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Pleynet, Marcelin

(Lyon 1933-) : Schriftsteller, Dichter, Kunstkritiker, Herausgeber der Zeitschrift "Tel quel"

Subjects

Art : General / Index of Names : Occident / Literature : Occident : France

Chronology Entries (4)

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1 1974 Reise von Roland Barthes mit François Wahl, der Delegation von Tel Quel mit Philippe Sollers, Julia Kristeva und Marcelin Pleynet von Beijing nach Shanghai und von Nanjing nach Xian auf Einladung der chinesischen Botschaft.

Rachel Pollack : Les historiens ont débattu de l'impact que ce voyage a eu sur la position de Tel Quel face à la Révolution culturelle. Alors que Tel Quel ne désavoue la Révolution culturelle qu'après la mort de Mao, il y a certaines indications, même dans les premières oeuvres, des désillusions politiques de ses rédacteurs. A l'exception notable de François Wahl, toutefois, les voyageurs sont tous revenus avec des récits admiratifs de ce qu'ils ont vu en Chine. Roland Barthes décrit même la Chine comme un pays « sans hystérie ».
Les mémoires des voyageurs, y compris les notes de Roland Barthes révèlent le désarroi frappant que les Telqueliens ont expérimenté dans leurs tentatives d'interpréter leur voyage. Maoïstes en France, ils sont confrontés en Chine à une campagne qu'ils ne peuvent comprendre et à un peuple qui les traite comme des étrangers. En outre, ils sont conscients des limites de leur visite et tentent de surmonter leur propre subjectivité. Leur étonnement, leur frustration et leur conscience de soi, qui sont tous exprimés dans leurs écrits, les amènent à affirmer que la Chine est impénétrable à l'analyse de l'Ouest, toujours méconnaissable pour les étrangers.
Roland Barthes et Marcelin Pleynet, en particulier, sont plus intéressés par la civilisation chinoise et la culture chinoise que par la situation politique. Ils ne cherchent pas seulement une utopie politique, mais également une utopie artistique. Pour les Telqueliens, la Chine offre « une sorte de référence nouvelle dans le savoir »; sa découverte est comparable à la découverte, pendant la Renaissance, de la Grèce antique.
Lors des événements de Mai 68, Tel Quel a soutenu le PCF contre les militants étudiants, et plusieurs chercheurs ont suggéré que leur tournant maoïste était un moyen de recadrer leur position à l Lors des événements de Mai 68, Tel Quel a soutenu le PCF contre les militants étudiants, et plusieurs chercheurs ont suggéré que leur tournant maoïste était un moyen de recadrer leur position à l'égard de 68. Une des attractions de la Révolution culturelle pour les Telqueliens est sa combinaison apparente du langage et de l'action comme outils de la révolution.
Malgré l'enthousiasme du groupe pour la Révolution culturelle de Mao, leurs journaux intimes révèlent qu’ils sont conscients que l'agence de voyage tente de les manipuler. « Il est clair que les Chinois souhaitent nous prouver que la politique commande tous les aspects de la vie chinoise. C’est sur ce fond que se déroulent nos visites » écrit Pleynet après que le groupe ait visité un immeuble d'habitation à Shanghai et ait été accueilli par le représentant local du Parti.12 Il ajoute quelques jours plus tard que ce que la délégation avait vu était fondé sur un « grand écart des expériences » et que le tour était « coupé de toute expérience concrète ». Sa déception est claire après que le groupe se soit vu refuser la visite d’un temple antique à Xi'an, sous prétexte qu'il était fermé : « Bref tout ce qui ne relève pas de la plus stéréotypée des fictions (de culture ou d’histoire) est ou caché ou interdit », déplore-t-il.
La plainte n'est pas entièrement exagérée; les deux guides sont des représentants des Luxingshe, le service touristique officiel de l'État chinois, et agissent comme agents du gouvernement ainsi que comme traducteurs13. La délégation a suivi l'itinéraire officiel de l'agence et s'est vu refuser plusieurs demandes pour visiter une « École du 7 Mai », camp de rééducation pour les intellectuels et les cadres du Parti dénoncés. Beaucoup d'éléments de la réalité chinoise sont passés sous silence, leur sont cachés, comme le révèle le fait que lors d'une rencontre avec des étudiants de l'Université de Pékin, Pleynet se soit plaint en disant : « Nous n'avons rien appris et rien vu ». A l'opéra à Xi'an, il se demande alors s'il est « vraiment possible de tirer quelque conclusion que ce soit des fictions qu'on nous propose ». Sollers dit que ces spectacles « n'ont à l'évidence rien à voir avec ce qui se joue aujourd'hui en Chine » et Barthes compare les figures de danse aux postures des mannequins de cire dans les vitrines des grands magasins. Les stéréotypes dont on les bombarde de toutes les directions ne sont « rien de fondamentalement différent de la guimauve morale de certains dessins animés, ou des bandes dessinées américaines », observe cyniquement Pleynet.
De nombreux textes de Telqueliens expriment le sentiment d'aliénation en Chine. 'Des chinoises' commence avec une description de la marche à travers le village provincial de Huxian, à quarante kilomètres de l'ancienne capital de Xi'an. Kristeva décrit une distance incommensurable entre elle et les paysans chinois. Kristeva et les autres Telqueliens expriment le désir de se perdre en Chine, de 'devenir' chinois.
Les notions de sexualité – et de frustration avec sa suppression en Chine – apparaissent plusieurs fois dans les écrits du groupe. Dans un entretien 1981, Sollers rappelle son ancien intérêt pour la Chine, à travers le taoïsme, et en parle comme d' « une expérience érotique ».
Le groupe tient, tout au long du voyage, des discussions sur la sexualité chinoise et sa séparation de la vie sociale.
Pendant le voyage, le groupe passe plusieurs soirées à discuter le rôle des intellectuels dans la révolution. Croyant que les intellectuels pourraient transformer la situation en France, ils se sont abstenus de critique la nature du tour ou de rejeter la Révolution culturelle. Ils font plutôt l'éloge du progrès qu'on leur a présenté en Chine et attribuent leur perplexité à des barrières épistémologiques plus larges. Dans le cas de Tel Quel, les voyageurs arrivent sans aucun doute en Chine avec des idées préconçues, mais ils ne sont pas aveuglés par elles. Le prisme à travers lequel ils voient la Chine est façonné par des questions épistémologiques, pratiques et politiques, ainsi que par des engagements politiques. En Chine, ce prisme vole en éclats parce que les voyageurs se rendent compte qu'ils ne sont pas capables de saisir entièrement ce qui se joue dans la Révolution culturelle. Leur vision est troublée par les contrôles de l'agence touristique et les barrières culturelles qui les mettent à l'écart comme étrangers. En fin de compte, les voyageurs de Tel Quel n'ont pas pu réellement voir la Révolution culturelle, mais ils n'ont pas « suspendu » l'analyse de cet événement, ils ont continué à le questionner et à l'interpréter minutieusement. La complexité de leur approche montre qu’ils sont allés bien au-delà de la simple acceptation de l'idéologie maoïste.
  • Document: Barthes, Roland. Carnets du voyage en Chine. Ed. établie, présentée et annotée par Anne Herschberg Pierrot. (Paris : C. Bourgois, 2009). [Bericht seiner Reise 1974]. (Bart2, Publication)
  • Document: Pollack, Rachel. La Chine en rose ? : Tel Quel face à la Révolution culturelle.
    http://www.dissidences.net/compl_vol8/Pollack.pdf (Bart4, Web)
  • Person: Barthes, Roland
  • Person: Kristeva, Julia
  • Person: Sollers, Philippe
  • Person: Wahl, François
2 1974 Pleynet, Marcelin. Du discours sur la Chine [ID D24149].
« Le mouvement materialiste dialectique de la connaissance, qui va du seasible au rationnel, intervient aussi bien dans un processus de connaissance limitée (par example la connaissance d'une chose, d'un travail quelconque) que dans un processus plus vaste (par exemple, la connaissance de telle ou telle société, de telle ou telle révolution). »
Mao Tse-toung.

Où commence le succès d'un voyage en Chine ? Le succès, et par succès j'entends la réalisation positive, commence où commence le voyage. Si je ne me sens pas de goût à énoncer mon savoir sur la Chine, c'est qu'il me semble que ce savoir relève d'abord d'une pratique et d'une expérience sans laquelle il me ferait absolument défaut, et que, sans cette traversée d'abord subjective, les concepts ne sont que des dogmes religieux. Or, au départ, ce qui me pousse à cette traversée c'est la nécessité de lutter contre les dogmes. Au cours de l'été 1972, et alors que je ne pensais vraiment pas pouvoir envisager la possibilité d'un séjour en Chine, j'écrivais à propos d'Antonin Artaud : " On a parlé, on parlera du recours apparemment obligé d'Artaud à des cultures extérieures à la culture occidentale : culture chinoise, voyage au Mexique, etc. Je lirai personnellement ces déplacements culturels et géographiques de la même façon que ceux que nous avons pu repérer dans le traitement de matériaux apparemment moins étrangers. L'extériorité culturelle permet de marquer la division de la culture d'un sujet, mais le signe ainsi mis spectaculairement en avant ne marque sa division qu'à être le tout de la culture du sujet. L'extériorité ne s'inscrit pas dans de l'autonomie mais dans de l'extériorité... ' (TelQueî, n° 5 2.) La question, que l'on peut effectivement poser, des récits, de plus en plus nombreux, de séjour en Chine, c'est d'abord la question de ce qui les détermine. Quel intérêt, quels intérêts conditionnent ces voyageurs ? Je dirai que pour ma part le long voyage entrepris, et au cours duquel je viens de faire l'expérience d'un séjour en Chine populaire, est commandé par des dispositions subjectives depuis toujours en conflit avec la réalité objective (économique, politique et idéologique) de la France en tant qu'exemple particulier d'un certain type de capitalisme aujourd'hui divisé entre les " séductions " de l'impérialisme américain et du social-impérialisme russe. Des dispositions subjectives que je peux me reconnaître et qui ne répondent pas à la situation objective à l'intérieur de laquelle elles sont appelées à se développer est né un certain nombre de contradictions plus ou moins conflictuelles qui m'ont, entre autres, fait commettre cette " erreur " qu'on appelle la poésie. Si je note paradoxalement ce premier effet du conflit en question c'est qu'il est évidemment le plus directement lié aux " dispositions " subjectives et comme tel, en ce qui me concerne, le plus susceptible d'analyse et de critique. C'est à travers lui, et à travers le type de pratique qu'il commande dans la langue vivante et dans l'existence sociale du sujet, que j'ai été amené à penser les multiples formes de luttes nécessaires à la transformation d'un rapport d'abord négatif entre ces dispositions subjectives et la réalité objective en un rapport positif, et que cette positivité dans un contexte social-politique comme celui de la France ne pouvait se réaliser qu'en accord avec la pratique et la théorie révolutionnaire. Tout ceci pour donner à la désormais vieille antienne de l'intellectuel bourgeois, apparemment séduit par la " théorie " socialiste et apparemment déçu par l'expérience pratique qu'il peut être amené à en faire, sa juste mesure subjective, la juste mesure des capacités analytiques et critiques de ses déterminations subjectives. Et pour marquer également un fait que l'information s'est jusqu'à présent gardée de rapporter, à savoir que ce voyage en Chine était considéré par nos hôtes chinois comme une délégation de la revue Tel Quel, délégation dirigée par Philippe Sollers. Enfin et surtout parce que ce voyage en Chine a donné lieu à une vague d'interprétations infor-matives (pas moins de cinq numéros du journal le Monde avec lesquelles tout autant au simple niveau de la véracité de l'information que pour des raisons critiques de fondements conceptuels, d'analyse de position subjective, voire d'analyse de fondement subjectif des positions conceptuelles, je suis en complet désaccord. Vague d'interprétation informative qui ne retrouve pas par hasard en double écho le débat spirituel sur " La Chine sans lyrisme " menée par une revue d'obédience catholique (Esprit} et les maussades préoccupations des partis révisionnistes.
La Chine est un pays socialiste, marxiste-léniniste révolutionnaire. Les débats portant sur la mesure de l'objectivité du récit, ou du compte rendu d'un voyage dans ce pays, ne peuvent en aucune façon faire abstraction de ce fait. Et je veux dire par là éviter de se situer par rapport à ce fait. Que ce soit en isolant abstraitement quelque idéaliste " humanité " chinoise, ou en semblant convenir de façon non moins idéaliste des présupposés marxistes, l'auteur se situe quant au fait de la réalité révolutionnaire chinoise ce qui le situe quant au fait de la réalité révolutionnaire dans son pays et dans le monde. Dire que la Chine est un pays socialiste, marxiste-léniniste révolutionnaire n'est-ce pas d'abord mesurer ce en quoi, de quelle façon et comment en Chine la théorie marxiste-léniniste se développe dans la pratique de façon vivante ? Et d'abord en prenant en considération ce qu'au niveau théorique la Chine apporte explicitement à la pensée marxiste, à savoir les œuvres de Mao Tsé-toung. Au cours de ces trois semaines de voyage pratiquement pas de jour ou je n'ai entendu recommander entre autres l'étude de " De la pratique ", " De la contradiction ", " De la juste solution des contradictions au sein du peuple " et des oeuvres de Marx, d'Engels et de Lénine (notamment " La critique du programme de Gotha ", " La guerre civile en France ", " L'origine de la famille de la propriété privée et de l'État " et " L'État et la révolution ") : acte de foi ou étude pratique, détermination révolutionnaire ? Récemment un numéro de Pékin formation reproduit un long extrait d'un commentaire du Drapeau rouge (Hongqi) qui a pour titre : " Renforcer le contingent des théoriciens marxistes " : bluff ? La lecture des ouvrages du président Mao Tsé-toung dont l'étude est recommandée doit bien le dire de quelque façon ? Je n'ai pas préparé autrement mon voyage en Chine. Je dois pourtant dire que cette lecture qui me semblait porter la vie même du marxisme, gardait pour moi quelque chose d'abstrait et de philosophique, que je savais, bien sûr, étroitement lié au rôle actif de la connaissance, dans la pratique d'un discours du passage de la connaissance sensible à la connaissance rationnelle comme bond révolutionnaire, mais dont je ne pouvais imaginer le formidable travail concret qu'elle pouvait réaliser une fois livrée aux masses. Il aura fallu l'expérience sensible de ce voyage de trois semaines pour que les concepts devenus réalité concrète trouvent leur véritable dimension. Qui parle d'utopie ou de lyrisme ? Qui, quelle politique assure son discours de l'effroi de cette dimension subjective du lieu qu'est le non-lieu (outopos] et de l'accompagnement musical lyrique de la " poésie " ? Cette utopie (cette non-topie), ce lyrisme, trois semaines de séjour en Chine m'ont appris à en comprendre la dimension effectivement politique, celle d'une langue, d'une pensée capable dans un mouvement dialectique de se déplacer par bond de son " utopie " à sa topique qu'il s'agit bien avant toute chose n'est-ce pas de se donner les moyens de faire progresser ? Le communisme est-il une utopie ? Voilà au fond la seule question que de toute part, plus ou moins consciemment, on adresse à la Chine. Voilà ce dont traitent sans exception toutes les relations de voyage en Chine et que l'humanisme occidental, c'est-à-dire chrétien, traduit dans une approche de la Chine sans... Sans quoi ? Et bien d'abord sans la direction du Parti communiste chinois avec à sa tête Mao Tsé-toung et surtout sans son objectif d'une organisation sociale communiste, autrement dit sans théorie révolutionnaire. Et, alors qu'aujourd'hui le mouvement des masses chinoises consiste dans un effort sans précédent dans l'histoire pour s'élever de la connaissance des phénomènes à celle des causes et des concepts qui les meuvent, ces relations de voyage n'ont d'autres objectifs que de noyer ces masses (800 millions de Chinois) dans un brouillard phénoménologique. La pensée de ce qui n'est d'aucun lieu (c'est-à-dire d'aucune religion) comme la matière se réalise et se développe dans sa déclinaison ponctuelle dans la lutte des contraires. Que faut-il entendre lorsque Mao Tsé-toung écrit : " notre programme maximum a pour but de conduire la Chine au socialisme et au communisme " (" Du gouvernement de coalition ", 1945) et " dans notre pays, la lutte pour la consolidation du régime socialiste, la lutte qui décidera de la victoire du socialisme ou du capitalisme, s'étendra encore sur une très longue époque historique " (" Intervention à la Conférence nationale du Parti communiste chinois sur le Travail de Propagande ", 1957) et " la lutte de-classes n'est pas encore arrivée à son terme. La lutte de classes entre le prolétariat et la bourgeoisie, entre les diverses forces politiques et entre les idéologies prolétarienne et bourgeoise sera encore longue et sujette à des vicissitudes, et par moments elle pourra même devenir très aiguë. Le prolétariat cherche à transformer le monde selon sa propre conception du monde, et la bourgeoisie, selon la sienne. A cet égard, la question de savoir qui l'emportera, du socialisme ou du capitalisme, n'est pas encore véritablement résolue " (" De la juste solution des contradictions au sein du peuple ", 1957) sinon que ce " non-lieu " cette " utopie " " l'avenir " se fonde, se conditionne, se réalise et se développe dans sa déclinaison ponctuelle (dont les temporalités se diversifient selon les conjonctures) la lutte de classes. Le " lyrisme " ici étant conditionné par les possibilités, de transformation du monde objectif comme du monde subjectif, de chacun dans la pratique (la révolution) qu'est la libération des forces productives dans les masses (dans l'histoire), dans la langue, dans la pensée.
Mais si l'on peut reprocher à certain récit de voyage en Chine de se perdre dans la confusion phénoménologique, on peut également reprocher à d'autres comptes rendus d'écraser la richesse des phénomènes sous un schéma conceptuel qui se les approprie en les vidant de leur réalité sensible, génétique. Nos hôtes chinois, qu'il s'agisse des ouvriers d'un chantier naval à Sanghaï, des paysans d'une commune populaire près de Nankin, ou des professeurs et étudiants de l'université de Pékin, ont pourtant pour nous, comme je suppose pour tout autre visiteur, pris soin d'indiquer de façon répétitive ce qui pour eux relevait de la mise en place d'un certain type de procès de connaissance, qui se développerait en trois temps.
Premier temps : réception et accueil, nos hôtes se félicitent de recevoir des amis étrangers., des amis de la Chine et du peuple chinois (sous-entendu : des étrangers différents des colonisateurs qu'ils ont connus pendant quelques siècles) et à qui comme tels ils se font un devoir de fournir sur l'exemple précis que représente cette usine, cette commune populaire, ce chantier, cet hôpital, etc., le maximum de renseignements liés (sur cet exemple précis) à l'histoire de la transformation des rapports de production par la libération, dans la lutte de classe, des forces productives. Ces renseignements portant généralement sur trois aspects de la lutte : politique, économique, idéologique. Selon les lieux, et les formes de production il arrivait effectivement qu'un de ces trois aspects soit plus développé que les autres ils n'en étaient pas moins toujours tous présents et de façon diversifiée dans le discours de nos hôtes.
Deuxième temps : visite guidée et explicative du modèle de production et de sa marche pratique, avec quelquefois au cours de la visite, proposition en un geste, symbolique bien sûr, de vérification pratique (par exemple proposition de vérifier la bonne marche de la machine, un tracteur, dont on a pu suivre toute la chaîne de montage). Le visiteur étant ainsi encouragé à vérifier la connaissance abstraite des informations données en ouverture et leurs réalisations pratiques.
Troisième temps : retour à la salle de réception pour y discuter en rapport avec ce qui a été perçu de la visite guidée, des énoncés et des principes posés au départ. Je suis à ce propos extrêmement surpris de trouver dans le dernier numéro de la revue Esprit des commentaires de M. Claude Aubert fort désobligeants pour ses hôtes sur ce qu'il nomme une " visite standard ". Il m'a en effet semblé comme l'écrit R. Barthes dans le Monde que nos hôtes chinois étaient particulièrement attentifs " singulièrement attentifs, non à notre identité, mais à notre écoute " et que chacune de nos rencontres et de nos visites était d'abord déterminée par la qualité de cette écoute et qu'il ne dépendait que de nous que la visite soit " standard " ou non. Et je crois pouvoir dire que notre attention ne fut certainement pas toujours ce que pouvaient en attendre nos amis chinois, comme sans doute d'autre part certaines de nos préoccupations leur ont sans doute parfois semblées extravagantes et hors de propos, quoiqu'ils ne l'aient jamais laissé paraître. Et ici, autre étonnement de ma part à lire, toujours sous la même signature, que la visite est suivie d'une " petite discussion s'il en reste le temps ". Mon expérience étant que le temps ne nous fut jamais marchandé pour la discussion et qu'à plusieurs reprises, la discussion se prolongeant jusqu'à l'heure du repas, nous avons été conviés à un déjeuner ou à un dîner après lequel la discussion se pour suivait, tant sur la campagne idéologique en cours (Pi Lin Pi Kong) que sur ses liaisons avec les diverses étapes, les neuf autres grandes luttes, de la révolution chinoise et de la lutte de classe en Chine, c'est-à-dire de ses rapports dialectiques avec la production. Mais ceci entre parenthèses, mon projet n'étant pas de polémiquer avec l'humaniste chrétien mais de marquer ce qui devrait tout de même intéresser les intellectuels français, à savoir les formes du discours que tiennent ouvriers, paysans et intellectuels en Chine. Si l'on pense un moment que ces discours s'adressent à des voyageurs étrangers, c'est-à-dire à des subjectivités qui devraient bien d'une façon ou d'une autre se percevoir alors en constant état de traduction (quel que soit par ailleurs leur rapport à la langue chinoise dont il y a fort à parier qu'il est à plus de quatre-vingt-dix pour cent inexistant), l'écoute ne doit-elle pas être aussi celle de la mise en scène d'un discours plus ou moins avancé, selon le degré de politisation de celui qui le tient, mais dont la forme même marque de toute façon le schéma d'élaboration politique auquel il est confronté. J'ai choisi délibérément de mettre en évidence les ponctuations formelles proposées à notre dialogue par nos hôtes chinois, d'abord parce qu'elles me paraissent le reflet juste du procès marxiste de la connaissance, ensuite parce que je ne parle pas la langue chinoise et qu'elles définissent bien un possible modèle de vérification pour la traduction de mon expérience concrète. Un minimum de connaissance des difficultés que présente la langue chinoise met en effet immédiatement en garde contre les interprétations hâtives et encourage à chercher dans la " singulière " attention de nos hôtes chinois quelques formes plus familières d'échange. Peut-on, si on n'est pas familier avec la langue chinoise, écrire comme cela a été fait par François Wahl dans le Monde : " son passé est forclos à la Chine ", " la politique chinoise ne vise pas à transformer les pratiques symboliques mais à les araser ", "une Chine sans passé culturel est, on le voit, une Chine pieds et poings liés à la langue de l'Occident ", alors qu'une précaution infor-mative confronte presque immédiatement au débat aujourd'hui encore en cours quant à ce qui concerne lalangue " uniformisée " qui se parle en Chine depuis vingt ans. A savoir la tendance actuelle, en Chine populaire, de la langue écrite à se rapprocher du parler, s'assortissant d'un égal mouvement du parler qui emprunte à l'écrit, l'emploi croissant dans le parlé d'éléments et de procédés propres à la langue écrite que constitue la tradition littéraire locale représentée par des unités empruntées au chinois classique, par des éléments et des structures qui se développent dans toutes les publications, dans la langue des journaux en particulier (Paul Kratochvil, The Chinese ~Language Today). Peut-on dès lors écrire : " Les livres littéraires, c'est-à-dire la pratique symbolique comme telle, il faut bien — si l'on veut comprendre la Chine — s'arrêter au fait qu'il n'y en a. pas " ? A réduire la pratique symbolique à la matérialité du livre littéraire, ne court-on pas le risque non seulement effectivement de ne pas comprendre la Chine, mais encore ne se met-on pas dans l'impossibilité de comprendre ce que la langue vivante a de peu livresque et de peu " littéraire " ? (Sans oublier le fait que j'ai vu de nombreux ouvrages littéraires, dont ma méconnaissance du chinois ne m'a pas permis d'apprécier les qualités de langue vivante, dans les librairies que j'ai été amené à visiter et notamment dans une librairie de livres neufs et d'accasion — ce qui laisse supposer une certaine circulation du livre —, située dans un grand magasin de Pékin.) Les Chinois reconnaîtraient, je suppose, volontiers, l'emprunt d'éléments et d'influences venus de l'étranger dans la langue " uniformisée ", reste à apprécier ce qui de la tradition littéraire locale, classique, et de ces éléments l'emporte ? Le spécialiste de la langue chinoise que j'ai pu entendre à l'Université de Pékin disant que " les théories linguistiques venant de l'Europe occidentale ainsi que de l'Union soviétique ont des insuffisances, parce que la théorie linguistique de l'Europe occidentale est uniquement basée sur les langues indo-européennes et qu'en conséquence son point de vue est incomplet étant donné qu'on ne peut pas faire entrer la langue chinoise dans ce système... " ne laissait pas supposer que " l'influence " occidentale soit précisément prête de l'emporter. C'est bien entendu là un débat de spécialiste de la langue chinoise où je ne saurais pour le moment être partie prenante que dans la mesure où il signale sur ce point, qui est effectivement très important, ce que, dans les conditions de traductions que mes limites linguistiques m'imposent, j'ai pu vérifier par ailleurs. A savoir l'originalité du modèle chinois dans son traitement du passé historico-culturel et des apports étrangers, à commencer par cet apport massivement affiché qu'est le marxisme-léninisme. Le problème est d'ailleurs régulièrement évoqué (tant comme critique de Confucius réactualisant quelque 2 500 ans d'histoire politique et culturelle, que comme critique de Lin Piao) aux trois moments (exposé, visite, discussion) du discours qui formalise chaque étape de notre voyage. Il va de soi que l'appréciation des inégalités de développement (politique, idéologique, économique) est laissée à chacun, pourtant requis de le faire dans le cadre (dans l'organisation, dans la ponctuation formelle) du discours qui lui est tenu, dans la mesure où justement c'est, à quatre-vingt-dix pour cent, la seule langue qu'il peut partager avec ses hôtes. Le cadre de ce discours, dont la référence théorique marxiste est fortement soulignée (textes à l'étude, citation, application pratique dans le discours), ne demande rien d'autre que de prendre acte de la vie et de la réalisation concrète des concepts qu'il reflète, prendre acte de ce qui s'est accompli et de ce qui s'accomplit en fonction de la forme (lutte de classe, théorie marxiste-léniniste envisagée jusque dans son développement dans les oeuvres de Mao Tsé-toung) dans laquelle cela s'accomplit Je me souviens avoir été, à l'Université de Pékin, amené à poser à un professeur de philosophie une question débordant largement le cadre de toute possibilité de réalisation concrète, le sens de sa réponse (" Ce qu'il faut c'est faire progresser ce que nous connaissons ") réinvestissant ma question dans la réalité concrète, je le trouve au retour dans une nouvelle lecture de " De la pratique " : " Le rôle actif de la connaissance ne s'exprime pas seulement dans le bond de la connaissance sensible à la connaissance rationnelle, mais encore, ce qui est plus important, il doit s'exprimer dans le bond de la connaissance rationnelle à la pratique révolutionnaire ". Comme l'écrit Joseph Needham (la Tradition scientifique chinoise] si l'on n'éprouve pas " de la sympathie pour la poussée vers une société à classe unique, un ordre socialiste, l'on ne peut comprendre l'expérience chinoise actuelle ". Reste à donner toutes ses chances rationnelles à cette bien fragile et bien subjective " sympathie " et, sans exiger d'elle qu'elle accomplisse son bond jusqu'à la pratique révolutionnaire, de lui proposer des instruments conceptuels plus suceptibles de résoudre les problèmes concrets qu'elle pourra rencontrer. Tout se passe là, toute la " sympathie ", et c'est bien la moindre des choses que l'on peut éprouver pour " l'expérience chinoise actuelle ", consiste d'abord à se trouver une langue commune et, faute de partager la langue chinoise, à accepter comme langue commune les formes du procès, économique, politique, idéologique dans lequel est engagée la Chine nouvelle. Bref à vérifier sur la base d'un minimum de langage commun partagé, le discours que la Chine tient sur elle-même en le confrontant à l'expérience sensible des réalisations concrètes. A défaut de quoi l'expérience passe tout entière dans une autre langue, dans un autre code et son compte rendu ne fait guère qu'assurer les défenses subjectives du malentendu. On aura peut-être compris que la question qui me retient ici est moins de savoir si la Chine est plus occidentalisée, qu'orientalîsée, ni de " mesurer " (à quelle aune ?) " les incontestables succès obtenus par le régime communiste chinois ", mais de comprendre si, comment et en quoi, le langage qu'elle tient est vivant.
J'insiste sur ce point, le minimum de rapport que l'on peut entretenir, au cours d'un voyage de trois semaines, avec l'énorme complexité de la réalité chinoise contemporaine, est incontestablement lié à la question de la langue. Le vieux rêve colonisateur de l'Occident traverse aussi sa culture et sa langue. Le spécialiste de la langue chinoise de l'Université de Pékin notait-il autre chose que la vocation colonialiste raciste d'une linguistique basée sur la seule étude des langues indo-européennes et excluant la langue chinoise ? Mais le discours paranoïaque de l'Occident chrétien n'est pas le seul à vouloir découper ses propriétés dans la réalité chinoise. L'agressive amertume de l'impérialisme des révisionnistes soviétiques et de leurs acolytes européens dit bien quels espoirs déçus ils fondaient sur la terre et sur le peuple chinois. On trouvera là quantité de symptômes dont nous pouvons, quant à nous, nous servir pour déchiffrer, dans des discours qui semblent d'abord moins évidemment marqués idéologiquement, voire dans notre propre discours, la qualité du reflet de tel ou tel reportage ou récit sur la Chine nouvelle. On pourra même par exemple pour commencer se poser la question de savoir dans quelle mesure les déterminations subjectives de tel ou tel langage, de tel ou tel type d'écriture permettent tout simplement de répondre de la mouvance d'un voyage et des qualités étranges (étrangères, autres} qu'il amène à rencontrer. Or cette " mouvance ", qui ne produit hélas le plus souvent d'elle-même d'autre intelligibilité que celle du pittoresque, celle de l'excentricité phénoménologique de la différence, la Chine la propose sur la base de la dialectique matérialiste comme la forme même de l'intelligible (c'est-à-dire aussi comme surdétermination du rapport de la différence au même par le rapport à l'autre. Et c'est là où te la sympathie " ne suffit plus, c'est là où se mesurent les capacités de chacun d'appréhender son rapport contradictoire à l'autonomie de l'autre. Que de récits, de comptes rendus " sympathiques " où ne passent que les inhibitions politiques de leur auteur. D'un côté les nostalgiques d'un marxisme d'avant-guerre, d'un " marxisme " stéréotypé et dogmatique, d'un stalinisme. De l'autre les révisionnistes de tout acabit, sans sympathie cette fois, ou masqués d'une sympathie feinte et prétendant " éclairer " les écarts pour eux inintelligibles de la révolution chinoise à la fumeuse clarté d'un marxisme scolastique. Ici encore problème de rapport plus ou moins vivant au concept, problème de langage, si c'est aussi bien dans et par le langage (dans une forme de maîtrise de la pratique concrète) que se passe le saut qualitatif de la connaissance sensible à la connaissance rationnelle, et le bond à la pratique révolutionnaire. Des exemples de l'étroitesse de pensée de ce marxisme scolastique stéréotypé, on en trouvera qui frisent le comique dans ce document aberrant publié récemment par les Russes et reproduit en partie dans un numéro du Nouvel Observateur : le Journal de Piotr Vladimirov, envoyé spécial de Staline auprès de Mao Tsé-toung. A propos justement d'une question de style,, à savoir le discours prononcé en 1942 à Yénan par Mao Tsé-toung " Contre le style stéréotypé dans le parti ", qu'on voit comment réagit l'envoyé de Staline : " La campagne Cheng-feng prend un caractère de masse. Après les membres du Parti, ce sont les soldats et la population civile qui se mettent à apprendre " par cœur " les discours de Mao Tsé-toung sur la culture, sur " la mise en ordre des trois styles " et autres sujets du même genre. Confrontés» comme ils le sont à une guerre difficile, à des nécessités économiques brûlantes, alors que le Japon se prépare manifestement à attaquer l'Union soviétique, cela paraît complètement absurde ", et plus loin comme conséquence logique de l'étroitesse d'esprit du " marxisme " scolastique qui tient ce langage : " Je passe mon temps à étudier les derniers discours de Mao Tsé-toung : " Pour un style approprié du travail du Parti ", " Contre les schémas routiniers dans le Parti ", les conférences de mai sur l'art et la littérature. Je suis de plus en plus convaincu qu'ils donnent aux thèses marxistes qu'il cite un contenu particulier et tout à fait étranger à l'esprit du marxisme ". Les allégations du quotidien du parti révisionniste français comme quoi la Révolution culturelle et l'actuelle campagne de critique contre Confucius et Lin Piao, sont une calamité pour le patrimoine culturel de la Chine, relèvent-elles d'un autre état d' " esprit " du marxisme ? Les discussions du voyageur avec ses hôtes ouvriers, paysans et intellectuels chinois exigent de lui non seulement des connaissances vastes et diversifiées mais encore une liberté, une souplesse, une mouvance de pensée dont il éprouvera bien souvent les limites dans la mesure justement où la sensibilité perceptive n'est pas toujours suffisamment armée des qualités de synthèse qui lui permettraient d'aborder le concept, et où le savoir est trop souvent privé de l'intelligence sensible. Ce voyage s'est effectué pour moi sur la base d'une d'expérience et d'une pratique de la langue poétique moderne, et des conséquences que doit entraîner ce type de pratique. Je considère logiquement (biographiquement) ce voyage comme une conséquence d'un certain type de pratique de l'écriture d'avant-garde, dont je dois dire qu'elle n'a jamais été arrêtée mais qu'elle a été tout au contraire entraînée dans le déploiement massif des luttes qui mènent, pour son indépendance et pour sa liberté, le peuple chinois à l'assaut du ciel. Je pense que ce discours sur la Chine est aussi à tenir, et même qu'il fait jusqu'à présent énormément défaut. Mais saura-t-il répondre de ce qui unît ce travail sur la langue à l'économie, à la politique, à l'idéologie, à la révolution socialistes ?

Du discours sur la Chine.
http://www.pileface.com/sollers/article.php3?id_article=573
La
question « Pourquoi la Chine » n'en garde pas moins toute sa pertinence et, ce, jusqu'à aujourd'hui. Il est, de ce point de vue, intéressant de relire, plus de trente après, Du discours sur la Chine (dans TQ 60). Marcelin Pleynet s'interroge en effet dans des termes qui, à bien des égards, restent d’actualité :« Si le livre sur la Chine n'est pas devenu un genre que des esprits plus ou moins distingués se plaisent à cultiver, il s'introduit pour l’essentiel par une question : Pourquoi la Chine ? A cette question, bien entendu, les réponses sont multiples, mais, si la plupart se justifient d’elles-mêmes, il en fut jusqu’à présent apportées peu qui sans mystification puissent se justifier. » A droite comme à gauche, « la question reste fondamentalement non traitée, parce que non traités les intérêts, aussi bien subjectifs, qui la portent. » (Je souligne) La plupart des réponses fonctionnent soit comme "introjection", soit par "projection", écrit Pleynet : « Introjection : ce que seule une convention peut nommer le "maoïsme" occidental, projection : l'exotisme coloré et les anathèmes de toutes sortes aussi bien ceux de la vieille droite que ceux aujourd'hui plus actuels et plus explicites des divers partis révisionnistes. Chacun de ces discours est à mon avis à lire comme le symptôme d’une maladie qui ne dirait jamais son nom. » Certes, aujourd’hui, les partis communistes ("révisionnistes" selon le langage marxiste de l'époque) ne portent plus les anathèmes les "plus explicites" sur la Chine et... pour cause : l'effondrement de l’Union soviétique a entraîné le déclin de ces partis ou leur disparition inéluctable. Il n'en reste pas moins que, à droite comme à gauche, le discours sur la Chine semble avoir du mal, aujourd'hui encore, à se renouveler. Comme si "le fantôme de Staline" (selon le mot de Sartre) avait en quelque sorte été littéralement assimilé par les divers salariés du "spectaculaire intégré". N'est-ce pas toujours par "convention", par conformisme, que l'on continue aujourd'hui encore à parler d'un "maoïsme" occidental pour éviter de penser ce qui a pu animer certains mouvements sociaux des années 70 comme la pratique spécifique de nombreux intellectuels, d'artistes, d'écrivains et, notamment d'écrivains français ? « L'exotisme coloré » et/ou « les anathèmes de toutes sortes » ont-ils fondamentalement disparu ? Et, si les "symptômes" ont changé, la "maladie" n’en persiste-t-elle pas néanmoins sous des formes nouvelles ? Qu'il s'agisse du livre sur la Chine ou de l'information, « le symptôme à ne pas manquer chez chacun » reste, aujourd'hui comme hier, « l'obsession de l'inédit, du caché-découvert, du secret, de la chasse au document. Comme si se trouvait quelque part une pièce, un sceau qui, déchiffré, permettrait une fois pour toutes d'en finir avec le malaise de ce qui surgit et parle ici d'un autre lieu. » (je souligne) Pleynet écrit alors : « Qu'il soit de droite ou de gauche le discours sur la Chine manifeste évidemment [...] les dangers d'une crise historique qui s'expliciterait, livrant les défenses subjectives à leur véritable destin politique réactionnaire. » Et d'ajouter : « Le phénomène n'est pas nouveau, et l'on pourrait démontrer comment, et se demander pourquoi la Chine dont on nous parle ne nous est pas beaucoup plus familière, que ne pouvait l'être à ses contemporains la Chine de Leibniz ? » On peut actualiser. En juin 2006 paraît un livre de Jung Chang et Jon Halliday : Mao. L'histoire inconnue. A la suite de Sollers dans Le journal du dimanche de juin 2006, Pleynet, le 24 juillet, revient dans son journal sur cette publication et les commentaires dont elle a fait l'objet dans la presse. Il y est aussi question d'un écrivain qui, au début des années 70, avait eu la curieuse idée de traduire dix poèmes de Mao Tsé-toung. Le discours dominant sur la Chine a-t-il changé ? Et l'information ? Oui et non. La situation n'est plus la même mais la guerre continue. « Le devenir monde de la falsification était aussi un devenir falsification du monde. » (Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle.) « Ils se réfugient dans la presse et ils appellent le nombre à leur secours. » (Pascal) « L'entêtement buté de la falsification et de ses activités falsificatrices opère, aujourd'hui comme jamais, sur ce qui se découvre, aujourd'hui comme jamais, engager les plus vastes opérations de l'Histoire, les plus vastes opérations de la chance. »
  • Document: Pleynet, Marcelin. Du discours sur la Chine. In : Tel quel ; 59 (automne 1974). (Pley2, Publication)
3 1974 Pleynet, Marcelin. En Chine. In : Tel quel ; no 59 (1974).
« Ce voyage s'est effectué pour moi sur la base d'une expérience et d'une pratique de la langue poétique moderne, et des conséquences que doit entraîner ce type de pratique. Je considère logiquement (biographiquement) ce voyage comme une conséquence d'un certain type de pratique de l'écriture d'avant-garde, dont je dois dire qu'elle n'a jamais été arrêtée mais qu'elle a été tout au contraire entraînée dans le déploiement massif des luttes qui mènent, pour son indépendance et pour sa liberté, le peuple chinois à l'assaut du ciel. Je pense que ce discours sur la Chine est aussi à tenir, et même qu’il fait jusqu'à présent énormément défaut. Mais saura-t-il répondre de ce qui unit ce travail sur la langue à l’économie, à la politique, à l'idéologie, à la révolution socialiste ? ».Question qui restera... sans réponse... ou, plutôt, qui ne se posera plus dans les mêmes termes une fois constatée, quelques années plus tard, l'échec, en Chine même, de l'illusion "maoïste" (l'échec de la révolution ?), puis l'impasse de l'illusion "avant-gardiste". Sans doute est-ce la raison pour laquelle Le Voyage en Chine, publié en 1980 (P.O.L.), ne reprendra pas la problématique, encore "bornée", "limitée" par l'horizon "marxiste-léniniste", de ce texte de 1974, intitulé « Pourquoi la Chine populaire ».
4 1980 Pleynet, Marcelin. Le voyage en Chine [ID D3851]. [Auszüge].
Le 11 avril 1974. Paris – Pékin.
... Nous atterrissons à Pékin à 20 h 45. Les bâtiments de l'aéroport forment un ensemble de volumes géométriques, tout en lignes parallèles. Des carctères géants en néon rouge en décorent le fronton, au centre un immense portrait du président Mao... Le premier contact avec la Chine c'est évidemment le parcours qui sépare l'aéroport de la ville. Nous arrivons, nous débarquons, si je puis dire. Il est évidemment difficile d'arriver et je me surprends à penser qu'il n'est pas étonnant que ce soit ici le peuple chinois qui occupe la place. A bicyclette, à pied, par groupes ou isolés les Chinois occupent d'une façon me semble-t-il tout à fait particulière les espaces que nous traversons... Sur la route, de grands panneaux couverts de caractères. Plus loin des portraits géants de Marx Engels Lénine Staline...
Le 13 avril, après-midi.
Visite commentée de la Commune populaire du Pont de Marco Polo, près de Pékin, plus discussions, dont nous ne tarderons pas à savoir qu'elles sont traditionnelles. A 19 heures théâtre de marionnettes. Nous traversons pour nous y rendre des quartiers apparemment très misérables de Pékin.
Le 14 [avril] au matin visite de l'Imprimerie nationale de Pékin plus discussion. Nous déjeunons à l'aéroport avant de prendre l'avion pour Shanghaï. Shanghaï signifie 'au-dessus de la mer'. Shanghaï diffère du tout au tout de Pékin...
Dimanche 14 avril – Shanghaï.
... Tout ici est désormais très différemment policié. Même si le Palace-Hôtel, devenu l'actuel Hôtel de la Paix, n'a pas tellement changeé, la sombre fiction de Welles n'y a plus de place, elle est de fait impensable ici dans les conditions où nous y sommes et dans les conditions qui nous y ont conduits... Shanghaï est à la foix un port et une ville du Sud. Le soir tombe et nous sommes les cinq seuls blancs à nous promener sur ce quai... Pourtant il y a beaucoup à voir et d'abord évidemment ce que l'on ne nous laissera jamais voir ici, les mille manifestations des liens qui unissent cette foule, les normes et les écarts de ses liens avec la loi. A table la discussion d'engage sur le rapport que le Chinois entretient avec son affectivité. Mais je ne suis guère d'accord avec ce qui est alors développé, à savoir la sorte de coupure qui serait ici établie entre sexualité et vie sociale, ou comme dit Ph[ilippe] S[ollers] la sublimation. Nous discutons en fait des chinois que nous avons l'occasion de rencontrer, plus ou moins régulièrement (et à peine depuis deux jours) et qui sont tous plus ou moins des officiels du PCC - qu'il s'agisse des paysans que nous présente le directeur de la commune populaire ou de nos guides. J'insiste sur le fait que, pour ce que j'ai pu en voir, cette coupure est déterminée par un appareil et par une structure bureaucratiques qui retrouvent là les normes de la pensée confucéenne. Que ce soit chez notre guide, ou chez les ouvriers avec qui nous discutons, le désinvestissement subjectif et le stéréotype fonctionnent comme convention sociale, convention qui semble laisser de temps à autre place à un mouvement d'investissement qui n'est plus alors la critique comme dogme, mais l'activité critique vivante enchaînée à ses limits. Ph[ilippe] S[ollers] remarque qu'il y a chez tous (mais alors il parle de la foule) un halo taoïste.
Lundi 15 – Shanghaï.
... Nous traversons Shanghaï et quittons bientôt les quartiers 'européens' pour, quelque temps avant de rejoindre le bac qui nous fera traverser le fleuve, nous engager dans une rue bordée d'un groupe d'habitations telles que nous avons pu en voir à Pékin en nous rendant au théâtre de marionnettes, murs de torchis, murs et toits de torchis, cour boueuese et sombre. Des femmes et des enfants qui semblent très pauvrement mener une existence juste au-dessus du sol... Certes dans l'imprimerie que nous avons visitée à Pékin, comme au chantier naval que l'on nous fait visiter aujourd'hui, nous voyons bien que les dazibao se multiplient, mais outre qu'ici on ne nous arrête pas devant et qu'on ne nous en propose pas la traduction, outre qu'il nous est, ici comme là-bas, absolument interdit de les photographier, il semble bien que dans ces ceux lieux les dazibao soient en petit nombre par rapport à ceux que je peux apercevoir, en passant en voiture, dans les petites fabriques qui sont sur notre chemin... L'après-midi est consacré à la visite d'une cité ouvrière Fong Koi Lung ('la rivière des melons') au nord du centre de Shanghaï... A cette heure de la journée les hommes sont au travail, c'est donc une population d'enfants et de vieillards, que mènent quelques femmes, qui nous accueillent... La femme qui dirige notre visite est membre du PCC et responsable politique du quartier. Nous approchons ici un aspect de la réalité chinoise que nous n'avons pas encore abordé, non plus la distinction professionelle mais sa racine familiale quotidienne. Il est clair que les Chinois souhaitent nous prouver que la politique commande tous les aspects de la vie chinoise et que c'est sur ce fond que se déroulent nos visites... Le soir spectacle d'acrobatie. Le même que j'ai déjà vu à Paris.
Mardi 16 [avril].
... Deux heures à l'hôpital où nous avons assisté à une opération de l'estomac avec anesthésie par acupuncture, et pendant les six heures qu'a duré l'entretien avec l'historien, directeur et gardien de la maison où eut lieu le Premier Congrès du PCC... Les discussions à table, petit déjeuner et déjeuner, sont généralement consacrées à commenter ce que nous avons fait dans la matinée et dans l'après-midi, qui s'est aujourd'hui terminé à 19 heures par la visite de la librairie Chine Nouvelles (oeuvres de Marx, Lénine, Mao, Lu Xun, livres techniques et scientifiques)... Nous sommes arrivés dans la maison-musée où eut lieu le premier congrès du PCC, devant la table rouge portant un certain nombre de tasses et une théière... On nous a expliqué à temps qu'il s'agissait là d'une reconstitution de la pièce où avait eu lieu, en présence de Mao Tsetoung, le Premier Congrès du PCC. Au mur un portrait du jeune Mao. Il faut dire que depuis que nous sommes en Chine nous n'avons jamais été reçus dans une pièce aussi heureusement décorée que cette salle de débat reconstituée. Cette fois encore on nous invite à passer dans une chambre voisine de proportions et de décor assez semblables à celles où nous avons déjà été reçu à l'usine, à l'école, à l'hôpital. Au cours du dîner la discussion porte sur les rapports que les Chinois entretiennent avec l'histoire du mouvement ouvrier et plus particulièrement sur le jugement qu'ils portent sur Staline...
Dialogue avec un des chirurgiens de l'hôpital de Shanghaï au cours de l'opération d'un malade...
Vendredi 19 avril – Nankin.
Notre séjour à Shanghai a été en effet très occupé. Et si la visite, dans la matinée de marcredi, à l'Exposition industrielle fut suivie d'une confortable croisière de 4 heures jusqu'à la rencontre du fleuve Huangpu avec le Yang tse, la fatigue était déjà telle que le grand soleil et l'air vif n'ont fait que l'accuser... Il est minuit. Je dois faire ma valise ce soir pour pouvoir rencontrer tout de suite après le petit déjeuner les professeurs de l'université de Shanghai. Le débat dure jusqu'à midi. Nous prenons le train pour Nankin après déjeuner.
14 h 15. La gare de Shanghaï... A la sortie de Shanghai le train traverse une campange très fertile, colza, blé, cultures maraîchères, rizières de chaque côté de la voie et, comme souvent le long des routes, une double rangée de jeunes arbres. Cà et là dans les champs des blockhaus de ciment gris. Dehors la campagne que nous traversons reste très plate, creusée de canaux plus ou moins larges où l'eau d'un gris-vert reste stagnante, dans cerains, plus larges, une barque avec un homme au travail... Le train s'arrète à Suzhou, puis à Wuxi, selon notre guide c'est une très jolie ville, traversée par le Yang tse. Le train s'arrête ensuite à Changzhou-Benniu, un paysan en descent, il a un chapeau de paille neuf de forme conique, il porte divers objets d'émail, cuvette, gobelets, et sous le bras dans un cadre un portrait de Mao Tsetoung...
Nous arrivons à Nankin à 20 h 15. Deux représentants de l'agence nous accueillent. Wang, le plus âgé, est directeur de l'agence, Zhou le plus jeune nous dit parler un peu de français. Le bus qui nous est destiné emprunte une large avenue bordée de platanes jusqu'au Grand-Hôtel de Nankin qui disperse quelques bâtiments géométriques de quatre étages dans un parc... Sollers insiste sur le caractère non religieux du Chinois. Je remarque que la famille tient pourtant encore un très grand rôle dans les rapports sociaux et que c'est même là un des aspects de ce que, me semble-t-il, vis la campagne contre Confucius. Lors de la visite de la cité ouvrière de Shanghaï, la femme qui adoptait avec allégresses les slogans contre Confucius n'en commençait pas moins son discours en précisant, que l'appartement abritait quatre générations...
Peu après la foule des visages pressés et souriants sur l'une des îles du la Xuanwu Hu. Si en bien des endroits les statues et portraits de Mao Tstoung ont disparu, on peut encore voir sur les murs la trace plus claire qu'a laissé le cadre, les bâtiments et les lieux publics reproduisent sur des écrans gigantesques la calligraphie de ses poèmes... La foule qui ne peut pas déchiffrer ces caractères savants, s'arrête en masse devant ces grands tableaux mouvants porteurs d'une histoire, d'une culture et d'un sens proprement fabuleux, qui la retiennent et lui échappent.
Samedi 20 – Nankin.
Hors des incidents de groupe, les deux faits les plus marquants de la journée furent la visite du parc du Ling guo à l'est du tombeau de Sun Yatsen et la visite du temple de la vallée des Esprits, ou de ce qu'il en reste, le Wuliang Dian. Le mausolée de Sun Yatsen est adossé au sud de la montagne de pourpre... Le Wuliang est en effet un des rares exemples d'architecture entièrement dépourvu de bois. Nous venons de visiter la pagode moderne où le guide nous a conduits directement... La beauté du temple tient à la justesse et à la simplicité de ses volumes. Son apparition, disparition dans le paysage joue de son toit à la chinoise, qui dissimule l'énormité de sa masse et l'allège jusqu'à la confondre avec celle des arbres... Nous quittons le temple pour la voie sacrée. D'abord celle des soldats, puis celles des animaux...
Dans la soirée nous allons au cinéma. Avant le film, projection d'un document d'actualité consacré à la rencontre etre Mao Tsetoung et Boumediene... Mao Tsetoung semble parfois très âgé, puis un moment très vif il paraît rajeunir, puis il semble à nouveau sans âge. Il se dégage de son attitude et de ses expressions une grand distinction. Le visage a comme fondu mais dans la position du corps, de la main, dans l'expression d'accueil fragile et de détachement révérencieux qu'il a pour ses hôtes il semble que des siècles viennent se télescoper sur l'écran à travers ce vieil homme voûté et qui pourrait se casser brudquement. Du temple bouddhique à cette séquence d'actualité se marque le temps qui ne s'arrête ni ne continue.
En Chine les morts sont brûlés. Mais on ne les brûle pas tout de suite après la mort. On les maquille et on les habille, puis on fait venir les enfants. L'été on leur fait une piqûre pour éviter la corruption du corps. Pour ceux qui se trouvent à l'hôpital une dernière visite leurs est rendue par les amis, les parents, et les cadres de l'entreprise qui les employait. Avant de brûler le mort on lui rend un dernier hommage, quelques fois on convoque une réunion et cérémonieusement on fait l'éloge des mérites du défunt. Le corps une fois brûlé les centres sont portées au cimetière.
Dimance 21 – Nankin.
Nous avons passé la matinée à visiter une commune populaire... Là, logiquement, l'économie et la course à la production règnent en maîtres. On comprend bien ce que cela peut avoir de vital pour ce pays mais on ne voit pas ce qui politiquement différencie cette commune populaire d'un kolkhoze. L'explication qui nous est donnée, ici comme à Pékin, pour la rédaction des dazibao laisse nettement supposer, que toute initiative dans ce sens ne peut avoir lieu qu'organisée et dirigée par les membres du PCC... Nous n'avons jamais vu autant de monde dans les rues de Nankin. La foule se rassemble ça et là sur les trottoirs, lisant les dazibao qui couvrent le mur d'une usine, ou encore faisant la queue devant les grand magasins. Mais elle occupe tout aussi bien la chaussée, il faut que le chauffeur klaxonne cinq ou six fois pour que les piétons laissent le passage, même chose pour les vélos... Nous quittons Nankin et les faubourgs de Nankin pour une campagne verdoyante et vallonnée... Le paysage ici est toutefois plus chargé des signes de l'industrialisation du pays, petites fabriques, usines, constructions modernes, le fixent ça et là. Nous ne serons jamais en pleine campagne. A gauche de la route un paysage légèrement vallonné, très vert et coupé de sortes d'enclaves non cultivées qui laissent apparaître une terre brun-rouge. De temps à autre un buffle monté par un vieillard ou un enfant. Au pied des rizières et entre nous et ces rizières, la voie de chemin de fer. A gauche quelques maisons d'habitation, puis bientôt des immeubles modernes, sortes de HLM en briques, puis une usine, puis, plus ou moins régulièrement, des fabriques... R[oland] B[arthes] remarque et s'inquiète de l'envahissement de ce qu'il faut bien appeler le style soviétique, il dit très justement qu'on ne voit ni par quoi, ni comment cela pourrait être effacé. On ne trouve de fait ici que très très peu de trace d'un semblant d'intérêt esthétique même spontané. Les costumes sont à 90 % uniformisés, une tache de couleur sur un corsage ou une veste de femme perce parfois, très rarement, la monotonie vert-bleu et gris sombre qui domine. Les habitations de ville sont très pauvres et réduites aux strictes limites de leur fonction, ou bien elles datent d'avant la Libération et sont en conséquence semblables à celles que l'on a construites en Europe à la fin du XIXe et au début du XXe siècles. Ce qui a été construit depuis la Libération obéit à l'économie de moyens du hangar... Bien entendu des traces subsistent sans doute encore ça et là du passé culturel de la Chine ; je suppose dans certaines traditions des rapports sociaux et familiaux, mais bien entendu impossibles à pénétrer au cours d'un voyage aussi bref et aussi dirigé... Dès lors, tout au long de ce voyage il faut se reconnaître coupé de toute expérience concrète, dans la mesure ou coupé de toute expérience comptable et de toute expérience sexuelle, de tout rapport à la monnaie et au sexe. Ce que je perçois est évidemment, en fonction de ce grand écart des expériences, séparé.
Lundi 22, dans le train entre Nankin et Luoyang.
Nous avons quitté Nankin à 1 h moins le quart. Nous étions seuls à prendre le train... On a enfin rajouté pour nous un wagon de luxe, sorte de wagon-lit, dont chaque compartiment comporte quatre couchettes... L'ensemble est plus que douteux, le wagon mal entretenu et la housse des draps sale... A l'évidence une chose manquera toujours à ce voyage c'est la possibilité de l'accident, de l'impair qui nous permettrait de nous confronter avec les habitudes, les préjugés, les coutumes du peuple chinois. Nous remplaçons tout cela par des réminiscences fictionnelles...
Nous arrivons à Luoyang à 15 h 20. Deux nouveaux guides et le directeur de l'agence nous attendent et nous conduisent directement à l'hôtel... Le directeur de l'agence nous expose le programme de notre séjour à Luoyang. Aujourd'hui à 17 h 30 visite d'une exposition de pivoines, qu'on nous dit célèbre dans l'histoire de la Chine. Demain matin, mardi, à 8 h nous nous rendrons aux grottes de Longmen. Après-midi l'usine de tracteurs 'L'Orient est rouge'. Après-demain matin une usine de machine à traiter le mineral. Nous demandons à visiter le Temple des Chevaux Blancs. Réponse : « C'est impossible, il y a depuis quelques jours des travaux de réparation qui ont été entrepris à l'intérieur. »
La visite de l'exposition de pivoines se révèlera n'être qu'un prétexte. Le parc de l'exposition est en effet situé dans le Parc de Wangcheng et cette fin d'après-midi sera consacrée à la visite de deux tombeaux de l'époque Han, dont nos hôtes nous ont réservé la surprise. Le premier tombeau des Han de l'Ouest (100 ans B.C.) se caractérise par une très complex céramique ou terre cuite dentelée qui sépare l'espace où se trouvait le cercueil d'une sorte d'antichambre sur laquelle donnent les pièces qui symbolisaient la cuisine et les écuries. Deux peintures, dont une tout en longueur, représentent ce que le guide nous dit être « l'invitation de Hongmen » (de la Porte rouge), elles illustrent un épisode de la lutte pour le pouvoir entre deux chef rebelles. Le dessin est assez schématique, et la couleur a une fonction symbolique explicite, si l'on en croit les explications de la jeune femme qui nous guide et qui répète là ce que lui a dit Guo Mo-jo lors de sa visite à Luoyang...
La deuxième tombe est celle des Han de l'Est, elle date du premier siècle de notre ère. A l'origine le tombeau était à 17 mètres de profondeurs mais il a été remonté pour faciliter la visite. Il est architecturalement plus élaboré que le premier. Pas de peintures mais de très étonnants reliefs sur une pierre que l'on pourrait comparer au granit. A l'entrée un relief représente un poisson et un dragon. Que le poisson puisse devenir dragon est signe de bonheur. Sur la porte de la salle centrale, un oiseau (sorte de phénix), dont on nous dit qu'il n'a pas de nom, que c'est un oiseau de bonheur, est posé sur une tête d'animal tenant un anneau. Dans le bas du relief un autre animal, sans doute un dragon mais le dessin très archaïque évoquerait plutôt un chat...
Mardi 23 – Luoyang.
... A l'entrée des grottes une gigantesque reproduction en lettres d'or sur fond vert du poème de Mao Tsetoung 'Neige'. Les grottes sont situées au sud de Luoyang dans un lieu di 'La brèche de hi' et 'La porte du dragon'. On a trouvé dans l'une d'elles la date de leur fondation, environ 495, à l'époque de la dynastie des Wei du Nord, les travaux ont duré jusqu'au XIe siècle. Il existe à Longmen 1352 grottes et 750 autels de petite dimension, 41 statues, la plus grande faisant 17 mètres de haut (la plus petite fait 2 cm). Les grottes sont chargées de caractères anciens très précieux pour l'étude de la calligraphie chinoise. 90 % des statues sont mutilées. Depuis la Libération les grottes sont très sérieusement protégées, en 1951 les Chinois ont créé à cet effet un bureau d'études pour la protection des grottes. En 1961 le Conseil des Affaires d'Etat a publié un décret signifiant que ces grottes sont des vestiges précieux de l'histoire et de la culture chinoises, directement placés sous la protection du Conseil des Affaires d'Etat. Chaque année une somme est ainsi allouée pour la restauration et la protection des grottes. Nous visitons les grottes aux 1300 et aux 15000 Bouddhas – litanies de la représentation de Bouddha, la dernière de ces grottes date de 680. La plus ancienne des grottes que nous visiterons, la Grotte du Lotus, date de 527... Une des grottes est consacrée aux ordonnances médicales. Elle date de la dynastie des Tang et comporte les caractères de plus de 120 ordonnances médicales, pour ceux qui parlent comme des diables, dont les paroles sont en désordre et endiablées (les fous), pour les traitements par acupuncture...
Mercredi 24 – Luoyang (en attendant le train pour Xian).
...Nous quittons Luoyang à 13 h 45... Le paysage que nous traversons est quasiment identique à celui que nous avons traversé peu avant d'arriver à Luoyang : collines de terre rouge très rapprochées et creusées en étagmenent...
La fatigue et la précipitation aidant il y aura finalement un très grand nombre de choses que je n'aurai pas noté ici et qui ne figurent qu'à peine dans mon carnet de notes. La visite de l'usine de tracteurs 'L'Orient est rouge', entre autre. Le passage télescopage des grottes bouddhiques à l'industrie lourde : atelier de fonderie, de forge, de modelage, de forage, de fraisage, la chaîne de montagne, le tout aboutissant à une chambre fermée où les tracteurs sont finalement mécaniquement peints d'un rouge de sang...
Nous quittons l'usine de tracteurs pour nous rendre directement à l'Opéra où des places nous ont été réservées. L'architecture de la salle est un peu plus décorée que celle d'une salle de cinéma, mais très peu. Le dossier des sièges est en bois. L'éclairage assez rare et les costumes de travail bleu sombre ou verts des spectateurs enlèvent à l'ensemble l'aspect qu'a généralement un théâtre en Occident. A l'avant de la salle la fosse d'orchestre est occupé par des spectateurs debout. L'orchestre est installé sur la droite de la scène derrière un paravant transparent... Les personnages y sont ultra-stéréotypées et en carton-pâte... La question sexuelle venant jouer là le rôle que l'on imagine. Cela est très sensible dans l'attitude de nos guides et dans le silence et la gêne que produisent nos question portant, par exemple, sur le mariage. La politique du mariage tardif étant doublée dans la version officielle de non-rapport sexuel avant le mariage. Nous avons appris aujourd'hui que les demandes en mariage sont soumises à un conseil communautaire qui peut les écarter.
Le jeudi 25 – Xian ou Sian.
... Nous arrivons à Xian à la nuit tombée... Au matin notre première visite est pour la Pagode de la Grande Oie, dont nous ne pourrons voir ni le temple, ni les annexes. Il est clair que notre programme est organisé de façon à ce que nous ne puissons voir aucun des grands temples. Seraient-ils toujours en activité ? Nous quittons la Pagode de la Grande Oie pour le Musée des fouilles archéologiques. Les renseignements qui nous sont fournis sur la société primitive sont de l'ordre des généralités marxistes. Le terrain de fouilles compte 50'000 mètres carrés, 10'000 ont déjà été découverts. Selon le guide, les vestiges qui ont été mis à jour permettent de dater cette société de 6'000 ans. La première salle du musée est consacrée au mode de production de cette société, des analyses de pourdre de millet et de colza ont permis de conclure qu'une agriculture existait déjà. Pour notre guide ce sont les femmes qui ont inventé l'agriculture et joué alors le rôle le plus important dans la société. Les hommes se consacraient à la chasse et à la pêche. Notre voyage en Chine devient un voyage dans le temps...
21 h – Xian
L'hôtel où nous sommes logés date de 1953. C'est un building de 6 ou 7 étages de ciment, construit par les soviétiques dans un ensemble où la brutalité des formes le dispute à une pompeuse vulgarité... L'impression ici c'est que l'emprise (économique notamment) de l'URSS fut lourde et qu'elle pèse encore très fort dans certaines cervelles et dans cerains coeurs. Nous en avons trouvé plus que la trace cet après-midi lors de la visite d'une exposition réalisée par des peintres-paysans dans un district situé à 40 km de Xian. Le responsable de l'exposition qui est aussi une personnalité politique terrorise évidemment les peintres qui récitent tant bien que mal leur leçon et auxquels il souffle par moment les mots qui leur manquent. Ce sentiment d'assister à la récitation d'un dogme je l'ai également dans la voiture qui nous conduit à l'exposition, lorsque l'interprète de Xian nous parle de la révolution socialiste et de la campagne Pi-Lin pi-Kong, comme s'il avait enregistré son discours une fois pour toutes. Il dit qu'aujourd'hui en Chine on ne s'en tient plus aux formules du Marxisme et du Léninisme, mais dès qu'il aborde un problème il le réduit à ces formules. La division ici passe entre les manuels et les intellectuels. Les stéréotypes sont évidémment moins choquants dans la bouche d'un ouvrier que dans celle d'un bureaucrate. La plupart du temps les uns et les autres ne font que réciter le dernier, ou l'avant-dernier éditorial du 'Quotidien du Peuple'...
Le village de Huxian, où a lieu l'exposition des oeuvres des peintres-paysans, est en pleine campagne. Tout autour le paysage printanier est très vert, les habitations sont certainement architecturalement les plus belles que nous ayons vues, les murs sont en torchis et en terre battue, les toits relevés à la chinoise... La vie rurale semble non pas archaïque mais sans âge, proche des vestiges de la société primitive que nous avons vus le matin même, mais aussi très finement et fidèlement représentée dans les peintures qu'on nous invite à voir... La plupart des oeuvres qu'on nous présente y gagnent quelque chose de naïf dans la façon dont elles reproduisent littéralement la juste place de l'homme dans un environnement trop grand pour lui et que pourtant il s'approprie. Ces oeuvres sont naturelles et vraies parce qu'elles sont commandées par une justesse quasi innocente de la perception. L'artiste se situe en face de son oeuvre et dans son oeuvre, tel qu'il est et tel qu'il se vit dans son travail de paysan. Que le sujet de l'oeuvre soit un élevage de poules, ou la récolte du maïs, la représentation humaine occupera dans la peinture une situation nettement dominée par la nature...
Le district a ainsi organisé pour les peintres amateurs des stages à l'école des Beaux Arts. De 1958 à aujourd'hui leur nombre n'a cessé de grandir, le district compte aujourd'hui 500 peintres amateurs, qui servent la propagande des mouvements politiques et illustrent les méthodes de travail recommandées par le parti. On diffuse leurs oeuvres dans le pays à l'aide d'expositions ambulantes et de films. Le dirigeant du parti qui nous fournit tous ces renseignements ajoute que « par ces moyens les peintres paysans ont apporté leur contribution aux trois mouvements révolutionnaires : lutte de classe, production, et expérimentation scientifique » et il précise : « Au cours de la révolution culturelle, les peintres ont dessiné 8700 peintures pour critiquer la ligne révisionniste de Liu Shao-qi et Lin Biao. Au cours de la campagne pi-Lin, pi-Kong, les peintres-paysans ont étudié le marxisme-léninisme et la pensée de Mao Tsetoung. Ils ont attaqué la ligne de Lin Biao « se modérer et revenir aux rites » et critiqué la théorie de « la volonté du ciel et la théorie qui veut que seuls les hauts fonctionnaires soient intelligents et les autres des sots »...
Vendredi 26 – Xian.
Ce matin visite d'une usine de textile. Atelier de préparation du coton, de fabrication du fil et des machines à tisser. Les ateliers de femmes avec contremaître ou contremaîtresse, ne peuvent pas ne pas me rappeler ce que j'en ai connu en France, dans mon enfance. Je vois ainsi se dérouler très vite et misérablement l'existence et la lutte d'un milieu social que je connais bien... Après la visite de l'usine, visite d'une garderie d'enfants dont on organise les jeux en notre honneur... Il est vrai que les enfants de ce pays sont loin d'être les petits singes capricieux et gourmands de l'Europe. Zhao dans la voiture nous cite ces mots du président Mao : « Il n'y a que les enfants et les morts qui ne se trompent pas »... Nous passons logiquement de la crèche à une visite dans les familles. Nous nous rendons chez un couple de vieux communistes chinois, inscrit au PCC depuis 1949. Ce qui de 1949 à nos jours fait tout de même une curieuse biographie. L'homme tien un discours stéréotypé mais plus adapté aux questions qui lui sont posées que ne l'est généralement celui des administrateurs et des fonctionnaires que nous rencontrons. Il a dans son parti la foi du vieux militant qui en a vécu toutes les luttes et qui en connaît toutes les réalisations... Cet homme a vis-à-vis du PCC une position qui paraît dépassée. Le poème de Guo Mo-jo, la peinture sur rouleau, qui sont au mur, et les livres qui remplissent une étagère ne sont pas là de son fait, ce sont ses enfants qui les ont choisis... que sans doute les jeunes intellectuels vont à la campagne pour prendre connaissance de la pratique des luttes que mènent les paysans mais qu'ils y vont aussi pour confronter l'expérience qu'ils ont de leurs propres conflits avec ceux des paysans, pour se donner des chances de voir apparaître l'une des luttes à travers l'autre.
Nous rentrons déjeuner à l'hôtel, d'ù nous repartirons vers 14 h 30 pour visiter la station thermale Huaqing Gong au pied de la montagne Li Shan (La montagne du Cheval Noir). L'ensemble a été entièrement reconstruit mais donne tout de même une assez bonne idée de ce qui fut un très beau type d'architecture traditionnelle. On nous propose de prendre un bain. L'eau de source ici est chaude à 43 °... Après le bain nous quittons la station thermale et reprenons les voitures jusqu'au tumulus de Shihuangdi (259-210 B.C.) qui est tout proche. Devant nous, derrière le tumulus au pied duquel est dressée une stèle, la montagne étagée... Le paysage qui, de la rivière aux montagnes, entoure le tumulus est superbe...
Il est 19 h lorsque nous rentrons à Xian. Nous devons assister à un spectacle de ballet à l'Opéra à 19 h 30. La troupe de ballet est celle de la province de Shanxi. Danse classique en costumes modernes, musique symphonique, décor qui avec ses clairs-obsurs, ses ruines et ses éclairages rappelle ceux de l'opéra-comique. Titre du ballet 'La fille aux cheveux blancs'. La chorégraphie est due à une troupe de Shanghaï. Les danseurs ont appris la danse classique assez tard, ils en ont retenu comme souvent en Chine certains caractères de virtuosité gymastique – de 'performance' comme disent les Anglais...
Dimance 28 – Xian.
... Levé à 6 h pour faire mes valises, j'apprends peu de temps avant notre départ pour le musée de Xian que nous n'irons vraisemblablement pas à Yenan... La pluie, le froid et ces divers mouvements du voyage me gâcheront la visite du musée superbement installé dans l'ancien temple de Confucius (Kong miao). Quelques magnifiques jardins à l'ancienne et de très beaux bâtiments abritent des collections d'objets funéraires et de sculptures d'un niveau égal et parfois même supérieur à ce que nous avons pu voir à Paris. Je pense à l'admirable bronze de cheval au galop, dont un sabot est posé sur une hirondelle en plein vol, de la dynastie des Han de l'Est (25-220), à tel vase à vin en argent, décoré d'un cheval dansant et tenant une coupe entre les dents, de la dynastie des Tang, mais ici surtout à la fameuse forêt des stèles... Elles portent les Douze Livres Classiques et sont très entourées. Certains passages pris en considération par l'actuelle campagne contre Confucius sont soulignés à la craie blanche et commentés par les visiteurs chinois...
Nous rentrons à l'hôtel et nous faisons nos bagages avant de suivre nos guides dans la visite, qu'ils ont organisée impromptu, de l'office du bureau de la Huitième Armée. J'ai cette fois l'impression de ne plus du tout coller à l'événement. Impression renforcée par le caractère tout symbolique de ce musée, par la désolation, le vide et la tristesse des lieux...
L'avion [pour Pékin] ne peut pas partir et pour tout à la fois nous occuper et nous gratifier un peu, l'agence de Xian nous invite dans un restaurant de la ville, puis à une nouvelle soirée théâtrale... La scène est chinoise, l'orchestre est sur la scène derrière une cloison. Le jeu, le chant, la musique, le maquillage des acteurs semblent nettement moins occidentalisés que ce que nous avons vu la veille. C'est un spectacle familial..
Dimanche 28 – entre Xian et Pékin.
Nous prenons l'avion pour Pékin à 8 h. L'avion est un bi-moteur 'Iliouchine 24', un modèle soviétique... A 9 h 15 nous faisons escale à Tai Yuan chef-lieu de la province de Shenxi... A 10 h30 nous décollons à nouveau pour Pékin où nous arriverons sans escale à 13 h 30.
Lundi 29 – Pékin.
... Le jour de notre arrivée à Pékin, Alain Bouc s'est présenté à notre table alors que nous finissions de déjeuner. Il nous invite à prendre la café dans sa chambre... Nous parlons un moment de l'actuelle campagne pi-Lin pi-Kong, de ce que nous avons pu en suivre au cours de notre voyage. Nous le quittons pour défairs nos bagages. Nous passerons ensuite au magasin de l'amitié où R[oland] B[arthes] veut commander une veste mao... de retour à l'hôtel et après un bien mauvais repas nous assistons à 19 h 30 à un match de volley-ball entre Chinois et Iraniens.
Ce matin départ pour la Grande Muraille... Le ciel est gris, presque aussi violet que les montagnes que découpent au loin les murs rouillés. Le plus impressionnant de cette oeuvre que les Chinois comparent à un immense dragon, c'est dans son déroulemet et dans l'étonnant rapport qu'elle entretient avec le paysage, sa simple beauté... Cette sorte de force, d'évidence et de beauté sans âge traverse le temps et l'histoire...
Nous retrouvons la pleine, et c'est entre trois chaînes de montagnes que nous entrons dans la Voie Royale des Tombeaux Ming. Une tortue géante supportant une stèle en marque l'entrée... Nous visitons le palais Dingling, tombeau du treizième empereur Ming, Shenzong. La première ouverture du tombeau est pyramidale, les autres sont ogivales. Dans la salle du centre on trouve tois trônes de marbre blanc placés les uns derrière les autres et devant chacun un pot de porcelaine de Chine bleue... Dans les deux petits musées consacrés aux objets qui ont été trouvés dans les tombes, un ensemble de tableaux modernes représente les révoltes paysannes. Nous quittons le tombeau du treizième empereur, pour le temple du troisième empereur Ming, le palais Zhengling. Temple de l'esprit de l'empereur. Cet empereur a déplacé la capitale de Nankin à Pékin. Le temple est un vaste espace au sol dallé de pierres carrées et dont le toit, au plafond de bois peint, est soutenu par quelque cinquante massives colonnes de bois... Nous rentrons par l'allée des statues de pierre (animaux et soldats semblables, mais plus nombreux, à ceux que nous avons vus à Nankin), Le Pavillon de la Stèle et les Grands Portiques...
Mardi 30 – Pékin.
... La fête du Premier Mai se prépare un peu partout : drapeaux rouges en quantité sur le toit des bâtiments, 12 ou 15 sur le toit de notre hôtel dont les marches du perron sont, depuis hier, couvertes de pots de géranium et de plantes vertes... Le boulevard est comme chaque jour très animé, beaucoup de piétons, quelques voitures et bus et une quantité de dyclistes qui vont au rythme paisible et lent que j'avais déjà remarqué le soir de notre premier séjour à Pékin. C'est d'ailleurs là une des constantes de la vie de ce peuple que ce rythme tout à fait particulier et qui paraît fort lent à l'Occidental. Que ce soit à la campagne, à l'usine et même l'autre soir les équipes sportives, masculine comme féminine, de Pékin, les Chinois ne paraissent jamais vraiment s'activer ; dans les ateliers comme aux champs ils s'arrêtent volontiers de travailler pour discuter, fumer une cigarette, regarder autour d'eux...
Nous passons la matinée à l'Institut des Minorités nationales et l'après-midi à divers achats dans la rue des antiquaires...
En sortant du restaurant nous décidons de marcher jusqu'à la place Tiananmen (Porte de la Paix Céleste). Des milliers de promeneurs occupent les trottoirs et la chaussée, toute la ville est éclairée... Sur la place les portraits, que nous avons vus un peu partout dans les salles de réception des usines, des fabriques, des communes populaire, des musées, sont reproduits à une échelle gigantesque. D'un côté Marx et Engels, de l'autre Lénine et Staline...
Jeudi 2 mai – Pékin.
La journée d'hier a été si chargée que je n'ai pas trouvé le temps d'en noter quoi que ce soit. Je dois dire que j'ai traversé cette journée de fête du 1er mai dans l'ahurissement le plus total. L'impression générale que j'en retire est d'avoir été guidé, pour ne pas dire gardé... L'ensemble de la fête du Premier Mai, qu'on peut confondre avec la fète du printemps, est dominé par le surgissement et la luminosité des couleurs – richesses de la nature. Les arbres qui ont leur feuilles mais n'ont pas encore de fleurs sont couverts de bouquets en papiers multicolores, on a ajouté fleurs et feuilles aux arbres qui n'en n'ont pas encore. Partout de grosses lanternes chinoises en boules rouge vif avec leurs franges de soie rouge et très souvent au-dessus ou à côté des lanternes, d'énormes paniers d'abondance où fruits et légumes, grandeur nature, sont reproduits en papiers de toutes couleurs... Aujourd'hui comme chaque jour les costumes sont bleus, verts, et gris avec ça et là quelques taches rouges ou blanches. De tout côté, spectacles, jeux, concerts sont proposés aux visiteurs...
Il y a au Palais d'Eté, comme aujourd'hui dans chaque parc de Pékin, plusieurs centaines de milliers de Chinois. Dès que les officiels ont fait leur apparition ceux qui ne savent pas de quoi il s'agit se rabattent massivement sur les bords du lac [Kunming Hu], ou tentent de traverser la masse qui se presse là pour aller plus élevé d'òu ils verraient mieux... Derrière le bateau de marbre, près de la porte Ouest, nous nous arrêtons à nouveau pour écouter la fin d'un poéra exécuté dans le style de jeu, de chant et de musique chinois. L'orchestre est entièrement composé de militaires et la troupe est vraisemblablement une troupe de l'armée...
Vendredi 3 mai – Pékin.
La journée est consacrée à l'université de Pékin, où entre deux 'causeries' comme disent les Chinois, nous déjeunerons sommairement de petits sandwichs. Nous faisons quelques pas dans le parc de l'Université jusqu'à la tombe d'E[dgar] Snow... Puis nous visitons la bibliothèque, visite de principe dans la mesure où nous ne pouvons pas demander qu'on nous traduise le titre de tous les livres et où nous sommes de toute façon incapaples de les lire... De tout le temps que dure notre visite nous ne voyons pas dix étudiants, ni un seul dazibao. Je pense qu'on nous tient gentiment à l'écart de ce qui se passe ici... Nous quittons l'Université vers 16 h 45. Nous n'avons rien appris et rien vu. Si ce n'est une tombe – domage. Nous rentrons à l'hôtel, préparer nos bagages. Nous quittons Pékin pour Paris demain matin à 9 heures...
  • Document: Pleynet, Marcelin. Le voyage en Chine : chronique du journal ordinaire, 11 avril - 3 mai 1974 : extraits. (Paris : Hachette, 1980). [Bericht seiner Reise 1974 mit Roland Barthes, Beijing, Shanghai, Nanjing, Luoyang, Xi'an, Beijing]. (Pley1, Publication)

Bibliography (2)

# Year Bibliographical Data Type / Abbreviation Linked Data
1 1974 Pleynet, Marcelin. Du discours sur la Chine. In : Tel quel ; 59 (automne 1974). Publication / Pley2
  • Cited by: Asien-Orient-Institut Universität Zürich (AOI, Organisation)
2 1980 Pleynet, Marcelin. Le voyage en Chine : chronique du journal ordinaire, 11 avril - 3 mai 1974 : extraits. (Paris : Hachette, 1980). [Bericht seiner Reise 1974 mit Roland Barthes, Beijing, Shanghai, Nanjing, Luoyang, Xi'an, Beijing]. Publication / Pley1
  • Cited by: Asien-Orient-Institut Universität Zürich (AOI, Organisation)

Secondary Literature (1)

# Year Bibliographical Data Type / Abbreviation Linked Data
1 2009 Pollack, Rachel. La Chine en rose ? : Tel Quel face à la Révolution culturelle.
http://www.dissidences.net/compl_vol8/Pollack.pdf
Web / Bart4