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“Oeuvres en prose” (Publication, 1965)

Year

1965

Text

Claudel, Paul. Oeuvres en prose. Préf. par Gaëtan Picon ; textes établis et annotés par Jacques Petit, Charles Gelpérine. (Paris : Gallimard, 1965). (Bibliothèque de la Pléiade ; 179). (Clau36)

Type

Publication

Contributors (1)

Claudel, Paul  (Villeneuve-sur-Fère-en-Tardenois 1868-1955 Paris) : Dichter, Dramatiker, Schriftsteller, Diplomat

Subjects

Literature : Occident : France : Prose

Chronology Entries (3)

# Year Text Linked Data
1 1937 Claudel, Paul. Souvenirs de Pékin. In : Le Figaro ; 9 août 1937.
Une fois de plus apparaissent, traduites à la première page des journaux en ces caraftères impérieux qu'imposé l'actualité, les deux syllabes sous lesquelles transparaît le double idéogramme familier à ma jeunesse : Pékin, la Cour au Nord. Quand je débarquai pour la première fois en Chine, — c'était aussitôt après la guerre sino-japonaise, du temps où l’on se déclarait solennellement la guerre, par acte notarié comme un contrat de mariage, — Pékin était encore la cité impériale et à demi interdite. Les sacs de dépêches de Shanghai mettaient en été une semaine pour y parvenir et en hiver, le Peï-ho étant gelé, trois semaines par la voie du grand canal. A côté du Palais qui réalisait assez bien l'image de ces empyrées d'azur et de cinabre où sur les vieilles peintures résident les sages et les bienheureux, à côté de l'enclos catholique où la piété naïve des missionnaires avait réussi à dresser comme un défi la plus épouvantable des cathédrales pseudo-gothiques, s'élargissait le kampong diplomatique où florissaient en vase clos l'intrigue, la philologie et l'adultère. La tradition orale nous a livré à ce sujet bien des détails que les archives officielles ont pudiquement dissimulés. A ce moment nous étions représentés dans la capitale par le plus extraordinaire des plénipotentiaires, M. Gaston Lemaire, plus Chinois qu'un Chinois et plus lettré qu'un han lin, à qui j'espère bien que Bouddha aura réservé un coussin de son nirvana.
Et puis le fil se consolida peu à peu qui rattachait à la tore ce paradis du loisir. Ce fut d'abord le chemin de fer de Hankéou à Pékin, exploit de mon ami Francqui auquel je ne suis pas peu fier d'avoir collaboré. Et puis éclata le dernier sursaut du vieux Dragon, et ce fut la révolte des Boxers, le siège des Légations, celui du Pétang où s'immortalisa à côté de l'évêque Fabvier l'enseigne Henry, le massacre général des chrétiens, et puis la croisade internationale sous les auspices de Guillaume II, le pillage. Histoire épique et sinistre à qui a manqué la plume d'un Suétone ! L'Empire était frappé à mort. C'est en vain que Li Hung-Tchang se jetant dans les bras de la Russie représentée à ce moment par le plus astucieux des diplomates, Cassini, essaya de prolonger son agonie. J'arrivai à Pékin juste à temps pour contempler la suprême péripétie, la mort mystérieuse et simultanée de la vieille Sémiramis et du pauvre simulacre qu'elle tenait dans ses serres. Je vois encore ces étranges funérailles, que dépassaient de beaucoup en dignité et en splendeur celles de l'empereur du Japon dont je fus plus tard le témoin, les archers, les chameaux avec une dépouille de zibeline suspendue au bridon, la monnaie de papier d'or et d'argent qu'on éparpillait aux quatre vents pour satisfaire la cupidité des mânes, et dont je me moquais alors, ignorant de nos futures dévaluations ! Et Yuan Che-K'aï, en chemise de chanvre, un bâton tortueux à la main escortant ces cadavres qu'il allait bientôt essayer de supplanter. Suivent la république, la révolution, les querelles de généraux, l'anarchie et, dans la carence passablement ignominieuse de l'Angleterre, le Japon qui débarque et qui n'est pas près de rembarquer. La Mandchourie une fois digérée, c'est toute la Chine du Nord que l'ambition du Nippon militariste essaye visiblement de s'adjuger par les armes conjointes de la force et de l'intrigue. Proie enviable entre toutes par la richesse du sol et du sous-sol : tout le territoire, que j'ai visité en détail, de Tien-tsin au Hoang-ho n'est qu'un bloc d'alluvion, de loess, de fer, et de charbon. Mais surtout position stratégique et économique de premier ordre. C'est le terminus de cette vieille route de la soie reconnue par Marco Polo. C'est le véritable point de départ de la diagonale transasiatique qui un jour partira de Tien-tsin pour aboutir à travers la Mongolie à la Steppe sibérienne. Pékin pendant des siècles a eu surtout une importance militaire. C'était le G.Q.G.; le poste de commandement qui soutenait le vaste réseau de fortifications destiné à contenir, tels les rideaux à sauterelles, les essaims périodiques des barbares du Nord, Hounghouses, Mongols, Mandchous. Ce rôle de capitale, à la fois centrale et excentrique, qui toujours après bien des essais manques a fini par revenir à Pékin, les nouveaux envahisseurs sans doute espèrent bien en bénéficier.
Néanmoins, on ne saurait se dissimuler que les Japonais engagent une grosse partie. Il est douteux que déjà la Mandchourie leur ait rapporté tous les avantages qu'ils escomptaient et que les profits balancent les pertes. Ce n'est pas tout que de conquérir un pays, il faut l'occuper, le défendre et le conserver, et dans l'œuvre même de conquête on ne peut pas s'arrêter où l'on veut. La Chine est, un pays de plusieurs centaines de millions d'habitants, remarquablement homogène sinon dans sa constitution organique, du moins dans sa culture et dans ses moeurs, dans ce que les philosophes nomment la conscience de sa propriété spécifique. On n'arrivera pas à la dominer dans une résistance sourde et à surmonter cette résistance sans un déploiement militaire serré. Et puis il y a la Russie, il y a l'Angleterre et l'Amérique, il y a le monde entier dont la mauvaise volonté générale est certaine, le jour où le Japon essayera de transformer sa prépondérance armée en exclusivité économique. Tous les gens qui ont eu affaire aux Chinois connaissent en même temps que leur intelligence et leur adresse leurs ressources d'opposition passive, que sera-ce le jour où ils sentiront le monde entier derrière eux ?
En attendant, la Cour du Nord est découronnée. La Cité Violette est déserte. Le magnifique ensemble de Légations que les puissances se sont construit avec l'indemnité des Boxers, est laissé assez ridiculement au sec, ainsi que les petits corps d'occupation dont elles disposent. Déjà les portes gigantesques de l'enceinte carrée, où tournoyaient de mon temps les vols de pigeons, un sifflet à la queue, le temple du Ciel, la lamaserie, se délabrent et sur l'antique Combaluc s'étend l'ombre des grandes choses déchues.
2 1949 Claudel, Paul. Eloge du chinois. In : Figaro littéraire ; 5 févr. 1949. [Geschrieben 22 nov. 1948].
Je me suis souvent demandé la raison de cette sympathie, allant jusqu'à la préférence, que j'éprouve pour le Chinois. Ne parlons point de ces idoles, azur et prune, un éventail à la main, le lourd luisant câble noir de queue suspendu à l'occiput, qui se déplacent indolemment dans mon souvenir, comme sur la convexité d'un bol de porcelaine. Je parle du Chinois actif, tel qu'il contribue sans doute encore aujourd'hui à l'ardente friture dorée d'une rue de Canton en pleine virulence ! Le Blanc ? Ce qu'on en a assez du blanc ! L'Indien a quelque chose de gras et de poisseux, et ces prunelles affectueuses qu'il attache sur vous empreintes d'une espèce de reproche féminin qui vous fait mal au cœur ! Et quant aux Arabes, à tous ces espèces de prophètes à la manque que j'ai vu dormir et traînasser sur les quais d'Oran et d'Alger, il n'y a pas autre chose à en dire que d'une exposition de lessive. Ça sèche !
Mais le Chinois, dès qu'on s'est mis à faire connaissance avec lui, ça commence à Singapour, quel intérêt il prend à l'existence, le frère ! Pas à demain, demain n'existe pas ! A la seconde présente, immédiate ! Une espèce de ferveur, une espèce de fureur, une espèce d'enthousiasme contenu, mais toujours présent, une espèce de foi, un appétit dévorant ! Regardez ces nuées de bateliers qui s'attaquent à l'un de ces grands paquebots en train d'épuiser à Shanghai ou à Hong-Kong ses dernières encablures. C'est un hourra qui monte jusqu'au ciel ! On dirait un millier de mouettes avec d'âpres cris qui s'abattent sur une baleine crevée.
Essayons de comprendre un petit peu ! C'est le théâtre qui va nous y aider.
Là ce n'est pas comme dans le civil. A tout prix, de toute son intelligence et de tout son cœur, il faut être là ! Il faut être là, il faut s'intéresser à son rôle. Celui d'un Monsieur qui ne fait rien ? Il s'agit de faire le monsieur qui ne fait rien, ce monsieur qui ne fait rien dont la
pièce autour de moi a absolument besoin. Personne de passif, personne d'abandonné. Aucune place comme dans la vie courante accordée à l'habitude, à la somnolence, à la dérive, à cette espèce d'automatisme qu'entraîné une opération continue. La réplique est là, toujours nouvelle ! Impérieuse ! Le rôle est là bon gré mal gré comme un tapis roulant sous nos pieds auquel il n'y a pas moyen de se soustraire.
Eh bien, le Chinois, c'est comme un acteur auteur qui serait toujours en scène, qui ne joue pas seulement la pièce, qui la fait à mesure, et qui prend à tout ce qu'il fait un intérêt que l'on peut bien appeler dévorant.
Qu'il s'agisse d'un banquier, d'un maçon, d'un patron de rickshaw ou de sampan, avec sa petite famille, d'un garçon de restaurant, d'une belle-mère avec sa belle-fille, d'une prostituée, ça serait une pièce qu'on joue, et dont on aurait à se tirer le mieux possible qu'on ne la prendrait pas davantage au sérieux ! La seconde présente, le moment immédiat, mais il ne faut pas les laisser perdre comme ça ! La seconde présente, le moment immédiat, c'est quelque chose d'inestimable ! Un enterrement, par exemple, comme cela serait bête de ne pas profiter de toutes les énormes possibilités de jouissance qu'il nous procure ! Le chagrin d'abord, quelle occasion de s'en donner à plein ventre, à plein cœur, à pleins poumons, chacun encouragé dans sa petite performance particulière par les vociférations du camarade ! Et ce festin de consolations où chacun y va de son écot ! Cet élément excitant de fraîcheur et de nouveauté qu'apporté toute disparition, accompagnée d'un héritage ! Deux femmes qui se disputent, je vous assure qu'elles y vont bon jeu bon argent et que cela valait la peine d'accumuler depuis des mois tout ce capital d'injures et de griefs ! Sans préjudice entre deux bordées de quelques tasses de châ et graines de melon que l'on se partage poliment. Et une exécution capitale, quel prétexte à toutes sortes de beuveries fraternelles et de quolibets joyeux, en attendant que l'invité, un peu gris, se rende à la cérémonie finale, une chique dans le coin de la joue ! Ah ! l'on peut dire que l'on s'est bien amusé !
Et ces ascètes chinois du bon vieux temps, quelle différence avec leurs confrères hindous ! Ils ne méditent pas, ils mijotent ! Ils mijotent comme de grosses théières sur le feu. Dans un site bien choisi, dont ils se font une partie indispensable, ils mijotent, comme des chats qui ronronnent leur confort, et il n'y a qu'à voir leur petit œil malin qui se moque de nous ! Ces belles peintures que vous connaissez, ces poésies exquises, vous croyez que c'a été fait avec de l'eau et de l'encre de Chine ? Pas du tout. Il n'y avait qu'à tendre un écran. C'est de la contemplation émanée qui s'est déposée dessus.
Comme on comprend que la nature ne se passe jamais d'un Chinois pour la regarder, telle qu'elle est, comme une belle femme, sans arrière-pensée ! Je me souviens de ma dernière soirée à Tien-tsin, un des plus affreux pays qu'il soit possible d'imaginer. Il y avait un coucher de soleil. Je ne trouve pas que la nature en général avec les moyens dont elle dispose se foule beaucoup en matière de couchers de soleil. Mais ce soir-là il aurait été injuste de ne pas y reconnaître quelque chose, je ne sais quoi, un petit effort ! Et j'en cherchais la raison.
La raison, c'en était, amarré à l'orée d'un arroyo, un bateau de vidangeurs, un de ces bateaux qui partent chargés de toute la vidange d'une grande ville et qui reviennent le jour suivant, sans bien entendu qu'on ait pris la peine de les nettoyer, avec une cargaison de pastèques. Les bateliers avaient fini de dîner, ils étaient contents, et ils chantaient alternativement en s'accompagnant de leurs baguettes. J'entends encore ce tapement avec art des baguettes sur le bol de porcelaine. Bien sûr qu'ils ne faisaient aucune attention au coucher de soleil : mais ces braves gens, le ventre plein, qui chantaient, jamais sans eux le coucher de soleil n'aurait réussi à réussir comme il avait réussi ce soir-là !
3 1955 Claudel, Paul. Pour une exposition de Rikadou Harada.
Er schreibt : « Un des principes essentiels de la philosophie extrême-orientale, telle que le tao nous en fournit la meilleurs expression, est l'importance du vide. C'est par le vide qu'un vase contient, qu'un luth résonne, qu'une roue tourne, qu'un animal respire. »

Cited by (1)

# Year Bibliographical Data Type / Abbreviation Linked Data
1 2009 Romanisches Seminar Universität Zürich Organisation / URose
  • Source: Claudel, Paul. Figures et paraboles. (Paris : Gallimard, 1936). (Clau37, Publication)
  • Source: Malraux, André. Antimémoires. In : Malraux, André. Le miroir des limbes. T. 1-2. (Paris : Gallimard, 1967). T. 1. (MalA14, Publication)
  • Source: Gadoffre, Gilbert. Claudel et le paysage chinois. In : Etudes de langue et littérature françaises ; 20 (1972). (Clau29, Publication)
  • Source: Hue, Bernard. Littérature et arts de l'Orient dans l'oeuvre de Claudel. (Paris : C. Klincksieck, 1978). (Publications de l'Université de Haute-Bretagne ; 8). (Clau33, Publication)
  • Source: Claudel, Paul. Les agendas de Chine. Texte établi, présenté et annoté par Jacques Houriez. (Lausanne : L'âge d'homme, 1991). (Collection du centre Jacques-Petit). (Clau27, Publication)
  • Source: Meyer, Alain. La condition humaine d'André Malraux. (Paris : Gallimard, 1991). (Foliothèque). (MalA2, Publication)
  • Source: Claudel, Paul. Livre sur la Chine. Volume réalisé par Andrée Hirschi sous la direction de Jacques Houriez. (Lausanne : L'âge d'homme, 1995). [2e version 1909 ; 3e version 1910-1911. Geschrieben 1904-1909]. (Clau12, Publication)
  • Source: Daniel, Yvan. "Oriens nomen ejus" (Zach. VI, 12) : les spiritualités asiatiques dans la pensée et l'oeuvre religieuse de Paul Claudel. In : Bulletin de la Société Paul Claudel ; no 171 (Oct. 2003). (Clau28, Publication)