Saint-John Perse. Anabase [ID D22453].
Sekundärliteratur
Lorand Gaspar : Le poème Anabase ne contient aucune référence précise à la Chine, pas plus qu'à la Mongolie extérieure. Bien sûr en le relisant parallèlement aux lettres écrites de Chine, il ne nous sera pas difficile de déceler dans ces dernières des suites d'images qui semblent préfigurer tel ou tel passage du poème.
Ce que Saint-John Perse connaissait et aimait de la civilisation chinoise je ne pouvais en avoir qu'une idée très approximative après avoir parcouru les livres de sa bibliothèque se rapportant à la Chine ; ceux du moins qui portent les traces matérielles d'une lecture approfonide.
Qian Linsen : Saint-John Perse dispose, à un jour de cheval de Pékin, sur une éminence dominant les premières pistes caravanières vers le Nord-Ouest, d'un petit temple taoïste désaffecté où il écrira Anabase. Dans ce petit temple de Tao Yu, imprégné d'une athmosphère de méditation, de sérénité, de vide, il se laisse pénétrer par l'esprit du taoïsme. Le poète se rend dans ce temple pour écrier, se recueillir, se ressourcer. Pour moi, le poète a été influencé dans deux domaines : 1. Il crée une image poétique totalement imprégnée de taoïsme, image qui symbolise le chercheur dans la quête infinie ; 2. son oeuvre s'inspire de principes esthétiques en harmonie avec l'esprit taoïste du vide.
Saint-John Perse appréciait tout spécialement Li Bo et Du Fu. Il annota leurs poèmes dans la traduction d’Arthur Waley et s'inspira de leur conception du vide. Bien entendu, son style n'est en rien comparable à celui des poètes de l'époque Tang, mais dans leur projet, les deux écritures s'apparentent : chez les poètes chinois la promenade quotidienne d'un ermite est en même temps rapport de l'homme avec le cosmos ; tout cheminiment matériel y est aussi cheminement spirituel et le paysage décrit est tout autant celui de monde extérieur que le paysage intérieur du sujet. C'est aussi ce qui se produit dans Anabase où le « grand pays d'herbages sans mémoires,... sans liens et sans anniversaires » qu'embrasse le temps de sa marche désigne tout à la fois le lieu de sa randonnée et l'espace intérieur de sa méditation, l'espace vide, incréé, informel, qu'il investit de sa pensée.
Mireille Sacotte : Ce que Saint-John Perse a découvert en Chine, ses lettres et sourtout les deux oeuvres qu'il en a rapportées Amitié du prince et Anabase le montrent bien, c'est la confrontation avec les grandes steppes de Mongolie et les abords du désert de Gobi, le désert qui a exercé sur lui « une fascination proche de l'hallucination, qui m'aura conduit spirituellement encore plus loin que je ne m'y attendais : aux frontières même de l'esprit. » Ce qu'il y a trouvé, c'est Anabase qui nous le raconte : un homme insatisfait des étroites limites temporelles et spatiales qui lui sont allouées de naissance voyage à la recherche de l'évasion véritable. Dans le vide du désert, il découvre, sous l'apparente immobilité, l'apparente stérilité, le mouvement et la fécondité qui animent le monde. Il y gagne la certitude que « la mort n'est point », que sous toutes les centres la braise palpite, que la puissance de la mer persiste à l'endroit le plus reculé des plus profonds déserts et il opère finalement sa jonction avec le mouvement en cours depuis la Création.
Dans « L'été plus vaste que l'Empire » au début du chant IV, cet Empire avec sa majuscule est assurément l'Empire du Milieu, la Chine ; mais il est tout autant l'Empire romain, référence omniprésente dans le texte de Saint-John Perse. La référence chinoise est et sera donc présente, toujours, jusqu'à « Chant pour un équinoxe », mais jamais seule, jamais vraiment déterminante, pas plus qu'aucune autre en tout cas.
Catherine Mayaux : Dans Anabase, c'est surtout dans la manière dont le conquérant édifie le monde au fur et à mesure qu'il chevauche que peut se lire la trace d'une inspiration taoïste dans l'écriture du poème. L'esprit taoïste de l'inspiration se marque tout particulièrement dans la fondation rituelle de la ville au Chant IV.
Les termes abstraits jouent le rôle du 'vide' dans le langage des poètes Tang : comme les 'mots vides' et les 'mots pleins' qu'utilisent en alternance ces derniers tout en jouant des ellipses, ce sont les mots abstrait qui, chez Saint-John Perse, introduisent, au coeur de l'expérience et du monde concret, l'appel ou la présence d'une autre dimension. La rencontre de cette forme ésthétique inspirée par le taoïsme pourrait en partie expliquer l'évolution de la poétique à partir d'Anabase. Mais le lexique abstrait dans et à partir d'Anabase, modifie le sens et la portée de la démarche poétique qui, d'évocation nostalgique dont les actants sont l'âme, l'esprit, les signes, le chant, le poème.
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