Segalen, Victor. Le combat pour le sol [ID D21487].
Brief von Victor Segalen an Pierre d'Ythurbide.
"J'ouvre Le repos du septième jour. Et malheureusement, tristement, je n'admire plus. Claudel, en prise avec le carton coloré du Sud, en fait du diorit et du marbre. - Ici, empoignant le grand mythe dur et pur du Fils du Ciel, il a produit un chaos sans consistance, et ce qui est pis que tout, une oeuvre bien ennuyeuse. Il avait un sujet précisément et admirablement dramatique. Il tenait entre ses deux grands poings un conflit, l'un des plus grands conflits qu'on puisse imaginer sous le Ciel puisque le Ciel de Chine rencontrait le Ciel Latin. Le résultat : deux fort longs sermons ennuyeux. J'ai peine à indiquer la pauvreté du décor impérial, les maladresses and un protocole dogmatique qu'il vaut mieux ne pas aborder si l'on en est pas maître. Enfin ceci pouvait se racheter par le conflit signalé : mais un conflit suppose deux adversaires. L'un, le Fils du Ciel, est déjà bien terne, embarrassé, verbeux à l'extrême. L'autre, le Fils de Dieu, n'est pas encore devenu le magnifique Dieu Claudélien. Et je ne puis pas dire autre chose que l'ennui douloureux de voir un aussi grand sujet enterré sous des pelletées de mots."
Yves Daniel : Le combat pour le sol, dans le contexte agraire de la civilisation chinoise, rappelle bien évidemment le labeur des paysans qui oeuvrent à la fécondation de la terre, au centre de ce que Segalen appelle la 'splendeur céréale'. Les travaux agricoles quotidiens, dans ce drame, sont suspendus par une mystérieuse malédiction, mais le 'combat' ne prend pas pour autant fin, l'effort des laboureurs devenu inefficace s'élève à la hauteru de l'Empereur, seul à pouvoir combattre 'l'influx' maléfique. Le drame est né de la lecture du Repos du septième jour de Paul Claudel et fut conçu au cours d'une 'nuictée d'opium', 1913. Il existe deux manuscrits, le premier fut rédigé 1913, le second 1918. Le repos du septième jour est le répit hebdomadaire, jour où le travail des champs cesse pour lasser place au recueillement paisible, jour où les acteurs de la création et le Créateur lui-même s’accordent le relâchement au profit de la prière.
Le Prologue met en scène un messager impérial qui constate, au milieu des paysans de la province, que la « terre est malade », touchée par une mystérieuse malédiction à propos de laquelle les personnages savent peu de choses. L'acte I se déroule dans la Cité Interdite, les concubines attendent une cérémonie au cours de laquelle on va attribuer un nom particulier à l'une des plus appréciées, « L'Étrangère », qui est occidentale. Mais l'heure est grave car l'« influx » néfaste qui touche l'Empire a forcé l'impératrice à inviter le Fils du Ciel à procéder à des sacrifices particuliers pour ramener l'abondance et la bénédiction. L'Empereur paraît, attristé, offre à l'Étrangère son nom, « Élue-du-Ciel », et annonce qu'il doit s'isoler dans le Temple de la Pureté pour se préparer aux sacrifices. Un cortège pénal interrompt le dialogue : on présente à l'Empereur un homme dont la condamnation ne peut attendre, tant il trouble la paix de l'Empire, un prêtre missionnaire. Sa condamnation est prononcée, et c'est en vain qu'Élue-du-Ciel intercède auprès de l'Empereur qui ne comprend pas sa langue. La deuxième scène se déroule dans les ténèbres d'une salle du Temple, le Fils du Ciel médite et jeûne, seul. Torturé par la faim, il goûte l'huile de sa lampe, unique nourriture accessible. Il s'interroge, dans un long monologue, sur l'opportunité de la condamnation prononcée, alors une voix intervient : il s'agit de celle du prêtre exécuté il y a peu qui prophétise que le « Ciel descendra ». Mais les conceptions « religieuses » des deux personnages sont si différentes qu'elles conduisent à des incompréhensions et à des quiproquos. Leur seul lien est Élue-du-Ciel qui apparaît et peut maintenant tenter de se faire comprendre. Ces propos de chrétienne, néanmoins, se heurtent aux conceptions de l'Empereur : « Je comprends les mots... l'idée reste creuse... », dit-il. Un cortège rituel interrompt le dialogue : le sacrifice « ordinaire » a lieu, mais il échoue. L'acte II se déroule sur la « Terrasse aux Étoiles », observatoire impérial. Les astrologues sont dans une grande confusion car les présages sont néfastes. Le Duc Grand Astrologue apprend par un eunuque la nouvelle de la maladie d'Élue-du-Ciel. L'Empereur, quant à lui, prononce sur la Terrasse des mots qui ne sont pas « conformes » aux rites. La cour rend l'« Influx » responsable de la mort prochaine de l'Étrangère, craignant la colère du Fils du Ciel. C'est à la scène III que l'un et l'autre se rencontrent. Élue-du-Ciel répond à l'amour terrestre de l'Empereur par une tentative pour le convaincre de l'Amour chrétien du Ciel, sacrifice absolu. Mais les deux ne peuvent s'entendre et l'Empereur lui reproche d'avoir « importé » ses dieux avec elle. La mort, finalement, emporte la jeune femme et toutes les catastrophes touchent l'Empire : mort du prince héritier, pétitions, rébellions... L'Empereur prend la parole pour clore l'acte, mais ses mots, une fois encore, ne sont point « conformes ». L'acte III a lieu dans le Temple du Ciel. Le cérémoniaire s'interroge car rien de ce qui est prévu ne respecte les rites. L'Empereur paraît, vêtu en homme pauvre, le fantôme du prêtre vient à lui, avec Élue-du-Ciel - nous sommes à la dernière « veille de la nuit avant l'aube du printemps ». Le Fils du Ciel refuse aux deux fantômes l'accès de ce Ciel qu'il dit être le sien, mais les deux personnages sont emportés vers les deux, « enveloppés comme de flammes », le laissant dans une grande perplexité. Finalement, la pluie tombe, l'abdication un moment envisagée est oubliée, la malédiction prend fin. L'Empereur renvoie les personnages présents à l'audience : « Voici le riz et voici l'abondance. Allez manger dans le rassasiement. » Lui seul aura encore faim, car il a livré son coeur, « et mêlée aux fumées quelque chose d'insaisissable et d'inconnu s'est enfuie... »
Yvonne Y. Hsieh : Segalen first conceived the play as a response to Paul Claudel's Le repos du septième jour. The action takes place in an equally inderterminate era of Chinese history. For the décor of the play, Segalen makes use of the architecture with which he became familiar during his stay in Beijing. In the play, not only is there a prolongued duel between the Chinese and the Latin Heaven, but also a more personal debate between the Emperor and 'l’Etrangère', between him and the martyr, and between the Epress and the foreign favourite.
Anne-Marie Grand : Dans une 'lettre circulaire' pour ses amis et adressée à l'un d'eux, il analyse les emprunts de Paul Claudel à l'art chinois et conclut que le champ reste ouvert car pour ce dernier "toute inspiration 'formelle', toute rénovation dans les formes n'a rien à faire ici avec la Chine. Claudel n'a pas vu les ressources nouvelles d'un texte bref et jaloux, adouci de commentaires. Ni tout le symbolisme brutal et originel contenu dans les figurations primitives. Ni cette réthorique prudente de l'ode qui s'avance par une sorte de piétinement ; - ni l'impersonnalité fonctionnelle de l'histoire annalistique. Ni ce dialogue impérial où des réticences, des chutes soudaines de voix remplacent le mot Empereur". Cette lettre est importante dans la mesure surtout où Segalen y recense les formes littéraires chinoises qu'il transplantera dans son oeuvre, les explorant systématiquement les unes après les autres. Il est notable, qu'il ne s'attache qu'à des formes que l'on peut qualifier d'archaïques, ce que confirme même un rapide survol des textes. Les emprunts du poète ne concernent que la littérature la plus antique de la civilisation chinoise : le Shi jing, le Li ji et les Annales historiques.
Literature : Occident : France