HomeChronology EntriesDocumentsPeopleLogin

Gobineau, Joseph Arthur de

(Ville-d'Avray 1816-1882 Turin) : Diplomat, Schriftsteller, Dramatiker, Historiker

Name Alternative(s)

Gobineau, Joseph Arthur comte de Les Pléiades

Subjects

Index of Names : Occident / Literature : Occident : France

Chronology Entries (4)

# Year Text Linked Data
1 1853-1855.2 Gobineau, Joseph Arthur de. Essai sur l'inégalité des races humaines [ID D20711].
Livre troisième : Chapitre V : Les Chinois. (1)
Je me trouve, d'abord, en dissentiment avec une idée assez généralement répandue. On incline à considérer la civilisation chinoise comme la plus ancienne du monde, et je n'en aperçois l'avènement qu'à une époque inférieure à l'aurore du brahmanisme, inférieure à la fondation des premiers empires chamites, sémites et égyptiens. Voici mes raisons. Il va sans dire que l'on ne discute plus les affirmations chronologiques et historiques des Tao-sse. Pour ces sectaires, les cycles de 300 000 années ne coûtent absolument rien. Comme ces périodes un peu longues forment le milieu où agissent des souverains à têtes de dragons, et dont les corps sont contournés en serpents monstrueux, ce qu'il y a de mieux à faire, c'est d'en abandonner l'examen à la philosophie, qui pourra y glaner quelque peu, mais d'en écarter, avec grand soin, l'étude des faits positifs.

La date la plus rationnelle où se placent les lettrés du Céleste Empire pour juger de leur état antique, c'est le règne de Tsin-chi-hoang-ti, qui, pour couper court aux conspirations féodales et sauver la cause unitaire dont il était le promoteur, voulut étouffer les anciennes idées, fit brûler la plupart des livres, et ne consentit à sauver que les annales de la dynastie princière de Tsin, dont lui-même descendait. Cet événement arriva 207 ans avant J.-C.

Depuis cette époque, les faits sont bien détaillés, suivant la méthode chinoise. Je n'en goûte pas moins l'observation d'un savant missionnaire, qui voudrait voir dans ces lourdes compilations un peu plus de critique européenne. Quoi qu'il en soit, à dater de ce moment, tout s'enchaîne tant bien que mal. Quand on veut remonter au-delà, il n'en est pas longtemps de même. Tant qu'on reste dans les temps rapprochés de Tsin-chi-hoang-ti, la clarté continue en s'affaiblissant. On remonte ainsi, de proche en proche, jusqu'à l'empereur Yaô. Ce prince régna cent et un ans, et son avènement est placé à l'an 2357 avant J.-C. Par delà cette époque, les dates, déjà fort conjecturales, sont remplacées par une complète incertitude. Les lettrés ont prétendu que cette fâcheuse interruption d'une chronique dont les matériaux, suivant eux, pourraient remonter aux premiers jours du monde, n'est que la conséquence de ce fameux incendie des livres, déploré de père en fils, et devenu un des beaux sujets d'amplification que la rhétorique chinoise ait à commandement. Mais, à mon gré, ce malheur ne suffit pas pour expliquer le désordre des premières annales. Tous les peuples de l'ancien monde ont eu leurs livres brûlés, tous ont perdu la chaîne systématique de leurs dynasties en tant que les livres primitifs devaient en être les dépositaires, et cependant tous ces peuples ont conservé assez de débris de leur histoire pour que, sous le souffle vivifiant de la critique, le passé se relève, se remue, ressuscite, et, se dévoilant peu à peu, nous montre une physionomie à coup sûr bien ancienne, bien différente des temps dont nous avons la tradition. Chez les Chinois, rien de semblable. Aussitôt que les temps positifs cessent, le crépuscule s'évanouit, et de suite on arrive, non pas aux temps mythologiques, comme partout ailleurs, mais à des chronologies inconciliables, à des absurdités de l'espèce la plus plate, dont le moindre défaut est de ne rien contenir de vivant.

Puis, à côté de cette nullité prétentieuse de l'histoire écrite, une absence complète et bien significative de monuments. Ceci appartient au caractère de la civilisation chinoise. Les lettrés sont grands amateurs d'antiquités, et les antiquités manquent ; les plus anciennes ne remontent pas au delà du VIIIe siècle après J.-C. De sorte que, dans ce pays stable par excellence, les souvenirs figurés, statues, vases, instruments, n'ont rien qui puisse être comparé, pour l'ancienneté, avec ce que notre Occident si remué, si tourmenté, si ravagé et transformé tant de fois, peut cependant étaler avec une orgueilleuse abondance. La Chine n'a matériellement rien conservé qui nous reporte même de loin, à ces époques extravagantes ou quelques savants du dernier siècle se réjouissaient de voir l'histoire s'enfoncer en narguant les témoignages mosaïques.

Laissons donc de côté les concordances impossibles des différents systèmes suivis par les lettrés pour fixer les époques antérieures à Tsin-chi-hoang-ti, et ne recueillons que les faits appuyés de l'assentiment des autres peuples, ou portant avec eux une suffisante certitude.

Les Chinois nous disent que le premier homme fut Pon-kou. Le premier homme, disent-ils ; mais ils entourent cet être primordial de telles circonstances qu'évidemment il n'était pas seul dans le lieu où ils le font apparaître. Il était entouré de créatures inférieures à lui, et ici on se demande s'il n'avait pas affaire à ces fils de singes, ces hommes jaunes dont la singulière vanité se complaisait à réclamer une si brutale origine.

Le doute se change bientôt en certitude. Les historiens indigènes affirment qu'à l'arrivée des Chinois, les Miao occupaient déjà la contrée, et que ces peuples étaient étrangers aux plus simples notions de sociabilité. Ils vivaient dans des trous, dans des grottes, buvaient le sang des animaux qu'ils attrapaient à la course, ou bien, à défaut de chair crue, mangeaient de l'herbe et des fruits sauvages. Quant à la forme de leur gouvernement, elle ne démentait pas tant de barbarie. Les Miao se battaient à coups de branches d'arbres, et le plus vigoureux restait le maître jusqu'à ce qu'il en vînt un plus fort que lui. On ne rendait aucun, honneur aux morts. On se contentait de les empaqueter dans des branches et des herbages, on les liait au milieu de ces espèces de fagots, et on les cachait sous des buissons .

Je remarquerai, en passant, que voilà bien, dans une réalité historique, l'homme primitif de la philosophie de Rousseau et de ses partisans ; l'homme qui, n'ayant que des égaux, ne peut aussi fonder qu'une autorité transitoire dont une massue est la légitimité, genre de droit assez souvent frappé de défaveur devant des esprits un peu libres et fiers. Malheureusement pour l'idée révolutionnaire, si cette théorie rencontre une preuve chez les Miao et chez les noirs, elle n'a pas encore réussi à la découvrir chez les blancs, où nous ne pouvons apercevoir une aurore privée des clartés de l'intelligence.

Pan-Kou, au milieu de ces fils de singes, fut donc regardé, et j'ose le dire, avec pleine raison, comme le premier homme. La légende chinoise ne nous fait pas assister à sa naissance. Elle ne nous le montre pas créature, mais bien créateur, car elle déclare expressément qu'il commença à régler les rapports de l'humanité. D'où venait-il, puisque, à la différence de l'Adam de la Genèse, de l'autochtone, phénicien et athénien, il ne sortait pas du limon ? Sur ce point la légende se tait ; cependant, si elle ne sait pas nous apprendre où il est né, elle nous indique, du moins, où il est mort et où il fut enterré : c'est, dit-elle, dans la province méridionale de Honan.

Cette circonstance n'est pas à négliger, et il faut la rapprocher, sans retard, d'un renseignement très clairement articulé par le Manava-Dharma-Sastra. Ce code religieux des Hindous, compilé à une époque postérieure à la rédaction des grands poèmes, mais sur des documents incontestablement fort anciens, déclare, d'une manière positive, que le Maha-Tsin, le grand pays de la Chine, fut conquis par des tribus des kschattryas réfractaires qui, après avoir passé le Gange et erré pendant quelque temps dans le Bengale, traversèrent les montagnes de l'est et se répandirent dans le sud du Céleste Empire, dont ils civilisèrent les peuples .

Ce renseignement acquiert beaucoup plus de poids encore venant des brahmanes que s'il émanait d'une autre source. On n'a pas la moindre raison de supposer que la gloire d'avoir civilisé un territoire différent du leur, par une branche de leur nation, ait eu de quoi tenter leur vanité et égarer leur bonne foi. Du moment qu'on sortait de l'organisation voulue chez eux, on leur devenait odieux, on était coupable à tous les chefs et renié ; et, de même qu'ils avaient oublié leurs liens de parenté avec tant de nations blanches, ils en auraient fait autant de ceux-là, si la séparation s'était opérée à une époque relativement basse et dans un temps où, la civilisation de l'Inde étant déjà fixée, il n'y avait plus moyen de ne pas apercevoir un fait aussi considérable que le départ et la colonisation séparatiste d'un nombre important de tribus appartenant à la seconde caste de l'État. Ainsi, rien n'infirme, tout appuie, au contraire, le témoignage des lois de Manou, et il en résulte que la Chine, à une époque postérieure aux premiers temps héroïques de l'Inde, a été civilisée par une nation immigrante de la race hindoue, kschattrya, ariane, blanche, et, par conséquent, que Pan-Kou, ce premier homme que, tout d'abord, on est surpris de voir défini en législateur par la légende chinoise, était ou l'un des chefs, ou le chef, ou la personnification d'un peuple blanc venant opérer en Chine, dans le Honan, les mêmes merveilles qu'un rameau également hindou avait, antérieurement, préparées dans la vallée supérieure du Nil.

Dès lors s'expliquent aisément les relations très anciennes de l'Inde avec la Chine, et l'on n'a plus besoin, pour les commenter, de recourir à l'hypothèse aventurée d'une navigation toujours difficile. La vallée du Brahmapoutra et celle qui, longeant le cours de l'Irawaddy, enferme les plaines et les nombreux passages du pays des Birmans, offraient aux vratyas du Ho-nan des chemins déjà bien connus, puisqu'il avait jadis fallu les suivre pour quitter l'Aryavarta.

Ainsi, en Chine, comme en Égypte, à l'autre extrémité du monde asiatique, comme dans toutes les régions que nous avons déjà parcourues jusqu'ici, voilà un rameau blanc chargé par la Providence d'inventer une civilisation. Il serait inutile de chercher à se rendre compte du nombre de ces Arians réfractaires qui, dès leur arrivée dans le Ho-nan, étaient probablement mélangés et déchus de leur pureté primitive. Quelle que fût leur multitude, petite ou grande, leur tâche civilisatrice n'en était pas moins possible. Ils avaient, par suite de leur alliance, des moyens d'agir sur les masses jaunes. Puis, ils n'étaient pas les seuls rejetons de la race illustre adressés vers ces contrées lointaines, et ils devaient s'y associer d'anciens parents aptes à concourir, à aider à leur œuvre.

Aujourd'hui, dans les hautes vallées qui bordent le grand Thibet du côté du Boutan, on rencontre, tout aussi bien que sur les crêtes neigeuses, des contrées situées plus à l'ouest, des tribus très faibles, très clairsemées, pour la plupart étrangement mêlées, à la vérité, qui cependant accusent une descendance ariane. Perdues, comme elles le sont, au milieu des débris noirs et jaunes de toute provenance, on est en droit de comparer ces peuplades à tels morceaux de quartz qui, entraînés par les eaux, contiennent de l'or et viennent de fort loin. Peut-être les orages ethniques, les catastrophes des races les ont-elles portées là où leur espèce elle-même n'avait jamais apparu. Je ne me servirai donc pas de ces détritus par trop altérés, et je me borne à constater leur existence.

Mais, beaucoup plus avant dans le nord, nous apercevons, à une époque assez récente, vers l'an 177 avant J.-C., de nombreuses nations blanches à cheveux blonds ou rouges, à yeux bleus, cantonnées sur les frontières occidentales de la Chine. Les écrivains du Céleste Empire, à qui l'on doit la connaissance de ce fait, nomment cinq de ces nations. Remarquons d'abord la position géographique qu'elles occupaient à l'époque où elles nous sont révélées.

Les deux plus célèbres sont les Yue-tchi et les Ou-soun. Ces deux peuples habitaient au nord du Hoang-ho, sur la limite du désert de Gobi.

Venaient ensuite, à l'est des Ou-soun, les Khou-te.

Plus haut, au nord des Ou-soun, à l'ouest du Baïkal, étaient les Tingling.

Les Kian-kouans, ou Ha-kas, succédaient à ces derniers et dépassaient le Yénisseï.

Enfin, plus au sud, dans la contrée actuelle du Kaschgar, au delà du Thian-chan, s'étendaient les Chou-le ou Kin-tcha, que suivaient les Yan-Thsai, Sarmates-Alains, dont le territoire allait jusqu'à la met Caspienne.

De cette façon, à une époque relativement rapprochée de nous, puisque c'est au IIe siècle avant notre ère, et après tant de grandes migrations de la race blanche qui auraient dû épuiser l'espèce, il en restait encore, dans l'Asie centrale, des branches assez nombreuses et assez puissantes pour enserrer le Thibet et le nord de la Chine, de sorte que non seulement le Céleste Empire possédait, au sein des provinces du sud, des nations arianes-hindoues immigrantes à l'époque où commence son histoire, mais, de plus, il est bien difficile de ne pas admettre que les antiques peuples blancs du nord et de l'ouest, fuyant la grande irruption de leurs ennemis jaunes, n'aient pas été souvent rejetés sur la Chine et forcés de s'unir à ses populations originelles. Ce n'eût été, dans l'est de l'Asie, que la répétition de ce qui s'était fait au sud-ouest par les Chamites, les enfants de Sem et les Arians hellènes et zoroastriens. En tout cas, il est hors de doute que ces populations blanches des frontières orientales se montraient, à une époque très ancienne, beaucoup plus compactes qu'elles ne le pouvaient être aux débuts de notre ère. Cela suffit pour démontrer la vraisemblance, la nécessité même de fréquentes invasions et partant de fréquents mélanges.

Je ne doute pas toutefois que l'influence des kschattryas du sud n'ait été d'abord dominante. L'histoire l'établit suffisamment. C'est au sud que la civilisation jeta ses premières racines, c'est de là qu'elle s'étendit dans tous les sens.

On ne s'attend pas sans doute à trouver, dans des kschattryas réfractaires, des propagateurs de la doctrine brahmanique. En effet, le premier point qu'ils devaient rayer de leurs codes, c'était la supériorité d'une caste sur toutes les autres, et, pour être logiques, l'organisation même des castes. D'ailleurs, comme les Égyptiens, ils avaient quitté le gros des nations arianes à une époque où peut-être le brahmanisme lui-même n'avait pas encore complètement développé ses principes. On ne trouve donc rien en Chine qui se rattache directement au système social des Hindous ; cependant, si les rapports positifs font défaut, il n'en est pas de même des négatifs. On en rencontre de cette espèce qui donnent lieu à des rapprochements assez curieux.

Quand, pour cause de dissentiments théologiques, les nations zoroastriennes se séparèrent de leurs parents, elles leur témoignèrent une haine qui se manifesta par l'attribution du nom vénéré des dieux brahmaniques aux mauvais esprits et par d'autres violences de même sorte. Les kschattryas de la Chine, déjà mêlés au sang des jaunes, paraissent avoir considéré les choses sous un aspect plutôt mâle que féminin, plutôt politique que religieux, et, de ce point de vue, ils ont fait une opposition tout aussi vive que les Zoroastriens. C'est en se mettant au rebours des idées les plus naturelles qu'ils ont manifesté leur horreur contre la hiérarchie brahmanique.

Ils n'ont pas voulu admettre de différence de rangs, ni de situations pures ou impures résultant de la naissance. Ils ont substitué à la doctrine de leurs adversaires l'égalité absolue. Cependant, comme ils étaient poursuivis, malgré eux et en vertu de leur origine blanche, par l'idée indestructible d'une inégalité annexée à la race, ils conçurent la pensée singulière d'anoblir les pères par leurs enfants, au lieu de rester fidèles à l'antique notion de l'illustration des enfants par la gloire des pères. Impossible de voir dans cette institution, qui relève, suivant le mérite d'un homme, un certain nombre des générations ascendantes, un système emprunté aux peuples jaunes. Il ne se trouve nulle part chez eux, que là où la civilisation chinoise l'a importé. En outre, cette bizarrerie répugne à toute idée réfléchie, et, même en se mettant au point de vue chinois, elle est encore absurde. La noblesse est une prérogative honorable pour qui la possède. Si l'on veut la faire adhérer uniquement au mérite, il n'est pas besoin de lui créer un rang à part dans l'État en la forçant de monter ou de descendre autour de la personne qui en jouit. Si, au contraire, on se préoccupe de lui créer une suite, une conséquence étendue à la famille de l'homme favorisé, ce n'est pas à ses aïeux qu'il faut l'appliquer, puisqu'ils n'en peuvent jouir. Autre raison très forte : il n'y a aucune espèce d'avantage, pour celui qui reçoit une telle récompense, à en parer ses ancêtres, dans un pays où tous les ancêtres sans distinction, étant l'objet d'un culte officiel et national, sont assez respectés et même adorés. Un titre de noblesse rétrospectif n'ajoute donc que peu de chose aux honneurs dont ils jouissent. Ne cherchons pas, en conséquence, dans l'idée chinoise ce qu'elle a l'air de donner, mais bien une opposition aux doctrines brahmaniques, dont les kschattryas immigrants avaient horreur et qu'ils voulaient combattre. Le fait est d'autant plus incontestable, qu'à côté de cette noblesse fictive les Chinois n'ont pu empêcher la formation d'une autre, qui est très réelle et qui se fonde, comme partout ailleurs, sur les prérogatives de la descendance. Cette aristocratie est composée des fils, petits-fils et agnats des maisons impériales, de ceux de Confucius, de ceux de Meng-tseu, et encore de plusieurs autres personnages vénérés. À la vérité, cette classe fort nombreuse ne possède que des privilèges honorifiques ; cependant elle a, par cela seul qu'on la reconnaît, quelque chose d'inviolable, et prouve très bien que le système à rebours placé à ses côtés est une invention artificielle tout à fait contraire aux suggestions naturelles de l'esprit humain, et résultant d'une cause spéciale.

Cet acte de haine pour les institutions brahmaniques me semble intéressant à relever. Mis en regard de la scission zoroastrienne et des autres événements insurrectionnels accomplis sur le sol même de l'Inde, il prouve toute la résistance que rencontra l'organisation hindoue et les répulsions irréconciliables qu'elle souleva. Le triomphe des brahmanes en est plus grand.

Je reviens à la Chine. Si l'on doit signaler comme une institution anti-brahmanique, et, par conséquent, comme un souvenir haineux pour la mère patrie, la création de la noblesse rétroactive, il n'est pas possible d'assigner la même origine à la forme patriarcale choisie par le gouvernement de l'empire du Milieu. Dans une conjoncture aussi grave que le choix d'une formule politique, comme il s'agit de satisfaire, non pas à des théories de personnes, ni à des idées acquises, mais à ce que les besoins des races, qui, combinées ensemble, forment l’État, réclament le plus impérieusement, il faut que ce soit la raison publique qui juge et décide, admette ou retienne en dernier ressort ce qu'on lui propose, et l'erreur ne dure jamais qu'un temps. À la Chine, la formule gouvernementale n'ayant reçu, dans le cours des siècles, que des modifications partielles sans être jamais atteinte dans son essence, elle doit être considérée comme conforme à ce que voulait le génie national.

Le législateur prit pour type de l'autorité le droit du père de famille. Il établit comme un axiome inébranlable que ce principe était la force du corps social, et que, l'homme pouvant tout sur les enfants mis au monde, nourris et élevés par lui, de même le prince avait pleine autorité sur ses sujets, que, comme des enfants, il surveille, garde et défend dans leurs intérêts et dans leurs vies. Cette notion, en elle-même, et si on l'envisage d'une certaine façon, n'est pas, à proprement parler, chinoise. Elle appartient très bien à la race ariane, et, précisément, parce que, dans cette race, chaque individu isolé possédait une importance qu'il ne paraît jamais avoir eue dans les multitudes inertes des peuples jaune et noir, l'autorité de l'homme complet, du père de famille, sur ses membres, c'est-à-dire sur les personnes groupées autour de son foyer, devait être le type du gouvernement.

Où l'idée s'altère aussitôt que le sang arian se mêle à d'autres espèces qu'à des blancs, c'est dans les conséquences diverses tirées de ce premier principe. – Oui, disait l'Arian hindou, ou sarmate, ou grec, ou perse, ou mède, et même le Celte, oui, l'autorité paternelle est le type du gouvernement politique ; mais c'est cependant par une fiction que l'on rapproche ces deux faits. Un chef d'État n'est pas un père : il n'en a ni les affections ni les intérêts. Tandis qu'un chef de famille ne veut que très difficilement, et par une sorte de renversement des lois naturelles, le mal de sa progéniture, il se peut fort bien faire que, sans même être coupable, le prince dirige les tendances de la communauté d'une façon trop nuisible aux besoins particuliers de chacun, et, dès lors, la valeur de l'homme arian, sa dignité est compromise ; elle n'existe plus ; l'Arian n'est plus lui-même : ce n'est plus un homme.

Voilà le raisonnement par lequel le guerrier de race blanche arrêtait tout court le développement de la théorie patriarcale, et, en conséquence, nous avons vu les premiers rois des États hindous n'être que des magistrats électifs, pères de leurs sujets dans un sens très restreint et avec une autorité fort surveillée. Plus tard, le rajah prit des forces. Cette modification dans la nature de sa puissance ne se réalisa que lorsqu'il commanda bien moins à des Arians qu'à des métis, qu'à des noirs, et il eut d'autant moins la main libre qu'il voulut faire agir son sceptre sur des sujets plus blancs. Le sentiment politique de la race ariane ne répugne donc pas absolument à la fiction patriarcale : seulement, il la commente d'une façon précautionneuse.

Ce n'est pas, du reste, chez les seuls Arians hindous que nous avons déjà observé l'organisation des pouvoirs publics. Les États de l'Asie antérieure et la civilisation du Nil nous ont offert également l'application de la formule patriarcale. Les modifications qui y furent apportées à l'idée primitive se montrent non seulement très différentes de ce qu'on voit en Chine, elles le sont beaucoup aussi de ce qui s'observa dans l'Inde. Beaucoup moins libérale que dans ce dernier pays, la notion du gouvernement paternel était commentée par des populations étrangères aux sentiments raisonnables et élevés de la race dominante. Elle ne put être l'expression d'un despotisme paisible comme en Chine, parce qu'il s'agissait de dompter des multitudes mal disposées pour comprendre l'utile, et ne se courbant que devant la force brutale. La puissance fut donc, en Assyrie, terrible, impitoyable, armée du glaive, et se piqua surtout de se faire obéir. Elle n'admit pas la discussion et ne se laissa pas limiter. L'Égypte ne parut pas aussi rude. Le sang arian maintint là une ombre de ses prétentions, et les castes, moins parfaites que dans l'Inde, s'entourèrent pourtant, surtout les castes sacerdotales, de certaines immunités, de certains respects qui, ne valant pas ceux de l'Aryavarta, gardaient encore quelque reflet des nobles exigences de l'espèce blanche. Quant à la population noire, elle fut constamment traitée par les Pharaons comme la tourbe qui lui était parente l'était sur l'Euphrate, le Tigre, et aux bords de la Méditerranée.

La formule patriarcale, s'adressant à des nègres, n'eut donc affaire qu'à des vaincus insensibles à tout autre argument qu'à ceux de la violence, elle devint lourdement, absolument despotique, sans pitié, sans limite, sans relâche, sans restriction, si ce n'est la révolte sanguinaire.

En Chine, la seconde partie de la formule fut bien différente. À coup sûr, la famille ariane qui l'apportait n'avait pas lieu de se dessaisir des droits et des devoirs du conquérant civilisateur pour proclamer sa conclusion propre. Ce n'était pas plus possible que tentant ; mais la conclusion noire ne fut pas adoptée non plus, par cette raison que les populations indigènes avaient un autre naturel et des tendances bien spéciales.

Le mélange malais, c'est-à-dire le produit du sang noir mêlé au type jaune, était l'élément que les kschattryas immigrants avaient à dompter, à assujettir, à civiliser, en se mêlant à lui. Il est à croire que, dans cet âge, la fusion des deux races inférieures était loin d'être aussi complète qu'on le voit aujourd'hui, et que, sur bien des points du midi de la Chine, où les civilisateurs hindous opéraient, des tribus, des fragments de tribus ou même des individualités de chaque espèce demeuraient encore à peu près pures et tenaient en échec le type opposé. Cependant il ressortait de ce mélange imparfait des besoins, des sentiments, en bloc très analogues à ceux qui ont pu se produire plus tard comme résultats d'une fusion achevée, et les blancs se voyaient là aux prises avec des nécessités d'un ordre tout différent de celles auxquelles leurs congénères vainqueurs dans l'Asie occidentale avaient été forcés de se plier.

La race malaise, je l'ai déjà définie : sans être susceptible de grands élans d'imagination, elle n'est pas hors d'état de comprendre les avantages d'une organisation régulière et coordonnée. Elle a des goûts de bien-être, comme l'espèce jaune tout entière, et de bien-être exclusivement matériel. Elle est patiente, apathique, et subit aisément la loi, s'arrangeant, sans difficulté, de façon à en tirer les avantages qu'un état social comporte, et à en subir la pression sans trop d'humeur.

Avec des gens animés de pareilles dispositions, il n'y avait pas lieu à ce despotisme violent et brutal qu'amenèrent la stupidité des noirs et l'avilissement graduel des Chamites, devenus trop près parents de leurs sujets et participant à leurs incapacités. Au contraire, en Chine, quand les mélanges eurent commencé à énerver l'esprit arian, il se trouva que ce noble élément, à mesure qu'en se subdivisant il se répandait dans les masses, relevait d'autant les dispositions natives des peuples. Il ne leur donnait pas, assurément, sa souplesse, son énergie généreuse, son goût de la liberté. Toutefois, il confirmait leur amour instinctif de la règle, de l'ordre, leur antipathie pour les abus d'imagination. Qu'un souverain d'Assyrie se plongeât dans des cruautés exorbitantes, que, pareil à ce Zohak ninivite dont la tradition persane raconte les horreurs, il nourrît de la chair et du sang de ses sujets les serpents bourgeonnants sur son corps, le peuple en souffrait, sans doute ; mais comme les têtes s'exaltaient devant de tels tableaux ! Comme, au fond, le Sémite comprenait bien l'exagération passionnée des actes de la toute-puissance et comme la férocité la plus dépravée en grandissait encore à ses yeux l'image gigantesque ! Un prince doux et tranquille risquait, chez lui, de devenir un objet de dédain.

Les Chinois ne concevaient pas ainsi les choses. Esprits très prosaïques, l'excès leur faisait horreur, le sentiment public s'en révoltait, et le monarque qui s'en rendait coupable perdait aussitôt tout prestige et détruisait tout respect pour son autorité.

Il arriva donc, en ce pays, que le principe du gouvernement fut le patriarcat, parce que les civilisateurs étaient Arians, que son application fut le pouvoir absolu, parce que les Arians agissaient en vainqueurs et en maîtres au milieu de populations inférieures ; mais que, dans la pratique, l'absolutisme du souverain ne se manifesta ni par des traits d'orgueil surhumain, ni par des actes de despotisme repoussant, et se renferma entre des limites généralement étroites, parce que le sens malais n'appelait pas de trop grosses démonstrations d'arrogance, et que l'esprit arian, en se mêlant à lui, y trouvait un fond disposé à comprendre de mieux en mieux que le salut d'un État est dans l'observance des lois, aussi bien sur les hauteurs sociales que dans les bas-fonds.

Voilà le gouvernement de l'empire du Milieu organisé. Le roi est le père de ses sujets, il a droit à leur soumission entière, il devient pour eux le mandataire de la Divinité, et on ne l'approche qu'à genoux. Ce qu'il veut, il le peut théoriquement ; mais, dans la pratique, s'il veut une énormité, il a bien de la peine à l'accomplir. La nation se montre irritée, les mandarins font entendre des représentations, les ministres, prosternés aux pieds du trône impérial, gémissent tout haut des aberrations du père commun, et le père commun, au milieu de ce tolle général, reste le maître de pousser sa fantaisie jusqu'au bout, à la seule condition de rompre avec ce qu'on lui a appris, dès l'enfance, à tenir pour sacré et inviolable. Il se voit isolé et n'ignore pas que, s'il continue dans la route où il s'engage, l'insurrection est au bout.

Les annales chinoises sont éloquentes sur ce sujet. Dans les premières dynasties, ce qu'on raconte des méfaits des empereurs réprouvés aurait paru bien véniel aux historiens d'Assyrie, de Tyr ou de Chanaan. J'en veux donner un exemple.

L'empereur Yeou-wang, de la dynastie de Tcheou, qui monta sur le trône 781 ans avant J.-C., régna trois ans sans qu'on eût aucun reproche grave à lui faire. La troisième année, il devint amoureux d'une fille nommée Pao-sse, et s'abandonna sans réserve à la fougue de ce sentiment. Pao-sse lui donna un fils, qu'il nomma Pe-fou, et qu'il voulut instituer prince héritier à la place de l'aîné, Y-kieou. Pour y parvenir, il exila l'impératrice et son fils, ce qui mit le comble au mécontentement déjà éveillé par une conduite qui n'était pas conforme aux rites. De tous côtés l'opposition éclata.

Les grands de l'empire firent assaut d'observations respectueuses auprès de l'empereur. On demanda, de toutes parts, l'éloignement de Pao-sse, on l'accusa d'épuiser l’État par ses dépenses, de détourner le souverain de ses devoirs. Des satires violentes couraient de toutes parts, répétées par les populations. De leur côté, les parents de l'impératrice s'étaient réfugiés, avec elle, chez les Tartares, et on s'attendait à une invasion de ces terribles voisins, crainte qui n'augmentait pas peu la fureur générale. L'empereur aimait éperdument Pao-sse et ne cédait pas.

Toutefois, comme à son tour il redoutait, non sans raison, l'alliance des mécontents avec les hordes de la frontière, il réunit des troupes, les plaça dans des positions convenables, et ordonna qu'en cas d'alarme on allumât des feux et battît du tambour, auquel signal tous les généraux auraient à accourir, avec leur monde, pour tenir tête à l'ennemi.

Pao-sse était d'un caractère très sérieux. L'empereur se consumait perpétuellement en efforts pour attirer sur ses lèvres un sourire. C'était grand hasard quand il y réussissait, et rien ne lui était plus agréable. Un jour, une panique soudaine se répandit partout, les gardiens des signaux crurent que les cavaliers tartares avaient franchi les limites et approchaient ; ils mirent promptement le feu aux bûchers qu'on avait préparés, et aussitôt tous les tambours de battre. À ce bruit, princes et généraux, rassemblant leurs troupes, accoururent ; on ne voyait que gens en armes, se hâtant deçà et delà et demandant où était l'ennemi, que personne ne voyait, puisqu'il n'existait pas et que l'alerte était fausse.

Il paraît que les visages animés des chefs et leurs attitudes belliqueuses parurent souverainement ridicules à la sérieuse Pao-sse, car elle se mit à rire. Ce que voyant, l'empereur se déclara au comble de la joie. Il n'en fut pas de même des graves plastrons de tant de bonne humeur. Ils se retirèrent profondément blessés, et la fin de l'histoire est que, lorsque les Tartares parurent pour de bon, personne ne vint au signal, l'empereur fut pris et tué, Pao-sse enlevée, son fils dégradé, et tout rentra dans l'ordre sous la domination d'Y-kieou, qui prit la couronne sous le nom de Ping-wang.

En voilà assez pour montrer combien, en fait, l'autorité absolue des empereurs était limitée par l'opinion publique et par les mœurs ; et c'est ainsi que l'on a toujours vu, en Chine, la tyrannie n'apparaître que comme un accident constamment détesté, réprimé, et qui ne se perpétue guère, parce que le naturel de la race gouvernée ne s'y prête pas. L'empereur est, sans doute, le maître des États du Milieu, voire, par une fiction plus hardie, du monde entier, et tout ce qui se refuse à son obéissance est, par cela même, réputé barbare et en dehors de toute civilisation. Mais, tandis que la chancellerie chinoise s'épuise en formules de respect lorsqu'elle s'adresse au Fils du ciel, l'usage ne permet pas à celui-ci de s'exprimer, sur son propre compte, d'une manière aussi pompeuse. Son langage affecte une extrême modestie : le prince se représente comme au-dessous, par son petit mérite et sa vertu médiocre, des sublimes fonctions que son auguste père a confiées à son insuffisance. Il conserve toute la phraséologie douce et affectueuse du langage domestique, et ne manque pas une occasion de protester de son ardent amour pour le bien de ses chers enfants : ce sont ses sujets.

L'autorité est donc, de fait, assez bornée, car je n'ai pas besoin de dire que, dans cet empire, dont les principes gouvernementaux n'ont jamais varié, quant à l'essentiel, ce qui était considéré comme bon autrefois est devenu, pour cela seul, meilleur aujourd'hui. La tradition est toute-puissante, et c'est déjà une tyrannie, dans un empereur, que de s'éloigner, pour le moindre détail, de l'usage suivi par les ancêtres. Bref, le Fils du ciel peut tout, à condition de ne rien vouloir que de déjà connu et approuvé.

Il était naturel que la civilisation chinoise, s'appuyant, à son début, sur des peuples malais, et plus tard sur des agglomérations de races jaunes, mélangées de quelques Arians, fût invinciblement dirigée vers l'utilité matérielle. Tandis que, dans les grandes civilisations du monde antique occidental, l'administration proprement dite et la police n'étaient que des objets fort secondaires et à peine ébauchés, ce fut, en Chine, la grande affaire du pouvoir, et on rejeta tout à fait sur l'arrière-plan les deux questions qui ailleurs l'emportaient : la guerre et les relations diplomatiques.

On admit en principe éternel que, pour que l'État se maintînt dans une situation normale, il fallait que les vivres s'y trouvassent abondamment, que chacun pût se vêtir, se nourrir et se loger ; que l'agriculture reçût des encouragements perpétuels, non moins que l'industrie ; et, comme moyen suprême d'arriver à ces fins, il fallait par-dessus tout une tranquillité solide et profonde, et des précautions minutieuses contre tout ce qui était capable d'émouvoir les populations ou de troubler l'ordre. Si la race noire avait exercé quelque action influente dans l'empire, il n'est pas douteux que nul de ces préceptes n'eût tenu longtemps. Les peuples jaunes, au contraire, gagnant chaque jour du terrain, et comprenant l'utilité de cet ordre de choses, ne trouvaient rien en eux qui n'appréciât vivement le bonheur matériel dans lequel on voulait les ensevelir. Les théories philosophiques et les opinions religieuses, ces brandons ordinaires de l'incendie des États, restèrent à jamais sans force devant l'inertie nationale, qui, bien repue de riz et avec son habit de coton sur le dos, ne se soucia pas d'affronter le bâton des hommes de police pour la plus grande gloire d'une abstraction .

Le gouvernement chinois laissa prêcher tout, affirmer tout, enseigner les absurdités les plus monstrueuses, à la condition que rien, dans les nouveautés les plus hardies, ne tendrait à un résultat social quelconque. Aussitôt que cette barrière menaçait d'être franchie, l'administration agissait sans pitié et réprimait les innovations avec une sévérité inouïe, confirmée par les dispositions constantes de l'opinion publique.

Dans l'Inde, le brahmanisme avait installé, lui aussi, une administration bien supérieure à ce que les États chamites, sémites ou égyptiens possédèrent jamais. Cependant, cette administration n'occupait pas le premier rang dans l'État, où les préoccupations créatrices de l'intelligence réclamaient la meilleure part de l'attention. Il ne faut donc pas s'étonner si le génie hindou, dans sa liberté, dans sa fierté, dans son, goût pour les grandes choses et dans ses théories surhumaines, ne regardait, en définitive, les intérêts matériels que comme un point secondaire. Il était, d'ailleurs, sensiblement encouragé dans une telle opinion par les suggestions de l'alliage noir. À la Chine, l'apogée fut donc atteint en matière d'organisation matérielle, et, en tenant compte de la différence des races, qui nécessite des procédés différents, il me semble qu'on peut admettre que, sous ce rapport, le Céleste Empire obtint des résultats beaucoup plus parfaits et surtout plus continus qu'on ne le voit dans les pays de l'Europe moderne, depuis que les gouvernements se sont particulièrement appliqués à cette branche de la politique. En tout cas, l'empire romain n'y est pas comparable.

Cependant, il faut aussi en convenir, c'est un spectacle sans beauté et sans dignité. Si cette multitude jaune est paisible et soumise, c'est à la condition de rester, à tout jamais, privée des sentiments étrangers à la plus humble notion de l'utilité physique. Sa religion est un résumé de pratiques et de maximes qui rappellent fort bien ce que les moralistes genevois et leurs livres d'éducation se plaisent à recommander comme le nec plus ultra du bien : l'économie, la retenue, la prudence, l'art de gagner et de ne jamais perdre. La politesse chinoise n'est qu'une application de ces principes. C'est, pour me servir du mot anglais, un cant perpétuel, qui n'a nullement pour raison d'être, comme la courtoisie de notre moyen âge, cette noble bienveillance de l'homme libre envers ses égaux, cette déférence pleine de gravité envers les supérieurs, cette affectueuse condescendance envers les inférieurs ; ce n'est qu'un devoir social, qui, prenant sa source dans l'égoïsme le plus grossier, se traduit par une abjecte prosternation devant les supérieurs, un ridicule combat de cérémonies avec les égaux et une arrogance avec les inférieurs qui s'augmente dans la proportion où décroît le rang de ceux-ci. La politesse est ainsi plutôt une invention formaliste, pour tenir chacun à sa place, qu'une inspiration du cœur. Les cérémonies que chacun doit faire, dans les actes les plus ordinaires de la vie, sont réglées par des lois tout aussi obligatoires et aussi rigoureuses que celles qui portent sur des sujets en apparence plus essentiels.

La littérature est une grande affaire pour le Chinois. Loin de se rendre, comme partout ailleurs, un moyen de perfectionnement, elle est devenue, au contraire, un agent puissant de stagnation. Le gouvernement se montre grand ami des lumières ; il faut seulement savoir comment lui et l'opinion publique l'entendent. Dans les 300 millions d'âmes, attribués généralement à l'empire du Milieu, qui, suivant la juste expression de M. Ritter, compose à lui seul un monde, il est très peu d'hommes, même dans les plus basses classes, qui ne sachent lire et écrire suffisamment pour les besoins ordinaires de la vie, et l'administration a soin que cette instruction soit aussi générale que possible. La sollicitude du pouvoir va encore au delà. Il veut que chaque sujet connaisse les lois ; on prend toutes les mesures nécessaires pour qu'il en soit ainsi. Les textes sont mis à la portée de tout le monde, et, de plus, des lectures publiques s'exécutent aux jours de nouvelle lune, afin de bien inculquer aux sujets les prescriptions essentielles, telles que les devoirs des enfants envers leurs parents et, partant, des citoyens envers l'empereur et les magistrats. De cette façon, le peuple chinois est, très certainement, ce qu'on appelle, de nos jours, plus avancé que nos Européens. Dans l'antiquité asiatique, grecque et romaine, la pensée d'une comparaison ne peut pas même se présenter.

Ainsi, instruit dans le plus indispensable, le bas peuple comprend que la première chose pour arriver aux fonctions publiques, c'est de se rendre capable de subir les examens. Voilà encore un puissant encouragement à apprendre. On apprend donc. Et quoi ? On apprend ce qui est utile, et là est l'infranchissable point d'arrêt. Ce qui est utile, c'est ce qui a toujours été su et pratiqué, ce qui ne peut donner matière à discussion. Il faut apprendre, mais ce que les générations précédentes ont su avant vous, et comme elles l'ont su : toute prétention à créer du nouveau, dans ce sens, conduirait l'étudiant à se voir repousser de l'examen, et, s'il s'obstinait, à un procès de trahison où personne ne lui ferait grâce. Aussi n'est-il personne qui se risque à de tels hasards, et, dans ce champ de l'éducation et de la science chinoises, si constamment, si exemplairement labouré, il n'y a pas la moindre chance qu'une idée inconnue lève jamais la tête. Elle serait arrachée sur l'heure avec indignation .

Dans la littérature proprement dite, le bout-rimé et toutes les distractions ingénieusement puériles qui y ressemblent, sont tenues en grand honneur. Des élégies assez douces, des descriptions de la nature plus minutieuses que pittoresques, bien que non sans grâce, voilà le meilleur. Le réellement bon, c'est le roman. Ces peuples sans imagination ont beaucoup d'esprit d'observation et de finesse, et telle production issue de ces deux qualités rappelle chez eux, et peut-être en les dépassant, les œuvres anglaises destinées à peindre la vie du grand monde. Là s'arrête le vol de la muse chinoise. Le drame est mal conçu et assez plat. L'ode à la façon de Pindare n'a jamais passé par l'esprit de cette nation rassise. Quand le poète chinois se bat les flancs pour échauffer sa verve, il se jette à plein corps dans les nuages, fait intervenir les dragons de toute couleur, s'essouffle, et ne saisit rien que le ridicule.
2 1853-1855.1 Gobineau, Joseph Arthur de. Essai sur l'inégalité des races humaines [ID D20711].
Livre troisième : Chapitre IV : La race jaune.

À mesure que les tribus hindoues se sont plus avancées vers l'est, et qu'après avoir longé les monts Vyndhias, elles ont dépassé le Gange et le Brahmapoutra pour pénétrer dans le pays des Birmans, nous les avons vues se mettre en contact avec des variétés humaines que l'occident de l'Asie ne nous avait pas encore fait connaître. Ces variétés, non moins multipliées dans leurs nuances physiques et morales que les différences déjà constatées chez l'espèce nègre, nous sont une nouvelle raison d'admettre, par analogie, que la race blanche eut aussi, comme les deux autres, ses séparations propres, et que non seulement il exista des inégalités entre elle et les hommes noirs et ceux de la nouvelle catégorie que j'aborde, mais encore que, dans son propre sein, la même loi exerça son influence, et qu'une diversité pareille distingua ses tribus et les disposa par étages.

Une nouvelle famille, très bigarrée de formes, de physionomie et de couleur, très spéciale dans ses qualités intellectuelles, se présente à nous aussitôt que nous sortons du Bengale en marchant vers l'est, et comme des affinités évidentes réunissent à cette avant-garde de vastes populations marquées de son cachet, il nous faut adopter, pour tout cet ensemble, un nom unique, et, malgré les différences qui le fractionnent, lui attribuer une dénomination commune. Nous nous trouvons en face des peuples jaunes, troisième élément constitutif de la population du monde.

Tout l'empire de la Chine, la Sibérie, l'Europe entière, à l'exception, peut-être, de ses extrémités les plus méridionales, tels sont les vastes territoires dont le groupe jaune se montre possesseur aussitôt que des émigrants blancs mettent le pied dans les contrées situées à l'ouest, au nord ou à l'est des plateaux glacés de l’Asie centrale.

Cette race est généralement petite, certaines même de ses tribus ne dépassent pas les proportions réduites des nains. La structure des membres, la puissance des muscles sont loin d'égaler ce que l'on voit chez les blancs. Les formes du corps sont ramassées, trapues, sans beauté ni grâce, avec quelque chose de grotesque et souvent de hideux. Dans la physionomie, la nature a économisé le dessin et les lignes. Sa libéralité s'est bornée à l'essentiel : un nez, une bouche, de petits yeux sont jetés dans des faces larges et plates, et semblent tracés avec une négligence et un dédain tout à fait rudimentaires. Évidemment, le Créateur n'a voulu faire qu'une ébauche. Les cheveux sont rares chez la plupart des peuplades. On les voit cependant, et comme par réaction, effroyablement abondants chez quelques-unes et descendant jusque dans le dos ; pour toutes, noirs, roides, droits et grossiers comme des crins. Voilà l'aspect physique de la race jaune .

Quant à ses qualités intellectuelles, elles ne sont pas moins particulières, et font une opposition si tranchée aux aptitudes de l'espèce noire, qu'ayant donné à cette dernière le titre de féminine, j'applique à l'autre celui de mâle, par excellence. Un défaut absolu d'imagination, une tendance unique à la satisfaction des besoins naturels, beaucoup de ténacité et de suite appliqué à des idées terre à terre ou ridicules, quelque instinct de la liberté individuelle, manifesté, dans le plus grand nombre des tribus, par l'attachement à la vie nomade, et, chez les peuples les plus civilisés, par le respect de la vie domestique ; peu ou point d'activité, pas de curiosité d'esprit, pas de ces goûts passionnés de parure, si remarquables chez les nègres : voilà les traits principaux que toutes les branches de la famille mongole possèdent, en commun, à des degrés différents. De là, leur orgueil profondément convaincu et leur médiocrité non moins caractéristique, ne sentant rien que l'aiguillon matériel, et ayant trouvé dès longtemps le moyen d'y satisfaire. Tout ce qui se fait en dehors du cercle étroit qu'elles connaissent leur paraît insensé, inepte, et ne leur inspire que pitié. Les peuples jaunes sont beaucoup plus contents d'eux-mêmes que les nègres, dont la grossière imagination, constamment en feu, rêve à tout autre chose qu'au moment présent et aux faits existants.

Mais, il faut aussi en convenir, cette tendance générale et unique vers les choses humblement positives, et la fixité de vues, conséquence de l'absence d'imagination, donnent aux peuples jaunes plus d'aptitude à une sociabilité grossière que les nègres n'en possèdent. Les plus ineptes esprits, n'ayant, pendant des siècles, qu'une seule pensée dont rien ne les distrait, celle de se nourrir, de se vêtir et de se loger, finissent par obtenir, dans ce genre, des résultats plus complets que des gens qui, naturellement non moins stupides, sont encore dérangés sans cesse, des réflexions qui pourraient leur venir, par des fusées d'imagination. Aussi les peuples jaunes sont-il devenus assez habiles dans quelques métiers, et ce n'est pas sans surprise qu'on les voit, dès l'antiquité la plus haute, laisser, comme marque irréfragable de leur présence dans une contrée, des traces d'assez grands travaux de mines. C'est là, pour ainsi dire, le rôle antique et national de la race jaune. Les nains sont des forgerons, sont des orfèvres, et de ce qu'ils ont possédé une telle science et l'ont conservée à travers les siècles jusqu'à nos jours (car, à l'est des Tongouses orientaux et sur les bords de la mer d'Ochotsk, les Doutcheris et d'autres peuplades ne sont pas des forgerons moins adroits que les Permiens des chants scandinaves), il faut conclure que, de tout temps, les Finnois se sont trouvés, au moins, propres à former la partie passive de certaines civilisations .

D'où venaient ces peuples ? Du grand continent d'Amérique. C'est la réponse de la physiologie comme de la linguistique ; c'est aussi ce qu'on doit conclure de cette observation, que, dès les époques les plus anciennes, avant même ce que nous nommons les âges primitifs, des masses considérables de populations jaunes s'étaient accumulées dans l'extrême nord de la Sibérie, et de là avaient prolongé leurs campements et leurs hordes jusque très avant dans le monde occidental, donnant sur leurs premiers ancêtres des renseignements fort peu honorables.

Elles prétendaient descendre des singes, et s'en montraient très satisfaites. Il n'est dès lors pas étonnant que l'épopée hindoue, ayant à dépeindre les auxiliaires aborigènes de l'héroïque époux de Sita dans sa campagne contre Ceylan, nous dise tout simplement que ces auxiliaires étaient une armée de singes. Peut-être, en effet, Rama, voulant combattre les peuples noirs du sud du Dekkhan, eut-il recours à quelques tribus jaunes campées sur les contreforts méridionaux de l'Himalaya.

Quoi qu'il en puisse être, ces nations étaient fort nombreuses, et quelques déductions bien claires de points déjà connus vont l'établir à l'instant.

Ce n'est pas un fait nécessaire à prouver, car il l'est surabondamment, que les nations blanches ont toujours été sédentaires, et, comme telles, n'ont jamais quitté leurs demeures que par contrainte. Or, le plus ancien séjour connu de ces nations étant le haut plateau de l'Asie centrale, si elles l'ont abandonné, c'est qu'on les en a chassées. Je comprends bien que certaines branches, parties seules, isolément, pourraient être considérées comme ayant été victimes de leurs congénères, et battues, violentées par des parents. Je l'admettrai pour les tribus helléniques et pour les zoroastriennes ; mais je ne saurais étendre ce raisonnement à la totalité des migrations blanches. La race entière n'a pas dû s'expulser de chez elle dans tout son ensemble, et cependant on la voit se déplacer, pour ainsi dire, en masse et presque en même temps, avant l'an 5000. À cette époque et dans les siècles qui en sont le plus rapprochés, les Chamites, les Sémites, les Arians, les Celtes et les Slaves désertent également leurs domaines primitifs. L'espèce blanche s'échappe de tous côtés, s'en va de toutes parts, et certes dans une telle dissolution, qui finit par laisser ses plaines natales aux mains des jaunes, il est difficile de voir autre chose que le résultat d'une pression des plus violentes opérée par ces sauvages sur son faisceau primordial.

D'un autre côté, l'infériorité physique et morale des multitudes conquérantes est si claire et si constatée, que leur invasion et la victoire finale qui en démontre la force, ne peuvent avoir leur source ailleurs que dans le très grand nombre des individus agglomérés dans ces bandes. Il n'est, dès lors, pas douteux que la Sibérie regorgeait de populations finnoises, et c'est aussi ce que va démontrer bientôt un ordre de preuves qui, cette fois, appartient à l'histoire. Pour le moment, poursuivant le rayon de clarté que la comparaison de la vigueur relative des races jette sur les événements de ces temps obscurs, je ferai remarquer encore que, si l'on admet la victoire des nations jaunes sur les blanches et la dispersion de ces dernières, il faudra aussi s'accommoder de l'alternative suivante :

Ou bien le territoire des nations blanches s'étendait beaucoup vers le nord et très peu vers l'est, atteignant au moins, dans la première direction, l'Oural moyen, et, dans l'autre, ne dépassant pas le Kouen-loun, ce qui semblerait impliquer un certain développement vers les steppes du nord-ouest ;

Ou bien ces peuples, ramassés sur les crêtes du Mouztagh, dans les plaines élevées qui suivent immédiatement, et dans les trois Thibets, n'existaient qu'en nombre très faible et dans une proportion compatible avec l'étendue médiocre de ces territoires et les ressources alimentaires fort réduites, presque nulles, qu'ils peuvent offrir.

Je vais d'abord expliquer comment je me vois contraint de tracer ces limites ; ensuite j'établirai par quelle raison il faut repousser la seconde hypothèse et s'attacher fortement à la première.

J'ai dit que la race jaune se montrait en possession primordiale de la Chine, et, en outre, que le type noir à tête prognathe et laineuse, l'espèce pélagienne, remontait jusqu'au Kouen-loun, d'une part, et, de l'autre côté, jusqu'à Formose , au japon et par delà. Aujourd'hui même des populations de ce genre habitent ces pays reculés.

Voir le nègre établi si avant dans l'intérieur de l'Asie a déjà été pour nous la grande preuve de l’alliance, en quelque sorte, originelle des Chamites et des Sémites avec ces peuples d'essence inférieure ; j'ai dit originelle, parce que l'alliance fut évidemment contractée avant la descente des envahisseurs dans les pays mésopotamiques de l'Euphrate et du Tigre.

Maintenant, en nous transportant des plaines de la Babylonie à celles de la Chine, nous trouverons un spécimen des résultats gradués du mélange des deux espèces noire et jaune dans ces métis qui habitent le Yun-nan, et que Marco-Polo appelle les Zerdendam. En allant plus loin, nous rencontrerons encore cette autre famille, non moins marquée des caractères de l'alliage, qui couvre la province chinoise du Fo-kien, et enfin nous tomberons au milieu des nuances innombrables de ces groupes cantonnés dans les provinces méridionales du Céleste Empire, dans l'Inde transgangétique, dans les archipels de la mer des Indes, depuis Madagascar jusqu'à la Polynésie, et depuis la Polynésie jusqu'aux rives occidentales de l’Amérique, atteignant l'île de Pâques .

Ainsi la race noire a embrassé tout le sud de l'ancien monde et envahi fortement sur le nord, tandis que la jaune, se rencontrant avec elle à l'orient de l'Asie, y contractait un hymen fécond dont les rejetons occupent tous les amas d'îles prolongés dans la direction du pôle austral. Si l'on réfléchit que le centre, le foyer de l'espèce mélanienne est l'Afrique, et que c'est de là que s’est opérée sa diffusion principale, et, en outre, que la race jaune, en même temps que ses métis possédaient les îles, allait aussi se reproduisant au nord et à l'est de l'Asie et dans toute l'Europe, on en conclura que la famille blanche, pour ne pas se perdre et disparaître au milieu des variétés inférieures, devait unir à la puissance de son génie et de son courage la garantie du nombre, bien qu'à un moindre degré, sans doute, que ses adversaires.

Nous ne pouvons même essayer le dénombrement des masses chamites et sémites qui descendirent, par les passages de l’Arménie, dans les régions du sud et de l'ouest. Mais, du moins, considérons le nombre énorme des mélanges qui s'en firent avec la race noire, jusque par delà les plaines de l'Éthiopie, et, au nord, sur toute la côte d'Afrique, au delà de l'Atlas, tendant vers le Sénégal ; regardons les produits de ces hymens peuplant l'Espagne, la basse Italie, les îles grecques, et nous serons en situation de nous persuader que l'espèce blanche ne se limitait pas à quelques tribus. Nous en devons décider ainsi d'autant plus sûrement, qu'aux multitudes que je viens d'énumérer il convient d'ajouter encore les nations arianes de toutes les branches méridionales, et les Celtes, et les Slaves, et les Sarmates, et d'autres peuples sans célébrité, mais nullement sans influence, qui restèrent au milieu des jaunes.

La race blanche était donc aussi fort prolifique, et puisque les deux espèces noire et finnoise ne lui permettaient pas de dépasser le Mouztagh et l'Altaï à l'est, l'Oural à l'ouest, resserrée dans de telles limites, elle s'étendait, au nord, jusque vers le cours moyen de l'Amour, le lac Baïkal et l'Obi.

Les conséquences de cette disposition géographique sont considérables et vont, tout à l'heure, trouver leurs applications.

J'ai constaté les facultés pratiques de la race jaune. Toutefois, en lui reconnaissant des aptitudes supérieures à celles de la noire pour les basses fonctions d'une société cultivée, je lui ai refusé la capacité d'occuper un rang glorieux sur l'échelle de la civilisation, et cela parce que son intelligence, bornée autrement, ne l'est pas moins étroitement que celle des nègres, et parce que son instinct de l'utile est trop peu exigeant.

Il faut relâcher quelque chose de la sévérité de ce jugement lorsqu'il s'agit, non plus de l'espèce jaune, non plus du type noir, mais du métis des deux familles, le Malais. Que l'on prenne, en effet, un Mongol, un habitant de Tonga-Tabou et un nègre pélagien ou hottentot, l'habitant de Tonga-Tabou, tout inculte qu'il soit, montrera certainement un type supérieur.

Il semblerait que les défauts des deux races se sont balancés et modérés dans le produit commun, et que, plus d'imagination relevant l'esprit, tandis qu'un sentiment moins faux de la réalité restreignait l'imagination, il en est résulté plus d'aptitude à comparer, à saisir, à conclure. Le type physique a éprouvé aussi d'heureuses modifications. Les cheveux du Malais sont durs et revêches, à la vérité ; mais, enclins à se crêper, ils ne le font pas ; le nez est plus formé que chez les Kalmouks. Pour quelques insulaires, à Tahiti par exemple, il devient presque semblable au nez droit de la race blanche. L’œil n'est plus toujours relevé à l'angle externe. Si les pommettes restent saillantes, c'est que ce trait est commun aux deux races génératrices. Les Malais sont, du reste, on ne peut plus différents entre eux. Suivant que le sang noir ou jaune domine dans la formation d'une tribu, les caractères physiques et moraux s'en ressentent. Les alliages postérieurs ont augmenté cette extrême variabilité de types. En somme, deux signes, nettement distinctifs, demeurent à toutes ces familles, comme un présent de leur double origine : plus intelligentes que le nègre et l'homme jaune, elles ont gardé de l'un l'implacable férocité, de l'autre l'insensibilité glaciale .

J'ai achevé ce qu'il y avait à dire sur les peuples qui figurent dans l'histoire de l'Asie orientale, il est maintenant à propos de passer à l'examen de leur civilisation. Le plus haut degré s'en rencontre en Chine. C'est là qu'est, tout à la fois, le point de départ de leur culture et sa plus originale expression : c'est donc là qu'il convient de l'étudier.
3 1853-1855.3 Gobineau, Joseph Arthur de. Essai sur l'inégalité des races humaines [ID D20711].
Livre troisième : Chapitre V : Les Chinois. (2)

La philosophie, et surtout la philosophie morale, objet d'une grande prédilection, ne consiste qu'en maximes usuelles, dont l'observance parfaite serait assurément fort méritoire, mais qui, par la manière puérilement obscure et sèchement didactique dont elles sont exposées et déduites, ne constituent pas une branche de connaissances très dignes d'admiration. Les gros ouvrages scientifiques donnent lieu à plus d'éloges.

À la vérité, ces compilations verbeuses manquent de critique. L'esprit de la race jaune n'est ni assez profond, ni assez sagace pour saisir cette qualité réservée à l'espèce blanche. Toutefois, on peut encore beaucoup apprendre et recueillir dans les documents historiques. Ce qui a trait aux sciences naturelles est quelquefois précieux, surtout par l'exactitude de l'observation et la patience des artistes à reproduire les plantes et les animaux connus. Mais il ne faut pas s'attendre à des théories générales. Quand la fantaisie vague d'en créer passe par l'esprit des lettrés, ils tombent aussitôt au-dessous de la niaiserie. On ne les verra pas, comme les Hindous ou les peuples sémitiques, inventer des fables qui, dans leur incohérence, sont du moins grandioses ou séduisantes. Non : leur conception restera uniquement lourde et pédantesque. Ils vous conteront gravement, comme un fait incontestable, la transformation du crapaud en tel ou tel animal. Il n'y a rien à dire de leur astronomie. Elle peut fournir quelques lueurs aux travaux difficiles des chronologistes, sans que sa valeur intrinsèque, corrélative à celle des instruments qu'elle emploie, cesse d'être très médiocre. Les Chinois l'ont reconnu eux-mêmes par leur estime pour les missionnaires jésuites. Ils les chargeaient de redresser leurs observations et de travailler même à leurs almanachs.

En somme, ils aiment la science dans sa partie d'application immédiate. Pour ce qui est grand, sublime, fécond, d'une part, ils ne peuvent y atteindre, de l'autre, ils le redoutent et l'excluent avec soin. Des savants très appréciés à Pékin auraient été Trissotin et ses amis.

Pour avoir eu, trente ans, des yeux et des oreilles ;
Pour avoir employé neuf à dix mille veilles
À savoir ce qu'ont dit les autres avant eux.

Le sarcasme de Molière ne serait pas compris dans un pays où la littérature est tombée en enfance aux mains d'une race dont l'esprit arian s'est complètement noyé dans les éléments jaunes, race composite, pourvue de certains mérites qui ne renferment pas ceux de l'invention et de la hardiesse.

En fait d'art, il y a moins à approuver encore. Je parlais, tout à l'heure, de l'exactitude des peintres de fleurs et de plantes. On connaît, en Europe, la délicatesse de leur pinceau. Dans le portrait, ils obtiennent aussi des succès honorables, et, assez habiles à saisir le caractère des physionomies, ils peuvent lutter avec les plats chefs-d’œuvre du daguerréotype. Puis, c'est là tout. Les grandes peintures sont bizarres, sans génie, sans énergie, sans goût. La sculpture se borne à des représentations monstrueuses et communes. Les vases ont les formes qu'on leur connaît. Cherchant le bizarre et l'inattendu, leurs bronzes sont conçus dans le même sentiment que leurs porcelaines. Pour l'architecture, ils préfèrent à tout ces pagodes à huit étages dont l'invention ne vient pas complètement d'eux, ayant quelque chose d'hindou dans l'ensemble ; mais les détails leur en appartiennent, et, si l'œil qui ne les a pas encore observées peut être séduit par la nouveauté, il se dégoûte bientôt de cette uniformité excentrique. Dans ces constructions, rien n'est solide, rien n'est en état de braver les siècles. Les Chinois sont trop prudents et trop bons calculateurs pour employer à la construction d'un édifice plus de capitaux qu'il n'est besoin. Leurs travaux les plus remarquables ressortent tous du principe d'utilité : tels les innombrables canaux dont l'empire est traversé, les digues, les levées pour prévenir les inondations, surtout celles du Hoang-ho. Nous retrouvons là le Chinois sur son véritable terrain. Répétons-le donc une dernière fois : les populations du Céleste Empire sont exclusivement utilitaires ; elles le sont tellement, qu'elles ont pu admettre, sans danger, deux institutions qui paraissent peu compatibles avec tout gouvernement régulier : les assemblées populaires réunies spontanément pour blâmer ou approuver la conduite des magistrats et l'indépendance de la presse. On ne prohibe, en Chine, ni la libre réunion, ni la diffusion des idées. Il va sans dire, toutefois, que lorsque l'abus se montre, ou, pour mieux dire, que si l'abus se montrait, la répression serait aussi prompte qu'implacable, et aurait lieu sous la direction des lois contre la trahison.

On en conviendra : quelle solidité, quelle force n'a pas une organisation sociale qui peut permettre de telles déviations à son principe et qui n'a jamais vu sortir de sa tolérance le moindre inconvénient !

L'administration chinoise a atteint, dans la sphère des intérêts matériels, à des résultats auxquels nulle autre nation antique ou moderne n'est jamais parvenue ; instruction populaire partout propagée, bien-être des sujets, liberté entière dans la sphère permise, développements industriels et agricoles des plus complets, production aux prix les plus médiocres, et qui rendraient toute concurrence européenne difficile avec les denrées de consommation ordinaire, comme le coton, la soie, la poterie. Tels sont les résultats incontestables dont le système chinois peut se vanter.

Il est impossible ici de se défendre de la réflexion que, si les doctrines de ces écoles que nous appelons socialistes venaient jamais à s'appliquer et à réussir dans les États de l'Europe, le nec plus ultra du bien serait d'obtenir ce que les Chinois sont parvenus à immobiliser chez eux. Il est certain, dans tous les cas, et il faut le reconnaître à la gloire de la logique, que les chefs de ces écoles n'ont pas le moins du monde repoussé la condition première et indispensable du succès de leurs idées, qui est le despotisme. Ils ont très bien admis, comme les politiques du Céleste Empire, qu'on ne force pas les nations à suivre une règle précise et exacte, si la loi n'est pas armée, en tout temps, d'une complète et spontanée initiative de répression. Pour introniser leur régime, ils ne se refuseraient pas à tyranniser. Le triomphe serait à ce prix, et une fois la doctrine établie, l'universalité des hommes aurait la nourriture, le logement, l'instruction pratique assurés. Il ne serait plus besoin de s'occuper des questions posées sur la circulation du capital, l'organisation du crédit, le droit au travail et autres détails.

Il y a, sans doute, quelque chose, en Chine, qui semble répugner aux allures des théories socialistes. Bien que démocratique dans sa source, puisqu'il sort des concours et des examens publics, le mandarinat est entouré de bien des prérogatives et d'un éclat gênant pour les idées égalitaires. De même, le chef de l'État, qui, en principe, n'est pas nécessairement issu d'une maison régnante (car, dans les temps anciens, règle toujours présente, plus d'un empereur n'a été proclamé que pour son mérite), ce souverain, choisi parmi les fils de son prédécesseur et sans égard à l'ordre de naissance, est trop vénéré et placé trop haut au-dessus de la foule. Ce sont là, en apparence, autant d'oppositions aux idées sur lesquelles bâtissent les phalanstériens et leurs émules.

Cependant, si l'on consent à y réfléchir, on verra que ces distinctions ne sont que des résultats auxquels M. Fourrier et Proudhon, chefs d'État, seraient eux-mêmes amenés bientôt. Dans des pays où le bien-être matériel est tout et où, pour le conserver, il convient de retenir la foule entre les limites d'une organisation stricte, la loi, immuable comme Dieu (car si elle ne l'était pas, le bien-être public serait sans cesse exposé aux plus graves revirements), doit finir, un jour ou l'autre, par participer aux respects rendus à l'intelligence suprême. Ce n'est plus de la soumission qu'il faut à une loi si préservatrice, si nécessaire, si inviolable, c'est de l'adoration, et on ne saurait aller trop loin dans cette voie. Il est donc naturel que les puissances qu'elle institue pour répandre ses bienfaits et veiller à son salut, participent du culte qu'on lui accorde ; et comme ces puissances sont bien armées de toute sa rigueur, il est inévitable qu'elles sauront se faire rendre ce qu'elles ne seront pas les dernières à juger leur être dû.

J'avoue que tant de bienfaits, conséquences de tant de conditions, ne me paraissent pas séduisants. Sacrifier sur la huche du boulanger, sur le seuil d'une demeure confortable, sur le banc d'une école primaire, ce que la science a de transcendantal, la poésie de sublime, les arts de magnifique, jeter là tout sentiment de dignité humaine. abdiquer son individualité dans ce qu'elle a de plus précieux : le droit d'apprendre et de savoir, de communiquer à autrui ce qui n'était pas su auparavant, c'est trop, c'est trop donner aux appétits de la matière. Je serais bien effrayé de voir un tel genre de bonheur menacer nous ou nos descendants, si je n'étais rassuré par la conviction que nos générations actuelles ne sont pas encore capables de se plier à de pareilles jouissances au prix de pareils sacrifices. Nous pouvons bien inventer des alcorans de toutes sortes ; mais cette féconde variabilité, à laquelle je suis loin d'applaudir, a les revers de ses défauts. Nous ne sommes pas gens capables de mettre en pratique tout ce que nous imaginons. À nos plus hautes folies d'autres succèdent, qui les font négliger. Les Chinois s'estimeront encore les premiers administrateurs du monde, qu'oublieux de toutes propositions de les imiter, nous aurons passé à quelque nouvelle phase de nos histoires, hélas ! si bariolées !

Les annales du Céleste Empire sont uniformes. La race blanche, auteur premier de la civilisation chinoise, ne s'est jamais renouvelée d'une manière suffisante pour faire dévier de leurs instincts naturels des populations immenses. Les adjonctions qui se sont accomplies, à différentes époques, ont généralement appartenu à un même élément, à l'espèce jaune. Elles n'ont apporté presque rien de nouveau, elles n'ont fait que contribuer à étendre les principes blancs en les délayant dans des masses d'autre nature et de plus en plus fortes. Quant à elles-mêmes, trouvant une civilisation conforme à leurs instincts, elles l'ont embrassée volontiers et ont toujours fini par se perdre au sein de l'océan social, où leur présence n'a, cependant, pas laissé que de déterminer plusieurs perturbations légères, qu'il n'est pas impossible de démêler et de constater. Je vais l'essayer en reprenant les choses de plus haut.

Lorsque les Arians commencèrent à civiliser les mélanges noirs et jaunes, autrement dit malais, qu'ils trouvèrent en possession des provinces du sud, ils leur portèrent, ai-je dit, le gouvernement patriarcal, forme susceptible de différentes applications, restrictives ou extensives. Nous avons vu que cette forme, appliquée aux noirs, dégénère rapidement en despotisme dur et exalté, et que, chez les Malais, et surtout chez les peuples plus purement jaunes, si le despotisme est entier, il est, au moins, tempéré dans son action et forcé de s'interdire les excès inutiles, faute d'imagination chez les sujets pour en être plus effrayés qu'irrités, pour les comprendre et les tolérer. Ainsi s'explique la constitution particulière de la royauté en Chine.

Mais un rapport général de la première constitution politique de ce pays avec les organisations spéciales de tous les rameaux blancs, rapport curieux que je n'ai pas encore fait ressortir, c'est l'institution fragmentaire de l'autorité et sa dissémination en un grand nombre de souverainetés plus ou moins unies par le lien commun d'un pouvoir suprême. Cette sorte d'éparpillement de forces, nous l'avons vue en Assyrie, où les Chamites, puis les Sémites, fondèrent tant d'États isolés sous la suzeraineté, reconnue ou contestée, suivant les temps, de Babylone et de Ninive ; dissémination si extrême, qu'après les revers des descendants de Salomon il se créa trente-deux États distincts dans les seuls débris des conquêtes de David, du côté de l'Euphrate . En Égypte, avant Ménès, le pays était également divisé entre plusieurs princes, et il en fut de même du côté de l'Inde, où le caractère arian s'était toujours mieux conservé. Une complète réunion territoriale de la contrée n'eut jamais lieu sous aucun prince brahmanique.

En Chine, il en alla autrement, et c'est une nouvelle preuve de la répugnance du génie arian pour l'unité dont, suivant l'expression romaine, l'action se résume dans ces deux mots : reges et greges.

Les Arians, vainqueurs orgueilleux dont on ne fait pas facilement des sujets, voulurent, toutes les fois qu'ils se trouvèrent maîtres des races inférieures, ne pas laisser aux mains d'un seul d'entre eux les jouissances du commandement. En Chine, donc, comme dans toutes les autres colonisations de la famille, la souveraineté du territoire fut fractionnée, et sous la suzeraineté précaire d'un empereur une féodalité, jalouse de ses droits, s'installa et se maintint depuis l'invasion des Kschattryas jusqu'au règne de Tsin-chi-hoang-ti, l'an 246 avant J.-C., autrement dit, aussi longtemps que la race blanche conserva assez de virtualité pour garder ses aptitudes principales. Mais, aussitôt que sa fusion avec les familles malaise et jaune fut assez prononcée pour qu'il ne restât pas de groupes même à demi blancs, et que la masse de la nation chinoise se trouva élevée de tout ce dont ces groupes jusque-là dominateurs avaient été diminués pour être rabaissés et confondus avec elle, le système féodal, la domination hiérarchisée, le grand nombre des petites royautés et des indépendances de personnes, n'eurent plus nulle raison d'exister, et le niveau impérial passa sur toutes les têtes, sans distinction.

Ce fut de ce moment que la Chine se constitua dans sa forme actuelle . Cependant la révolution de Tsin-chi-hoang-ti ne faisait qu'abolir la dernière trace apparente de la race blanche, et l'unité du pays n'ajoutait rien à ses formes gouvernementales, qui restaient patriarcales comme ci-devant. Il n'y avait de plus que cette nouveauté, grande d'ailleurs en elle-même, que la dernière trace de l'indépendance, de la dignité personnelle, comprises à la manière ariane, avait disparu à jamais devant les envahissements définitifs de l'espèce jaune .

Autre point encore. Nous avons d'abord vu la race malaise recevant dans le Yun-nan les premières leçons des Arians en s'alliant avec eux ; puis, par les conquêtes et les adjonctions de toute nature, la famille jaune s'augmenta rapidement et finit par ne pas moins neutraliser, dans le plus grand nombre des provinces de l'empire, les métis mélaniens, qu'elle ne transformait, en la divisant, la vertu de l'espèce blanche. Il en résulta pendant quelque temps un défaut d'équilibre manifesté par l'apparition de quelques coutumes tout à fait barbares.

Ainsi, dans le nord, des princes défunts furent souvent enterrés avec leurs femmes et leurs soldats, usages certainement empruntés à l'espèce finnoise. On admit aussi que c'était une grâce impériale que d'envoyer un sabre à un mandarin disgracié pour qu'il pût se mettre à mort lui-même. Ces traces de dureté sauvage ne tinrent pas. Elles disparurent devant les institutions restées de la race blanche et ce qui survivait encore de son esprit. À mesure que de nouvelles tribus jaunes se fondaient dans le peuple chinois, elles en prenaient les mœurs et les idées. Puis, comme ces idées se trouvaient désormais partagées par une plus grande masse, elles allaient diminuant de force, elles s'émoussaient, la faculté de grandir et de se développer leur était ravie, et la stagnation s'étendait irrésistiblement.

Au XIIIe siècle de notre ère, une terrible catastrophe ébranla le monde asiatique. Un prince mongol, Témoutchin, réunit sous ses étendards un nombre immense de tribus de la haute Asie, et, entre autres conquêtes, commença celle de la Chine, terminée par Koubilaï. Les Mongols, se trouvant les maîtres, accoururent de toutes parts, et l'on se demande pourquoi, au, lieu de fonder des institutions inventées par eux, ils s'empressèrent de reconnaître pour bonnes les inspirations des mandarins ; pourquoi ils se mirent sous la direction de ces vaincus, se conformèrent de leur mieux aux idées du pays, se piquèrent de se civiliser à la façon chinoise, et finirent, au bout de quelques siècles, après avoir ainsi côtoyé plutôt qu'embrassé l'empire, par se faire chasser honteusement.

Voici ce que je réponds. Les tribus mongoles, tatares et autres qui formaient les armées de Djinghiz-khan, appartenaient, en presque totalité, à la race jaune. Cependant comme, dans une antiquité assez lointaine, les principales branches de la coalition, c'est-à-dire les mongoles et les tatares, avaient été pénétrées par des éléments blancs, tels que ceux venus des Hakas, il en était résulté un long état de civilisation relative vis-à-vis des rameaux purement jaunes de ces nations, et, comme conséquence de cette supériorité, la faculté, sous des circonstances spéciales, de réunir ces rameaux autour d'un même étendard et de les faire concourir quelque temps vers un seul but. Sans la présence et la conjonction heureuse des principes blancs répandus dans des multitudes jaunes, il est complètement impossible de se rendre compte de la formation des grandes armées envahissantes qui, à différentes époques, sont sorties de l'Asie centrale avec les Huns, les Mongols de Djinghiz-khan, les Tatares de Timour, toutes multitudes coalisées et nullement homogènes.

Si, dans ces agglomérations, les tribus dominantes possédaient leur initiative, en vertu d'une réunion fortuite d'éléments blancs jusque-là trop disséminés pour agir, et qui, en quelque sorte, galvanisaient leur entourage, la richesse de ces éléments n'était pourtant pas suffisante pour douer les masses qu'ils entraînaient d'une bien grande aptitude civilisatrice, ni même pour maintenir, dans l'élite de ces masses, la puissance de mouvement qui les avait élevées à la vie de conquêtes. Qu'on se figure donc ces triomphateurs jaunes animés, je dirai presque enivrés par le concours accidentel de quelques immixtions blanches en dissolution dans leur sein, exerçant dès lors une supériorité relative sur leurs congénères plus absolument jaunes. Ces triomphateurs ne sont pas cependant assez rehaussés pour fonder une civilisation propre. Ils ne feront pas comme les peuples germaniques, qui, débutant par adopter la civilisation romaine, l'ont transformée bientôt en une autre culture tout originale. Ils n'ont pas la valeur d'aller jusque-là. Seulement, ils possèdent un instinct assez fin qui leur fait comprendre les mérites de l'ordre social, et, capables ainsi du premier pas, ils se tournent respectueusement vers l'organisation qui régit des peuples jaunes comme eux-mêmes.

Cependant, s'il y a parenté, affinité entre les nations demi-barbares de l'Asie centrale et les Chinois, il n'y a pas identité. Chez ces derniers, le mélange blanc et surtout malais se fait sentir avec beaucoup plus de force, et, par conséquent, l'aptitude civilisatrice est bien autrement active. Au sein des autres, il y a un goût, une partialité pour la civilisation chinoise, toutefois moins pour ce qu'elle a conservé d'arian que pour ce qui est corrélatif, en elle, au génie ethnique des Mongols. Ceux-ci sont donc toujours des barbares aux yeux de leurs vaincus, et plus ils font d'efforts afin de retenir les leçons des Chinois, plus ils se font mépriser. Se sentant ainsi isolés au milieu de plusieurs centaines de millions de sujets dédaigneux, ils n'osent pas se séparer, ils se concentrent sur des points de ralliement, ils ne renoncent pas, ils n'osent pas renoncer à l'usage des armes, et comme cependant la manie d'imitation qui les travaille les a poussés en plein dans la mollesse chinoise, un jour vient où, sans racines dans le pays, bien que nés de ses femmes, un coup d'épaule suffit pour les pousser dehors. Voilà l'histoire des Mongols. Ce sera également celle des Mantchous.

Afin d'apprécier la vérité de ce que j'avance, touchant le goût des dominateurs jaunes de l'Asie centrale pour la civilisation chinoise, il suffit de considérer ces nomades dans leurs conquêtes, autres que celles du Céleste Empire. En général, on a beaucoup exagéré leur sauvagerie. Ainsi, les Huns, les Hioung-niou des Chinois, étaient loin d'être ces cavaliers stupides que les terreurs de l'Occident ont rêvés. Placés assurément à un degré social peu élevé, ils n'en avaient pas moins des institutions politiques assez habiles, une organisation militaire raisonnée, de grandes villes de tentes, des marchands opulents, et même des monuments religieux. On pourrait en dire autant de plusieurs autres nations finnoises, telles que les Kirghizes, race plus remarquable que toutes les autres, parce qu'elle fut plus mêlée encore d'éléments blancs. Cependant ces peuples qui savaient apprécier le mérite d'un gouvernement pacifique et des mœurs sédentaires, montrèrent constamment des sentiments très hostiles à toute civilisation quand ils se trouvèrent en contact avec des rameaux appartenant à des variétés humaines différentes de l'espèce jaune. Dans l'Inde, jamais Tatare n'a fait mine d'éprouver la moindre propension pour l'organisation brahmanique. Avec une facilité qui accuse le peu d'aptitude dogmatique de ces esprits utilitaires, les hordes de Tamerlan s'empressèrent, en général, d'adopter l'islamisme. Les vit-on conformer aussi leurs mœurs à celles des populations sémitiques qui leur communiquaient la foi ? En aucune façon. Ces conquérants ne changèrent ni de mœurs, ni de costumes, ni de langue. Ils restèrent isolés, cherchèrent très peu à faire passer dans leur idiome les chefs-d'œuvre d'une littérature brillante plus que solide, et qui devait leur sembler déraisonnable. Ils campèrent en maîtres, et en maîtres indifférents, sur le sol de leurs esclaves. Combien ce dédain est éloigné du respect sympathique que ces mêmes tribus jaunes laissaient éclater lorsqu'elles s'approchaient des frontières de la civilisation chinoise !

J'ai donné les raisons ethniques qui me paraissaient empêcher les Montchous, comme elles ont empêché les Mongols, de fonder un empire définitif en Chine. S'il y avait identité parfaite entre les deux races, les Mantchous, qui n'ont rien apporté à la somme des idées du pays, recevraient les notions existantes, ne craindraient pas de se débander et de se confondre avec les différentes classes de cette société, et il n'y aurait plus qu'un seul peuple. Mais, comme ce sont des maîtres qui ne donnent rien et qui ne prennent que dans une certaine mesure ; comme ce sont des chefs qui, en réalité, sont inférieurs, cette situation présente une inconséquence choquante et qui ne se terminera que par l'expulsion de la dynastie.

On peut se demander ce qui arriverait, si une invasion blanche venait remplacer le gouvernement actuel et réaliser le hardi projet de lord Clive.

Ce grand homme pensait n'avoir besoin que d'une armée de trente mille hommes pour soumettre tout l'empire du Milieu, et on est porté à croire son calcul exact, à voir la lâcheté chronique de ces pauvres gens, qui ne veulent pas qu'on les arrache à la douce fermentation digestive dont ils font leur unique affaire. Supposons donc la conquête tentée et achevée. Dans quelle position se seraient trouvés ces trente mille hommes ? Suivant lord Clive, leur rôle aurait dû se borner à garnisonner les villes. Comme le succès se serait accompli dans un simple but d'exploitation, les troupes auraient occupé les principaux ports, peut-être auraient poussé des expéditions dans l'intérieur du pays pour maintenir la soumission, assurer la libre circulation des marchandises et la rentrée des impôts ; rien de plus.

Un pareil état de choses, tout convenable qu'il peut être, ne saurait jamais se prolonger longtemps. Trente mille hommes pour en dominer trois cents millions, c'est trop peu, surtout quand ces trois cents millions sont aussi compacts de sentiments et d'instincts, de besoins et de répugnances. L'audacieux général aurait fini par augmenter ses forces et les aurait portées à un chiffre mieux proportionné à l'immensité de l'océan populaire dont sa volonté aurait voulu contenir les orages. Ici je commence une sorte d'utopie.

Si je continue à supposer lord Clive simple et fidèle représentant de la mère patrie, il apparaît toujours, malgré l'augmentation indéfinie de son armée, fort isolé, fort menacé, et, un jour, lui-même ou ses descendants seront expulsés de ces provinces qui reçoivent tous les vainqueurs en intrus. Mais changeons d'hypothèse : laissons-nous aller au soupçon qui fit repousser, dit-on, par les directeurs de la Compagnie des Indes, les somptueuses propositions du gouverneur général. Imaginons que lord Clive, sujet peu loyal de la couronne d'Angleterre, veut régner pour son compte, repousse l'allégeance de la métropole et s'installe, véritable empereur de la Chine, au milieu des populations soumises par son épée. Alors les choses peuvent se passer bien différemment que dans le premier cas.

Si ses soldats sont tous de race européenne ou si un grand nombre de cipayes hindous ou musulmans sont mêlés aux Anglais, l'élément immigrant s'en ressentira, de toute nécessité, dans la mesure de sa vigueur. À la première génération, le chef et l'armée étrangère, fort exposés à être mis dehors, auront encore entière leur énergie de race pour se défendre et sauront traverser, sans trop d'encombre, ces moments dangereux. Ils s'occuperont à faire entrer de force leurs notions nouvelles dans le gouvernement et dans l'administration. Européens, ils s'indigneront de la médiocrité prétentieuse de tout le système, de la pédanterie creuse de la science locale, de la lâcheté créée par de mauvaises institutions militaires. Ils feront au rebours des Mantchous, qui se sont pâmés d'admiration devant de si belles choses. Ils y mettront courageusement la hache et renouvelleront, sous de nouvelles formes, la proscription littéraire de Tsin-chi-hoang-ti.
À la seconde génération, ils seront beaucoup plus forts au point de vue du nombre. Un rang serré de métis, nés des femmes indigènes, leur aura créé un heureux intermédiaire avec les populations. Ces métis, instruits, d'une part, dans la pensée de leurs pères, et, de l'autre, dominés par le sentiment des compatriotes de leurs mères, adouciront ce que l'importation intellectuelle avait de trop européen, et l'accommoderont mieux aux notions locales. Bientôt, de génération en génération, l'élément étranger ira se dispersant dans les masses en les modifiant, et l'ancien établissement chinois, cruellement ébranlé, sinon renversé, ne se rétablira plus ; car le sang arian des kschattryas est épuisé depuis longtemps, et si son œuvre était interrompue, elle ne pourrait plus être reprise.

D'un autre côté, les graves perturbations infusées dans le sang chinois ne conduiraient certainement pas, je viens de le dire, à une civilisation à l'européenne. Pour transformer trois cents millions d'âmes, toutes nos nations réunies auraient à peine assez de sang à donner, et les métis, d'ailleurs, ne reproduisent jamais ce qu'étaient leurs pères. Il faut donc conclure :

1° Qu'en Chine, des conquêtes provenant de la race jaune et ne pouvant ainsi qu'humilier la force des vainqueurs devant l'organisation des vaincus, n'ont jamais rien changé et ne changeront jamais rien à l'état séculaire du pays ;

2° Qu'une conquête des blancs, dans de certaines conditions, aurait bien la puissance de modifier et même de renverser pour toujours l'état actuel de la civilisation chinoise, mais seulement par le moyen des métis.

Encore cette thèse, qui peut être théoriquement posée, rencontrerait-elle, en pratique, de très graves difficultés, résultant du chiffre énorme des populations agglomérées, circonstance qui rendrait fort difficile, à la plus nombreuse émigration, d'entamer sérieusement leurs rangs.

Ainsi, la nation chinoise semble devoir garder encore ses institutions pendant des temps incalculables. Elle sera facilement vaincue, aisément dominée ; mais transformée, je n'en vois guère le moyen.

Elle doit cette immutabilité gouvernementale, cette persistance inouïe dans ses formes d'administration, à ce seul fait que toujours la même race a dominé sur son sol depuis qu'elle a été lancée dans les voies sociales par des Arians, et qu'aucune idée étrangère n'a paru avec une escorte assez forte pour détourner son cours.

Comme démonstration de la toute-puissance du principe ethnique dans les destinées des peuples, l'exemple de là Chine est aussi frappant que celui de l'Inde. Ce pays, grâce à la faveur des circonstances, a obtenu, sans trop de peine et sans nulle exagération de ses institutions politiques, au contraire, en adoucissant ce que son absolutisme avait en germe de trop extrême, le résultat que les brahmanes, avec toute leur énergie, tous leurs efforts, n'ont cependant qu'imparfaitement touché. Ces derniers, pour sauvegarder leurs règles, ont dû étayer, par des moyens factices, la conservation de leur race. L'invention des castes a été d'une maintenue toujours laborieuse, souvent illusoire, et a eu cet inconvénient, de rejeter hors de la famille hindoue beaucoup de gens qui ont servi plus tard les invasions étrangères et augmenté le désordre extrasocial. Toutefois, le brahmanisme a atteint à peu près son but, et il faut ajouter que ce but, incomplètement touché, est beaucoup plus élevé que celui au pied duquel rampe la population chinoise. Celle-ci n'a été favorisée de plus de calme et de paix, dans son interminable vie, que parce que, dans les conflits des races diverses qui l'ont assaillie depuis 4000 ans, elle n'a jamais eu affaire qu'à des populations étrangères trop peu nombreuses pour entamer l'épaisseur de ses masses somnolentes. Elle est donc restée plus homogène que la famille hindoue, et dès lors plus tranquille et plus stable, mais aussi plus inerte.

En somme, la Chine et l'Inde sont les deux colonnes, les deux grandes preuves vivantes de cette vérité, que les races ne se modifient, par elles-mêmes, que dans les détails ; qu'elles ne sont pas aptes à se transformer, et qu'elles ne s'écartent jamais de la voie particulière ouverte à chacune d'elles, dût le voyage durer autant que le monde.
4 1853-1856.4 Gobineau, Joseph Arthur de. Essai sur l'inégalité des races humaines [ID D20711].
Sekundärliteratur.
Quellen :
Biot, Edouard. Le Tcheou-li ; ou, rites des Tcheo [ID D2116].
Burnes, Alexander. Travels into Bokhara ; being the account of a journey from India to Cabool, Tartary, and Persia. (London : J. Murray, 1934).
Davis, John Francis. The Chinese [ID D2017].
Gaubil, Antoine ; Guignes, Joseph de. Le Chou-king [ID D1856].
Gaubil, Antoine. Traité de la chronologie chinoise, divisé en trois parties [ID D1923].
Huc, Evariste Régis. Souvenirs d'un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine [ID D2107].
Humboldt, Alexander von. Asie centrale : recherches sur les chaines des montagnes et la climatologie comparée. (Paris : Gide, 1843).
Julien, Stanislas. [Texte].
Julien, Stanislas. Le Tcheou-li ; ou, rites des Tcheo [ID D2116].
Lassen, Christian. Indische Alterthumskunde [ID D20714].
Manava-Dharma-Sastra (1833).
Mohl, Julius von. Rapport annuel fait à la Société asiatique (1851).
Movers, Franz Carl. Die Phönizier : Geschichte der Colonien. T. 2, Bd. 2. Das phönizische Alterthum. (Bonn : Weber, 1850).
Neumann, Karl Friedrich. Die Sinologen und ihre Werke [ID D20713].
Pickering, Charles. United States exploring expedition. (Boston, Mass. : Little, Brown & Co., 1854).
Pickering, Charles. The races of man, and their geographical distribution. (Philadelphia : C. Sherman, 1848).
Prémare, Joseph Henri-Marie de.
Ritter, Carl. Die Erdkunde im Verhältniss zur Natur und zur Geschichte des Menschen [ID D20715].
Schlegel, Karl Wilhelm Friedrich von. Philosophie der Geschichte [ID D17552].

Gregory Blue : Gobineau considered the civilization of China the fifth of the “great human civilizations” to have resulted from the initiative of the white race. Together with India it was especially important in his understanding of world history, because he thought the antiquity and continuity of these two civilizations allowed him to demonstrate the permanence of racial traits.
It was his contention that the impetus for Chinese civilization came in the mid-third millennium B.C.E. from a group of Aryans of the kshatriya caste of nobles and warriors who left India after rebelling against the brahmans, soon after the latter had established themselves as the socially preeminent caste.
Gobineau insisted that the cradle of Chinese civilization had been in south China, although—apparently unaware of any discrepancy—he asserted elsewhere that it had originated in Henan.
By Gobineau's time, Western writers had long associated China with a patriarchal social order. Although commonly condemned by liberals and socialists of the day, patriarchy was a system with which Gobineau was in sympathy. To him it had been the natural and laudable form of government in the primeval white society, and he imagined that migrating branches of the white race had carried it with them, adapting it to local circumstances as they established new civilizations. Among Aryans, he believed the authority of the father of a family (the "complete man") was compatible with respecting the individuality of each family member, but Gobineau claimed that individuality was absent among the "inert multitudes of yellow and black peoples. In China, in turn, the patriarchal principle of government was translated into a "peaceful despotism" suited to the "Malay disposition" with its characteristic patience and submissiveness to the law, its capacity to "grasp the advantages of a regular and coordinated [State] organization," and its desire for an "exclusively material wellbeing.
Thus, in Gobineau's interpretation of China, the form of rule there was patriarchal because the original rulers had been Aryan, and government was absolute because it had been established by conquest. In practice, however, "the absolutism of the sovereign...was generally enclosed within narrow bounds because Malay sensibility did not call for excessively great demonstrations of arrogance." Theoretically, the emperor could do what he liked, but any real attempt to start an ambitious program would meet with grave difficulties, for the nation would become agitated, the mandarins would make representations, and ministers would decry any innovations before the throne. The emperor would be isolated and would ultimately face an insurrection. In other words, "the absolute authority of the emperors was limited by public opinion and by the manners [of the country]; and it is thus that one has always seen tyranny appear in China as an accident that is constantly detested and repressed and that is hardly ever perpetuated because the natural character of the governed race does not lend itself to it.
Gobineau constructs a civilizational portrait out of materials drawn from indigenous historiography and conventional Western analyses of China, and he then purports to explain each component and the overall portrayal with his allegedly higher level theory of racial determination. Since he discerned contributions by all three of his secondary races to the composition of Chinese society, and since his theory ascribed to those three taken together the total range of human traits, he conveniently allowed himself a maximum of flexibility for "explaining" Chinese civilization. If this flexibility was convenient, it also fostered various inconsistencies that belied the apparent "logic" of the analysis.
Gobineau bought into the conventional notion of China's immutability when he referred to the people as politically and cultur-allyhomogeneous and to the state as displaying "governmental principles that have never changed." He nevertheless did allow that one major historical transformation had occurred (in accordance with the "racial laws" of history) at the outset of the imperial era. The invasions later on of the Mongols and Manchus, though explainable as due to the presence of certain dynamic Aryan elements among the conquering peoples, were mainly only infusions of "the Yellow type." As such they brought with them "almost nothing new" to China. It followed that those conquests were not comparable to the Germanic invasions, which had reinjected "noble" blood into Europe from the fifth to the tenth century.
What, then, were for Gobineau the characteristics of Chinese society in the last 2,000 years? The form of mild patriarchal rule he attributed to it has already been considered. Another trait frequently identified in the sinological literature as Chinese, and one that he found "natural" because of the society's yellow/Malay foundation, was an indomitably materialistic orientation. In his view this trait determined that in China political priority was given to government administration rather than to war and diplomacy, the two areas in which Western rulers sought glory. The country's racial character dictated a primal urge for political stability, which in turn required that food be grown in abundance; that agriculture and industry receive "perpetual encouragements"; that everyone "should be able to clothe, feed and house themselves"; and that a "solid and profound tranquility should be preserved as the supreme means for attaining these ends." Another aspect of Chinese life that was well attested in Western convention was the government's famous tolerance toward various philosophical and religious doctrines. This Gobineau explained as following from the people's alleged materialism. Happiness for the Chinese, he maintained, consisted of simply having enough to eat and sufficient clothes to wear. That was why the government could afford to allow the most unnatural doctrines to be preached as long as they had no social consequences. It could even allow such monstrosities as freedom of the press and of association because the "exclusively utilitarian" nature of the Chinese people defused any destabilizing effect these institutions might otherwise have had. As long as they had thematerial necessities, no Chinese would "bother to confront police truncheons for the greater glory of a political abstraction."
In Gobineau's eyes, the entrenchment of liberties and a propensity for extravagant grand theories were features of Hindu society that followed from the mixture of white and black components in the Indian population. In China, by contrast, the strength of yellow and black components determined that the civilization's greatest achievements were attained at the level of material organization. Gobineau granted that in this domain China surpassed the Roman empire, and even modern Europe, though he held that it did so "without beauty and without dignity," as befitted its racial character. Though the Chinese population was renowned for being peaceful and submissive, it was so only because it was "lacking in sentiments beyond the humblest notion of physical utility." Reversing the Enlightenment esteem for the simplicity of Chinese classical thought, Gobineau reasoned that Chinese "religion is a résumé of practices and maxims strongly reminiscent of what the moralists of Geneva and their educational books are pleased to recommend as the nec plus ultra of the good: economy, moderation, prudence, the art of making a profit and never a loss.
Gobineau advanced similarly disdainful opinions of Chinese manners and Chinese literature, the allegedly low condition of which he naturally saw as deriving from the same racial principles discussed above. Chinese manners were, accordingly, nothing but "perpetual cant," without similarity to the medieval European forms of courtesy that represented the freeman's grave deference to his superiors, his "noble benevolence" toward his equals, and his "affectionate condescension to his inferiors." In China materialism dictated instead that politeness amounted to "nothing more than social obligation, which, taking its source in the grossest egoism, translates into an abject prostration toward superiors, a ridiculous fighting over proprieties with equals, and an arrogance with inferiors that grows in proportion to the lowness of their rank." Chinese courtesy, in other words, was a for-malist invention for keeping everyone in their place, rather than an "inspiration of the heart" as in the West. In addition, the Chinese lacked a sense of proportion, for among them, Gobineau thought, the trivialities of everyday life were as rigorously regulated by law as were matters of importance.
Although the Chinese esteemed their literature highly, in Gobineau's eyes it was instead a "powerful force of stagnation," partly because of its incorporation into the government examination system, but also largely because of its inherent characteristics. Again echoing Herder, he scorned Chinese literature as marred by all sorts of "puerile" embellishments. The best Chinese literary forms were descriptions of nature and the novel, because in these the yellow capacity for observation and subtlety could be expressed. Otherwise, Chinese literature had nothing to recommend it. Chinese theater was "flat" and "ill-conceived." Chinese poetry that attempted to capture feelings only succeeded in being "ridiculous." Chinese philosophy consisted of nothing but "commonplace maxims" formulated in a "puerilely obscure" and "drily didactic manner." The "great [Chinese] scientific works" were simply "verbose compilations" lacking a critical dimension. That was only to be expected because, as he put it, "the spirit of the yellow race is neither profound nor insightful [sagace] enough to attain this quality [i.e., scientific excellence] reserved for the white race." That is to say, yellow people might have been able to make useful drawings of natural objects, since these require patience and observation, but the Chinese lacked a capacity for "general theories." In addition, since "tradition is all-powerful in China," any new idea that might emerge is immediately the object of indignation; and in any case those literati who are occasionally taken by a creative urge fall immediately into "inanity" when this happens.
For him China was an essentially "democratic" civilization because the central institution was the mandarinate, which the imperial examination system made accessible to everyone. The mediocrity and stagnation of Chinese literature he saw as going together with the government's promotion of widespread popular education. From his antiprogressive standpoint, and giving his historical terminology a medical diagnostic twist, he described the Chinese state-sponsored program of Confucian civic education as being in a "more advanced" state than that of the West—a piece of irony that implicitly accused the Western reader, while simultaneously damning the Chinese. More pointedly, he went on to describe the alleged loss of Aryan independence completed by Qin Shi Huangdi as "a fact absolutely similar to what took place, chez nous, in 1789, when the innovating spirit saw as its first necessity the destruction of the ancient territorial subdivisions [of France]."
Especially during the last years of his life, Gobineau became consumed with the idea that Chinese armies under Russian command would overrun Europe and destroy white civilization. By 1880 he was even suggesting that the struggle against socialism in Europe was a secondary matter because of the imminent prospect of an epoch-changing Chinese invasion.

Bibliography (1)

# Year Bibliographical Data Type / Abbreviation Linked Data
1 1853-1855 Gobineau, Joseph Arthur de. Essai sur l'inégalité des races humaines. Vol. 1-4 in 2. (Paris : Librairie de Firmin Didot, 1853-1855).
http://classiques.uqac.ca/classiques/gobineau/essai_inegalite_races/essai_inegalite_races_1.pdf.
Publication / Gob1

Secondary Literature (2)

# Year Bibliographical Data Type / Abbreviation Linked Data
1 1998 La Chine entre amour et haine : actes du VIIIe colloque de sinologie de Chantilly. Sous la direction de Michel Cartier. (Paris : Institut Ricci ; Desclée de Brouwer, 1998). (Variétés sinologiques ; no 87).
http://catalog.hathitrust.org/Record/003574811.
Publication / Car1
  • Source: [Anonym] [Foscolo, Ugo]. Sul codice della Cina. In : Annali di scienze e lettere ; vol. 8-10 (1811-1812). [Wird Foscolo zugeschrieben]. (FosU1, Publication)
  • Source: Cordier, Henri. A classified index of the articles printed in the Journal of the North-China Branch of the Royal Asiatic Society : from the foundation of the society to the 31th of december 1874. (Shanghai : Royal Asiatic Society, 1875).
    https://archive.org/details/sc_0000900014_00000001367258. (CorH2, Publication)
  • Cited by: Asien-Orient-Institut Universität Zürich (AOI, Organisation)
  • Person: Cartier, Michel
  • Person: Cordier, Henri
  • Person: Hegel, Georg Wilhelm Friedrich
  • Person: Montesquieu, Charles de Secondat de
  • Person: Quesnay, François
  • Person: Richard, Timothy
2 1999 Blue, Gregory. Gobineau on China : race theory, the 'yellow peril', and the critique of modernity. In : Journal of world history ; vol. 10, no 1 (1999). Publication / Gob2
  • Cited by: Asien-Orient-Institut Universität Zürich (AOI, Organisation)