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« Ces notes ne sont pas un livre. Tout juste forment-elles un carnet d'informations et d'interrogations suscitées par le voyage que j'ai pu faire en République populaire de Chine en avril-mai 1974. On les lira surtout par rapport au bouleversement qu'impose à notre propre société le surgissement de ce continent noir, dont le désir et le silence assurent la cohésion : les femmes. Face aux Chinoises, c'est à partir de ce bouleversement que les notes ici présentées essaient de s'écrire. C'est pour cela même, qu'à la hâte, elles ont été écrites. »
De ce côté-ci
1. Qui parle ?
... A quarante kilomètres de l'ancienne capitale chinoise Xi'an – première capitale de la Chine unifiée par l'empereur Qin Shi Huangdi au IIe siècle avant notre ère, grande capitale des Tang (618-906) – se trouve le village Huxian, chef-lieu d'une région agricole. Nous y arrivons en voiture par une route chaude, ensoleillée, parcourue de paysans à gros chapeaux en bambou, d'enfants autonomes volant dans des jeux silencieux, d'un corbillard tiré par des hommes tandis que d'autres, en deux rangées sur les côtés, le cernent de perches parallèles portées sur leurs épaules. Tout le village est sur la place où nous devons visiter, dans un des bâtiments en bordure, l'exposition des peintres paysans...
Je pense qu'une des fonctions, sinon la fonction la plus importante, de la Révolution chinoise aujourd'hui est de faire passer cette brèche dans nos coneptions universalistes de l'Homme ou de l'Histoire. Ce n'est pas la peine d'aller en Chine pour fermer les yeux devant cette brèche... Ecrire 'pour' ou 'contre' : vieux jeu du militant engagé en situation... Je vais relever ici un seul aspect de ce qui creuse l'abîme entre nous et les regards de Huxian : les femmes chinoises, la famille chinoise, leur tradition et leur révolution actuelle. Ce choix, pour deux raisons.
D'abord, parce que les recherches des spécialistes, mes impressions du voyage et les développements les plus récents de la Révolution culturelle prouvent que, dans l'histoire ancienne mais aussi tout au long du socialisme chinois et jusqu'à nos jours, le rôle des femmes et par conséquent la fonction de la famille ont, en Chine, und spécificité que le monothéisme occidental ne connaît pas...
2. La guerre des sexes.
3. Vierge du verbe.
4. Sans temps.
5. Moi qui veux ne pas être.
Femmes de Chine
1. La mère au centre.
Une filiation utérine, matrilinéaire, et matrilocale ? La génitalité – principe organisateur de l'univers archaïque. Traces dans les coutumes paysannes : Marcel Granet. Les couples royaus. Leibniz sur le Dieu des Chinois. L'écriture idéogrammatique : marque d'un despote ou d'une mère archaïque ? La combinatoire dramatique contre le principe de la raison sussifante. Une commune primitive d'il y a six mille ans, visitée à Panpo. Les femmes, l'érotisme et les vieux traités sexuels.
J'ai visité, près de Xi'an, le musée pré-historique de Panpo. Les fouilles, commencées en 1953, ont découvert un village que les archéologues chinois modernes considèrent comme ayant eu l'organisation sociale de la commune primitive et du matriarcat, avant l'apparition du patriarcat, de la propriété privée et des classes... Sur un territoire de cinquante mille mètres carrés dont seulement un cinquième est exploré et présenté dans le musée s'étalent les ruines d'un village de six mille ans avant notr ère. Trois parties apparaissent sur ce sol blanchi par le calcaire et le temps qui livre devant mes yeux une vie lointaine, celle même que Mme Chang Shufang essaie d'expliquer à l'aide d'Engels... « Ce sont les femmes qui ramassaient les plantes sauvages ; en les cultivant autour des maisons, elles ont inventé l'agriculture, ce qi leur a permis de jouer un rôle social de premier plan, y compris en politique. Les hommes se consacraient à la chasse et à la pêche, et ensuite à l'élevage. »...
Est-ce un écho de ce rôle central de la mère génitrice dans la famille archaïque, qu'on entend jusque dans les traités secuels et les rites érotiques de la Chine féodale ? Ce qui est sûr, c'est que les les 'manuels' sur 'l'Art de la chambre à coucher' qui remontent au début de notre ère, instituent la femme non seulement comme initiatrice principale aux arts érotiques puisqu'elle en sait la technique de même que le sens secret (alchimique) et les bienfaits pour le corps (la longévité), mais aussi comme celle qui a le droit incontestable à la jouissance...
On a souvent insisté sur l'influence de la vie et de la théorie sexuelles chinoises sur la constitution de la mystique sexuelle bouddhiste et tantriste. Il reste, pourtant, une différence essentielle entre l'univers chinois et l'univers bouddhiste sur ce plan : les deux (sexes) s'harmonisent mais généralement ne fusionnent pas en Chine, la dyade alchimiste-érotique du taoïsme n'est pas un androgyne, jamais l'un n'absorbe l'autre au point d'en rendre superflue l'existence comme le dit le tantra « Qu'ai-je besoin d'une autre femme ? J’ai en moi-même une Femme Intérieurs ». Le taoïsme nourrit cette conception de la vie secuelle qui sous-tend la société chinoise et reste, permanente, dans l'ombre des foyers, y compris lorsque le confucianisme règne en maître absolu sur la scène politique depuis les Song au moins (XIe siècle)...
2. Confucius – un « mangeur de femmes ».
Filiation bilatérale, échange généralisé simple (mariage avec la fille de l'oncle maternel), famille patrilinéaire féodale. La 'jia' chinoise ; une unité économique. L'autorité du père mort : la hiérarchie des ancêtres aux fils. Les femmes : nomadisme, oppression et intrigues. Le 'pouvoir féminin' : sur les morts. La puissance des aïeules. Les pieds bandés – la souffrance constitue l'objet d'amour. Quelques prototypes classiques : une 'antiféministe', Pan Zhao ; les concubines ; une impératirce : Wu Zetian ; les courtisanes ; les lettrées ; Li Qingzhao ; la suicidaire ; la soldate travestie. Le sort de la morale confucéenne dans la révolution socialiste : une enquête au Taiwan.
Je les vois encore, à Pékin ou en province, ces vieilles dames toutes habillées en noir, aux petits pieds de bébé, que je n'osait pas regarder et encore moins photographier. On a beau savoir qu'il existe, ce petit pied, et qu'il est très petit : c'est imaginable. Pris dans une minuscule chaussure en velours noir, le devant pointu, sa semelle en caron, dirait-on, et ce n'est pas invraisemblable, car elles ne doivent pas marcher beaucoup... Les yeux seuls, mouillés, un peu tristes, faits pour regarder au-dedans plutôt qu'en face, et d'une ironie très douce et très voilée, sont les témoins, à déchiffrer, de cette mutilation. Le soir, les fils et les petits-fils les promènent, assises en amazones blessées à l'arrière les lampions s'allument et que tout le monde afflue dans l'ancienne. Cité interdite, la place Tiananmen est pleine de gardes rouges qui promènent leurs grand-mères, aux pieds mutliés, à bicyclette...
3. Socialisme et féminisme.
Une révolution bourgeoise, nationaliste, socialiste et féministe à la fois. Les suffragettes chinoises envahissent le Parlement en 1912. Le Mouvement pour les droits des femmes inspire les idées du Mouvement du 4 mai. Un supporter de la cause féminine : Mao Zedong. Les articles de Mao sur le sucide des femmes. Le programme d'études en France comprend les futures militantes féministes et communistes. Xiang Jingyu, Cai Chang Deng Deng Yingchao.
4. Le parti et les femmes.
Droits des femmes ou luttes de classes. Mao invente les paysans comme force principale de la Révolution, mais reste prudent sur les femmes. Les paysannes et les étudiantes – sensible aux luttes féminines ; les ouvrières – plus directement marxistes. Xiang Jingyu subordonne les problèmes de la famille et des femmes à la lutte du prolétariat. Un 'pouvoir des femmes' est une contradiction logique et une impasse socio-politique. Les féministes du Guomindang. Le Soviet de Jiangxi de 1930. La Loi sur le mariage, signée Mao, lasse supposer la disparition de la famille et la libération sexuelle comme forces motrices de la Révolution. Stoïcisme et liberté au cours de la Longue Marche. Ajuster la propagande à la psychologie des femmes pour vaincre le Japon. 1949 : Premier Congrès des Femmes chinoises.
5. La loi du mariage (1950). La démographie et l'amour. Les femmes au poste de commandement.
Abolir l'ancienne famille confucéenne : mesure économique et idéologique à la fois. La 'Réforme agraire' et la 'Loi du mariage'. Privilèges aux femmes : pas de 'chef de famille' ; la mère garde son nom et peut le léguer aux enfants ; avantages accordés à la femme en cas de divorce ; le travail de la ménagère lui donne droit à la propriété. La famille – institution transitoire ; facilité du divorce. Les fonctions principales de la famille : biologique et éducatrice. Une éthique familiale. Un certain esprit de famille par rapport à Jiangxi. La famille disparaîtra-t-elle sans crise à l'occidentale ? Campagnes contre la morale bourgeoise : 1953, 1956-1957. Démographie : la contraception et l'amour (en famille et pour la Patrie) doivent maintenir l'accroissement de la population. Le Bond en avant : libérer la force de travail des femmes sans faire disparaïtre la famille sous la commune. Mao contre Dulles sur la famille 'démocratique et unie'. 1962 : Mouvement pour l'éducation socialiste – pour la famille, contre le familialisme. Une enquête sur les relations familiales racontées par la littérature moderne : le retour du 'père confucéen'. L'explosion de la famille pendant la Révolution culturelle. L'idéal du moi pour la Chinoise : l'Homme de fer. Les Jeunes Filles de fer de Dazahi. Cinq spectacles sans héros mais avec des héroïnes révoltées contre leur père : elles dramatisent mais ne réussissent jamais toutes seules. Brecht ou ce qui manque.
6. Entrevues.
Les mères – Une artiste – Les intellectuelles – Les jeunes, les vieilles, l'amour – Ménagères et ouvrières – Les directrices.
... Il aurait donc fallu pourvoir écrire ces visages de Chinoises : lisses, placides, fermés sans hostilité, qui signifiaient nous ignorer, dans la pénombre de cette première nuit à Pékin, au-dessus de leurs bicyclettes, ou dominant les joues sérieuses de leurs enfants. Froideur souple et friable, distance sans pont, ponctuée par ces habits gris-bleus qui masquent les corps comme des bâches sur des foyers craignant les bombardements ennemis. Etrangère à jamais, glacée dans mon désir refusé d'être reconnue une des leurs, heureuse quand elles se perdaient dans les traits de mon visage et que seuls les larges pans de mon pantalon faisaient crier les vieilles paysannes, rassurées, sur la Grand Muraille : 'waiguo ren' (étrangère). Mal à l'aise dans un groupe d'hommes. Ni asiatique ni européenne, méconnue par elles et détachée d'eux - c'est de cette position inconfortable qu'il me fallait saisir quelques petites vérités sur leur destin à elles, en ce moment. Position peut-être inconfortable mais la seule possible. Car après tout ce que vous savez déjà de la société chinoise, vous aurez compris que ce n'est pas la peine d'aller en Chine si vous ne vous intéressez pas aux femmes, si vous ne les aimez pas. Vous risquez de tomber malade d'incompréhension ou de sortir ragaillardi d'avoir tout compris, mais sans avoir jamais franchi la grande muraille ; précieusement empêtré dans votre propre univers, sans accès – fût-il incertain et difficile à débrouiller – à ce qui coule derrière les façades des affiches et des stéréotypes.
Il aurait fallu pouvoir écrire ces corps de Chinoises : remplis, plus ou moins opulents selon l'âge et les maternités vécues, mais toujours aux contours ovales, touchant à peine le sol, et, sans danser, flottant sobres dans l'air du petit matin, dès le lendemain de notre arrivée, sur la place Tiananmen, et sur toutes les routes du pays, avec les flocons en mousse de saules qui inondent le ciel au printemps. Les vestes sans taille et les pantalons aux fonds larges, qui serrent les cous et les poignets, ne suggèrent pas les lignes des corps : je devine à peine des épaules fragiles et étroites, des poitrines discrètes, des ventres et des hanches robustes qui, avec les courtes cuisses fortes fermement soudées au tronc, sont le puissant centre de gravité de ces ensembles qui cheminent sans peser. Ces bras onduleux aux poignets agiles qui manient à merveille les baguettes et les pinceaux et n'effleurent que distraitement les corps des enfants. Ces mollets forts de garçons qu'un pantalon relevé au hasard laisse voir. Le corps bouge aux genoux, au cou, et par les ondulations des bras ; ventre et cuisses scellés droits — sans pliures mais sans raideurs non plus, solides et détendus, relâchés même, irrigués d'un plaisir sans étalage qui a quelque chose de confiant et d'assuré comme l'est le repos après une dépense passionnée.
Il aurait fallu pouvoir écrire ces voix de Chinoises : basses jusqu'à l'inaudible dans la conversation, vibrant veloutées dans la poitrine et le ventre, mais qui peuvent, brusquement, se hisser à la gorge et monter aiguës à la tête, tendues entre l'enthousiasme et 1'agressivité, exaltées ou menaçantes, lorsque l'enjeu idéologique se précise dans le discours, ou lorsque le corps est en représentation sur une scène ou devant un micro comme l'exige le code scemque traditionnel. Ecrire ces regards qui peuvent glisser sans voir : aveuglés par une préoccupation ou un plaisir opaques, sans noms, mais aussi éblouis par une idée qui les absorbe, les écarte de l'en-face, et les lance vers un infini où vous n'avez aucune chance d'être.
Il faudrait pouvoir écrire ces rires de Chinoises : joyeusement éclatant dans les yeux et les lèvres et, sans que la voix y participe, chassant en un éclair la pudeur permanente pour la remplacer tout de suite par des flambées continues d'ironie et d'humour où se mêlent l'appel à une complicité erotique et le savoir serein qu'elle est impossible : jamais amer, jamais déçu.
Il faudrait pouvoir écrire ces familles ou groupes sur les places, dans les parcs, les champs et les usines, où les hommes discrets, d'une modestie qui peut paraître effacée et monotone, s'affairent autour de femmes aussi discrètes mais beaucoup plus à l'aise qu'eux, légèrement dominantes, et dont les gestes harmonieux laissent échapper un érotisme auquel personne ne semble faire attention, mais qui instaure, à travers l'autorité politique et idéologique du jour, une autre — plus souterraine, mais plus immuable peut-être et apparemment plus prenante parce que réglant un espace antérieur à la politique, fait de désirs archaïques dont personne ne parle mais qui s'écrivent avec les gestes, avec les pinceaux. Une femme dans un groupe, c'est le centre vide et paisible duquel émanent et vers lequel convergent tous les actes des hommes destinés au travail, absorbés dans leurs occupations. De là ces regards angoissés de Méditerranéennes nostalgiques que je n'ai jamais rencontrés dans les yeux des Chinoises mais seulement des Chinois ?...
Les mères
Dans la vaste usine de tracteurs "L'Orient est rouge" à Xi'an où travaillent 6 700 ouvrières, il y a vingt salles spécialement aménagées pour l'allaitement. Deux fois par jour, les mères arrêtent leur travail pour une demi-heure et viennent nourrir leurs bébés amenés des crèches de l'usine ou par les grands-parents qui les gardent aux foyers. A l'écart du bruit, propres et sobres, des dizaines de mères gardent un contact permanent avec leurs enfants sans se détacher réellement de la production. Ces salles existent dans toutes les usines que nous avons visitées, et il semble que l'objectif est d'en faire dans tous les lieux de travail. Un bruit infernal nous accueille dans l'Usine textile n° 4 du Nord-Ouest de la Chine, à Xi'an. De la poussière de coton flotte dans l'air et nous étouffe. Le nez et les oreilles bouchées, on ne desserre pas les lèvres. Construite entre 1954 et 1956, cette usine de 6 380 ouvriers comporte une majorité de femmes (58 %) qui travaillent, avec des variantes d'un atelier à l'autre, dans des conditions plus que difficiles. Le vice-président du Comité révolutionnaire, Wang Jinchun nous dit que ce n'est pas grave, "les gens sont habitués" (!), mais qu'il y a "des examens médicaux réguliers " et qu'en plus "on fait des recherches pour améliorer les conditions d'aération et diminuer le bruit, avant d'être en mesure d'acheter des machines plus perfectionnées."
La majorité des ouvrières sont jeunes, encadrées de contremaîtres d'âge moyen ou assez âgés. Des gestes calmes, imperturbables dans le brouillard de coton et de fracas. Quelques yeux dépassent des métiers — curieux, distants. Je remarque des ventres arrondis : les femmes enceintes sont assises sur des chaises roulantes qui les déplacent le long des fileuses — ne pas rester debout, ne pas se fatiguer. Une femme enceinte travaille dans l'atelier de filage jusqu'au sixième mois de la grossesse ; après, on lui donne un travail plus léger : contrôle de la qualité des tissus, comptage, vérification des emballages, etc. Autour de l'accouchement, une femme a droit à cinquante-six jours de congé payé ; en cas de complications (jumeaux, césarienne, etc.), le congé peut se prolonger de soixante-dix à quatre-vingts jours, et s'accompagne d'une allocation de frais supplémentaires. Une ouvrière de deuxième catégorie, c'est-à-dire au plus bas de l'échelle après la stagiaire, touche 38 yuans par mois. On peut arriver, après des années de travail et une bonne qualification, à la huitième catégorie avec 102 yuans par mois. Dans cette échelle, la plupart se maintiennent vers la limite inférieure : 50-56 yuans. Les soins pour un enfant ne coûtent que huit yuans par mois, si l'on confie l'enfant au jardin d'enfants de l'usine à la semaine, et six yuans par mois si on les reprend le soir chez soi. Le jardin d'enfants de l'Usine textile n° 4 du Nord-Ouest accueille huit cents enfants de 3 à 6 ans et demi dont s'occupent dix professeurs et quelques nourrices, et, au dire de la directrice, il peut en accueillir davantage si les parents le demandent. Les autres enfants sont à la charge des grands-parents qui habitent avec les couples. Quand les grands-parents sont disponibles, la préférence va à eux plutôt qu'au jardin. Les bébés au-dessous de 3 ans sont dans la crèche à l'usine même : les mères peuvent les visiter et les nourrir deux fois par jour, comme partout ailleurs.
Les enfants entourent leur mère ou leur monitrice avec le sérieux et la distance d'adultes. Les joues remplies, les regards graves, toujours pris à quelque jeu où ils s'amusent sans débordement, les petites filles battant immanquablement les petits garçons, ils peuvent être souriants, discrets ou ambitieux, mais je ne les ai jamais vus pleurer, séduire ou s'imposer. Petits corps déjà autonomes qui ne donnent pas l'impression, comme les nôtres, d'être nés trop tôt et de ne pouvoir pas se passer de nous. Micro-société indépendante, ils nous montrent leurs jeux, sautent à nos cous, aux cris joyeux qu'on leur a appris pour la circonstance, saluent de loin nos voitures (on ne peut être qu'étranger si on est en bagnole), mais aussi se promènent enlacés ou la main dans la main, tout seuls, sans adultes, le long des routes, à la campagne ou dans les rues de grandes villes tard après la tombée de la nuit. Tôt éduqués, socialisés précoces, ils témoignent par leur dignité de petits sages, à côté des parents qui, à l'envers, ont l'air enfants, de l'amour solide mais sans effusion et en quelque sorte anonyme, impersonnel, de la mère chinoise. On n'embrasse pas, on ne caresse pas, on ne serre pas un enfant — en tout cas pas trop, et surtout pas en public. S'il vous est cher, il ne vous est pas tout. Qu'il soit votre désir, c'est incontestable, et il en est averti, si l'on en juge par son assurance digne : plus muette et parfois même écrasée chez le garçon (trop aimés ?), plus autonome et parfois même triomphale chez la fille (ayant pu se réfugier auprès d'un père solide, aimant, mais compensé par une mère maîtresse ?). Mais il semble que très tôt ce désir personnel d'enfant a été marqué -— je dirais volontiers : civilisé — par une nécessité sociale qui le tient subordonné, jamais absolu : personne ne se prend pour le petit Jésus.
A l'hôpital de Shanghaï, annexe de l'Institut médical n° 2 où nous avons pu voir des opérations par anesthésie sous acupuncture et une très fine opération de la cataracte avec les moyens conjoints de l'acupuncture et de la médecine occidentale, il y a un secteur de gynécologie et de maternité avec quatre-vingts lits. Les maladies gynécologiques et surtout celles dues à des troubles endocriniens, sont soignées souvent par les moyens, considérés plus efficaces, de la médecine chinoise : homéopathie chinoise et acupuncture. Dans une salle à trois lits — trois accouchées : une vendeuse, une ouvrière d'usine de radios et une comptable. Pour l'ouvrière, c'est le deuxième enfant : "Ce sera, dit-elle, le dernier, pour pouvoir me consacrer au travail et pour mieux m'occuper d'elles. Deux filles, et les grands-parents voudront sans doute un garçon, mais on ne les écoutera plus ; à l'usine on distribue des stérilets, gratuits comme l'est l'accouchement."
Zhu Chuanfeng s'en est déjà servie et pourra en reprendre l'usage. Encore fatiguée, mais la plus radieuse des trois, est la disgracieuse Chan Beiyin : la comptable du Nord qui est rentrée avec son mari à Shanghaï pour accoucher auprès de ses parents, comme le font beaucoup de femmes traversant pour cela toute la Chine parfois, les maris recevant aussi des congés pour la circonstance. Cela fait huit jours qu'elle a accouché par césarienne, sous anesthésie par acupuncture : "Aucune douleur, rit-elle, dans deux jours je vais marcher."
Le bébé, un garçon, est visiblement le héros de cet exploit. Mais elle met une étrange négligence lorsqu'elle en parle, pudeur ou rituel ?, et préfère s'entretenir de ses activités de comptable, de son apprentissage de la Critique du programme de Gotha, et de la campagne contre Lin et Kong qui était "un mangeur de femmes ". Il est vrai que je suis étrangère, qu'il n'y a aucune raison de m'introduire dans les joies intimes de la famille même si elles existent, et que la responsable de la clinique m'accompagne. Toujours est-il que le bébé n'a pas encore de nom, et que le "baptême" est loin d'être une préoccupation pour sa jeune mère. Elle a quand même une idée : Xiao Di, "petite flèche ", et pas n'importe laquelle puisqu'elle vient tout droit d'un poème de Mao, "Fei ming di"...
Une artiste
...Je ne m'étonne presque pas quand on me dit que la camarade Li Fenglan est peintre, et qu'on me montre, dans l'exposition des peintres-paysans de la Commune populaire, ses tableaux : "Une brigade travaille le coton", "Moisson". Les thèmes sont immanquablement des thèmes de travail, et les personnages, quand on peut les distinguer dans ce style où l'anthropos se perd au profit du grain de maïs, sont des femmes. Li Fenglan dit qu'elle ne peut pas peindre autre chose que ce qu'elle a vécu : "Je ne dessine pas d'objets auxquels je n'ai pas été mêlée par mon travail." Et continue, harcelée par mes questions qui visiblement lui paraissent bizarres puisque j'essaie de la pousser à des aveux sur les mobiles de son penchant esthétique :
En fait, je ne peins pas les objets que je vois, mais je les peins d'après mes rêves, après en avoir rêvé, au retour des champs, un peu fatiguée, et en couleur, la plupart".
Li Fenglan, paysanne pauvre, a appris à lire et à écrire assez tard, et n'a jamais suivi de cours de peinture, encore moins d'histoire de l'art. Depuis quelques années, la commune a organisé un stage de peinture où les talents locaux peuvent apprendre, par des spécialistes venus de la ville, à manier les couleurs, les pinceaux, à dessiner un visage, un corps, un champ. Beaucoup de paysans y participent, cela donne lieu à des expositions locales qu'on envoie après à d'autres communes qui, en retour, envoient les leurs — un art impermanent circule ainsi dans tout le pays. Mais Li Fenglan n'a pas participé à ces cours, et tout ce qu'elle dit savoir sur "Fart" est le discours de Mao sur la littérature et l'art à Yanan. Ce manque d'éducation picturale qui, actuellement, est du type réaliste-socialiste, explique peut-être, en partie, la fraîche naïveté de ses tableaux, faits, dirait-on, par un vieux peintre taoïste qui a rêvé d'être Van Gogh avant de se réveiller dans une commune populaire...
"Il faut s'élever au-dessus de ce qu'on voit. D'ailleurs, la peinture sert à une femme à s'élever. Dans l'ancien temps, les femmes étaient méprisées, une paysanne-peintre, c'était ridicule. Maintenant, nous sommes heureux, mais je suis la plus heureuse quand je prends le pinceau pour peindre. Je me sens excitée d'enthousiasme. Quand je lis les œuvres du président Mao, aussi, mais autrement."
Discours naïfs, discours appris ? Nous avons l'air ridicule de demander à Li et à ses camarades peintres, les motivations subjectives de leur art : ils nous renvoient sans cesse au passé, au bonheur du présent et au fait que la peinture est un moyen de propagande plus direct que la littérature pour toucher les masses. Li est d'ailleurs la seule à parler de rêves, de plaisir à mélanger les couleurs, à varier les jaunes par exemple, et, en ce moment, à nuancer les différents blancs car le tableau qu'elle peint actuellement représente la cueillette du coton :
"On n'y voit, dit-elle, que quelques points noirs (les gens) et de grands espaces de blancs à perte de vue qu'il s'agit de sculpter."...
Le réalisme intervient, mais pas comme dans les tableaux des vrais maîtres réalistes de leur Commune populaire qui sont, évidemment, des hommes et qui peignent les portraits du secrétaire du Parti communiste : le réalisme intervient, dans du secrétaire du Parti communiste : le réalisme intervient, dans la peinture des femmes, pour appuyer, plus vrai que nature, un animal, un oiseau ou une plante qui ont, du coup, l'air de caricatures. Par ailleurs, la tristesse, les conflits, tout ce qui peut être sujet à mécontentement, est aussi destiné à la caricature. Le tableau, sur papier chinois, à l'encre de Chine colorée, au crayon ou à l'aquarelle, est destiné à l'impression sereine, à la vision calme d'une nature apprivoisée, où l'homme dans son travail se perd, extatique, à peine discernable. Est-ce un hasard si les femmes sont les plus à l'aise dans cette reprise de la tradition picturale chinoise pour la moderniser, en contournant le réalisme brutal qui, d'ailleurs, ne continue pas moins de nous assaillir, par les affiches, comme un mauvais rêve soviétique d'après-guerre ?
Les intellectuelles
La tendance actuelle étant à une refonte du travail manuel et du travail intellectuel, par laquelle la couche des intellectuels serait vouée à la disparition, les seules personnes exclusivement consacrées au travail intellectuel que nous avons pu rencontrer en Chine sont les professeurs. D'ailleurs, la campagne des "écoles à portes ouvertes" implique qu'ils consacrent deux journées de travail aux usines ou aux champs, de sorte que leur vocation "exclusivement intellectuelle" est toute relative. Il faut souligner tout de suite que cela ne signifie pas du tout la suppression de cette pratique intellectuelle qui, dans la division du travail des sociétés de classes, a donné lieu à la caste des intellectuels. Si en Chine d'aujourd'hui on ne veut pas d' "élite", on veut quand même une "élite rouge" : terme qui signifie d'une part que les spécialistes seront activement politisés et participeront organiquement aux tâches urgentes de la construction socialiste, et d'autre part et en même temps, que leur spécialisation (au moins pour l'énorme majorité, de laquelle il faut exclure le petit détachement de "chercheurs de pointe" dont on n'a pas négligé la formation même pendant les années les plus rouges de la Révolution culturelle, que ce soit en biologie ou en linguistique chomskyenne) ne dépassera pas trop les compétences techniques et scientifiques exigibles des larges masses pour l'accomplissement des travaux en cours. Spécialistes donc, mais pas trop, et en tout cas des spécialistes qui mettent les valeurs politiques au-dessus des valeurs scientifiques, une couche intermédiaire entre la société à division rigide du travail et une autre où cette division ne sera pas génératrice d'inégalité économique, idéologique et politique -— voilà ce qui semble être demandé aux "intellectuels", le but politique pour l'instant étant d'éliminer avant tout une source de nouveaux bureaucrates et de nouvelle bourgeoisie qu'alimenteraient aussi bien la tradition du lettré confucéen que l'exemple encore très présent de l'intellectuel-bour-geois-bureaucrate soviétique. Résultat trop évident de cette politique : baisse du niveau intellectuel, restriction des matières et des domaines enseignés, inemploi objectif d'une partie considérable du savoir des spécialistes formés à l'école confucéenne mais aussi à la soviétique. Autre résultat aussi trop évident : entrée dans la culture de masses illettrées — huit cent millions qui ignorent sans doute les subtilités de la culture classique mais qui discutent le Manifeste communiste, ont le minimum de connaissances techniques et d'hygiène nécessaire à l'étape actuelle du socialisme chinois, et font de la poésie et de la peinture comme nous écrivons des lettres...
En Chine, on ne nous a jamais parlé de 'couples' : moins parce que le problème est surmonté par la conception de la refonte de la famille dans la commune... Les Chinois, 'structuralistesV avant la lettre, considéreraient-ils que le 'yin' est toujours nécessaire dans une alliance de deux, et que par conséquent la modernisation ne consisterait que dans la possibilité, pour une femme, d'être structuralement 'yin', s'ils ne peuvent pas être les deux à la fois, ce qui serait le mieux ?...
Feng Zhongyun, 53 ans, femme professeur de poésie classique à l'Università de Pékin, a terminé ses études en 1941 ; puis elle est entrée comme enseignante à l'Université Qinghua ; puis, en 1952, à l'Université de Pékin. Intellectuelle éduquée selon ce qu'on appelle ici l'ancien système, elle est sans doute, au moins autant que tout structuraliste occidental, au fait des raffinements prosodiques des genres poétiques chinois, et parle avec le plaisir du connaisseur, des parallélismes, des rythmes, du support graphique imagé et de la mélodie inséparable des vers anciens. Pourtant, ce n'est pas là-dessus qu'on lui demande maintenant de mettre l'accent de son enseignements. Comme tous les enseignants, Feng Zhongyun s'est mise à l'école du marxisme-léninisme qui, dans son domaine à elle, l'incite à chercher 'l'attitude de classes' dans les textes littéraires... [Le] passage par la campagne est, pour Mme Feng, une bonne chose : « Les enfants mûrissent, apprennent les véritables problèmes du pays, ce qui les préserve des tentations de devenir une élite confucéenne, sans pour autant les handicaper sensiblement dans l'apprentissage d'une spécialité digne d'une élite rouge. »... Quelques tendances se dégagent : liquider l'esprit de l'Ecole confucéenne ; étudier l'Ecole des Légistes ; critiquer la tradition qui a florifié Confucius et dénigré les Légistes. Cette orientation anticonfucéenne est actuellement prépondérante, même si Feng reconnaît qu'il y en a d'autres : « L'Université de Pékin était dirigée par des révisionnistes, tout est à revoir ».
Notre discussion avec les enseignants de l'Université de Pékin a duré de 9 heures à 17 heures, avec un déjeuner commun. Feng Zhongyun était la seule femme parmi nos hôtes. De tous les discours, préparés d'avance, où chacun exposait les problèmes idéologiques et méthodologiques de sa discipline, le sien était le plus bref, le plus précis et le plus prudent. Elle avait probablement la même conviction politique ferme que ses collègues...
A 35 ans, Wu Xiufen est, par contre, entièrement formée par le socialisme. Après quatre ans d'études de physique à l'Université, elle est actuellement professeur de Physique à l'Ecole Normale supérieure de Nankin — beau "campus" de l'ancien Collège américain, dans un vaste parc vert, peuplé de pavillons style Ming qui donnent l'impression d'une cité impériale plutôt que d'un lieu universitaire. Spécialisée en électro-dynamique, elle est une des premières à avoir adopté le principe de F "école à portes ouvertes". Dans l'enseignement de la physique, ceci veut dire que parallèlement à l'apprentissage des théories, les élèves appliquent immédiatement leurs connaissances dans la production d'objets pour l'industrie du pays. Ainsi, les élèves de l'Ecole Normale de Nankin non seulement savent, comme tout "normalien" dans le monde, les principes de fonctionnement d'un générateur, mais fabriquent des moteurs électriques légers dans les quelques ateliers de physique de l'école. Ces moteurs sont vendus à l'Etat, selon le plan de celui-ci. Les "revenus" sont, bien sûr, modestes, car la production n'est pas intensive, mais elle est permanente et sa fonction éducative prime la visée économiste. En plus, un mois par semestre, les élèves de Wu Xiufen travaillent dans les usines, avec les ouvriers de la ville. L'"enseignement à portes ouvertes" veut dire enfin que deux demi-journées par semaine sont consacrées à l'étude politique (les articles du Quotidien du Peuple, les textes de Mao et des classiques du marxisme), actuellement essentiellement orientée dans le sens de la campagne Pi Lin Pi Kong... Sur trois professeurs à l'Ecole, il y a une femme, et 40 % des élèves sont des jeunes filles — proportion satisfaisante, selon Wu, dans l'état actuel des choses, et en tout cas ne posant aucun problème de "droits féminins" particulier, selon elle.
Encore plus sûres d'elles-mêmes, les femmes ont en main l'enseignement obligatoire, primaire et secondaire, des établissements que nous avons visités : les cinq écoles secondaires et les dix-neuf écoles primaires de la commune Marco Polo près de Pékin qui donnent, chaque année, vingt candidats à l'Université ; l'Ecole primaire de Changjianlu à Nankin où la directrice Huang Guanglun nous dit que l'enseignement a deux buts : l'un idéologique dominé par l'esprit d'internationalisme et d'amour pour la patrie, et l'autre méthodologique d'ouverture aux connaissances pratiques et au renforcement du corps, selon les indications de Mao.
Dans la toute jeune génération d'enseignants, une promotion accélérée s'accompagne, semble-t-il, d'un avantage donné aux jeunes filles. Ainsi, à l'Université de Shanghai, Ji Ruman, 23 ans, est assistante de philosophie après deux ans et huit mois d'études supérieures de philo, au lieu des cinq ans exigibles avant la Révolution culturelle...
Lu Qiulan est présentatrice du Musée historique de Xi'an, un des plus riches en Chine, contenant entre autres d'immenses salles de stèles funéraires de toutes les époques dont les treize livres classiques du confucianisme gravés dans la pierre... Lu Qiulan insiste sur le sens des textes confucéens, le milieu social qui les a produits, les révoltes populaires contre, mais aussi sur les différents styles calligraphiques du passé dont Mao s'est inspiré. Son travail d'historienne consiste aussi à approfondir la recherche...
Les jeunes, les vieilles, l'amour
Mlle Zhan Guofei, 20 ans, est vice-présidente du Syndicat aux Chantiers navals de Shanghaï, immense entreprise pour la construction et la réparation de navires de fort tonnage, qui emploie 7000 ouvriers dont 1400 femmes et occupe 460000 mètres carrés répartis en dis ateliers. Sans être un organisme à importance capitale, surtout après le Révolution culturelle où les fonctions politiques et même de direction de la production sont principalement assumées par le Comité révolutionnaire, le Syndicat joue un rôle essentiel dans l'organisation de la vie quotidienne – famille, mariage, naissance, crèches, jardins d'enfants, réfectoires, mort, divorce, contraception, donc tout ce qui concerne les femmes, est de son ressort, comme de celui du Comité administratif. Mais le Syndicat est chargé aussi de l'éducation idéologique : il organise l'étude de la pensée de Marx, Engels, Lénine (Staline figure dans la série, mais on n'étudie pas sa pensée) et de Mao, la critique de Lin et Kong, la compétition dans la production ; forme de nouveau cadres administratifs ; organise les écoles du soir et les loisirs : sports, cinéma, théâtre « et surtout », die Zhan Guofei, « reçoit les opinions des masses pour critiquer la direction »...
Ménagères et ouvrières
En Chine, comme ailleurs, les ménagères restent les femmes les plus défavorisées : je ne veux pas dire les plus dénigrées, mais partageant le plus d'archaïsmes. Ce n'est pas que la 'Loi du mariage' ne leur accorde pas des droits : tout au contraire, elles en sont avantagées. Ce n'est pas qu'elles ne bénéficient pas d'inscruction politique : dans le quartier populaire de la rue du Melon à Shanghai, on les réunit une heure tous les mercredis et tous les dimanches pour discuter l'actualité politique, mais aussi des problèmes de santé, d'hygiène, d'éducation des enfants....
Parmi les ouvrières, l'âge semble jouer un rôle décisif pour la détermination de la combativité économique, politique et idéologique. Les jeunes filles et les ouvrières plus âgées me sont apparues comme les éléments les plus actifs : aussi bien pour gérer que pour critiquer...
En ce qui concerne les paysannes, des efforts immenses sont déployés pour les extraire des traditions et des superstitions familiales : la 'Loi du mariage' a résolu les problèmes légaux et a détruit les clans qui se vendaient les filles ; l'envoi des jeunes à la campagne à partir de la Révolution culturelle, et le brassage de culture que cela suppose, permet visiblement non seulement de lier les jeunes citadins au peuple, mais aussi de moderniser les villages. Dans la commune populaire Marco Polo, près de Pékin, j'ai rencontré de jeunes paysannes qui font partie d'une troupe de propagande artistique, lisent Mao et quelques romans dont elles ne se rappellent pas les titres, et font des poèmes sur les thèmes politiques du jour. Les mères de famille aussi participent à cette existence collective politisée, active : trois cinémas dans la commune, cours d'alphabétisation et d'instruction politique le soir. Mme Xu Jin, qui se lève tous les jours à 5 h 30 et travaille de 6 heures jusqu'à 19 heures, avec quatre pauses (petit déjeuner ; 10 heures ; déjeuner ; 4 heures) est contente de sa vie : la maison a l'eau courante et l'électricité, le mari travaille à la fabrique de briques, les filles étudient pour devenir des secrétaires, on n'a pas de dimanches mais les femmes ne travaillent que vingt-six jours par mois et les hommes vingt-huit, tout cela rapportant 2500 yuans par an pour les cinq travailleurs de la famille, dont on peut épargner 700...
Les directrices
Directrices d'école (bien sûr), de cités ouvrières (évidemment), d'usines (moins évident) : elles prennent le commandement avec assurance et calme... Cao Fengchu, 40 ans, mère de trois enfants qui travaillent, après le secondaire, dans les usines et à la campagne... « La vie est stable ». Mme Cao a dit le mot que laissent entendre, sans forcément le formuler, toutes les femmes d'une quarantaine d'années, cadres ou responsables, et qui tranche avec l'image reçue d'une Chine déséquilibrée par la Révolution culturelle, exaltée, romantique, lancée à l'aventure... « Ce n'est pas parce qu'on est pauvre qu'on doit éternellement vivre mal, c'est une question de pouvroi »... Les enfants, dans les rues, la connaissent, s'écartent à son passage ou sautent dans ses bras : c'est la tante Cao, une sorte de mère collective, à laquelle on s'adresse pour tout ce qui concerne l'habitat, les loisirs, l'éducation des enfants, les retraités, les activités culturelles et politiques sur place, la contraception...
A l'Ecole primaire de Changjianlu, à Nankin l'équipe dirigeante est entièrement féminine... La réforme de l'enseignement prévoit, à côté de cette liaison avec la pratique, des soins de santé plus sérieux qu'auparavant : examens réguiliers, beaucoup de sport et de jeux...
Il semble que les activité nationales, centralisées, concernant les femmes, sont suspendues en ce moment : la revie « Femmes de Chine », ont on a vu des numéros calligraphiés par Mao pendant la Révolution culturelle ne paraît plus. Même si la 'Fédération des Femmes chinoises' existe à l'échelle nationale, avec des 'Associations de Femmes' pour les provinces et auprès des municipalités des villes, il apparaît, dans le récit de Wu Beijin, que toute l'activité dirigée par le Parti auprès des femmes s'effectue sur place, dans l'usine en l'occurrence, par une section spéciale du syndicat. Des cours sont organisés pour les femmes oû elles apprennent des fondements de la théorie politique ou suivent un enseignement technique nécessaire à leur qualification : ces cours ont tendance à être généralement mixtes. Aux femmes seules sont destinés des cours d'hygiène ou de contraception. Mais aussi des réunions politiques où on essaie de tirer les conséquences sur la vie concrète d'une femme des textes politiques ou philosophiques discutés en ce moment dans le pays : « Cela permet aux femmes de changer leur physionomie. Maintenant que les femmes sortent des foyers et qu'à l'usine elles ont un salaire égal avec les hommes, l'important est qu'elles prennent les pinceaux et qu'elles aillent au premier front. » Prendre les pinceaux veut dir, pour Wu Beijin, devenir cadre ou activiste...
Sekundärliteratur
Lisa Lowe : Kristeva represents China as a culture descending from a pre-oedipal matriarchal heritage ; her figuration of Chinese otherness is part of a strategy to subvert western ideology by positing a feminine, maternal realm outside its patriarchal system. Kriesteva's China expresses a confluence of the discourse of feminist theory, psychoanalysis, and semiotics, as well as orientalism.
Kristeva's “Des chinoises” invokes the matriarch of pre-Confucian China as a means of naming and projecting a figure that occupies a space beyond the structured and determined sexuality of western Europe. She associates the period of matriarchy and matrilineality in China with the 'phase pré-oedipienn', a reconstituted period in which the child is intensely allied with the mother before its entry into the Symbolic order of socialization and language. In this sense, “Des chinoises” is a text that embodies several desires : a theoretical desire to locate a position outside French structuralism and psychoanalysis from which these paradigms may be criticized ; a feminist desire to discover and praise a figure of absolute feminine power and to locate a matriarchal society in which this power is effected ; and finally a desire, inherited from the discourse of orientalism, to find in the history of the Orient the opposite of the Occident, to find there all that is absent from and beyond the West.
“Des chinoises” was written in the context of both the western Continental feminist debates of the early 1970s and the structuralist and psychoanalytic theoretical debates of the same period ; in this sense writing about 'la chinoise' was an occasion for Kristeva to critique the lack of psychoanalytic sophistication in the French and North American women's movements, as well as a means of providing a feminist critique of the Freudian and Lacanian pardigms of sexual difference. “Des chinoises” invokes the powerful figure of an ancient Chinese matriarch as the disrupting exception to western patriarchy and psychoanalysis, and the People's Republic of China is praised as a political antithesis to contemporary France. In both senses the examples of China and Chinese women are cited only in terms of estern debates, are invented as solutions to western political and theoretical problems.
In the book's second section, “Femmes de Chine”, Kristeva constitutes and ancient matrilinear-matrilocal society as the historical analogue to the female-dominated pre-oedipal topos, conflating the matriarch of pre-Confucian China with the modher in pre-oedipal discourse. Both projects place the Mother at the center of their respective paradigms ; as the primary figure in child development and gender acquisition, and as the origin of social and economic organzization. Both efforts depend on the retrospective invention of a prehistorical movement, an idealized state outside society and history, created from a point located within social arrangements. Throughout “Des chinoises” a historical extravagance, which so easily establishes a correspondence between an ancient modality and a contemporary one, lack an adequately complex appreciation of the heterogeneous and contradictory forces of history ; despite an ostensible allegiance to Marxism, Kristeva finds no apparent difficulties in generalizing Chinese history in so undialctical a fashion.
Kristeva justifies the mother-centered theories of the pre-oedipal phase and the pre-Confucian matriarchy in an 'analysis' of Chinese language. She argues that the independence of two linguistic systems – of tonal speech and of written ideogrammatic symbols – is particular to the Chinese language, and that the independent system of tonal speech is a preserved remnant of the matrilinear-matrilocal society, in which the mother and her bodily preverbal tones and rhythms were dominant.
Chapter 2, Confucius, discusses the Confucian era, generalized and homogenized into a priod ranging from 1000 B.C. to the twentieth century. In Confucian society, the text argues, an oppressive backlash extensively excluded women by law and social hierarchy.
Because Chinese women have a point of origin in which they were powerful and dominant, the repressed woman is described as both subject to authoritarian structures of obedience and simultaneously undetermined and outside those structures.
Chapters 3-6 discuss the conditions of women in the People’s Republic of China. Kristeva concludes that contemporary women in China have liberated themselves and reemerged as fully autonomous political subjects in a restoration of the coequal status and power they had possessed in the original matrilinear and matrilocal society. Because of its matriarchal roots, the Chinese Revolution of 1949, the text asserts, was an antipatriarchal revolution ; the socialist revolution in China, Kristeva argues, brought a fundamental revolution in the patriarchal family and in the roles of women.
“Des chinoises” erases the situations of women in contemporary China, the complex interrelation of certain qualified freedoms with remnants of centuries of sexual discrimination and oppression in family, professional, and political life. The Chinese woman is fetishized and constructed as the Other of western psychoanalytic faminism, a transcendental exception to the overstructures bind of women in western Europe. “Des chinoises” curiously reproduces the postures of desire of two narratives it stensibly seeks to subvert : the narratives of orientalism and romantic courtship, whose objects are the 'oriental' and the 'woman'
Eric Hayot : It is not just what Kristeva describes about China, but how she describes it, and what she learns from it, that make “Des chinoises” a rich, troubled text. Chinese strangeness does not, for Kristeva, arise from some ancient culture, but rather comes out of a modern society that steps into the same ontological and political space as Europe and the West.
Kristeva has for a long time been interested in a notion of strangeness that might bring about liberating change.
Considered fully, “Des chinoises” attempts through an analysis of the conditions of Chinese women to discover and describe an economy of gender and power wholly other to the Western psyche, one in which an original matriarchy and a feminine Taoism continue to produce people who cannot fit into the Western category of 'women' or 'man'. What she proposes is not so much learning a lesson from a different culture as a different method of reading from within the West. For, what is claimed to be 'unique' to China is simply understood as the 'negative' or 'repressed' side of Western discourse. In other words, Kristeva's understanding of China simply presents it as the mirror image of the West, so that where the West has gender, China does not. Even though Kristeva argues that in China women do not have gender, China as a general concept nonetheless occupies the space of 'woman' in a larger world picture. Kristeva's claim that Chinese people have no gender in the Western sense 'feminizes' China itself as the West's negative other.
Kristeva's interest in classical China and its history grounds and authorizes her general thesis about Chinese women. In general, in “Des chinoises” the deep roots of China's ungendered system are revealed to be engendered by classical texts or ancient archaeological sites, which receive the most superficial of readings.
Chung, Hilary. Kristevan (mis)understandings : writing in the feminine. In : Reading East Asian writing : the limits of literary theory. Ed. by Michel Hockx and Ivo Smits. (London : RoutledgeCurzon, 2003).
Contrary to its reputation, when tanken as a whole, Des chinoises gives the overriding impression not of communion with but rather distance from the women of China. Apart from a section in “Chinese women” containing an account of a series of interviews with Chinese women, inevitably staged, officially sanctioned and mediated by interpretation, the entire encounter with Chinese women is via secondary sources, unquestioningly interpreted. The most disturbing aspect of the work is its optimism.
The second case of Kristevan misunderstanding relates to a later period of Kristeva's oeuvre, namely her psychoanalytic explorations of depression and melancholia ; not only does she exclude China as a true site of melancholia (Chinese people don't suffer from true depression) but she also describes Chinese civilization as one in which the semiot response to melancholy is not available to suffers (Chinese people cannot mediate their suffering).
Kristeva appears to base far-reaching assuptions about the essential otherness of Chinese experience upon evidence with is unsufficiently researched.
As Kristeva later recalled, her 'Chinese experience' coincided with both her encounter with feminism and the start of her training as a psychoanalyst. The impact of this experience and her constructions of China, particularly on her formulations relating to gender and feminism, were profound.
Kristeva rationalizes the Chinese chastity code into a manifestation of an alternative symbolic order in which women are invested beyond an identification with the phallus. Far from offering an alternative which resists these mechanisms of exlusion, the Chinese code can readily be argued to impose very similar mechnaisms of disempowerment and exclusion.
The optimism of “Des chinoises” resides in the aspiration that an embryonic form of such an alternative economy of the sexes might be emerging in China. This is precisely why Kristeva seeks out an alternative matrilinear legacy in Chinese tradition, and focuses so squarely on the Chinese marriage law whose provisions in the abstract were more beneficent than actual social practice.
Kristeva's analysis of the avant-garde was founded on texts produced by male subjects. When questioned about the specificity of women's writing, she rejected the notion of assigning a specific identity to the speaking subject.
The attraction of Kristevan analysis is its uncompromising anti-essentialism. Rather, in terms of literary praxis, feminity is construed as a dissident mode of discours associated with rupture and negativity.
Literature : Occident : France
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