Yu Bin : En Chine, le nom d'André Malraux est beaucoup moins célèbre que celui de Sartre, Camus, Simone de Beauvoir etc., et même moins connu que celui d'Henri Barbusse et de Louis Aragon. Il n'a jamais été le centre d'intérêt du monde littéraire chinois, et aucune preuve n'atteste qu'un écrivain chinois ait été influencé par lui. Bien que plusieurs de ses ouvrages prennent la Chine comme fond historique, les lecteurs chinois le connaissent très peu. Les spécialistes de littérature française et de littérature comparée sont-ils ceux qui montrent le plus d'intérêt pour Malraux, mais dans ce cercle restreint, pendant longtemps, il n'arriva pas à attirer l'attention des chercheurs chinois. Les articles à son sujet se contentant pour la plupart de l'introduire sommairement. Actuellement, son nom apparaît souvent dans des revues, et attire l'attention d'une partie de lecteurs, mais ceux-ci s'intéressent évidemment plus à sa carrière légendaire qu'à son oeuvre, autrement dit, il revient à l'horizon des lecteurs chinois comme un romancier mythique, non comme un romancier célèbre. On peut presque être sûr que, dans le futur, l'oeuvre de Malraux romancier continuera à tomber dans l'oubli, alors que sa biographie sera mieux reçue que ses romans.
Les conquérants, La condition humaine et L'espoir traitent tous les grands événements historiques de ce siècle. Dans un contexte où la littérature occidentale contemporaine se tourne généralement vers « le petit monde » individuel, sa description du « grand monde » à la manière d'une quasi épopée semble éclatante. Bien que des romans s'écartent de temps en temps du réalisme traditionnel, sa technique est globalement réaliste. Il va sans dire que Malraux a des sympathies révolutionnaires. Cependant, il n'arrive pas à éviter la critique politique. A cette époque-là, Malraux était un personnage actif et politique, son attitutde était jugée en Chine non seulement douteuse, mais aussi pour ainsi dire réactionnaire. Evénements clés de l'histoire du Parti Communiste Chinois, la Grande Grève de Sheng Gang et le coup d'Etat du 12 avril 1927 sont des sujets historiques sérieux dont l'interprétation et l'évaluation sont déterminées par les résolutions des instances les plus élevés du P.P.C., et l'écriture littéraire doit s'y conformer. Plus le sujet traite de questions historiques, plus on sera exigeant envers son contenu idéologique. Même si Malraux a des sympathies révolutionnaires, il a évidemment interprêté la révolution chinoise à sa façon. Sans parler de la tradition chinoise évoquée ci-dessus, son interprétation ne pouvait absolument pas être acceptée. Donc, contrairement à ce que l'on pouvait imaginer, à cette époque particulière, choisir la révolution chinoise comme sujet, loin de susciter un accueil chaleureux, a créé un obstacle pour le rapprochement des lecteurs chinois.
« La littérature ample et puissante » de Malraux, compte tenu des mentalités de l'époque, paraît vide de sens, exagérée, et même hors de propos. En fait, l'oeuvre de Malraux ne manque ni d'interrogations existentielles (l'absurdité de la condition humaine est même son thème essentiel), ni de préoccupations individuelles ; pourtant, les lecteurs chinois préfèrent en découvrir le traitement manifeste chez Camus et Sartre que d'en chercher le noyau latent dans la symphonie révolutionnaire tapageuse de Malraux. D'autre part, comparé à Camus et aux écrivains du Nouveau Roman, Malraux semble conservateur et dépassé en matière d'art littéraire, n'offrant pas la fraîcheur suffisante et donc pas l'inspiration suffisante aux écrivains chinois. Lorsque les écrivains d'avant-garde se sont lancés dans diverses espérimentations artistiques, Malraux n'était sûrement pas un exemple à suivre : cela l'a condamné à l'anonymat en Chine.
Les chercheurs chinois semblent incapables de franchir le seuil du réalisme. Par exemple, ils lisent d'abord les deux romans Les conquérants et La condition humaine comme des récit de l'histoire révolutionnaire chinoise. Les Chinois s'obstinent à lire un roman comme s'ils lisaient l'histoire. Le réalisme européen, rapidement accepté dès son introduction en Chine, est devenu l'école principale, ceci étant évidemment lié à l'imprégnation de la tradition historique chinoise dans la littérature. Puisque les romans de Malraux se sont inspirés d'événements historiques importants de la révolution chinoise, les critiques chinois ont naturellement utilisé la règle réaliste. Ainsi, la première question à résoudre avant d'analyser et d'évaluer l'oeuvre de Malraux était celle-ci : « ses romans ont-ils reflété la vérité historique ? Et dans quelle mesure ? » Pourtant La réponse est décevante, car sa description de la révolution chinois lui est très personnelle. A l'exception de quelques noms de personnages vraisemblables, il n'y a presque aucun lien avec la réalité chinoise. Même si les noms réels de lieux, de personnages et des événements historiques servent de point de repère, les tableaux que Malraux a décrits, son contexte et ses personnages sont néanmoins difficiles à reconnaître pour les lecteur chinois. Il n'a presque pas décrit de vrai révolutionnaire, ni de vrai Chinois. Les figures de révolutionnaires et du peuple chinois sous sa plume sont vraiment lointaines de la réalité ».
On ne peut pas dire que Malraux n'avait aucun intérêt pour la Chine ; sa préoccupation pour la Chine avait un sens plutôt abstrait. Il a prêté une grande attention à la « condition humaine », mais « l'homme » ici signifie l'humanité, pas spécifiquement les Chinois, mais tout aussi bien les Occidentaux. Ce qui est significatif, c'est que son contexte et sa conscience des problèmes sont tous deux venus d'Occident. La preuve en est que les problèmes auxquels se trouvent confrontés ses personnages, tels que l'absurdité de la vie, la solitude de l'homme, l'incommunicabilité et le partage impossible des sentiments, etc., sont tous des problèmes symptomatiques de l'Occident moderne dont les Occidentaux ont pris une nette conscience et dont ils étaient très souvieux ; cependant, ce genre de problèmes était alors inconnu des Chinois.
Etant donné que le reste de la production littéraire de Malraux et ses mémoires n'ont pas encore été introduits à la Chine, il est difficile de prévoir son destin en Chine dans le futur.
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