Malraux, André. La condition humaine [ID D13269]. (2)
Sekundärliteratur
1991
Alain Meyer : Le texte de La condition humaine s'inscrit dans un triple contexte : crise générale des valeurs au tournant des années vingt et des années trente quand à l'Absolu se substitue l'intensité ; crise de l'art romanesque qui, après s'être donné la griserie souvent heureuse du jeu, de l'aventure et de l'exaltation de l'individu, va vers le sérieux, le témoignage, l'insertion dramatique et tendue dans une époque à travers des romans d'apprentissage politique à sujet collectif ; mutation de Malraux lui-même qui élargit le territoire de sa fiction, multiplie les personnages et l'entrecroisement de leurs points de vue, parle peu à peu à la troisième personne et passe de ce « livre d'adolescent » que fu, selon lui, Les conquérants à un roman juvénile.
Quant à Shanghai, Malraux ne découvrira le cadre de La condition humaine qu'en septembre 1931. Ce bref séjour de quelques jours n'est qu'une étape d'un tour du monde de sept mois. Il prendra de Shanghai un rapide aperçu, écrivant quelques rares notes ; ses pas ne semblent guère s'écarter des concessions européennes et de cette avenue des Deux-Républiques qui est le seul nom de lieu shanghaien prudemment cité dans La condition humaine. Bref, sa connaissance de la Chine est, à l'époque, extrêmement ténue et son expérience de ce pays se limite à quelques sensations de voyage d'un « homme pressé ».
Les Chinois de Malraux ne sont pas plus chinois que ne sont romains les Romains de Corneille ; la révolution chinoise de Malraux est élevée à la tragédie comme la Révolution française l'est à la grandeur épique de Hugo. La Chine a été choisie comme « théâtre des opérations » parce que c'est, à la fin des années vingt, l'un des pays où se manifestent avec le plus d'intensité l'effervescence et le trouble de la planète, et c'est en même temps un lieu abstrait.
Malraux qui refuse, à l'époque, toute réponse religieuse à ses questions, laisse, sans probablement en avoir conscience, une fenêtre ouverte sur une transcendance, c'est-à-dire sur une réalité supérieure irréductible à l'expérience et absolue. Gisors, à travers l'opium, ne cherche pas seulement à fuir l'angloisse, il prend de lui-même une conscience qui ne doit rien aux sens. Il se fond avec les objets et les lieux qui l'entourent et qui cessent d'être distincts de lui « au fond d'un monde plus vrai que l'autre parce que plus constant, plus semblable à lui-même formes, souvenirs, idées, tout plongeait lentement vers un univers délibré ».
L'histoire des interprétations du roman est inséparable de l'histoire des époques où ces interprétations ont été proposées. L'ombre portée des années trente jusqu'à nos jours recouvre largement cette oeuvre. Cette histoire est indissociable aussi de l'évolution de Malraux lui-même.
Gisors et Clappique ont ceci de commun qu'ils ont abaissé les digues élevées avec tant de constance par l'Occident entre le conscient et l'inconscient, entre le songe et la veille. En cinq boulettes d'opium, la dose à laquelle il se tient depuis des années, Gisors ne cherche pas une fuite, mais une délivrance. Tout l'effort obstiné de sa civilisation tendait à la destruction, à la séparation. Les personnages sont ainsi dispersés plus que confrontés. Comment construire un roman à partir de personnages solitaires, murés dans leur nihilisme comme Tchen, leur volonté de puissance et leur érotisme comme Ferral, leur mythomanie comme Clappique, leurs songes comme Gisors, leur humilation comme Hemmelrich ou König ?
Malraux a réussi à unifier une oeuvre qui, de prime abord, menaçait de s'éparpiller. Entre les scènes ou les séquences de son roman, il a tissé des liens multiples et nous avons vu toute l'attention qu'il portait aux procédé de liaison. Mais surtout dex avancées dans sa technique romanesque témoignent d'une maturité artistique conquise : l'emploi des temps et le passage au récit à la troisième personne. Malraux relate aussi des événements qui, dans leur perpétuel surgissement, ne laissent aux personnages comme au lecteur presque aucun répit. Pour ce faire, il emploie désormais ces temps par excellence de la distance et du recul que sont l'imparfait et le passé simple. C'est un paradoxe apparent : ils supposent l'évolution d'un passé classé, révolu, alors que tout le propos de Malraux consite à nous plonger et à nous entraîner dans un mouvement qui se déroule, inéluctable.
Malraux affirme encore avoir assisté à la répression à Shanghai en 1927. Mais il se fabrique moins systématiquement une biographie fictive. La mythomanie qui est en lui, il la projette maintenant sur Clappique, comme pour la tenir à distance, à un moment où, pour sa part, il est plus impliqué dans la vie de la cité et se sent plus de prise sur les événements. Ce qui l'amène à passer de la mythomanie à l'élaboration d'un mythe qui lui serait personnel et qui intégrerait à la fois son expérience propre et sa création.
Les révolutionnaires de La condition humaine consacrent leur vie et courent le risque de mort pour réaliser des valeurs absolues. Dans le contexte de la situation chinoise de 1927, dans celui, plus largement, de la stratégie d'ensemble de l'Internationale Communiste élaborée à Moscou et imposée par l'URSS, leurs aspirations malheureusement se révèlent irréalisables. Ils ne peuvent y renoncer et se rendent bien compte de leur échec. Telle est leur tragédie. Ce n'est qu'un des éléments, du tragique, mais c'est celui qui accable et écrase Kyo et ses compagnons. Aspirations à des valeurs absolues qui ne peuvent prendre forme dans une réalité historique donnée et souffrance indépassable de cette impossibilité, c'est ainsi que, dans ses écrits de jeunesse. Les relations entre les hommes sont insatisfaisantes, fondées sur le malentendu, l'oppression, la violence, parce que les circonstances ne sont pas mûres, parce qu'elles ne permettent pas de dépasser cette situation. Les conditions, de leur côté, sont défavorables, parce que les rapports sociaux sont gelés. Pour sortir de ce cercle, pour que l'Homme réalisé, il faut à la fois une appréciation lucide des rapports de forces et l'énergie d'en tirer parti. Le grand art en politique est de savoir tirer parti des circonstances. Il faut faire l'apprentissage de la révolution comme l'apprentissage de la vie.
Lorsque Kyo refuse l'idée de participer aux côtés de l'armée à une répression contre les paysans qui prennent leurs terres, Possoz, pour sa part, se contente d'affirmer qu'il tirerait en l'air et qu'il aime mieux que cela n'arrive pas. Déja dans leur débat, se préfigure la divergence fondamentale qui opposera plus tard le parti communist chinois de Mao Zedong au parti soviétique : celle qui porte sur le rôle des masses paysannes.
Dans l'épilogue du roman, l'espoir d'une transformation de la condition humaine allait de pair avec la constatation tragique que rien ne vaut une vie que toute mort est insoutenable et injustifiable. Les deux affirmations se répondaient et s'enchevêtraient.
Ce qui caractérise Ferral, c'est qu'il considère l'Extrême-Orient non seulement comme un empire à conquérir, mais encore comme un terrain vague à aménager. De même les habitants de la Chine, qu'ils soient du reste européens aussi bien qu'asiatiques, représentent pour lui une matière première à pétrir et à recréer.
Presque tous les événements importants à Shanghai, du meurtre commis par Tchen à la mort de Kyo et de Katow, en passant par les préparatifs de l'insurrection, le grand échange d'idées entre Gisors et Ferral, l'attentat manqué contre Chang-kaï-Shek et la mort de Tchen, le jeu de Clappique à la roulette, la dernière marche commune de Kyo et de May le long des rues désertes, l'attestation de Kyo, l'attente, le lendemain, du supplice par les militants voués au massacre, se situent entre six heures du soir et six heures du matin. Il sagit des faits les plus intenses, les plus dramatiques et les plus tragiques. La nuit est le lieu de la solitude, de l'échec et de la mort. En revanche, le jour est plus propice aux événements épiques et positifs.
Le pessimisme de l'oeuvre - l'accent mis sur la séparation, la solitude, la souffrance – est loin aussi de l'optimisme marxiste, dans la mesure où celui-ci prolonge l'esprit de la Renaissance et celui des Lumières. Malraux voit dans la Révolution une remise en question du monde plutôt que son accomplissement. En fait, « la résistance au communisme dans Malraux, c'est un fond de religiosité ». Il se pose avec intensité le problème du Mal. Les personnages sont confrontés à des situations limites, c'est-à-dire des situations que chaque homme rencontre un jour ou l'autre sans pouvoir les éluder – la solitude, la souffrance et la mort.
En 1932, un an avant sa publication, il presentait déjà comment il allait y parvenir : « Mes voeux sont de pousser très loin le tragique. La sérénité deviendra alors plus poignante que la tragédie elle-même ».
1999
Michel Dye : When he was awarded the Prix Goncourt for La condition humaine in 1933, Malraux said that he had written it « pour soutenir la lutte des communistes chinois [qui avaient] toute sa sympathie ». Malraux had absorbed Oriental culture due to his many trips to the Far East, and he does indeed use this work to make an indictment of the bourgeois society which had humiliated him in Indochina.
La Condition humaine clearly indicates the author's convictions. It also presents Oriental culture, which he must have got to know better thanks to the world trip he made in 1931 as a representative of the Gallimard publishing house. It was during this trip that he discovered China, especially Shanghai, and Japan, where the story is set.
In La Condition humaine, Malraux focuses on an episode of the Chinese revolution, the 1927 uprising in Shanghai which was organized by the communists and repressed by the nationalist General Tchang-Kai-Shek. He called his book a report, but it is in fact largely a work of fiction. Newspaper cuttings, and pieces of information taken from his friend Georges Manue, a reporter who had covered the communist militant uprising in China, form the basis of a storyline which goes far beyond the scope of a chronicle. Malraux's objectives in La Condition humaine are the following: to reflect the tribulations of a developing world, to shape people who express the aspirations of a tormented time and to depict man's combat with Destiny. Indeed, in the title itself La Condition humaine makes reference to Pascal and to metaphysics. Malraux rejects pleasant picturesque images, because he aims to put the emphasis on the relationship between the individual and collective action, and he portrays in his novel the conflict between man and fatality. The author plunges us straight away into the midst of revolutionary violence, by relating the terrorist action carried out by Tchen at the beginning of the novel. The presentation of the environment is reduced to its simplest description, the protagonist's field of vision. Thus we as readers discover with Tchen, who is about to murder his victim, the city lights in the shadows, but the novelist does not dwell on the description of the city. Like Tchen's, our eyes focus on the mosquito net covering the sleeping man whose life is to be sacrificed to the revolution. The Asian city is not really described afterwards. In the sketchy description Malraux makes of it a few pages later, the writer's talent lies in the ability to indicate that the uprising is imminent.
Taking care to avoid writing a long-winded novel, Malraux eliminates superfluous description. The atmosphere of Shanghai is essentially conveyed through the consciousness of Kyo, the main organizer of the uprising against the 'governmentals', who are supported by the West:
« Les concessions, les quartiers riches, avec leurs grilles lavees par la pluie a rextremite des rues, n'existaient plus que comme des menaces, des barrieres, de longs murs de prison sans fenêtres: ces quartiers atroces, au contraire - ceux ou les troupes de choc etaient les plus nombreuses - palpitaient du fremissement d'une multitude a l'affût. »
The scene at Han-Keou, a former communist stronghold, is presented at the beginning of the third part in a similar way, through Kyo's critical perspective. It has become a ghost town, and the port now houses only torpedo boats and junk. In this 'chronicle' of the Chinese revolution, the working class in fact only has an insignificant role. Malraux only gives limited attention to the plight of the exploited Chinese. Moreover, he sheds little light on the motives of the Shangai workers. The revolution he shows us is largely the action of intellectuals, from various walks of life, whom he apprehends for their ideology more than their social background. He avoids writing a report on China, and instead makes his novel the arena for a political and metaphysical debate. This debate was unavoidable for a Westerner between the wars, but because he was fascinated by the Far East, his account has a strong Oriental colouring.
Malraux depicts the triumphant revolt organized by the militant communists in Shanghai, and instigated by Chou-En-Lai, in order to beat the nationalist General Tchang-Kai-Shek. This historical figure is represented by Kyo Gisors in the novel, but the latter is very different from the real-life politician, and is not a literary transposition of him. As the son of a Frenchman and an Asian woman, Kyo represents the fusion of two cultures. His son is influenced by Western civilization, and suffers from a kind of existential solitude. He is aware of his own vulnerability in the face of destiny, and feels that the revolution gives meaning to his life. From his Japanese upbringing Kyo has retained enthusiasm for action, which is also a Western trait, and he is shown to be a practical man who aims for efficiency. His commitment to the Chinese working class, far from being merely intellectual, is concrete and is shown to be indissociable from his altruism.
Influenced by Japan, where he spent his youth, Kyo believes that it is important to act on ideas, and therefore he deliberately risks his life. Just as Mao-Zedong will do later, he concerns himself with China's national interests. In his strategy for the cause of rural populations, he expresses the individual character of the Chinese revolutionary movement. He is opposed to Vologuine, a Komintern bureaucrat and supporter of Stalin's theory which states that it is necessary to first establish the basis of communism in the USSR before extending it to other countries, especially China. Kyo represents the individual initiative which Chou-En-Lai embodied in real life. Through these two characters, Malraux raises the question of the conflict between Marxist orthodoxy and Trotskyist ideology, but he gives it an Asian dimension by emphasizing the close relationship between Kyo's ideas and those of Ho-Chi-Minh or Mao Zedong. The Shanghai revolutionaries like Kyo and Tchen are against the cold Vologuine, who wishes to maintain the alliance with Tchang-Kai-Shek's conservative forces. Refusing to make any compromises with the nationalist general, they intend to continue the revolution. In the Komintern directives ordering the halt of the farmers' action, Kuo sees a betrayal of the Chinese revolutionary movement, and he would like Vologuine to acknowledge the particular nature of the Chinese revolution. By planning the farmers' action and organizing a march from town to town, Kyo expresses ideas which are similar to those of Ho-Chi-Minh, which Malraux must have been aware of, being the chief editor of L'lndochine in Pnom-Penh. The character of Ferral is a big businessman inspired by the brother of the diplomat Philippe Berthelot, who was the director of the Franco-Chinese bank in the Twenties. He clearly understands the danger that the Chinese rural movement represents for the current banking system. Hence, he fully commits himself in favour of Tchang-Kai-Shek, against the communists, by contributing to his break from them and to his alliance with Shanghai's bourgeois business people. Ferral is, of course, condemned to failure at the end of the novel, because he represents imperialism as opposed to the movement for the liberation of the working classes. However, through Kyo and Tchen, Malraux also denounces the policy of co-operation with the Kuomintang imposed on the communist party by Stalin, because it refuses to take into account China's individual economic and social characteristics. Malraux puts the emphasis on the problems inevitably caused by cooperation with the communist Internationale which, refusing to go along with Chinese socialism, intends to maintain a policy of cooperation with the bourgeoisie. In this way, he goes beyond the specific debate on the internal ideology of the revolutionary community. He presents a new perspective based on his personal experience of the Far East. The Internationale's release of Shanghai revolutionaries, who decide to maintain their campaign in spite of everything, results in the repression of which Kyo and his friends are victims. By highlighting this abandonment and dwelling on the cruel fate which befalls these Chinese revolutionaries all at once, Malraux reveals his support for Trotskyist doctrine, and underlines the specific conditions of the Chinese revolution.
Kyo's tragic death gives the author of La Condition humaine the opportunity to praise commitment which gives man the feeling of participating in the evolution of humanity. Through this death, Malraux also extols the unusual strength of character that he had probably observed among the Asian people and which he had also seen in his father, who commited suicide just before Malraux wrote La Condition humaine. Stoically, Kyo kills himself in order to escape torture and takes the poison 'comme s'il eût commandé. Kyo's fierce determination can also be found in the character of Tchen, who is inspired by Hin. He was an Annamese who had also worked for L'Indochine, and Malraux was well aware of his violence. In addition, both Tchen and Kyo have a mixture of Western and Oriental influences. Although Tchen is Chinese, he is initially influenced by a Lutheran pastor, and has been taught to detach himself from the world 'au lieu de se soumettre a lui' as the Orientals do. Dominated by his ideas, he shows extreme individualism which also links him to the Western mentality. He is much more of an ally of the Shanghai revolutionaries than a real fighter for revolution. He finds that action is a way of relieving the metaphysical anxiety that his first tutor has passed on to him. For this kind of Nietzschean hero, the suicide bombing attack carried out against General Tchang-Kai-Shek is a moment of supreme joy, because Tchen believes that it enables him to regain the unity of his divided persona and gain total control of himself. Indeed, in death, he hopes to overcome his loneliness and find total peace. At the supreme moment, Tchen communes with his death; in this way, he converges with Kama, a painter, for whom communion with death also seems to be a way of giving meaning to his life. At this point Tchen, who illustrates the mysticism of terrorism as killing has become a source of fascination for him, approaches Oriental mysticism. This seems to have fascinated Malraux just as much as revolutionary conviction, as can be seen by Gisors's development at the end of the novel.
Gisors is a French philosopher who teaches Marxism. He has elements of Andre Gide as well as Bernard Groethuysen, a half-German, half-Dutch Marxist thinker who worked for the N.R.F. Gisors has a strong influence on his followers, be they his own son, Tchen of whom he was the second tutor, or Pei. The young Pei shows unshakeable faith in the heroic action of the Shanghai revolutionaries, and he writes a letter to May at the end of the novel, quoting Gisors's lyrical words from the past.
However, unlike the terrorist in Tchen's group, Gisors has lost this great optimism, since the death of his son Kyo. He who used to interpret the world according to the laws of Marxist philosophy, breaks away from this doctrine and goes back to his first job, teaching Western art. Deeply shaken by his death, Gisors refuses to follow Kyo's lady friend to the USSR, and to take up the post to which he has been appointed, as she urges him to do when she visits him at the painter Kama's home, in Japan.
A complete change takes place in the mind of this man who, having lived an Oriental lifestyle for a long time, now tends towards traditional Chinese wisdom. Gisors is a heavy opium smoker, and has always found it to be a form of escapism which allows him to free himself from the absurd and unbearable human condition. For him, opium has the same function as the woman in the Western world. It gives him an artificial but effective sensation of calm, and an form of peacefulness which, although short-lived, is nonetheless deep, since for the opium addict in a drug-induced illusion, death itself is glorified. In front of his dead son's body, Gisors suddenly realizes how much Kyo admired him. Although at this point he refuses to take refuge in the safety that the drug affords him, he does go back to it some time later in Kobe, convinced that it is better to think with opium than with the mind. Gisors also finds the peace he longs for in art. He is a great connoisseur of Chinese art, and unusually perceptive to Oriental paintings. He also looks to music for solace.
By taking refuge in music, which allows communion with death, Gisors agrees with Kama's theory that communion with death gives meaning to life. Far from aiming for action, now he longs only to live in harmony with the universe, in accordance with traditional Chinese culture. Indifferent to the transformation of the world, Gisors says that he is in some way 'delivré de la mort et de la vie' and all he wants now is to live in harmony with the rhythm of the universe.
Joining Chinese humanism, which Malraux mentions in La tentation de l'Occident, Gisors now believes that it is not necessary to act in order to exist; the former Marxist philosopher now thinks only of surrendering himself to the forces of the universe, and offers his compatriots an ideal of contemplation.
Whereas May finds a reason to live in the fight that she now plans to carry out in the USSR within rebel groups, the elderly Gisors finds stability in communion with nature. Gazing through Kama's window at the port of Kobe, in 'l'éblouissement du printemps japonais', he in a sense blends in with the universe, and is thus able to transcend the human condition.
Gisors is the opposite of May, who is indifferent to the beauty of the world. Of her environment, she sees only people's activity and thinks of its transformation. Gisors, however, takes the path of traditional Chinese humanism. In 1933 Malraux was strongly influenced by Bernard Groethuysen, and went back to the Marxist theory of the transformation of society. However, he is fascinated by the Far East which he had discovered during his successive trips, and in La condition humaine contrasts this theory with a conception of man and of the universe taken from ancient Chinese wisdom. He depicts individual human fortunes which are an integral part of the convulsions of history. The characters working for the transformation of Chinese society, which he shows us in this work, are mostly apostles of a religion based on a blind belief in work, in which God has no place. At this point Malraux shows himself to be unequivocally anti-colonial. In La Condition humaine he reveals his leftism, which indicates a Trotskyist tendency allowing for the characteristics of the Chinese revolutionary movement, particulary concerning land ownership. However, using China's historical situation in 1927 Malraux expresses the tragedy of the human condition. He develops a theory about man versus destiny which reveals the indecision of a system of thought which is attracted by both Marxist philosophy and Oriental mysticism. In the Western conception of man put forward by Pei at the end of the novel, man is deified, in accordance with Marxist theory, being the basis for the control of the universe. The Oriental philosophy that Gisors believes in after Kyo's death, however, attaches little importance to man per se. By dispersing human consciousness in the Great Whole of the universe, Chinese mysticism allows Gisors to reach the calm and serenity he longs for. Torn between the Western philosophy of success achieved through action on one hand, and the Oriental perspective which surrenders man to the will of the universe on the other, Malraux seeks direction. May's thoughts expressed at the end of the novel betray a certain departure from official Marxist theory. Malraux's Marxism is tainted with anxiety because he remains haunted by death which destroys everything in its path. This can be seen by the attitude that Malraux ascribes to Gisors, who is attracted to the comfort offered by Oriental wisdom. The author of La Condition humaine is curious about the Other. In the last pages of the novel, he puts in literary form some elements of traditional Chinese philosophy, having already drawn the reader's atttention to it in 1926 through the letters exchanged by Ling and A.D.
2001
Christian Morzewski : En ce qui concerne les personnages historiques, et à la différence très remarqualbe là aussi des Conquérants dont le texte est saturé de patronymes politiques et miliaries chinois plus ou moins illustres, Malraux se révèle particulièrement parcimonieux dans La condition humaine. Tchang Kaï-chek, dont la menace est omniprésent, n'apparaît explicitement nommé qu'en quelques occasions dans le roman ; d'autres « seigneurs de la guerre » n'ont droit quant à eux qu'à une seule nomination, comme Tchang Tso-lin, chef militaire du Nord, ou Feng Yu-shiang, autre 'toukioun'. Et Sun Yat-sen lui-même n'est qu'un 'hapax' tardif dans ce roman où Malraux ne force décidément pas plus la couleur historique que l'exotisme anthroponymique chinois.
La même édulcoration va se retrouver dans les toponymes chinois, quxquels le romancier sacrifie le moins possible semble-t-il. En dehors de Shanghaï, la ville de Han-k'eou, berceau de l'insurrection communiste, sera la seule à être régulièrement citée ; Canton, Tient-sin, Chant'eou ou Pékin n'aparaissent qu'une fois, tout comme Hong Kong ou Nankin, pour ne citer que les villes les plus importantes. Le fleuve Yang-tseu n'est qu'une fois nommé, malgré son importance symbolique dans les méditations des personnages et dans le « climat » du roman. Une seule allusion enfin à une province du centre de la Chine, le Hou-pei.
Les seules facilités que Malraux s'accorde avec l'exotisme linguistique de ses personnages, les rendant ainsi encore plus chinois à des oreilles françaises. On ajoutera seulement que ces particularités linguistiques ou phonétiques, si elles contribuent assez efficacement à cet effet de « chinoiserie », relèvent aussi chez Malraux d'une concetpion plus intéressante de l'idiolexie, liée à sa poétique des personnages.
Dans son évocation du cadre de l'action, des personnages et des « moeurs et coutumes » chinoises, il va arriver aussi à Malraux de sacrifier ici ou là à queulques chromos – concessions du romancier au « folklore » imposé par l'horizon d'attente du lecteur français, en droit d'espérer qu'un roman censé de passer dans un pays aussi étranger pour lui que la Chine lui apporte la dose convenue d'exotisme. Le décor fournit quelques inévitables cartes postales, spectacles des rues grouillantes de Dhanghaï ou intimité d'un intérieur chinois « plus vrai que vrai » décrits par Malraux sans grande originalité. Ainsi de la foule de Shanghaï qui se prépare à l'exode juste avant le déclenchement de la grève générale.
Si l'on s'intéresse aux personnages de Chinois présents dans La condition humaine, on sera contraint de constater là aussi la pauvreté et le caractère ultra-conventionnel de leur représentation. Du petit peuple de la rue évoqué dans ses mille occupations, Malraux ne nous restitue que des inventaires très faiblement descriptifs. Portraitiste très conventionnel, Malraux ne manifeste pas vraiment plus d'originalité en qualité d'éthologue, et sacrifie trop volontiers là aussi aux clichés occidentaux sur les « moeurs et coutumes » chinoises.
A défaut d'une connaissance directe et approfondie de la Chine, il faut rappeler que Malraux était depuis longtemps en relation de familiarité intime et de fascination profonde avec l'Asie. La Chine de La condition humaine est largement allégorique et une analogie très éclairante, Shanghaï n'y jouera pas un rôle plus important que Saint-Pétersbourg dans Crime et châtiment. D'où cette impression curieuse, pour le lecteur français, d'une Chine à la fois très proche, très semblable, très familière – et en même temps très lointaine, très différente, très étrangères (bien que conforme aux représentations stéréotypées et fantasmatiques qui forment et saturent l'imaginaire occidental sur la Chine et les Chinois.
La Condition humaine a peu à faire d'une reconstitution réaliste de la Chine de 1927. Les quelques images fortes que le jeune Malraux avait glanées lors de ses deux passages en Chine lui suffisaient largement, avec quelques souvenirs de lectures : Loti, Segalen, Claudel, et au besoin de renfort de différents matériaux importés d'Indochine.
2001
Liu Chengfu : Malraux nous a montré tous le processus d'une autre insurrection que dans Les conquérants, celle des ouvriers de Shanghaï : les communistes ont mobilisé une grève générale, en profitant de la situation favorable à l'Armée d'Expédition du Nord. Mais celle-ci n'a pas pu s'emparer immédiatement de la ville, et Jiang Jieshi s'allie avec de grands capitalistes et des impérialistes européens. Il veut obliger les groupes de combat communistes à livrer leurs armes, mais ceux-ci, surtout le noyau directeur du Parti, mènent courageusement une lutte acharnée contre la politique de réconciliation de la troisième Internationale. Leur résistence est cruellement réprimée par Jiang Jieshi. Dans la deuxième partie du roman, l'auteur nous a montré de manière très réussie la scène extrêmement touchante de la mort héroïque des communistes et des insurgés dans ce mouvement révolutionnaire.
La révolution chinoise qu'il a décrite, ou le cadre de la Chine qu'il a emprunté, neu peuvent pas être considérés, à nos yeux, comme le but principal ou final de sa création littéraire. Nous pouvons bien sentir l'atmosphère de l'époque. D'un côté, dans les années vingt, tout est noir en Chine, mais beaucoup d'intellectuels chinois se lèvent, cherchent à réveiller le « lion » dormant depuis cent ans. Avec une volonté ferme et opiniâtre, ils organisent des mouvements révolutionnaires de grande envergure qui bouleversent le monde entier. Les années vingt constitutent une page-clé de l'histoire de la Chine. D'un autre côté, à travers sa description de tous les personnages de différentes nationalités, nous pouvons percevoir aussi l'humanité : la Chine est plutôt le présage de l'Europe.
Les valeurs humaines manifestées chez ces héros sont étroitement liées aux valeurs européennes d'alors, et dans une perspective plus large, elles sont transculturelles ou universelles. Pour chercher la dignité de l'homme et la valeur de l'homme, ces héros livrent un défi violent à leur destin, à travers leurs activité conscientes et à travers leurs actes héroïques dans une collectivité très unie. C'est avec une sorte d'héroïsme et d'audace qu'ils engagent leur vie. Ils représentent en quelque sorte la sagesse, la volonté, le refus et l'opposition à l'arrangement du destin et à la mort absurde.
Sous la plume de Malraux, l'existence de l'homme s'est transformée en recherche de l'origine et du sens de la vie. Pour lui, la Chine est un décor, un cadre ou une référence pour sa création. La révolution chinoise a provoqué voire approfondi les réflexions philosophiques sur la vie. A ses yeux, la révolution chinoise est un mythe, elle permet à ceux qui refusent l'arrangement du destin de créer sans grande difficulté la meilleure atmosphère de communication, de propager ou de chanter une sorte de volonté ferme, persistante et active, ce qui n'est issu que d'une vie très malheureuse et d'une réalité horrible. Face à ce qui est incompréhensible, Garine trouve tout absurde, surtout quand il est gravement malade, il sent que l'absurdité a retrouvé ses droits. Aux yeux de Gisors, puisque Dieu est mort, et que le superpuissant Dieu qui décide du sort de l'humanité n'existe plus, comment va-t-on traiter l'âme de l'homme ? Le monde est absurde. C'est pourquoi, il cherche toujours par la violence à chasser la tristesse, la solitude et la mélancolie qui l'obsèdent terriblement durant toute sa vie.
On dit souvent que Malraux a beaucoup été influencé par la pensée pessimiste de Pascal, de Nietzsche, ou de Schopenhauer, mais en réalité, il a accepté en même temps l'humanisme traditionnel. Malraux a bien lié la vie à la mort, le destin à la révolte, ainsi que la dignité de l'homme à l'humiliation de l'homme. C'est en prenant l'homme pour le centre ou le noyau de ses réflextions qu'il a fondé sa philosophie de vie dans ses deux romans. Aux yeux de Malraux, le destin de l'homme est cruel, absurde et tragique, mais absolument pas invincible. Dans les années vingt, la révolution chinoise manifeste exactement la philosophie que Malraux voulait exploiter d'une manière très approfondie : donner de la lumière et de l'espoire à ceux qui vivent désespérés en Europe. La révolution chinoise est devenue un instrument pour atteindre son but artistique, qui est de chercher à faire connaître à tous les hommes de bonne volonté le sublime de sa propre activité. Il espère, par sa création littéraire, changer la tragique condition humaine et le destin malheureux de l'homme. Pour Malraux, l'histoire cherche à transformer le destin en conscience alors que l'art permet en effet de transformer le destin en liberté ; la révolution n'est pas le but de la vie, mais un moyen pour se débarrasser de l'absurdité surtout de la mort.
2005
Che, Jinshan. La condition humaine : quel intérêt particulier pour un lecteur chinois ?
Dans la lecture de La condition humaine, ce qui attire d'abord l'attention du lecteur chinois, c'est l'aspect chronologique du roman : l'histoire est composée de courtes séquences non seulement datées, mais aussi marquées d'une heure précise, et le roman s'apparente ainsi à une sorte de reportage minutieusement rédigé. Cela produi un efficace effet de réel. Le drame se joue en quelques jours, l'action y gagne en densité et en intensité.
Le style d'écriture du roman, avec les référents chinois semés ça et là dans la fiction, invite quand même, naturellement, immanquablement et presque légitimement, un lecteur chinois à prendre le jeu au sérieux, en essayant de reconstruire les événements et les sentiments vécus ou connus. D'autant plus que cette forme romanesque lui est assez familière, car elle s'accorde parfaitement avec la longue et riche tradition chinoise de la chronique, officiellement établi dans toutes les anciennes dynasties, qui a abouti finalement à un résultat monumental qu'on appelle 'Les 25 histoires', y compirs celle de la dynastie des Qing. De plus, le roman chinois, sous sa forme développée, provient précisément de ce genre de la chronique, à la différence du roman occidental qui trouve son origine plutôt dans l'épopée : s'est ainsi fondée dans la littérature chinoise une importante tradition romanesque nommée Shizhuan, soit une tradition d'histoire et de biographie. Elle est à la fois une conception du roman, une norme esthétique et une valeur idéologique. Mais elle exige avant tout, avec une nostalgie de sa naissance, une reconstruction de la vérité historique. Un lecteur chinois, consciemment ou inconsciemment formé dans cette culture, lors de sa lecture d'un roman ayant pour thème la révolution chinoise, ne peut éviter de référer les événements narratifs à l'Histoire, avec 'sa grande hache', et de prononcer un jugement de valeur principalement en fonction d'une fidélité présupposée.
En Chine, on peut saisir et comprendre la dimension métaphysique qui se trouve à l'intérieur de La condition humaine, mais devant une exigence plus primordiale et plus urgente de la tradition romanesque chinoise, la réflexion sur le destin de l'homme, où l'on voit souvent en Chine une sorte d'existentialisme sartrien avant la lettre, est négligeable et négligée. A cause de cela, le roman traduit en chinois n'a eu aucun succèes et le nom de l'auteur n'a jamais atteint le grand public chinois.
2005
Loehr, Joël. La Chine ou la révélation du signe.
Le roman de La condition humaine est orienté par la question qui se pose à Tchen au point de départ : « Que faire d'une âme s'il n'y a ni Dieu ni Christ ? » Cette question relance en fait un débat inquiet que Malraux avait d'abord exposé dans La tentation de l'Occident, où se signait la fin d'un théotropisme du sens. Il en expose les termes dans la formule d'un échange épistolaire. La valeur et la fonction du signe est reprise à l'épicentre de La condition humaine, dans la formule d'un échange dialogué. Il exige la médiation d'un interprète (Gisors), et se produit non plus autour d'un masque antique, mais au milieu de lavis épars. Deux personnages y sont confrontés. On a d'un côté un Polichinelle occidental et borgne : Clappique porte sur son oeil droit 'un carré de soie noire'. De l'autre, c'est Kama, un artiste japonais, qui déclare que, sans l'antenne sensible de son pinceau, il serait parfaitement aveugle. A travers ces deux personnages, Malraux oppose précisément deux points de vue. En Occident, l'oeuvre d'art serait un reflet quasi narcissique de l'identité de l'artiste. En Orient, en effet, la création artistique établit une relation fusionnelle entre l'homme et le monde, une communion par laquelle s'approfondit l'approche de son énigme.
Selon Kama : « Le monde st comme les caractères de notre écriture. Ce que le signe est à la fleur, la fleur elle-même, cell-ci l'est à quelque chose. Tout est signe. Aller du signe à la chose signifiée, c'est approfondir le monde, c'est aller vers Dieu. » On a là une occurrence du mot 'Dieu' qui donne à entendre cette sentence d'ascète oriental comme une réponse différée à la question angoissée posée à Tchen, et qui est en réalité celle de tout l'Occident déchristianisé. Mais c'est une réponse que Tchen ne peut entendre. L'échange avec Kama est implanté au centre d'une partie qui s'ouvre avec le terroriste, mis en marche vers son destin, et se referme sur une séquence où cette marche s'accélère en un course suicidaire.
Dans sa traversée nocturne de Shanghai, Tchen suit pour sa part la voie d'une mystique sacrificielle, où il pense trouver la réponse à la question initiale. L'attentat terroriste par lequel il accomplit sa vocation débouche cependant non sur une épiphanie, mais sur le vide du non-sens.
2005
Moraud, Yves. La Chine dans La condition humaine : une esthétique du mystère.
De ce mystère, Malraux a fait une catégorie non moins esthétique que métaphysique, dont sa conception du roman et sa conception de l'homme sont profondément révélatrices, comme en témoigne la fréquence de mots tels que 'secret', 'inconnaissable', 'inconnu', 'insaisissable', 'enigme', 'mystérieux', 'infini', 'silence', 'nuit', 'brume' etc. Qui nous conduisent à penser que Malraux n'écrit qu'aux abords de cette zone mystérieuse dans l'homme et dans ses rapports avec le monde où le dire n'est jamais que défi à l'indicible qui est langue silencieuse du sacré. Mais ce mystère qui tient aux paysages, aux personnages, à la nature du discours romanesque, et plus largement à ce que Malraux appelle 'l'optique du roman' fait de La condition humaine, comme roman, non seulement 'une dépendance de la poésie', mais aussi l'expression de l'exotisme au sens où l'entendait Victor Segalen.
A parcourir toute son oeuvre, nous constations que le mystère qui l'obsède et qu'il ne cesse d'interroger, comme s'il voulait élargir l'espace propre de la réflexion à l'infini de l'indicible et de l'impensé, le mystère donc, André Malraux, tout au long de sa vie le voit sous diverses occurrences surgir partout : au coeur de la civilisation occidentale en crise, 'première civilisation consciente d'ignorer, dit-il, la signification de l'homme', et qui ne connaît pas sa raison d'être, bref une civilisation inquiète où le sens s'est perdu ; au coeur de l'homme dont les fondements métaphysiques et religieux se sont effondrés et qui se demande, à l'instar de Tchen 'que faire dûne âme, s'il n'y a ni Dieu ni Christ'.
Malraux, fasciné par la peinture et défenseur de l'esthétique cubiste, fait de l'univers de ses romans un univers plastique où les sons et les lumières ont une valeur dramatique, psychologique, symbolique, et contribuent à transformer la réalité. Dans La condition humaine, le décor sonore et les éclairages sont sans doute moins accordées à la Chine révolutionnaire, même si elle en a été l'incomparable occasion, qu'à une voix dont Malraux est obsédé comme poète. Sans doute cette atmosphère nocturne qu'il a inventée et dans laquelle il plonge Shanghai, cette atmosphère mystérieuse est bien celle de la vie souterraine de ces hommes à l'afflût, pris entre l'angoisse et l'espoir, qui se préparent d'abord à combattre pour l'insurrection, puis un peu plus tard à disparaître, vaincus, traqués, assassinés ou exécutés par les troupes de Tchang Kaï-chek.
Chine ancienne et traditionnelle dont le confucianisme et le taoïsme ont sculpté l'image du bonheur en supprimant l'individualisme et en inscrivant les Chinois dans des rythmes fondamentaux et universels d'un côté, Chine nouvelle fascinée par les valeurs européennes de l'autre côté. C'est peut-être moins aux contenus respectifs de ces cultures contradictoires que Malraux est sensible qu'à ce vide identitaire d'une Chine où « rien de ce qui fut détruit n'a été remplacé ».
Si, dans La condition humaine, le mystère, comme on l'a suggéré, est au fond moins une caractéristique du paysage urbain, nocturne et silencieux, de la Chine, que le paysage lui-même, qui se trouve ainsi placé sous le signe de l'indéterminé et de l'insaisissable d'une mise à l'épreuve de la raison, d'une interrogation inquiète de l'être sur lui-même.
A l'instar des grandes oeuvres de son Musée imaginaire, La condition humaine confirme que, pour Malraux, le salut de l'homme, s'il dépend du combat au'il mène contre l'histoire au nom de sa dignité et de son sens de la fraternité, rpose davantage encore sur le mystère de la création poétique en laquelle il voit un exorcisme hallucinatoire du réel et de la mort.
Zhang, Yinde. La tentation de Shanghai : espace malrucien et hétérotopie chinoise.
La topographie de Shanghai, dans La condition humaine, revêt un caractère imprécis et fragmentaire, que l'on attribue souvent à la volonté de l'auteur de gommer les marques d'un exotisme xomplaisant et de la concevoir selon son projet pascalien, révélateur de la condition universelle de l'homme.
Le renoncement au plan d'ensemble chez Malraux se traduit d'abord par l'imprécision topographique, attestée par l'absence d'esquisses en marge de ses manuscrits. Elle est confirmée par les rues sans nom excepté l'avenue de Nankin et celle des Deux-Républiques et par un balisage inexistant dans les itinéraires de personnages hormis celui de Ferral et de Kyo, qui par l'avenue des Deux-Républiques, quittent la Concession pour entrer dans la cité chinoise, où la première rue est celle des marchands d'animaux. Cette parcimonie est compensée plus ou moins par des notations toponymiques sur des lieux concrets, que l'on découvre cependant de loin.
La Condition humaine se construit sur une structure « alvéolaire » de la géographie shanghaienne : cité cosmopolite par son histoire et par l'imaginaire collectif, Shanghai se divise en une ville chinoise et en concessions internationales et française. La juxtaposition référentielle de ces deux domaines chinois et extraterritorial, sources de confrontations politiques, économiques et culturelles reçoit sa transfiguration textuelle pour devenir « le lieu géométrique d'un système binaire d'oppositions symboliques ». L'antagonisme, au niveau narratif, entre l'Europe du Consortium symbolisée par Ferrai et celle de la décadence incarnée par Clappique d'une part, et l'Asie des révolutionnaires et celle de la multitude chinoise aliénée, d'autre part, s'appuie sur une configuration spatiale dichotomique, nettement dessinée par la démarcation géographique et sociale.
L'opposition des deux mondes est clairement signalée par une frontière matérialisée par cette avenue des Deux-Républiques. Sans qu'il s'agisse d'étanchéité, le passage ville chinoise-concession ne fait que souligner davantage les obstacles, dressés avec les barrières, grilles et barbelés, qui portent les stigmates concrets de la division. Ces dispositifs de protection, dont témoignent Tchen après l'assassinat, Kyo dans ses activités clandestines ou encore Ferrai, se répercutent dans les espaces de socialité. « Les concessions, les quartiers riches, avec leurs grilles lavées par la pluie à l'extrémité des rues, n'existaient plus que comme des menaces, des barrières, de longs murs de prison sans fenêtres : ces quartiers atroces, au contraire ... palpitaient du frémissement d'une multitude à l'affût. » La perception et l'analyse antinomique de Kyo, qui justifie son action militante, renvoient à ces deux réalités en effet diamétralement opposées. Les intérêts économiques des Occidentaux se cachent, dans les concessions, dans ces résidences patriciennes dont l'intérieur, épuré et stylisé, s'organise autour d'oeuvres d'art, comme chez Ferrai. Ils s'exhibent surtout dans les lieux publics fréquentés par les Européens, tel le Black Cat, éclairé à deux heures du matin par 1' « enseigne lumineuse », où le «jazz était à bout de nerfs », où la musique maintenait les invités dans une « ivresse sauvage ». Le cercle français offre à Ferrai un havre où il vient se dégriser des nuits erotiques et cauchemardesques, pour, dans une conversation éveillée, « rétablir des rapports avec un être » ou pour collecter au bar les « rumeurs de la journée ». Au casino, le jardin dégage le « parfum amer » des « buis et des fusains mouillés » qui rappelle l'Europe ; au grand salon « dans une brume de tabac où brillaient confusément les rocailles du mur, des taches alternées - noir des smokings, blanc des épaules - se penchaient sur la table verte. »
Les concessions n'abritent pas seulement cette exterritorialité luxurieuse et étrange. Elles dressent en leur sein des barrières sociales entre les financiers et les « petits Européens » comme Hemmelrich. Les magasins chinois, avec leurs arrière-boutiques encombrées et obscures, lieux de complot et de préparation de l'insurrection, se rapprochent déjà de l'atmosphère de la ville chinoise.
La représentation de la cité chinoise, comme les concessions, emprunte sans doute au reportage d'André Viollis sur la bataille sino-japonaise de 1932, en dégageant des notes conformes aux chromos de l'époque : l'immense et bourdonnante cité chinoise étale ses hôtels et ses parfums capiteux, ses trottoirs luisants et ses boîtes de nuit, mais aussi son fleuve et ses coolies vêtus de toile bleue, Arsenal et filature, pousses, marchands à balance, bars et bordels. Rien d'exceptionnel quand on voit Clappique parcourir « une rue de petits bars, bordels minuscules aux enseignes rédigées dans les langues de toutes les nations maritimes », dans cette ville portuaire de marins et de prostituées. Malraux remotive pourtant le lieu en le transformant en topos révolutionnaire. Au balcon de son hôtel, Tchen observe cette ville en bas où sommeillent « des millions de vies ». Si « les lumières de minuit reflétées à travers une brume jaune par le macadam mouillé » lui renvoient une ville des opprimés, artisans « imbéciles » de leur propre aliénation, en revanche, Kyo et Katow voient dans ces lieux un « bon quartier » pour préparer des insurrections. Ils observent le même prolétariat besogneux : « un demi-million d'hommes : ceux des filatures, ceux qui travaillent seize heures par jour depuis l'enfance, le peuple de l'ulcère, de la scoliose, de la famine ». Ils perçoivent aussi les mêmes lumières « misérables allumées au fond de l'impasse et de ruelles ». Mais un orage à tout moment peut éclater pour percer ces « nuages très bas lourdement massés » au-dessus de ce sommeil apparent : « Les verres qui protégeaient les ampoules se brouillèrent et, en quelques minutes, la grande pluie de Chine, furieuse, précipitée, prit possession de la ville. »
La ville de Shanghai se confine ainsi chez Malraux dans l'image matricielle du cachot, de la prison, qui hante toutes les représentations spatiales du texte, intérieures et extérieures. Les barreaux de fenêtre de la chambre d'hôtel, les maison chinoises sans fenêtre, la succession des champs clos de la ville s'associent à la métaphore obsédante de la cage pour dessiner une géographie carcérale générale.
Si la ville de Shanghai est enveloppée des ténèbres de la solitude et de l'angoisse devant la mort, elle porte aussi une lumière révélatrice qui la transfigure en un lieu initiatique conduisant à l'Absolu. La célébration malrucienne de cette ville contraste avec sa condamnation, par les romancier chinois qui, révoltés contre les tares de la société, en font un lieu diabolique et apocalyptique.
Literature : Occident : France