen n'a cessé de méditer sur la notion d'exotisme qu'il veut entièrement renouveler, généraliser, dépouiller de ses connotations tropicale, géographique, touristique, pour lui restituer toute sa valeur du différent, de l'autre. Parmis les diverses formulations par lesquelles Segalen tente de cerner la notion d'exotisme, la plus insistante consiste à définir celle-ci comme expérience d'une altérité qui réside à la fois dans la sensation du Divers et dans le pouvoir de 'concevoir autre'.
Essai sur l'exotisme est une série de notes restées à l'état de manuscrits inédits. Segalen n'a cessé de les rédiger, de les reformuler et de la approfondir au cours des quinze dernières années de sa vie. C'est essai devient de plus en plus une référence dans les réflexions sur le rapport entre 'nous' et 'les autres', ainsi que sur les thèmes de diversité, altérité ou relativisme culturel. On sait que la plus grande originalité de ce livre consiste en sa redéfinition totale de la notion d'exotisme. Dans le langage courant, à l'époque de Segalen comme aujourd'hui encore, l'exotisme est synonyme d'impression de pays lointains, des effets qui font penser à des coutumes et des climats étrangers. Segalen propose justement de dépouiller le mot de toutes ces connotations superficielles de courleur locale, liées à la littérature de voyage, à la littérature coloniale, tropicale. Il décide de revenir au sens premier de ce mot, à son préfixe 'exo-' qui signifie ce qui est hors de soi. L'exotisme proprement dit, c'est donc, selon lui, tout ce qui est extérieur à soi, tout ce qui étranger au sujet connaissant.
Le Divers entendu comme diversité et le Divers entendu comme altérité ne se situent pas sur le même plan, ne débouchent pas sur les mêmes conséquences. Quand Segalen se penche sur le Divers comme diversité, il produit une réflexion plutôt esthétique ; quand il se penche sur le Divers comme altérité, sa pensée se situe plutôt au niveau métaphysique. Sur le plan esthétique, il exalte la valeur du Divers, se réjouit de la diversité, mais sur le plan de la connaissance, l'altérité devient problématique. Autant la diversité est source de jouissance esthétique, autant l'altérité est source d'angoisse métaphysique. Telle est en gros la difficulté de la pensée de Segalen, d'une pensée pourtant bien cohérente dans sa propre logique.
  • Document: Hsieh, Yvonne Y. Victor Segalen's literary encounter with China : Chinese moulds, Western thoughts. (Toronto : University of Toronto Press, 1988). S. 12-13. (Seg, Publication)
  • Document: Gontard, Marc. La Chine de Victor Segalen : Stèles, Equipée. (Paris : Presses universitaires de France, 2000). (Ecrivains). S. 24-25, 45, 48. (Seg19, Publication)
  • Person: Segalen, Victor
3 1908-1909 Victor Segalen besucht einen Chinesisch-Kurs an der Ecole de langues orientales in Paris und besteht das Dolmetscher Examen der französischen Marine. Durch die Bekanntschaft mit Claude Farrère und Henry Manceron beginnt sich Segalen mit der Idee zu befassen, eine Reise nach China zu unternehmen.

Briefe von Victor Segalen an Jules de Gaultier : "Je me suis donc mis à l'étude du chinois. Tout compte fait, j'attends beaucoup de cette étude, en apparence ingrate, car elle me sauve d'un danger : en France, et mes projets actuels menés à bout, quoi faire ensuite, sinon‚ de la littérature ! J'ai peur de la recherche du 'sujet'. Alors que jusqu'ici, c’est toujours le sujet qui s'est imposé et m’a tenaillé jusqu’à son avènement, ou son enkystement provisoire. En Chine, aux prises avec la plus antipodique des matières, j'attends beaucoup de cet exotisme exaspéré."
"Mes études de chinois, servies par le plus lucide des professeurs, ne détonnent pas dans la note exotique, puisqu'elles représentent la pensée, certes, la plus antipodique que je puisse désirer."

Brief von Arnold Vissière an Victor Segalen : "Des leçons de chinois données par un jeune homme originaire de Han-k'eou pourront vous être utiles, si vous ne perdez pas de vue que sa prononciation diffère parfois de celle de Pékin et s'il s'applique à vous parler dans son meilleur Kouan-houa (langage mandarin). N'insistez donc pas pour imiter fidèlement sa manière d'articuler les mots ; je vous indiquerai plus tard les nuances à observer, à cet égard, pour prononcer comme les Chinois de Pékin."

Qin Haying : L'examen qu'il subit porte notamment sur la langue chinoise écrite, mais en dehors des cours, il apprend aussi la langue parlée auprès d'un Chinois résidant à Brest, ce qui l'amène à se sensibiliser à la diversité de prononciations dialectales du chinois et le prépare à ses futures méditations sur la différence fondamentale entre le mot dit et le mot écrit.
  • Document: Hsieh, Yvonne Y. Victor Segalen's literary encounter with China : Chinese moulds, Western thoughts. (Toronto : University of Toronto Press, 1988). S. 7, 20. (Seg, Publication)
  • Document: Gontard, Marc. La Chine de Victor Segalen : Stèles, Equipée. (Paris : Presses universitaires de France, 2000). (Ecrivains). S. 14. (Seg19, Publication)
  • Person: Gaultier, Jules de
  • Person: Segalen, Victor
  • Person: Vissière, Arnold
4 1910 Segalen, Victor. Manuskript zu Stèles.
Qin Haiying : Im Li ji steht : "Le jour du sacrifice, le Prince tirait la victime (un boeuf) ; quand (le cortège) a franchi la porte du temple, on attache (le boeuf) à la stèle."
Im Yi li steht : "Chaque temple a sa stèle, et, par le moyen de l'ombre qu'elle jetait au soleil, on pouvait se rendre comte du temps où l'on se trouvait."
Ces deux passages sont soigneusement notés par Segalen dans son manuscrit et repris avec une légère modification de traduction dans la préface de Stèles. [s. Stèles. Au jour du sacrifice...].
Pour s'initier à la science prestigieuse de l'épigraphie chinoise, il établit une longue bibliographie spécialisée et prend des notes avec une grande précision : "1. Stèle de temple, en pierre, pour attacher la victime, servait aussi de cadran solaire ; 2. Stèle en bois, aux deux extrémités du caveau, portant trou pour treuil qui descendait le cercueil ; 3. Stèle pour graver les actions d’éclat."
5 1911 Briefe von Victor Segalen an Henry Manceron.
Er schreibt : "Tu auras ta chambre, parmi de grands coffres de laques noires dorées de dragons, et décorées de rouges, de bleus et de verts de porcelaine sur la pâte bleutée des vieux Ming. Nous t'attendons."
"Je reste violemment nostalgique de Péking. Crois-moi : méprise la côte. Oublie Chang-hai et les ports du bas fleuve. La lisière de la Chine est 'avancée', comme une écorce meurtrie. Dedans, la pulpe est encore savoureuse."
"C'est dans ces conditions que je prépare une édition à très petit nombre de quelques-unes de mes Stèles. Ce sera imprimé à Pékin, au Pei-t'ang, dans un format et sous une justification qui essaiera, pour la première fois, je crois, de juxtaposer la bibliophilie chinoise à la nôtre."
"Quant à la préface de Stèles, elle est sur pieds. C'est simplement la description, en apparence rigoureuse, de la stèle classique, son histoire, sa fonction, ses dévolutions ; j'ai tenté que tout mot soit double et retentisse profondément."

"I followed the whole crisis most attentively and I can say that I lived through the collapse of February 29, the night of the looting of Peking organized by the military. At the moment when 200 soldiers of the third division, for lack of 3.20 more francs per month, decided to burn and plunder the capital, the Governor of Shandong, Song Baoji, was having dinner at the house of the dictator Yuan Shikai. At the first shots : everyone fled. Yuan remained alone with seventeen men who were there because they could no longer escape. The following day, Yuan was in a spineless mood. He who created the Chinese army dared not give an order or arrest. But later, they beheaded haphazardly 200 coolies. That's the present and future China. You see, the task is superhuman. To learn to know a huge country, and when one begins to see it, to realize that this country no longer exists, that it has to be resurrected. The old [China] remains beautiful, but one must understand, redigest, recreate it. Naturally, Peking still remains metropolitan, very northern Chinese, very imperial, thanks to its yellow roofs. But what a Sisyphean effort ! Everything one creates is spoiled by everyday life." [Französisches Original nicht gefunden].

"Le transfer de l'Empire de Chine à l'Empire du soi-même est constant."
Qin Haiying : C'est un transfert-metaphora, un déplacement à la fois topologique et tropologique qui, dans l'économie du texte de Stèles, devient exactement une opération de change : le passage d'un 'topos' à un autre est aussi le passage d'un mythe à un autre, du phore chinois, avec sa tradition, ses valeurs, ses formes signifiantes, au thème ségalénien, de l'Empire du Milieu à un autre Empire du Milieu.
  • Document: Hsieh, Yvonne Y. Victor Segalen's literary encounter with China : Chinese moulds, Western thoughts. (Toronto : University of Toronto Press, 1988). S. 17-18. (Seg, Publication)
  • Document: Hsieh, Yvonne Y. From occupation to revolution : China through the eyes of Loti, Claudel, Segalen, and Malraux (1895-1933). (Brimingham, Alabama : Summa Publications, 1996). S. 66-67. (Seg31, Publication)
  • Document: Gontard, Marc. La Chine de Victor Segalen : Stèles, Equipée. (Paris : Presses universitaires de France, 2000). (Ecrivains). S. 81. (Seg19, Publication)
  • Person: Segalen, Victor
6 1912 Segalen, Victor. Notes bibliophiliques sur l'édition de 'Stèles' [ID D21836].
Qin Haiying : Le volume entier est composé d'un long papier imprimé d'un seul côté, non découpé, mais plié en 'portefeuille', toute page tournée soulevant la suivante. Avec ce mode de pliage, Stèles ne ressemble pas à la forme la plus courante du livre classique chinois, mais rejoint celle qu'on utilisait pour des albums d'estamages de stèles ou des tirages lithographiques. Segalen explique, que c'est le seul mode de reliure qui convient à son recueil 'en raison du parti pris : Stèles.
7 1912 Segalen, Victor. [Essai sur la peinture chinoise].
Qin Haiying : Segalen avait envisagé, de rédiger un essai d'érudition sur la peinture chinoise. De ce projet initial, il n'a laissé qu'un brouillon inédit dans lequel il s'interroge notamment sur l'origine de la peinture chinoise ; il estime que, par-delà les peintures 'calligraphique', 'bouddhiste' et 'taoïste', trois catégories qu'il reconnaît à la pleine peinture chinoise.
8 1912 Segalen, Victor. Stèles [ID D2937].
Die erste Auflage von 1912 ist Paul Claudel gewidmet : "Ma liberté de vous dédier Stèles serait inexcusable si je ne l'avais depuis longtemps considéré comme un devoir de fidélité envers vous. Je vous prie, Maitre, d'accueillir en très profond hommage toute ma reconnaissance lointaine pour vos oeuvres, dont je me nourris ici, et pour vous."
Segalen schreibt im Vorwort :
"Elles sont des monuments restreints à une table de pierre, haut dressée, portant une inscription. Elles incrustent dans le ciel de Chine leurs fronts plats. On les heurte à l'improviste : aux bords des routes, dans les cours des temples, devant les tombeaux. Marquant un fait, une volonté, une présence, elles forcent l'arrêt debout, face à leurs faces. Dans le vacillement délabré de l'Empire, elles seules impliquent la stabilité. Épigraphe et pierre taillée, voilà toute la stèle, corps et âme, être au complet. Ce qui soutient et ce qui surmonte n'est que pur ornement et parfois oripeau. Le socle se réduit à un plateau ou à une pyramide trapue. Le plus souvent c'est une tortue géante, cou tendu, menton méchant, pattes arquées recueillies sous le poids. Et l'animal est vraiment emblématique ; son geste ferme et son port élogieux. On admire sa longévité : allant sans hâte, il mène son existence par-delà mille années. N'omettons point ce pouvoir qu'il a de prédire par son écaille, dont la voûte, image de la carapace du firmament, en reproduit toutes les mutations : frottée d'encre et séchée au feu, on y discerne, clairs comme au ciel du jour, les paysages sereins ou orageux des ciels à venir. Le socle pyramidal est aussi noble. Il représente la superposition magnifique des éléments : flots griffus, à la base ; puis rangées de monts lancéolés ; puis le lieu des nuages, et sur tout, l'espace où le dragon brille, la demeure des Sages Souverains. — C'est de là que la Stèle se hausse. Quant au faîte, il est composé d'une double torsade de monstres tressant leurs efforts, bombant leurs enchevêtrements au front impassible de la table. Ils laissent un cartouche où s'inscrit la dévolution. Et parfois dans les Stèles classiques, sous les ventres écailleux, au milieu du fourmillement des pattes, des tronçons de queues, des griffes et des épines : un trou rond, aux bords émoussés, qui transperce la pierre et par où l'œil azuré du ciel lointain vient viser l'arrivant. Sous les Han, voici deux mille années, pour inhumer un cercueil, on dressait à chaque bout de la fosse de larges pièces de bois. Percées en plein milieu d'un trou rond, aux bords émoussés, elles supportaient les pivots du treuil d'où pendait le mort dans sa lourde caisse peinte. Si le mort était pauvre et l'apparat léger, deux cordes glissant dans l'ouverture faisaient simplement le travail. Pour le cercueil de l'Empereur ou d'un prince, le poids et les convenances exigeaient un treuil double et par conséquent quatre appuis. Mille années avant les Han, sous les Tcheou, maîtres des Rites, on usait déjà du mot « Stèles » mais pour un attribut différent, et celui-là sans doute original. Il signifiait un poteau de pierre, de forme quelconque mais oubliée. Ce poteau se levait dans la grand'salle des temples, ou en plein air sur un parvis important. Sa fonction :
« Au jour du sacrifice, dit le Mémorial des Rites, le Prince traîne la victime. Quand le cortège a franchi la porte, le Prince attache la victime à la Stèle." (Afin qu'elle attende paisiblement le coup.)
C'était donc un arrêt, le premier dans la cérémonie. Toute la foule en marche venait buter là. Tout les pas encore s'arrêtent aujourd'hui devant la Stèle seule immobile du cortège incessant que mènent les palais aux toits nomades.
Le Commentaire ajoute : "Chaque temple avait sa stèle. Au moyen de l'ombre qu'elle jetait, on mesurait le moment du soleil."
Il en est toujours de même. Aucune des fonctions ancestrales n'est perdue : comme l'œil de la stèle de bois, la stèle de pierre garde l'usage du poteau sacrificatoire et mesure encore un moment ; mais non plus un moment de soleil du jour projetant son doigt d'ombre. La lumière qui le marque ne tombe point du Cruel Satellite et ne tourne pas avec lui. C'est un jour de connaissance au fond de soi : l'astre est intime et l'instant perpétuel. Le style doit être ceci qu'on ne peut pas dire un langage car ceci n'a point d'échos parmi les autres langages et ne saurait pas servir aux échanges quotidiens : le Wên. Jeu symbolique dont chacun des éléments, capable d'être tout, n'emprunte sa fonction qu'au lieu présent qu'il occupe ; sa valeur à ce fait qu'il est ici et non point là. Enchaînés par des lois claires comme la pensée ancienne et simples comme les nombres musicaux, les Caractères pendent les uns aux autres, s'agrippent et s'engrènent à un réseau irréversible, réfractaire même à celui qui l'a tissé. Sitôt incrustés dans la table, — qu'ils pénètrent d'intelligence, — les voici, dépouillant les formes de la mouvante intelligence humaine, devenus pensée de la pierre dont ils prennent le grain. De là cette composition dure, cette densité, cet équilibre interne et ces angles, qualités nécessaires comme les espèces géométriques au cristal. De là ce défi à qui leur fera dire ce qu'ils gardent. Ils dédaignent d'être lus. Ils ne réclament point la voix ou la musique. Ils méprisent les tons changeants et les syllabes qui les affublent au hasard des provinces. Ils n'expriment pas ; ils signifient ; ils sont. Leur graphie ne peut qu'être belle. Si près des formes originales, (un homme sous le toit du ciel, — une flèche lancée contre le ciel, — le cheval, la crinière au vent, crispé sur ses pattes, — les trois pics d'un mont ; le cœur, et ses oreillettes, et l'aorte), les Caractères n'acceptent ni l'ignorance ni la maladresse. Pourtant, visions des êtres à travers l'œil humain, coulant par les muscles, les doigts, et tous ces nerveux instruments humains, ils en reçoivent un déformé par où pénètre l'art dans leur science. — Aujourd'hui corrects, sans plus, ils étaient pleins de distinction à l'époque des Yong- tcheng ; étirés en long sous les Thang, larges et robustes sous les Han ; ils remontaient combien plus haut, jusqu'aux symboles nus courbés à la courbe des choses. Mais c'est aux Han que s'arrête l'ascendance de la Stèle. Car la table aveugle des caractères a l'inexistence ou l'horreur d'un visage sans traits. Ni ces tambours gravés ni ces poteaux informes ne sont dignes du nom de Stèle ; moins encore l'inscription de fortune qui, privée de socles et d'espace et d'air quadrangulaire à l'entour, n'est plus qu'un jeu de promeneur fixant une historiette : bataille gagnée, maîtresse livrée, et toute la littérature. La direction n'est pas indécise. Face au midi si la Stèle porte les décrets ; l'hommage du Souverain à un Sage ; l'éloge d'une doctrine ; un hymne de règne ; une confession de l'Empereur à son peuple ; tout ce que le Fils du Ciel siégeant face au midi a vertu de promulguer. Par déférence, on plantera droit au nord, pôle du noir vertueux, les Stèles amicales. On orientera les amoureuses, afin que l'aube enjolive leurs plus doux traits et adoucisse les méchants. On lèvera vers l'ouest ensanglanté, palais du rouge, les guerrières et les héroïques. D'autres, Stèles du bord du chemin, suivront le geste indifférent de la route. Les unes et les autres s'offrent sans réserve aux passants, aux muletiers, aux conducteurs de chars, aux eunuques, aux détrousseurs, aux moines mendiants, aux gens de poussière, aux marchands. Elles tournent vers ceux-là leurs faces illuminées de signes ; et ceux-là, pliés sous la charge ou affamés de riz et de piment, passent en les comptant parmi les bornes. Ainsi, accessibles à tous, elles réservent le meilleur à quelques-uns.
Certaines, qui ne regardent ni le sud ni le nord, ni l'est ni l'occident, ni aucun des points interlopes, désignent le lieu par excellence, le milieu. Comme les dalles renversées ou les voûtes gravées dans la face invisible, elles proposent leurs signes à la terre qu'elles pressent d'un sceau. Ce sont les décrets d'un autre empire, et singulier. On les subit ou on les récuse, sans commentaires ni gloses inutiles, — d'ailleurs sans confronter jamais le texte véritable : seulement les empreintes qu'on lui dérobe.

Sekundärliteratur
1975
Eva Kushner : In Stèles, stone comes to life, while life lends itself to the stilness and silidity of stone so that its message will endure ; once more Segalen's poetry, in what is considered his best work, feeds upon a tao-like paradox. The imaginary sculpture assumes the formal rigour of those poetic genres which are limited and disciplined by their brevity. With its phonic qualities it also constantly appeals to the visual, but only to negate it. The symbolic, rather than the anecdotic, is stressed. There is no attempt to ‘transpose’ sculpture. The poem is to the real monument as a sign to meaning. The stele exists because through it the self becomes abolished : "Pour atteindre l’être, le cinquième, Centre et Milieu. Qui est moi. Perdre le midi quotidien".

1986
Wolfgang Geiger : Segalens Stèles sind in verschiedener Hinsicht repräsentativ für sein Exotismusverständnis und seine Haltung zum alten und neuen China. Die Form dieser Gedichte hat er den Inschriften altchinesischer Grabstelen enlehnt. Ihre Erstveröffentlichung ein Jahr nach dem Sturz der Monarchie machen sie zur symbolischen Grabstele des alten China, dem letzten Land, in dem Segalen noch die Behauptung des Autochthonen gegen den Zugriff der Kolonialmächte sah. Sein archäologisches Interesse an der Ausgrabung der alten, von den zeitgenössischen Chinesen vergessenen Monumente geht mit der ästhetischen Rekonstruktion der geistigen Welt des alten China einher. Eine Stele, die dem in bsonderer Weise gerecht wird, ist die von ihm zuletzt verfasste 'Table de sagesse'. Von einer Anekdote bezüglich eines Traums des Kaisers U-ting aus den chinesischen Geschichtsbüchern ausgehend, hat Segalen in mehreren Versionen etappenweise den konkreten Bezug eliminiert und die Aussage verallgemeinert. Das im Feld untergehende Steinmonument versinnbildlicht die Lage Chinas, wie Segalen sie vorfang, beziehungsweise, wie er sie wertete. Dem entspricht der Weise, der unerkannt unter dem gemeinen Volk lebt. Dass der Fürst nach ihm suchen lässt um ihn in seine Verwaltung zu berufen, ist nicht nur eine historische Vorlage für dieses Gedicht, sondern war in China immer wiederkehrende Praxis. Das Thema des sich der Macht verweigernden Philosophen ist also sehr politisch. Am weitesten gingen darin die Taoisten mit ihrer radikalen Kritik an Staat und Zivilisation. Der chinesische Epigraph, den Segalen jeder Stele beigesellt hat, ist das Zitat über Liezi : 'Niemand kennt ihn'.

1988 / 1993
Yvonne Y. Hsieh : The main sources of inspiration for Segalen are bilingual editions of classical Chinese texts by Séraphin Couvreur and Léon Wieger. The image of China presented in Stèles is a rich and complex one, since Segalen draws on Chinese history, legends, myths, religion, literature, philosophy, architecture, social customs, political tradtitions, and human relations.
The first part of the poems introduces us to the functions and forms of traditional Chinese steles. A stele serves to honour sages, enumerate the righteous, sing praises of noble, virtuous men. The seond part announces the poet’s own choice of subjects in composing his personal steles. Instead of describing real people and epochs, Segalen proposes to write about thins not yet said or accomplished. He is not attempting a mere translation of Chinese texts or to present the Chinese world in its real historical past or actual state. He is concentrated on potential sayings, edicts, and events. Even as he denies the real Chinese world, his language exudes a distinctive Chinese flavour. The third part returns to the real Chinese world with a lengthy enumeration of the major dynasties. The fourth part includes personal reign of every man over himself.

1990
Anne-Marie Grand : L'influence du chinois sur l'écriture de Segalen a beaucoup été glosée, mais a longtemps été négligé ce fait patent qu'il écrit en français pour des lecteurs français. Il conviendrait de reconsidérer l'introduction des caractères dans Stèles. Les épigraphes de ce recueil ont souvent été remaniées pour des raisons esthétiques (effets de miroirs, en particulier) et si l'effort de traduction nécessaire pour en atteindre le sens enrichit la lecture, il ne faut sans doute pas oublier pour autant la dédicace à Claudel, ingnorant le chinois.
Stèles renoue la trame des mots impériaux. De nombreux poèmes reprennent la thématique déjà explorée dans Le fils du ciel. La structure est bien connue qui ordonne soixante-quatre poèmes selon les cinq orients de la tradition chinoise : est-sud-ouest-nord-centre, en réintroduisant l'axialité occidentale dans l'opposition association du sud au nord, de l'est à l'ouest et en brisant la continuité d'un groupe de huit poèmes rassemblés sous le titre 'Stèles du bord du chemin'. Les 'Stèles du midi' rassemblent la trajectoire d'un Empereur, parangon de l'homme qui va, déprotégé de ses dieux, vers une mort, clôture et origine, dont la méditation du poète aux tombeaux des Qing puis des Ming avait suggéré les grandes lignes, conservées dans la première version, en prose de 'Décret'. Au sud, pouvoir sur soi et solitude, succède le Nord où se rangent les stèles consacrées à l'amitié, comme l'Est recevra les stèles élevées à l'amour, pour des raisons échappant, explicitement du moins, à la théorie chinoise des orients. Les stèles de l'amitié sont orientées vers le Nord puisque nouées à la mort.
Stèles offre dans chacune de ses parties une progression valide en soi quoique jouant son rôle dans l'itinéraire global conduisant au plus secret du moi, là où dans les miroitements de la fantaisie et de la terreur, quelqu'un dit 'Je'. De 'Décret' tout entier écrit sur le monde négatif jusqu'à la 'Stèle du chemin de l'âme' ouvrant une nouvelle fois la route de la tombe dans son écriture inversée ; de 'Vampire' qui dans la nuit, narre la relation interdite avec celui, ni vivant, ni mort.

1996 Elisabeth Démiroglou : Cette étude entend présenter une lecture de Stèles de Victor Segalen, qui se fonde à la fois sur les faits et sur les considérations philosophiques et psychanalytiques, la stèle constituant une forme libidinale par où se manifeste l'interrogation essentielle de Segalen sur le monde et sur lui-même. Le dialogue ainsi établi entre une pensée, une psychologie et une écriture thématico-pulsionnelle avait déjà été suggéré par des observations antérieures. On trouvera une tentative pour appréhender une pente d'écriture dans son tissu le plus fin, avec des commentaires détaillés sur l'ordre secret des configurations sensorielles et à travers le trajet d'un imaginaire que peuvent revendiquer plusieurs disciplines différentes : médecine, archéologie, ethnologie, sinologie, navigation, poésie, prose, peinture, musique, aventure. Les propos de Segalen lui-même, dans la conclusion d'Équipée, résument tout son itinéraire : "Dans ces centaines de rencontres quotidiennes entre l'Imaginaire et le Réel, j'ai été moins retentissant à I'un d'entre eux, qu'attentif à leur opposition".
Segalen poursuit avec le lecteur de ligne en ligne - comme de poème en poème - une conversation tissée de silences et de demi-mots d'où surgit le plus profond - et le plus grave - de son être. L'herméneutique allégorique répond ainsi fort bien à la fiction chinoise de 'Stèles', puisqu'un des procédés les plus remarquables de la littérature chinoise consiste à donner à des expressions et des proverbes connus des applications particulières toujours nouvelles. C'est dire que leur signification reste toujours ouverte et leur pouvoir de suggestion intense. Leur valeur réside ainsi moins dans les mots eux-mêmes que dans les sous-entendus qu'on y implique. C'est un véritable exercice psychologique imposant, une gymnastique perpétuelle de l'esprit. Sous le couvert de la fiction chinoise, l'allégorie invite Segalen à lui rendre son prestige effacé, tout en lui laissant la possibilité de traduire son monde intérieur dans cette "route vers l'impossible".
Cependant 'Stèles' diffère des autres oeuvres de Segalen en ce qu'il nécessite un acte visuel de la part du lecteur, prouvant que "la part d'exprimé et d'inexprimé, ainsi que les formes d'expression et leurs nuances, dépendent très subtilement des circonstances qui ont entouré la création du poème". Les soixante-quatre stèles qui s'érigent verticalement sur les soixante-quatre cases de l'échiquier montrent que l'ordre de l'érection monumentale fait contrepoids, comme une compensation au vertige vertical de la fouille ; et si la stèle est un 'moment chinois', la souffrance qu'elle impose est féconde, car "pour qui sait voir, la Licorne est partout présente. Il n'est que d'ajuster son regard. L'essentiel est moins dans le spectacle que dans l'interprétation du spectacle".
On peut affirmer que 'Stèles' d'une part s'efforce de montrer le refus de l'insertion sociale, idée qui parcourt d'ailleurs toute l'oeuvre de Segalen ; de l'autre, il radicalise le souci de l'artiste de découvrir dans un paysage, sous une morphologie géographique précise, une structure profonde. L'univers de la pierre, métaphore excellente de la minéralité, révèle une image de stabilité, proposant de la sorte une littérature d'affirmation qui renoue les relations rompues entre l'homme et le monde.
Segalen devait, non pas se laisser prendre à l'histoire, mais la déborder, saisir dans le récit l'allusion, l'ellipse possible, l'allégorie et l'ineffable. Il s'est inspiré des textes sans cesser de les trahir, en leur prêtant une richesse insoupçonnée de tous, la sienne propre. Ils n'ont été pour lui que les négatifs du poème, des clichés sans images que la grâce poétique développait le temps d'un éclair. Il éprouva sans doute les joies merveilleuses à distinguer dans les chroniques de l'Empire de Chine les chroniques de l'Empire du sol, et c'est le souvenir de ces joies qu'il s'achame à fixer par les ruses du langage et la subtilité des réticences.
Il s'agit des monuments réels, d'une réalité extra-linguistique, que celui qui parle désigne comme existante, qui continueraient d'exister, si l'on cessait d'en parler et qui servent de référent au discours. Il s'agit, en d'autres termes, d'une oeuvre que régit, du début à la fin, une stratégie d'ensemble et non d'une succession de poèmes dont chacun exercerait sa fascination propre. La stèle avec son idéogramme est un signe d'activité, d'être, de vie et de mort. La stèle représente pour Segalen la matérialité et la rêverie que l'accompagne, le jeu du hasard et de la nécessité, du volontaire et de l'involontaire, de la vie nerveuse et affective des objets, la relation monde extérieur - oeil et musique intérieure - âme. La stèle chinoise est le lieu du présent qui conjugue simultanément deux activités contraires : la référence à la civilisation antique et la rêverie de l'imaginaire qui transcende la réalité matérielle.
Segalen est beaucoup plus sensible au contraste des différents objets qu'aux objets eux-mêmes. Le Réel n'a jamais plus de saveur et de valeur que dans la confrontation des différences. La beauté est moins dans la plaine ou la montagne que dans le passage de la plaine à la montagne. Cette phénomène implique que la beauté des choses n'est pas uniquement dans les choses, mais dans le rapport d'opposition qu'on établit entre elles. La sensation du Divers suppose une opération intellectuelle, et par là même exclut du domaine de l'art la pure et simple reproduction du réel.
Du premier au dernier poème, les circonstances extérieures changent et, par conséquent, le sujet du poème varie ; mais son réseau d'associations ne change nullement et l'étude des textes révèle que la solidité de la stèle est une faire-semblant qui cache une fragilité foncière, de la même façon que "l'écriture de l'inconscient suppose tout à la fois l'ancrage et la dérive".
Le monde réel, comme le monde imaginaire, cache dans son épaisseur des sens multiples et, à mesure que la perspective critique s'enrichit, ces sens se déplacent. Les procédés structuraux permettent au poète, de passer du Réel à l'Imaginaire, procurent les moyens de percevoir l'indicible, l'invisible, l'inouï, tout en indiquant l'inquiétude personnelle de la faille, de la chute.
La poésie de Segalen s'inscrit dans la tradition de ceux qui ont fait au XIXe siècle de la poésie française un moyen de connaissance : connaissance de soi, mais aussi tentative continuelle d'accès aux suprêmes vérités, évitant toutefois l'idéalisme subjectif de certains symbolistes. Bien loin de rejeter la tentation de l'inconnaissable, les 'Stèles' fournissent les moyens d'explorer le mystère de l'Etre, et la vie spirituelle de Segalen tient dans cette marche sans espoir, dans cette quête vers le domaine interdit de la transcendance.

2000
Marc Gontard : A Pékin 1910, après avoir lu Havret, Henri. La stèle chrétienne de Si-ngan fou [ID D6859], que l'idée vient à lui d’en tirer un modèle littéraire. Mais son intérêt pour la stèle rmonte aux tout premiers jours de son arrivée, lorsqu'il visite les tombeaux Ming de Nanjing. Il photographie une stèle au Temple de la Grosse Cloche et un autre cliché de l'entrée de Ping-leang-fou, montre au premier plan une stèle monumentale. Le temple confucéen de Houa-yin-miao, il visite avec 'une grande émotion' une cour 'peuplée de stèles' dont il emportera des estampages réalisés par les moines. C'est là qu'il écrit ses premières notes sur les caractères chinois. A Si-ngan-fou, deux missionnaires franciscains l'emmènent visiter le Pei-lin, la célèbre 'Forêt des tablettes' qui comporte 11'000 stèles. Il y découvre la stèle nestorienne étudiée par Havret : il écrit à sa femme 'Vénérable et beau' et il affirme son intention d'écrire un 'Essai sur les caractères' : 'Il faut révéler cette sorte d’art – ni peinture ni littérature, vraiment inconnu à l'Europe'.

2001
http://www.steles.net/page.php?p=75 [ID D2937].
Pierre-Jean Remy considère qu'il est un contresens majeur à faire sur la lecture des Stèles : celui de croire que Segalen est un poète de la Chine, qu'il en est l'interprète ou qu'il s'en est directement inspiré. Selon l'auteur de la préface à l'édition NRF Gallimard, Segalen s'est servi de ce qu'il trouvait en Chine comme de matériau de construction pour exprimer ce qu'il avait à dire. Le poète parle de moule dans lequel il a fondu son art.
Mais quel est ce moule ? Segalen l'explique dans son avant-propos. 'Sous les Han, voici deux mille années', les stèles étaient des montants destinés à faciliter la mise en terre des cercueils. On y inscrivait des commentaires en guise d'oraison funèbre. Elles sont maintenant des plaques de pierre, montées sur un socle, dressées vers le ciel et portant une inscription.
Leur orientation est significative. Les stèles donnant au sud concernent l'Empire et le pouvoir, celles vers le nord parlent d'amitié, celles vers l'est d'amour, les stèles vers l'ouest concernent les faits militaires. Plantées le long du chemin, elles sont adressées à ceux qui les rencontrent, au hasard de leurs pérégrinations ; les autres, pointées vers le milieu, sont celles du moi, du soi... A chaque partie correspond un idéogramme chinois, et une phrase en chinois est portée en tête de chaque poème.

2003
Qin Haiying : De toutes les particularités de Stèles, la plus frappante est la présence des épigraphes chinoises en tête des poèmes français. Le lecteur francophone non sinisant peut lire les poèmes, et se laisser impressionner par l'exotisme visuel des idéogrammes, comme le voulait dans doute l'auteur lui-même qui s'adressait surtout 'aux lettrés d'Extême-Occident'. Mais si ce lecteur est sinisant, il ne lui suffit certainement plus de voir les épigraphes comme calligraphie, il lui faut encore les lire comme texte. D'ailleurs, le titre chinois du livre : Gu jin bei lu, plus précis que le titre français, fait entendre déjà que le vrai jeu auquel le lecteur est invité réside dans les rapports de sens variés qui relient les 'stèles anciennes', épigraphes chinoises, et les stèles 'd'aujourd’hui', poèmes français, comme les deux parties d'un même texte pluriel. Selon Segalen lui-même, les caractères chinois de Stèles jouent un rôle d'orientation pour l'interprétation de ses poèmes : 'Parfois empruntés aux Livres, aux Histoires ou aux Annales apocryphes, ils ont déterminé la Stèle qui les suit. Le plus souvent ils furent composés pour illustrer de leurs allusions anciennes ces poèmes d'aujourd'hui.'
Stèles relèvent de quatre catégories, selon leur provenance ; les premières, une trentaine, sont extraites des éditions bilingues des oeuvres classiques chinoises traduites par Léon Wieger et Séraphin Couvreur, leurs allusions historiques et littéraires sont assez précises ; les deuxièmes, une dizaine, sont des expressions chinoises courantes ou figées (clichés, proverbes, noms propres, formules rituelles) ; le troisième groupe d'épigraphes, au nombre de trois, provient directement de vraies stèles de pierre. Enfin dix-huit épigraphes environ sont écrites par Segalen lui-même grâce à sa connaissance du chinois classique. S'il éprouve le besoin de s'écarter de la référence chinoise et d'inventer son propre chinois, c'est que son poème contient dans ce cas une pensée trop personnelle, trop occidentale, à laquelle aucune citation chinoise ne convient, de quelque manière que ce soit. C'est surtout le cas des seize poèmes ajoutés à l'édition de 1912. Il s'agit souvent des poèmes sans source chinoise et dont le contenu est entièrement personnel.
La stèle, d'origine chinoise, est ici occidentalisée, devenue 'poème-stèle' de Segalen. Cette oeuvre ni chinoise ni occidentale, à la fois chinoise et occidentale, est sans doute étrangère et nouvelle pour l'Occidental aussi bien que pour l'Oriental. Le lecteur, qu'il soit occidental ou oriental, pour l'évaluer, doit adopter des critères qui ne sont pas ceux de sa propre tradition. Le vrai goût de Segalen n'est ni dans la nostalgie du passé, ni dans la recherche archéologique. La culture chinoise est pour lui non un savoir, mais une sagesse. Elle n’est pas un objet de connaissance, mais un stimulant de l'inspiration, une illumination, un symbole, qui lui offre de nouvelles images, lui ouvre de nouvelles pistes de réflexions. Il n'avait pas à chercher une connaissance parfaite ou une compréhension totale, il n'avait pas à s'identifier, il n'avait qu'à sentir. Il avait brisé les barrières et les frontières préétablies pour accéder à une nouvelle communication entre matière et esprit. La stèle lui révèle une forme, les Quatre livres et les Cinq canons lui révèlent une langue, dans lesquels il ne prélève que des fragments capables d'activer ses pensées. Les citations tronquées et ses interprétations éloignées du contexte donnent au lecteur chinois l'impression de rencontrer un texte nouveau. Alors que le sens canonique du texte original n'est plus reconnaissable, le nouveau sens qu'il lui prête se fait encore plus obscur.

2008
Haun Saussy : Each page is a 'stèle' of its own, a visual composition on a plane surface with edges and further outlined with a thin black border. At the top of the page, nexte to the French title of the poem, are a few Chinese characters with the look of epigraphs or alternate titles : these usually give the generative kernel of the poem in a quotation from Chinese inscriptions, histories, or classical literary works, and are untranslated in Segalen's original editions. In the transformation of Stèles into a mass-market book, a technological distinction preserves the difference between Chinese and French text, for the French text of any later copy may have been set in various typefaces under differing technical dispensations, but the Chinese text will have been reproduced as a picture, that is, as a visual bloc without undergoing analysis and restitution at the hands of a typist or proofer. The technological division of the page between areas of word and 'image' corresponds to a division of intellectual labor in the minds of the book's most likely potatial readers. For many, the Chinese characters at the head of each poem are fine-looking decorations and signs of 'chineseness', to be glanced at rather than read. The part of the poem that remains most unchanged by the successive editions and interpretations that may overlay it is the part that is, for most of Segalen's audience, unreadable. The Chinese text-block is 'material' in the medieval logicians' sense of the word, that is, as a quotation taken over without interpretation.
The preface describes writing as inscription, as object. In the China Segalen knew from his travels, inscribed tablets of stone were familiar monuments, commemorating places and events with appropriately classical language, official signatures, and dynastic dates. The poem collection Stèles is modeled on Chinese anthologies of monumental writing, as its rather conventional Chinese subtile indicates : Gu jin bei lu (Transcriptions of stèles, ancient and modern). The character in which stèles ought to be written are, for Segalen, anything but mobile. They aspire to the solidity of natural facts.
Segalen's written stèles will emerge from an evocation, perhaps an emulation, of these stones. He defines the absolute writing of the stele through a series of negations : it is not temporal writing, not voiced writing, not information. A stele always faces the same direction and readers must turn toward it.
And yet Segalen also sets up a class of 'Stèles du milieu', one that breaks with the established pattern, despite the good qualifications of the Center as a traditional member of the five Chinese cardinal directions.
Segalen reads many of his stèles as abbreviated architecture, walls without roofs, stones without surrounds. His experiment with translation reaches in several directions that should be integrated into the ordinary description of cultural contact. For reading between civilizations occurs in just the way, on multiple planes of form and content, intersecting via misprision, antipathy, and rivalry, in any case never adding up to recognition, equivalency, reduplication, or what some would term 'intercultural understanding'. Decades before the philosophical ladders of deconstruction were laid against that particular wall, Segalen is led through his program of unfaithful translations to explore the athematic or asemantic dimensions of writing and to confront the ways in which poetic writing is 'Chinese'.
  • Document: Segalen, Victor. Stèles. (Pei-king : Pei-t'ang, 1912). [Es gibt davon 81 gedruckte Exemplare auf koreanischen Papier, eine Zahl die mit den 9 x 9 Fliesen der dritten Terrasse des Himmels-Tempels in Beijing übereinstimmen und 200 auf normalem Papier]. = [2e éd.]. In : Mercure de France (Dec. 1913). = (Paris : G. Crès, 1914). [Enthält 16 zusätzliche Gedichte, total 64, die mit der Zahl der Hexagramme des Yi jing übereinstimmen].
    http://www.steles.net/page.php?p=75. (2001). (Sega2, Publication)
  • Document: Kushner, Eva. Victor Segalen and China : a dialectic of reality and imagination. In : Tamkang review ; vol. 6 (1975-1976). (Seg24, Publication)
  • Document: Geiger, Wolfgang. Vom Reiz des Unverständlichen : Victor Segalens Ästhetik des Fremden. In : Spuren ; no 15, April-Mai 1986. = www.historia-interculturalis.de. (2006). (Seg28, Publication)
  • Document: Hsieh, Yvonne Y. Victor Segalen's literary encounter with China : Chinese moulds, Western thoughts. (Toronto : University of Toronto Press, 1988). S. 23-24. (Seg, Publication)
  • Document: Grand, Anne-Marie. Victor Segalen : le moi et l'expérience du vide. (Paris : Méridiens Klincksieck, 1990). (Connaissance du 20e siècle). S. 70, 137-138, 140-141, 143-144. (Seg27, Publication)
  • Document: Hsieh, Yvonne Y. From occupation to revolution : China through the eyes of Loti, Claudel, Segalen, and Malraux (1895-1933). (Brimingham, Alabama : Summa Publications, 1996). S. 60. (Seg31, Publication)
  • Document: Gontard, Marc. La Chine de Victor Segalen : Stèles, Equipée. (Paris : Presses universitaires de France, 2000). (Ecrivains). S. 71-72. (Seg19, Publication)
  • Document: Saussy, Haun. Impressions de Chine ; or, How to translate from a nonexistent original. In : Sinographies : writing China. Eric Hayot, Haun Saussy, and Steven G. Yao, editors. (Minneapolis : University of Minnesota Press, 2008). [Betr. Victor Segalen]. (Seg23, Publication)
  • Person: Segalen, Victor
9 1913 Briefe von Victor Segalen an Jules de Gaultier.
"Aucune de ces proses dites 'Stèles' n'est une traduction, quelques unes, rares, à peine une adaptation. Les Stèles chinoises de pierre contiennent la plus ennuyeuse des littératures. Ce n'est donc pas l'esprit ni la lettre, mais simplement la forme 'Stèle' que j'ai empruntée. La 'forme Stèle' m'a paru susceptible de devenir un genre littéraire nouveau. Je veux dire une pièce courte, cernée d'une sorte de cadre rectangulaire dans la pensée, et se présentant de front au lecteur. Je cherche délibérément en Chine non pas des idées, non pas des objets, mais des formes, qui sont peu connues, variées et hautaines j'en fait mon possible pour éviter tout malentendu chinois, toute méprise, toute fausse note. Mais dans ce moule chinois, j'ai placé simplement ce qui j'avais à exprimer."
"Le mot Odes est classiquement chinois. La forme en sera un poème court, conçu sur des rythmes chinois : 5 + 7, rejoignant, après tout, pour la longueur du souffle, notre alexandrin."
  • Document: Liang, Pai-tchin. La Chine dans la poésie française du XXe siècle. In : Cahiers de l'Association internationale des études françaises ; vol. 13, no 1 (1961). (Seg30, Publication)
  • Document: Hsieh, Yvonne Y. Victor Segalen's literary encounter with China : Chinese moulds, Western thoughts. (Toronto : University of Toronto Press, 1988). S. 26. (Seg, Publication)
  • Document: Gontard, Marc. La Chine de Victor Segalen : Stèles, Equipée. (Paris : Presses universitaires de France, 2000). (Ecrivains). S. 80. (Seg19, Publication)
  • Person: Segalen, Victor
10 1915 Segalen, Victor. Equipée [ID D9512].
Segalen schreibt : "J'ai toujours tenu pour suspects ou illusoires des récits de ce genre : récits d'aventures, feuilles de route, racontars – joufflus de mots sincères – d'actes qu'on affirmait avoir commis dans des lieux bien précisés, au long de jours catalogués... Ce livre ne veut donc être ni le poème d'un voyage, ni le journal de route d'un rêve vagabond."

In Chengdu schreibt er : "Imaginer, sur la foi des textes, que l'on va, dans ce lieu précis, découvrir une belle et archaïque statue de pierre de cette époque puissante et humaine des Han... et se trouver nez à nez avec un moignon informe de grès, est encore une déconvenue. Celle-ci, irrémédiable. Aucun espoir de découvrir un peu plus loin la statue qu'on ne trouve pas... Elle n'est pas perdue ; elle n'est pas égarée. Elle est là."

Er schreibt : "C'est donc à travers la Chine, grosse impératrice de l'Asie, pays du réel réalisée depuis quatre mille ans, que ce voyage se fera. Mais n'être dupe ni du voyage, ni du pays, ni du quotidien pittoresque, ni de soi! La mise en route et les gestes et les cris au départ, et l'avancée, les porteurs, les chevaux, les mules et les chars, les jonques pansues sur les fleuves, toute la sequelle déployée, auront moins pour but de me porter vers le but que de faire incessament éclater ce débat, doute fervent et pénétrant qui, pour la seconde fois, se propose: l'Imaginaire déchoit-il ou se renforce quand on le confronte au Réel ?"

"The entwined reciprocity of the two 'commas' forming the Tao, on white, the other black, equal, symmetrical neither ever victorious over the other. The symbol is a well-worn one. Its common translation is Yin and Yang, female and male ; this opposition and penetration which according to the classics of the tenth century, begat the world, are also capable of containing everything in the world we can image. My journey and the purpose of my journey are easily enclosed and uplifted in this symbol." [Französisches Original nicht gefunden].

Sekundärliteratur
1988 / 1996
Yvonne Y. Hsieh : Equipée narrate a sequence of episodes or describe in detail the characteristics of the various regions visited. It does not aim at being precise and informative. Instead, it explores the constant 'duel' between the real and the imaginary in different situations encountered during Segalen's second long journey across China, between what the traveler expects in his imagination and what he actually faces along the way. Equipée merely uses the travel experience as a catalyst for generating reflections on all sorts of subjects, from the usefulness of sandals and staff to the role of the imagination in restoring a badly eroded archaeological find to its original form ; from the mediocrity of catholic missionaries in China and the failure of their proselytizing efforts, to the mystery of lifesaving human instinct, 'supple as the caressing water, sensible as a peasant, sly as a cat coming out of some cellar or underground hide out'. Segalen often does not bother to tell us when or where certain events recounted in the text occurred, as this is not important for his purposes. Neither does he vouch for the authenticity of his accounts ; in fact, he deliberately chooses to give his readers the impression that he was traveling alone, except for the muleteers in his hire.
Segalen tries to invent another new genre with Equipée. For Segalen, China was 'le pays du réel', Tibet 'le pays de l’imaginaire'.
A few interesting observations may be made regarding Segalen’s modernization of T'ao Yüan-ming's story 'The Peach blossom source'. In the original version, the villagers had entered their secluded abode during the last days of the Ch'in dynasty, and the fisherman encountered them during the T'ai-yüan reign of the Chin emperor Hsiao-wu. In Equipée, the ancient villagers had taken refuge during the last days of the Ming dynasty and the traveler's accidental discovery of the community occurred almost three hundred years later, towards the end of the Ch'ing.

1996
Andreas Michel : Equipée represents an exploration of the clash of the two fundamental tendencies in which aisthesis has been thought in the West: as sensory encounter with the physical world, ('experience'), on the one hand, and as imaginative, poetic construction of the world ('imagination') on the other. In Equipée, Segalen, the poet, undertakes a journey into the land of the real ('un voyage au pays du réel') in order to find out if the power of the imagination can hold its own when confronted with brute reality or if, on the contrary, the knowledge furnished by the imagination has to be discarded.
Segalen is well aware of the name for his attraction to faraway lands-exoticism-as well as the negative connotations that this term holds. For apart from its geographical and cultural application, the idea of distance, in which he sees the essence of exoticism, also expresses the philosophical relation between subject and object. And it is at this point that his exoticism takes on theoretical dimensions.
This dimension of exoticism, then, is directly linked to an always renewed experience of difference and alterity. In his encounters with different cultures, Segalen is intent on reviving the level of aesthetic experience that had been devalued in aestheticism: direct sensory experience through physical contact. In this perspective, Segalen's own contribution to intellectual history comes into view: it consists in his desire to reintegrate sensory experience into his poetic writings. While Segalen the aestheticist believes in the evocative power of the imagination, Segalen the traveler explores the sensible nature of experience. Equipée, this trip in the land of the real, stages the debate between these two versions of aesthetic experience. During the expedition, Segalen opposes the imaginative practice of the poet and his tools, words, to the physical experience of the traveler.
Equipée is structured in such a way that the reader witnesses the imaginative anticipation (l'imaginaire) of an experience followed by a narrative of its actual occurrence (le réel). More often than not, the imaginative projection is proven to have been false, the actual experience taking place in a manner quite different from what the narrator had expected. The different chapters thus show the traveler being shaken to and from between the « two worlds » of imagination and reality.

1993
Qin Haiying : La confrontation textuelle de la Source aux fleurs de pêcher de Tao Yuanming et Equipée permet de voir que les deux récits sont construits selon un même schéma structurel. Mais on ne tarde pas à remarquer que, sur fond de cette structure profonde commune, le texte de Segalen présente bien des éléments visiblement différents. On peut dire que le texte de Segalen respecta la syntaxe du récit de Tao Yuanming en y permutant de nouveaux syntagmes et en la prenant souvent à contre-pied.
Pour tirer toutes les conséquences de la récriture du mythe chinois par Segalen, il faut encore tenir compte du fait que l'épisode n'est pas un récit indépendant comme le texte de Tao Yuanming, mais fait partie d'un journal de route à caractère autobiographique. Par les transformations de divers ordres, Segalen donne du mythe de la Source aux fleurs de pèchers une version originale et moderne, celle d'un poète occidental du XXe siècle qui se préoccupe avant tout du problème esthétique et philosophique de la Différence, du conflit et de l'alternance entre le même et l'autre.
Segalen a-t-il lu Tao Yuanming ? Si l'hypothèse de l'emprunt peut être prouvée biographiquement, notre étude sera non seulement justifiée par le rapport intertextuel, mais aussi légitimée par le rapport de fait. Aucune note manuscrite d'Equipée n'a mentionné cet emprunt et Segalen n’a nulle part parlé de Tao Yuanming. En consultant à la Bibliothèque nationale les manuscrits de Segalen, nous avons découvert une page manuscrite de Peintures au verso de laquelle Segalen avait copié au crayon et en caractères chinois de petits fragments du Récit de la source aux fleurs de pècher. C'est une preuve, que Segalen avait réellement connu dans le texte original le récit et que le rapprochement entre les deux textes est positivement fondé.
  • Document: Kushner, Eva. Victor Segalen and China : a dialectic of reality and imagination. In : Tamkang review ; vol. 6 (1975-1976). (Seg24, Publication)
  • Document: Hsieh, Yvonne Y. A frenchman's Chinese dream : the long-lost village in Victor Segalen's Equipée. In : Comparative literature studies ; vol. 25, no 1 (1988). (Seg32, Publication)
  • Document: Hsieh, Yvonne Y. Victor Segalen's literary encounter with China : Chinese moulds, Western thoughts. (Toronto : University of Toronto Press, 1988). S. 123, 126, 135. (Seg, Publication)
  • Document: Hsieh, Yvonne Y. From occupation to revolution : China through the eyes of Loti, Claudel, Segalen, and Malraux (1895-1933). (Brimingham, Alabama : Summa Publications, 1996). S. 56. (Seg31, Publication)
  • Document: Michel, Andreas. The subject of exoticism : Victor Segalen's 'Equipée'. In : Surfaces ; vol. 6 (1996).
    http://www.pum.umontreal.ca/revues/surfaces/vol6/michel.html. (Seg26, Publication)
  • Person: Segalen, Victor
11 1916 Segalen, Victor. Peintures [ID D21455].
Er schreibt :
"La forme littéraire adoptée dans ce livre est neuve. Brisant net avec le procédé 'roman' où des personnages dialoguent et feignent de vivre pour la joie ou l'ennui du lecteur – ici, l'auteur prend à partie le lecteur ou du moins le 'spectateur' et en fait un 'comparse', un 'complice'. Il y a retentissement réciproque. Cette hypothèse est menée pour la première fois et, semble-t-il, sans défaillance d'un bout à l'autre d'un livre complet."

Er schreibt im Vorwort : "Meine Rolle Ihnen und diesen Gemälden gegenüber ist eine andere, nämlich die, Sie nur 'sehen' zu lassen. Es sind gesprochene Gemälde. Lassen Sie sich also durch dies überraschen, was kein Buch ist, sondern ein Spruch, ein Aufruf, eine Beschwörung, ein Schauspiel. Und sie werden bald damit einig gehen, dass sehen, wie es hier verstanden wird, heisst, an der Zeichenbewegung des Malers teilzunehmen, heisst, sich irrt ausgemalten Raum zu bewegen, heisst, sich in jede der gemalten Handlungen hineinzuversetzen."

Er schreibt : "A master-painter, in the time of Song, was wont to dwell upon the hillsides, with a small bottle of wine, and to spend the day in a state of slight intoxiation, gazing on and meditating. And do you know what it was he gazed upon ? A spectacle of course, since he was master and painter. The commentators' translation has it that he 'sought the bond uniting forever joy and life, life and joy, and they mocked him for being a drunkard and a madman'. Yet this inebriated vision, this pentrating look, this prophtic grasp, can replace for some - among whom you are – ‘the raison d’être’ of the world and of the godhead."

Sekundärliteratur
1975
Eva Kushner : The artist unfolds the scrolls of Chinese paintings, not before the reader's eyes but before his imagination. In other words, Segalen's idea of this kind of poetry of transposition is the obverse of the sort of description prescribed by the Parnassian school. In Peintures Segalen similarly conveys the spiritualization of space. Each poem is the imaginary unfolding of a painted scroll in which spaces are viewed successively rather than simultaneously, and in which the technicalities of perspective are less important than one stroke of the brush, because of all the suggestion the latter may hold for the viewer.

1986
Wolfgang Geiger : Diese 'erzählten Gemälde' sind ein einzigartiges Phänomen in der Literaturgeschichte. Segalen führt darin seine 'geistige Karawane' auf eine neue Reise, weg von der Konfrontation im dem Wirklichen und Gegenwärtigen, zurück zum Imaginären und Vergangenen. Die Beschreibung dieser Gemälde führt den Leser in eine imaginäre Landschaft ein. Die Themen der Peintures lehnt Segalen ebenso an die chinesische Tradition und Geschichte an wie bei Stèles, ohne die Vorgaben einfach zu imitieren. Zu einem guten Teil sind es auch von ihm efundene Bilder, aber im chinesischen Stil erfunden. Sich auf diese fiktiven Gemälde einzulassen, auf ihre in mehrfacher Weise andere Ästhetik, erfordert mehr denn je, dass sich der Leser einem fremden Denken öffnet und die gewohnte Vorstellung der abendländischen Ästhetik , die Trennung zwischen dem visuellen und dem fiktiven Raum hinter sich lässt.

1988
Yvonne Y. Hsieh : The entire text of Peintures is conceived as a running commentary to a series of imaginary Chinese paintings which the narrator-commentator is presenting to his audience, whose active participation he constantly solicits. The narrator-commentator is himself the painter, as his words evoke imaginary pictures which may not be based on real Chinese paintings. He harangues his audience is really the writer, Segalen, who addresses his reader, as the narrator's speech is not actually hear but read in a printed text. Finally, the reader-viewers are themselves the artist, since the only paintings they 'see' are those conured up by their own imaginations as they turn the printed text into visual images inside their heads. Segalen's intricate text is thus a written work purporting to be a pronounced speech which aims to evoke pure images, that is, a work that needs to be simultaneously read, heard, and seen. Actually, Segalen's original intention was to write an essay on Chinese painting : he had even gathered a mass of documentation for this purpose. Only later did he conceive of creating a radically new genre.

1990
Anne-Marie Grand : Le recueil se présente sous la forme d'un tryptique : trois groupes de textes aux masses équilibrées : 17 peintures magiques, 17 peintures dynastiques encadrant le déroulement en 12 tableaux des 'Cortèges et trophées'. Les dix-sept tableaux de la première partie utilisent la totalité des supports picturaux chinois : rouleau vertical, éventail, paravent, porcelaine, laque, pierre, la laine même des tapis, jusqu'à les faire éclater, déborder tout cadre et inscrire leurs calligraphies dans l'espace et le temps. 'Paintures magiques' conduisent sur les voies d'un dépouillement intérieur. Elles se jouent de toutes les croyances, certitudes, illusions du spectateur-lecteur.
‘Dans 'les néoménies des saisons', l'Empereur apparaissait comme accord, harmonie, équilibre, accueillant chaque heure à sa juste mesure, donnant au temps son dû ni trop tôt ni trop tard, il est ici le rassembleur, l'unificateur. Il n'est pas 'tel empereur ou tel autre', mais ce singulier successif élu par mandat du Ciel.
Les deux premières parties conduisent en un lieu dont les caractéristiques (l'indétermination en particulier) et la présence impériale indiquent la centralité. Un lieu qui est en même temps but et origine puisqu'à peine atteint, il bascule dans son absence et impose la nécessité d’en chercher à nouveau l'accès. Une certitude demeure, toutefois, le Centre existe, il lui arrive de se manifester et c'est dans cette certitude que s'installe la troisième partie. Elle s'ouvre sur une anecdote rapportant une promenade de Confucius and l'antique Palais des Zhou à Luo Yang. C'est donc dans le Dedans que le spectateur est maintenant invité à se déplacer.
Chacun des tableaux est placé sous le signe de l'Ubris. La faute majeure des Grecs, la transgression des limites, le débordement de l'humain est ici la seule vertu. La démesure, énorme à l'origine perd cependant, peu à peu, son énergie. Du dernier des Xia dont le surnom posthume fut 'l'inhumain', la 'lente marche à travers les palais dynastiques' épuise la puissance, la voit s'évanouir totalement dans l’arbre enchaîné, ne lassant vive que la seule écriture, le sceau qui clôt le tout : 'Grandeur officielle de T'sing'.
Chacun des portraits compose l'image de l’une des valeurs humaines que la coutume honore : force, intelligence, passion, foi, amitié, raison mais en les marquant de signes négatifs, les faisant, de plus, cohabiter avec d’autres, lâcheté, vanité, cruauté, faiblesse proche de la sottise, toujours considérées comme l'envers de valeurs. Toutefois, ces représentants de la décadence se succèdent de telle manière qu'ils dessinent une autre figure.
Chaque Empereur va tour à tour incarner des passions dévastatrices. De ceux qui furent dévorés par les philosophies à ceux qui s'égalèrent aux dieux, de ceux qui rient et se moquent de tout et de tous, de celui qui voulait tenir le monde entre ses deux mains, à portée de regard à celui qui règle des automates et des corps de ballet, les capacités de grandeur s'émoussent et l'homme dépers sa souveraineté jusqu'à laisser Place à l'arbre seul où la trace humaine ne pèse plus que du poids des chaînes l'enserrant.
Parlant à l'instar de Peintures du Dedans, le recueil n'en offre que des images beaucoup plus fragmentées, des 'moments' dans un langage hiératique et hautain beaucoup plus difficile à décrypter.

2003
Qin Haying : Dans Peintures, pour créer un effet équivalent à l'inscription calligraphique d'une peinture chinoise, Segalen joue sur la typographie et la mise en page, en insérant les titres des peintures littéraires aux différents endroits du corps textuel. Ces titres, différents par les majuscules, font partie d’une phrase du texte-peinture, tout comme les caractères calligraphiés font partie d'une peinture. Segalen change son mode d'écriture et inaugure une nouvelle forme littéraire d'inspiration picturale. Il ne s'agit plus cette fois de jouer sur l'analogie stèle-poème, mais sur le rapport peinture/littérature. Et ce rapport est exploré de la façon la plus inattendue : au lieu de décrire des peintures référentielles, l'auteur tente bel et bien d'écrire des peintures sans support pictural. On verra que le paradoxe de cette expression distincts en essayant de prouver par son livre que l'écriture peut faire mieux que la peinture, et ce non uniquement par l'usage des métaphores. Cette entreprise singulière est fondée sur une croyance au pouvoir supérieur des mots sur les couleurs : il importe, dans Peintures, de témoigner des possibilités de la littérature, entendue ici très simplement comme travail d'écriture sur et à partir des mots.
Comme ce qui est souvent arrivé au poète dans son itinéraire réel et spirituel, la recherche historique sur l'art chinois le fait heurter de nouveau à une absence, une disparition, et c'est très problablement cette disparition de l'origine et le désir de 'reconstituer l'essentiel absent' qui l'incitent à passer très rapidement d'un essai historique à l'invention d'un ensemble de pièces en prose appelées 'peintures littéraires'.
En s'appuyant sur une riche matière chinoise dont les sources principles restent les Textes historiques, traduits par Léon Wieger, tout en s'inspirant de sa documentation sur l'art chinois, le poète ne prétend nullement refaire la peinture chinoise disparue et ne se réfère guère à des modèles plastiques observables. Sa vraire ambition, c'est d'inventer verbalement, en français, des 'peintures chinoises' qui n'ont jamais existé, mais qui présenteraient, malgré tout, les effets attendus qui nous renverraient à cette forme d'art oriental avec sa spécificité et sa diversité : techniques, mode de vision, composition, supports, thèmes, genres picturaux. Certes, ces textes faits de signes linguistiques ne sont 'picturaux' que par fiction et métaphore, ils ne deviennent pleinement 'tableaux' que par l'imagination interposée. Néanmoins, il faut reconnaître qu'au-delà d'un usage métaphorique du mot 'peinture', Segalen fait preuve d'un sérieux effort pour inscrire le pictural dans le textuel et, ce faisant, il pose un jour nouveau le problème tant débattu du rapport entre littérature et peinture.
Peintures nous frappe d'abord par une très grande discursivité, une multiplication délibérée des traces de la parole. Pour reprendre une expression chinoise, il s'agit bien des 'peintures sonores'. Dans une présentation rédigée lors de la parution du livre, Segalen précise la nouveauté de ce mode d'écriture.
Chez Segalen, ces différents types de contextes entrent tous en jeu, mais de proportion inégale. L'identification des tableaux chinois réels qu'il aurait vus ou possédés relève du contexte biographique. Ce contexte assez limité est loin de pourvoir expliquer toutes les allusions du live. L'identification des sourves livresques, des anecdotes, des thèmes particuliers à la Chine relève du contexte culturel, de l'intertexte. Ce contexte, beaucoup plus important que le précédent, permet de comprendre une grande partie des allusions du livre, dont les plus visibles sont celles de la troisième section, 'Peintures dynastiques', où les noms propres des derniers empereurs de chaque dynastie chinoise sont explicitement présents et les épisodes les plus célèbres qui les concernent sont facilmenet reconnaissables, puisqu'ils constituent les grands moments de l'histoire chinoise.
La peinture est par excellence un art d'espace. Cela s'entend de deux manières : elle représente des objets situés dans l'étendue, et en même temps cette représentation elle-même, la peinture-objet, se situe aussi dans l'étendus. Le livre Peintures étant une monstration des peintures chinoises, il implique ces deux ordres d'étendue. La spatialité signifiée y est donc double : celle du monde peint et celle de la peinture. Si l'étendue de la peinture elle-même est un espace signifiant dans le cas d'un tableau proprement dit, elle devient à son tour un espace signifié dans ces peintures livresques, puisque la peinture-objet y fait aussi l'objet d'une représentation verbale. Ce livre est ainsi la transposition d'une transposition : il transpose des peintures chinoises qui transposent à leur tour le monde référentiel. Le problème de la spatialité dans Peintures doit se reformuler sur trois plans décalés l'un par rapport à l'autre : il y a l'espace propre au texte, l'espace englobant la peinture et l'espace englobé par la peinture, doublement signifié par la peinture qui est signifiée par le texte. Les peintures de Segalen tirent en partie leur étrangeté d'une conception chinoise de l'espace qui fait contraste avec la peinture occidentale classique.
Différente de la deuxième section qui ne porte qu'un seul grand titre, la première section 'Peintures magiques', contient autant de titres que de peintures. Sa particularité vient du fait que ces titres ne sont jamais placés en tête du texte, parce qu'ils sont éléments constitutifs dans le texte. La dernière section du livre revient à une présentation typographique normale, mais joue toujours un rôle signifiant particulier : cette fois, le titre est bien en tête de chaque peinture.
  • Document: Kushner, Eva. Victor Segalen and China : a dialectic of reality and imagination. In : Tamkang review ; vol. 6 (1975-1976). (Seg24, Publication)
  • Document: Geiger, Wolfgang. Vom Reiz des Unverständlichen : Victor Segalens Ästhetik des Fremden. In : Spuren ; no 15, April-Mai 1986. = www.historia-interculturalis.de. (2006). (Seg28, Publication)
  • Document: Hsieh, Yvonne Y. Victor Segalen's literary encounter with China : Chinese moulds, Western thoughts. (Toronto : University of Toronto Press, 1988). S. 71-74. (Seg, Publication)
  • Document: Grand, Anne-Marie. Victor Segalen : le moi et l'expérience du vide. (Paris : Méridiens Klincksieck, 1990). (Connaissance du 20e siècle). S. 128, 133-137. (Seg27, Publication)
  • Person: Segalen, Victor
12 1926 Segalen, Victor. Odes [ID D3181].
Qin Haiying : Segalen revient à une poésie regulière, dont la versification, bien que personnelle, ne peut être pleinement appréciée que replacée dans le contexte de l'évolution des formes prosodiques au sein du système de la langue française.
Segalen, à la suite d'autres sinologues, traduisait le 'shi' du 'Shi jing' par 'ode' et le titre 'Shi jing' par 'Livre des odes'.
A propos du 'Shi jing', mais en dehors du calque lexical, nous pensons que l'utilisation originale des rimes dans Odes de Segalen a peut-être quelque chose à voir avec les 'Odes' chinoises, bien que Segalen lui-même n'en ait donné aucun indice. Nous savons que c'est surtout à l'aide de la traduction de Séraphin Couvreur que Segalen lisait et étudiait le Shi jing. Dès lors certaines informations fournies par Couvreur ne sont pas négligeables pour comprendre la comréhension que Segalen se faisait de l'art du Shi jing.
Pour la deuxième ode de Segalen, Elégie sur le royaume Tchong, on remarque une grande discordance formelle par rapport aux deux autres odes. Elle n'est plus simplement 'ode', chant, mais 'élégie', chant de deuil, lyrisme douloureux. Alors que la première ode appelle un rapprochement avec le Shi jing, cette élégie, par plusieurs indices textuels, suggère une autre piste de rapprochement avec une autre grande poésie chinoise ancienne, celle de Chu, les 'Chu-ci', ou 'élégies de Tsou' selon l'expression qui apparait dans le commentaire de Segalen. La première et la troisième ode qui répondent plus exactement au projet initial de Segalen – écrire ses futures odes sur des 'rythmes chinois'.

Yvonne Y. Hsieh : Each of Segalen's odes is followed by a commentary, which he wrote. This imitates the Chinese tradition of presenting a literary text with the commentaries and explanations accumulated by different scholars over the Centuries. But the commentaries to Segalen's odes are rather ironic, since they were written by the poet himself.
  • Document: Hsieh, Yvonne Y. From occupation to revolution : China through the eyes of Loti, Claudel, Segalen, and Malraux (1895-1933). (Brimingham, Alabama : Summa Publications, 1996). S. 79. (Seg31, Publication)
  • Person: Segalen, Victor
13 1981 Macé, Gérard. Leçon de chinois [ID D21763].
Quellen :
Chen, Fou. Récits d'une vie fugitive. (Paris : Unesco, 1967 ; Garis : Gallimard, 1977).
Cheng, François. Vide et plain. (Paris : Le Seuil, 1979).
Elisseeff, Danielle ; Elisseeff, Vadime. La civilisation de la Chine classique [ID D6602].
Jaeger, Georgette. Les lettrés chinois : poètes T'ang et leur milieu [ID D24920].
Quignard, Pascal. Un lipogramme d'Appius Claudius. In : Argile ; vol. 18, hiver (1978-1979).
Segalen, Victor. René Leys [ID D3084].
Besoin de Chine. In : Armand Robin multiple et un. In : Plein chant, automne (1979).

C'est la face entière, et non seulement la bouche, qui apprend à prononcer les sons, dont la vibration cesse aussitôt, percutés presque tous entre le palais et les dents – contre l'os et l'ivoire.
Derrière ce masque, c'est la voix qu'il faudrait imiter, au lieu d'un « accent ». Et le visage d'un autre qu'il faudrait apprivoiser.
Premières pages d'écriture. Pour que la main apprenne à reconnaître les caractères. Car c'est elle qui commandera au cerveau.
Défi à l'homme gauche, à l'Européen manchot.
J'apprends à tracer des signes et à prononcer, comme un enfant qui pressent le vieillard en lui, et se souvient du nourrisson. Apprendre le chinois, c'est rééduquer une main morte, en paralysie depuis toujours à l'orient de soi-même. Mais pour réveiller quoi, dans un coin perdu de quel hémisphère ?
Méandres d'un « peu profond ruisseau ».
Quatre tons, plus un ton léger : chacune des quatre cents syllabes est une corde pincée sur cette gamme rudimentaire. Un peu plus haut, un peu plus bas, le cri d'amour est changé en injure, et le chanvre en cheval.
Les mots montent et descendent sur la courte échelle des significations.
Il faudrai apprendre aussi l'intonation qui veut tout dire : ironie, périphrases, fausses questions et sous-entendus... La colère et ses discours, l'allitération et ses ruses.
Ici la corde et l'archet, là-bas la cloche et le gong.
Toute langue est pauvre au commencement, même le chinois. De là vient la saveur de la première leçon : quatre mille ans de « réel réalisé », mais aucune mémoire personnelle.
A quand les souvenirs de ce moi étranger ?
Les mots qui désignent les nombres : cent, mille et un million ici ; bâi (cent), qiân (mille), et wàn (dix mille) en Chine. Pour nous les zéros se comptent par trois, pour les Chinois par quatre. Passer d'une langue à l'autre implique donc une opération de change – qui est aussi une conversion mentale, car il s'agit du « change » de l'espace et du temps.
Entre ciel et terre, c'est-à-dire entre le cercle et le chiffre neuf, la quadrature et le carré.
Tout est quantifiable en Chine : poids, mesures, mérites et démérites. Mais aussi les signes : mille, deux mille, six mille, et le savoir est mesuré comme le reste. Pour devenir lettré, savant, poète ou moine, il suffirait donc d'ouvrir le dictionnaire. Qui, mais à condition d'avoir aussi la connaissance du vide, à l'origine et au coeur de tout. Comme les ancêtres parmi nous, et les démons partout présents.
La Chine est familière des grands nombres. Mais l'immensité mesurable n'est pas encore l'infini. D'où une hiérarchie très précise, et une divinité partout sans nom.
3 e jour du 3e mois : fête du printemps. 5e jour du 5e mois : fête de la 5e lune. 7e jour du 7e mois : fête de la femme. 15e jour du 8 e mois : fête de la mi-automne. 9e jour du 9e mois : fête du double neuf. Les fêtes font partie de cet empire du nombre. Le dictionnaire aussi, dans son principe de classement : d'abord les caractères formés d'un seul trait, puis de deux, puis de trois, puis de quatre... De même autour de la table, où l'on place d'abord la personne dont le nom de famille est composé d'un seul trait, et ainsi de suite, du plus simple au plus compliqué.
Du langage à la table, cosmogonie partout : à partir du moindre élément, on engendre un univers. Comme en peinture, où il suffit d'un unique trait pour séparer le ciel et la terre.
Le boulier dispense les Chinois d'écrire pour effectuer les quatre opérations. Dans un espace asymétrique et restreint (un cadre de bois très ordinaire) des formules dont la valeur est muette glissent sous les doigts d'un maître trop humain, comme les points cardinaux d'un univers encore en mouvement, avant de se loger dans lVendroit prévu où ils serviront de mémoire.
Ainsi, l'écriture en Chine fut au cours des siècles d'un usage réservé. Etendre aujourd'hui cet usage en le simplifiant, c'est peut-être asservir tout un peuple à des règles vulgaires, et c'est donner naissance à une langue morte.
Nous avons volé le feu au ciel, les Chinois lui ont volé les signes ; mais on s'est partout servi du feu pour brûler les livres.
Le premier empereur (T'sin che-houang ti) qui plaça son règne sous les signes de l'eau, de la couleur noire, du chiffre six, du yin et de l'hiver, de l'ombre et de l'ubac, fit fermer la grande muraille pour mieux se protéger des barbares – et c'est le même qui ordonna de brûler tous les livres afin de réduire au silence les lettrés. La première stèle, élevée pour avoir force de loi, est un instrument de torture et de mort. Elle est encore dans nos mémoires (comme la marque au fer rouge sur le corps des lettrés qui voulurent conserver leurs livres) pour nous reppeler que le pur souci de la grammaire ne préserve pas des sacrifices, et que le langage pris à la lettre attise la haine des tyrans. Qu'en tous les siècles et de toutes les manières il fallut payer de sa personne pour défendre les mots.
Pressé de questions, comme le voyageur à son retour : alors, vous apprenez le chinois ? Comment ? Et surtout, pourquoi ? Or, le chinois vous prend parce qu'un but quelconque (un progrès encore plus) est hors de question.
Un apologue tout de même : aujourd'hui qu'il n'y a plus d'ailleurs (sinon dans une forêt fraîchement abattue, ou un livre déniché par hasard), Marco Polo ne quitterait pas Venise, il apprendrait des langues. Ou travaillerait à les oublier toutes, mais dans une chambre convenablement orientée, aussi difficile à trouver aujourd'hui que le Pays des Licornes jadis.
Un Chinois reconnaît un étranger à son écriture aussi : à ce tracé grêle et tremblant, qui ne crée aucune présence, ni aucun vide. Traits sans épaisseur et sans mémoire, sans haine et sans ciel.
Méprisant les désinences et les parlers divers, mais liés à l'espace de l'empire, les caractères chinois, dans le carré qu'ils occupent, retracent les fleuves et les défilés du Milieu, le feu du ciel et les labours de la terre. Ils nous proposent un rôle avant même d'être disposés en recettes ou sentences, et font danser devant nos yeux l'illusion d'une langue naturelle.
La plupart des idéogrammes, tributaires d'une convention qu'ils brisent, amorcent un récit en nous invitant à lire leurs histoire. Où se retrouvent les veines du dragon et le carré de la terre, l'esclavage de la femme et le cadavre de l'homme.
L'eau et le coeur, l'arbre et le feu, la porte et le toit... Agrippée au ciel où elle imprime un sens, l'écriture chinoise est une liane enroulée autour du vide, une tresse autour de la pensée.
L'homme toujours debout, la femme toujours assise : le poignet libre pour l'un, les pieds bandés pour l'autre.
Nuages enroulés. Chanvre effiloché. Fagot emmêlé. Corde détortillée. Et face de diable, crâne de squelette ou grains de sésame, or et jade ou cavité ronde : ce sont les noms des rides et reliefs qu'impriment au paysage les traits d'un pinceau plus ou moins sec.
Pauvres pleins et pauvres déliés, d'une écriture que nous continuons malgré tout de flatter.
Un calligraphe digne de ce nom se donne amoureusement à son art. Elan ou retenue, effleurement ou pression : l'écriture est une caresse, un toucher sensuel. Ecriture heureuse que le poète occidental entrevoit (dans le plaisir, parfois, de recopier sans rature, ou comme Goethe écrivant de son doigt sur le dos de sa maîtresse...), mais presque toujours désespère d'atteindre : ce pourquoi sa main si souvent s'affole, se raidit ou se crispe.
Le célèbre calligraphe Zheng Xie, raconte François Cheng, échoua jusqu'à l'âge de quarante ans à tous les examens de lettré auxquels il se présenta. Non par manque de connaissances (seule raison d'échec en Occident), mais à cause de sa mauvaise calligraphie : l'épreuve la plus importante lui était fatale à chaque fois. Il se mit donc à imiter les modèles, en calligraphiant à toute heure du jour, en toutes circonstances. Et même la nuit : une fois qu'il traçait ainsi des caractères, avec le bout du doigt, sur le ventre de sa femme enceinte, celle-ci s'écria furieuse : « A chacun son corps. » Et comme le caractère qui désigne le corps est aussi, en chinois, le caractère qui désigne le style, la remarque de sa femme fut un éclair dans l'esprit de Zheng Xie : il sut à partir de ce moment qu'au lieu d'imiter, il devait en lui seul apprendre le recueillement, éprouver le geste, créer la tension nécessaire. Pour devenir le calligraphe le plus grand de son siècle.
Une tournure de la langue natale (involontaire comme une position du corps dans le sommeil), un mot à mot traduit viennent souvent s'insérer dans une phrase étrangère : la « faute » est ici proche du lapsus. L'objet premier du désir, par un accroc ou une échancrure dans la langue apprise, vient reppeler ses droits, et fait tenir à l'autre un propos décousu.
Sous l'habit d'emprunt, un dessous dépasse : la doublure sous le manteau chinois, et j'entends des rires dans mon dos.
L'imaginaire a son idiome à lui, qu'il impose à la moindre erreur ; mais si j'apprends une langue aussi étrangère, n'est-ce pas pour le laisser parler ?
Pourquoi les liens de parenté dans une autre langue sont-ils si malaisés à retenir, si souvent mélangés et confondus, nécessitant si je veux m'en souvenir un effort de clarté – mais avant tout dans ma propre langue et ma mémoire ? Comme si je retrouvais là ce qui fut d'abord si nébuleux en français – facile à prononcer ou savoir, mais si difficile à admettre vraiment.
Quant je trébuche en chinois, je recompose une parenté, je refais une généalogie ; or, les termes chinois sont d'une infinie précision (distinguant le côté paternel et le côté maternel, les cadets et les aînés, etc.) et la famille est toujours innombrable, étagée dans l'espace et le temps. (Ce sont les parents du côté maternel qui sont affublés du caractère désignant l'étranger : le père est d'ici, la mère vient d'ailleurs. J'aurais pourtant juré le contraire.)
Dans le caractère qui désigne la médecine générale, on retrouve la clé qui signifie le « dedans » ; et dans celui qui désigne la chirurgie, la clé du « dehors ». D'une langue à l'autre, l'anatomie est donc la proie d'un imaginaire qui dépend de chaque écriture ou de chaque idiome (ainsi, la mort est bien « masculine » en allemand).
Mais dehors ou dedans, je sens trop se racornir en moi la vieillesse et l'avarice – les cailloux du scrupule au lieu d'un « coeur limpide et fin ».
Je rêve d'une langue (et je crois la parler quelquefois, à l'orée du sommeil ou au bord de l'insomnie) où le moindre signe, dans ses vides et ses pleins, dans le déchirement de l'air à le prononcer, nous dirait les méandres de son apparition et la lente approche de sa mort ; une langue où tout roman serait comme nié d'avance, car il réclamerait pour être lu ou pour être écrit un peu plus d'une vie humaine.
Le chinois lui-même a failli à cette tâche. Le japonais parfois, comme un art d'emprunt porté à son comble, et sur la corde unique d'un vieil instrument, réuissit à ne faire plus jouer, dans de brefs récits, que la neige, une lettre, un lacet, ou quelque fériche nommé d'un mot. Mais la poésie seule, vraiment inouïe, redevient « chinoise » comme je l'entends.
Vieil écolier, éternel apprenti (et trop réel fabulateur), je réinvente une enfance en apprenant le chinois. Devant ces caractères d'abord illisibles, en écoutant ce babil dont je ne parviens qu'avec peine à isoler les sonorités, revit l'enfant sous la table qui tâchait de trouver un peu de sens à la conversation des adultes, lointaine et perdue comme un continent à la dérive.
La fascination devant la langue la plus étrangère est parente encore du premier éblouissement devant le poème : offert et chiffré, lui aussi.
Je peux lire un caractère sans savoir le prononcer, je peux le prononcer sans savoir l'écrire. Son et sens éloignés, miroirs sans reflets, comme le français que j'appris à l'école, séparé des miens et livré à un autre que moi-même (on lisait et on écrivait si peu, autour de moir, que le français m'est à jamais une langue 'apprise' – sans rien à voir avec les mots écorchés, le patois pudique des femmes qui m'aimaient).
Le bavard qui dans ses rêves ne parle plus que par proverbes voit au matin la vérité s'enfuir, et lui manquer comme un mot sur le bout de la langue. Ainsi, en chinois, c'est répondre par oui ou par non qui laisse interdit. Dans la tournure qu'on va choisir tient toute la réponse, orientée déjà par la question de l'autre.
Cette hésitation devant l'évidence, et le mot qui se dérobe alors qu'il est déjà inscrit en nous, on ne l'éprouve jamais que 'poétiquement' dans sa langue natale. Car tout poème, « traduit d'un chinois qui ne fut pas », est une navigation entre les « oui » et les « non » qu'on cherche à éviter : Ulysse finit ainsi par faire des phrases...
D'un rêve ancien, à Rome, me reste le souvenir d'un village à la frontière « italo-chinoise » : une cité lacustre à l'est de Venise.
Langues natales, et prêtes à vous venger au moindre oubli, vous savez des frontières ignorées des géographes : entre Luberon et Tibet, Bretagne et Si-chuan. Quant à mois, je sais des femmes en noir dans les rizières de Padoue, ou sosie qui s'éloigne et une femme sans nom dans un jardin botanique, où l'on essaie de 'naturaliser' des paroles étrangères.
La disposition des caractères sur la age, l'ordre des mots dans la phrase : du français au chinois, tout est presque toujours inversé.
Ecriture en miroir, et parole prise à revers : la bibliothèque tourne sur ses gonds, et je retrouve dans mon dos le jumeau qui me dévisageait.
Segalen face aux stèles, Mallarmé perdu dans les fumées de sa conversation, Armand Robin goûtant l'opium d'une parole enfin vraie, ont-ils gagné là-bas le paradis des signes ?
La pierre et l'os, le bambou et la soie, le papier enfin : sur un support de plus en plus fragile, avec des signes maintenant simplifiés, c'est une langue qui s'amenuise, un tracé qui se perd.
Autrement dit l'ailleurs introuvable.
Le chinois, parlé à Paris en poursuivant un rêve, devient vite aussi imprononçable qu'une langue morte. Morte de l'éloignement dans l'espace, comme d'autres du recul dans l'histoire. Le chinois que j'apprends échappe non seulement à toute valeur d'usage, à toute volonté d'échange, mais encore à tout désir de savoir.
J'écoute la conversation sans bruit des signes entre eux.
C'est en français que j'apprends le chinois.
Considérées à partir d'une autre langue, les figures entre la vitre et le tain ne seraient pas les mêmes. Les animaux du miroir non plus : grenouille et boeuf, coq et serpent, dragon et liconre...
Qu'on ne me jette pas la pierre si je renonce – si je renonce à me perdre dans ces signes millénaires et cependant mortels, comme tel peintre chinois se perdant dans la brume, ou dans le chaos qu'il a fait naître de son encre.
Apprendre une langue, c'est avoir du goût pour l'erreur, comme d'autres pour les aléas du voyage ; croire qu'on « avance » alors qu'on est ramené en arrière le plus souvent. Ainsi, en chinois, les signes d'un jardin sec n'étaient que le vois mort d'une enfance. D'où je suis revenu par le sentier qu'il a fallu jadis frayer en français. Le chinois que je continue d'ignorer s'inscrit pourtant comme un pli dans ma mémoire – derrière la transparence d'un papier huilé qui donne sa lumière blanche à l'oubli.
Dans les 'Récits d'une vie fugitive', l'épouse du narrateur est vouée à un caractère fautif, le caractère 'po' (dérivé de « bai », qui signifie le blanc) qu'elle retrouve dans le nom de son poète préféré, celui de son premier maître, celui de son mari, et qu'elle craint à l'avenir de recopier en toute occasion.
C'est en français qu'il me faut recopier sans fin ce caractère fautif, en devinant quelquefois sa signification. Car le français, sauf orgueil ou folie, est bien notre lot : de hasard et d'oubli, de leurres et d'éblouissements.
Que ferions-nous d'une langue « sans substantif, sans adjectif, sans pronom, sans verbe, sans adverbe, sans singulier, sans pluriel, dans masculin, sans féminin, sans neutre, sans conjugaison, sans sujet, sans complément, sans proposition principale, sans subordonnée, sans ponctuation », ce chinois parlé nulle part que nous décrit Armand Robin, idiome inconnu qui ne s'entend que dans la bouche des morts, et qui ressemble peut-être au breton de son enfance, quand il s'imagine retrouver père et mère après minuit ?
(Mont père au nom de hasard, mon père emêtré dans sa parole ne parlait même pas breton : le vent n'entrait pas dans les écoles en pays gallo, le sabot porté au cou n'a jamais résonné aussi loin. Je n'ai donc pas connu cette langue pourtant natale, où s'entend partout le 'z', la lettre de la mort selon les latins qui la déportèrent à la fin de leur alphabet. Langue aux initiales changeantes, dont il nous reste aujourd'hui des noms propres lavés par la mer, des pierres levées qu'une marée basse a laissées derrière elle, bretonnante et retirée).
Le temps est enfin venu de me confier à une seule langue, celle des contes de nourices et es messes basses dont bourdonne mon oreille. Un français hanté par l'allitération et la rime des barbares, et qui se laisse aller à l'assonance. Un « fredon » qui nous revient de loin (à défaut d'une langue morte dont j'ai dû faire aussi mon deuil) et qui cherche à couvrir le bruit fêlé des origines. Une écriture où se déchiffre encore, sous les remords et les hésitations du copiste, un signe recopié de travers : une faute d'orthographe ancienne, une erreur d'état civil, bref tout ce qui vient rappeler le mensonge des souvenirs, la honte d'un enfant, mille débuts de romans et la mémoire des noms qu'on craint de perdre malgré tout. Si la poésie veut bien de moit, je retourne à la page blanche et au « parlar materno », comme à un ruisseau clair-obscur où viennent encore boire quelques animaux malades de la parole. Et mon frère de lait le lecteur.

Sekundärliteratur
Qin Haiying : Macé s'est mis à apprendre le chinois sans aucun but pratique, mais tout simplement, dit-il, parce que le chinois le 'prend', parce qu'il veut y voir clair et voir mieux, à ce miroir, les mots de son propre patois. Il fait cette confidence apparemment paradoxale qui résume la subitilité du jeu translinguistique : « C'est en français que j'apprends le chinois ».

Houbert, Olivier. Gérard Macé ou le désir d'Orient. In : Critique ; 658 (2002).
Dans l'ouvrage Détour par l'Orient Macé explore sa fascination pour la langue et la culture chinoises. Chez Macé on se promène dans l'alignement des signes comme dans la mémoire, avec le même tremblement, le même vacillement qui peut à tout moment renverser ou dynamiter le sens. Dans les pages consacrées à l'apprentissage d'une langue étrangère, on retrouve les préoccupations de l'écrivain par rapport à sa propre vérité, à son propre dédoublement, à l'aspect fictif de toute existence. La langue, pour l'écrivain, est bien une machine à réinventer le monde et à remonter le temps.
14 1993 [Segalen, Victor]. Bei. Che Jinshan, Qin Haiying yi. [ID D21484].
Qin Haiying : D'une part, s'agit-il de 'rendre au' chinois les stèles de Segalen, c'est-à-dire les ramener à leur source d'inspiration, comme si elles étaient traduites du chinois ? D'autre part, s'il s'agit bien de rendre Segalen 'en' chinois et non 'au' chinois, encore faut-il préciser en quel chinois ou en quel état de chinois. Notre traduction n'a pas pour objet de retrouver la Chine antique en elle-même sans Segalen, mais de faire lire au lecteur chinois Segalen et son usage de la Chine, c'est-à-dire la manière dont il travaille ses sources chinoises. Nous devions donc d'un côté traduire en chinois moderne les citations ou les allusions chinoises d'après les poèmes français de Segalen, et de l'autre identifier les vraies sources chinoises (et non pas dans celles de Couvreur et de Wieger), les rassembler dans les notes critiques afin d'offrir au lecteur chinois non fancisant la possibilité d'une lecture intertextuelle entre le chinois authentique et le chinois tel qu'il est traduit en français par Segalen.
C'est sur ce plan précisément qu'il donne l'impression de 'parler chinois en français' et qu'on peut le qualifier d'exotisme lexical. Dans Stèles, comme dans ses autres textes de Chine, l'emprunt est pratiqué essentiellement de deux façons : il s'agit soit de transcrire le son des mots chinois, soit de transposer par traduction littérale des mots chinois pour en faire des calques. Les transcriptions phonétiques concernent surtout des noms propres désignant les lieux, les dynasties, les personnages historiques ou mythiques. Là, pas besoin de 'traduire'. Il suffit de reconvertir les alphabets en idéogrammes correspondants. Mais ce qui est intéressant à noter, c'est que Segalen aimait parfois à lire le sens concret des noms propres chinois, sa transcription phonétique s’accompagnant alors d'une traduction littérale.

Sources (2)

# Year Bibliographical Data Type / Abbreviation Linked Data
1 1912 Segalen, Victor. Notes bibliophiliques sur l'édition de 'Stèles'. (Pékin : [s.n.], 1912). In : Segalen, Victor. Stèles, Peintures, Equipée (1955). Publication / Seg35
2 1972 Segalen, Victor. Un grand fleuve. In : Segalen, Victor. Imaginaires : trois nouvelles suivies de fragments inédits. (Mortemart : Rougerie, 1972). Publication / Seg34

Cited by (1)

# Year Bibliographical Data Type / Abbreviation Linked Data
1 2000- Asien-Orient-Institut Universität Zürich Organisation / AOI
  • Cited by: Huppertz, Josefine ; Köster, Hermann. Kleine China-Beiträge. (St. Augustin : Selbstverlag, 1979). [Hermann Köster zum 75. Geburtstag].

    [Enthält : Ostasieneise von Wilhelm Schmidt 1935 von Josefine Huppertz ; Konfuzianismus von Xunzi von Hermann Köster]. (Huppe1, Published)