Claudel, Paul. Les superstitions chinoises : conférence prononcée à Prague en mai 1910.
Au temps jadis la légende nous raconte que les conducteurs du char de l'Empereur de Chine ne manquaient jamais avant de s'engager dans un défilé dangereux à faire une libation à l'essieu et au timon de leur véhicule. Vous m'excuserez si je réserve le verre d'eau placé sur cette table à un meilleur usage, et j'espère que sans aucun sacrifice vous accorderez votre indulgence à un conférencier fort inexpert et qui s'aventure aujourd'hui non sans appréhension dans une carrière toute nouvelle pour lui. Espérons que vous et moi sortirons du défilé sans encombres.
En prenant pour sujet de ma conférence, La Superstiton chinoise, j'ai conscience de m'attaquer à un sujet immense qu'une bibliothèque ne suffirait pas à couvrir. La superstition est partout en Chine, elle existe dans toutes les classes de la société, même chez les gens les plus cultivés. Au temps de la révolte des Boxers, j'ai connu des Chinois élevés en Europe, sortis de nos grandes écoles, et qui étaient convaincus que grâce à leurs incantations magiques les insurgés s'étaient rendus invulnérables. Le Chinois est un être pratique, et les choses qui ne lui sont pas indispensables à la conduite de sa vie et de ses affaires ne sont pour lui ni sujet de foi, ni invitation a l'enquête, niais motif à imagination. La superstition provient d'un besoin essentiel de notre nature. Le monde est trop grand pour l'homme, il n'est pour ainsi dire, à l'échelle ni de son corps, ni de son âme. La superstition chez les peuples primitifs joue un peu le rôle dévolu chez nous aux hypothèses scientifiques. Elle met la nature à notre proportion, elle écarte l'inattendu, elle établit partout des cloisons, des écrans, des portants, des paravents. Dans cette menuiserie fantastique les Chinois sont passés maîtres. Ils ont aménagé leurs rêves comme ils savent aménager les paysages et c'est au milieu de cette création imaginaire que je voudrais aujourd'hui vous promene, non pas comme un guide qui a tout un programme à épuiser mais en choisissant quelques sites d'où la vue sur certains cantons de l'âme céleste est plus intéressante et plus étendue.
Je vous parlerai donc dans cette conférence du « feng-shui », qui nous ouvrira un jour sur l'idée que les Chinois se font de la nature, du « yang et du yin » qui nous donneront un aperçu de leur philosophie autochtone, de l'idée de renaissance, qui nous initiera a certaines de leurs théories religieuses, et enfin, si nous en avons le temps, du personnel surnaturel qui ligure dans leurs légendes et dont la représentation anime tous les coins de leur art et de leur littérature.
Le « Feng-shui » est un terme intraduisible qui est composé de deux mots, « Feng » qui signifie le vent et « shui « qui veut dire l'eau. C'est la science des directions et des courants. (C'est une espèce de physiognomonie de la nature. c'est en quelque sorte l'art de Gall et de Lavater appliqué à un paysage dont il interprète le sens profond et les intentions latentes. Construire une maison trop haute, couper tel bouquet d'arbres, détourner telle rivière, ce sont, autant de dommages causés a l'édifice permanent de la création, autant de violences faites à ce récipient destiné à recueillir comme une coupe les influences bénéfiques du ciel et de la terre; de ces profanations ne peuvent résulter que des inondations, des épidémies, des désastres de toute nature. Au contraire le Chinois a l'impression que certains sites ne sont pas complets, ont besoin d'être pour ainsi dire répares, achevés de main d'homme. Il élèvera dans ce coin un temple, la la haute tour d'une pagode, à ce tournant il plantera des pins ou des banyans. il dressera un arc de triomphe. Nulle part plus qu'en Chine la nature et l'homme n'ont l'air de vivre en si bon accord ; nulle part ils ne se comprennent aussi bien, tantôt c'est l'homme qui imite la nature, comme si ses oeuvres en étaient des productions spontanées, et tantôt c'est la nature même qui a l'air d'imiter l'art des hommes. Les principes permanents qui guident les Chinois dans leurs constructions et dans leur fantaisie décorative sont si anciens et si instructifs qu'ils semblent l'oeuvre du sol même comme le travail des termites ou des castors. L'homme ne détruit pas la nature pour substituer ses idées aux siennes, il y occupe sa place comme les fourmis et les oiseaux.
A propos de cette idée de réparation et de restauration des malfaçons de la nature dont je vous parlais tout à l'heure, je vous raconterai une jolie légende coréenne.
Dès les temps les plus reculés la pauvre Corée parait avoir connu l'état précaire et tourmenté où nous la voyons aujourd'hui, victime des agressions du dehors et de convulsions intestines. Un ancien roi du pays, affligé de ces misères, se rendit en Chine pour demander la consultation d'un expert fameux, et comme qui dirait d'un rebouteux des infirmités de la terre. Le sage vieillard se fit apporter une carte détaillée du pays (vous connaissez l'aspect bizarre de cette péninsule placée au nord du golfe du Petchili qui a un peu la forme d'un pied de cheval) et après l'avoir longuement considérée, il donna la consultation suivante :
« Votre pays soutire d'une malformation congénitale. Les axes en sont disjoints, les articulations en sont disloquées, l'architecture vitale en est hors de la règle et de la proportion. Il faut faire avec ce pays ce que font sur le corps humain les médecins qui pratiquent l'acupuncture. Vous savez que l'on apprend aux étudiant ; en médecine en même temps que l'art de distinguer les quelques centaines de pouls qui donnent le diagnostic de toutes les maladies, la position de tous les endroits du corps où l'enfoncement d'une longue aiguille provoque des révulsions salutaires. Pour faire l'éducation de ces jeunes gens on se sert même d'un mannequin où les trous produits par ces piqûres sont menagé d'avance ; il y en a plus d'une centaine et l'éducation de l'homme de l'art n'est complète que lorsqu'au travers d.'une feuille de papier que l'on colle sur ce mannequin il aura réussi sans reprise ni hésitation à introduire l'aiguille dans le pertuis qui l'attend. C'est un procédé du même genre que vous devez employer pour votre pais. Je vais vous marquer de mon pinceau sur cette carte tous les points dangereux et funestes. A chacun d'eux vous mettrez suivant le cas une pagode, un temple, un autel avec une statute, une inscription, un arbre sacré et votre empire pourrait ainsi mériter vraiment le nom de « Royaume de la tranquillité du matin » qu'il porte sur les protocoles officiels
Ce, sentiment de l'orientation est d'ailleurs très développé chez les Chinois ; nous n'avons que deux cotés, la gauche et la droite. Le Chinois emporte toujours avec lui ses quatre points cardinaux, il sait toujours où se trouvent, par rapport à lui, le nord et le sud, l'ouest et l'est. Dans une chambre, aux repas, aux funérailles, dans toutes les cérémonies, ces positions éternelles sont toujours soigneusement définies et considérées.
Mais c'est surtout dans le choix de la disposition des sépultures que cet art de l'orientation et de la géomancie a aujourd'hui ses applications pratiques et sociales les plus importantes. Avant que le cercueil ne soit confié à la terre, il se passe souvent des mois pendant lesquels le géomancien, armé de sa bizarre boussole, se livre à son travail de prospection. Si le site choisi esi favorable, les influences occultes et bienfaisantes de la terre, de ce sol d'où sort toute richesse, sont en quelque sorte captées, et le tombeau des ancêtres continue à fructifier pour leurs descendants en fruits de bénédiction. Il arrive même parfois que pour s'assurer le bénéfice d'une orientation exceptionnelle, les familles déposent furtivement leurs morts dans un tombeau qui ne leur appartient pas. C'est une source fréquente de procès. - Nous touchons là au plus vieux fond de l'humanité, à cette religion de la terre et des morts qui est commune à toutes les races et dont les usâges sont presque partout identiques. Ces superstitions qui vont encore en Chine vivantes et pratiquées nous éclairent sur bien des rites correspondants de la Grèce, de Rome cl de la plus vieille Egypte.
Les tombeaux en Chine n'ont pas une forme unique. La bosse que fait le corps sous la terre en est toujours le point essentiel. Mais tantôt comme dans les grandes plaines du nord le tombeau n'est que cette bosse exagérée en tumulus ou régularisée en une hémisphère pareille à celles que fabriquent les enfants en moulant le sable humide au moyen d'une tasse ; tantôt comme dans les régions montagneuses du sud, les tombes aménagées au flanc des collines, taillées dans un sol sec et recouvertes de stuc, montrent une disposition complexe d'autels, de stèles et de terrasses que les constructeurs de nos églises pourrraient consulter avec intérêt. Mais partout il faut qu'autour de la tombe, il faut qu'il y ait quelque chose qui s'agite et qui fasse un bruit dans le vent. Dans le nord ce sont des grands roseaux qui servent aux divinations Confucéennes du « Livre des Changements », dans le sud ce sont des pins, enfin les tombes impériales s'entourent de véritables forêts.
Je voudrais ici pouvoir vous donner un sentiment du charme étrange de ces profondes résidences vers lesquelles il y a un an, en ce même mois de mai, j'ai vu s'acheminer lentement, précède de l'appareil des chasses antiques, les archers, le fauconnier, les files de chameaux caparaçonnés de soie jaune et portant pendue sous le cou une peau de zibeline dans le tourbillon des disques de papier blanc, monnaie funèbre que l'on jette à pleine poignée, et tandis que bien haut dans l'air on entend le sifflet mélancolique attaché sous l'aile des pigeons qui tournent en grandes bandes au-dessus des tours et des bastions colossaux de Pékin, la dépouille immatérielle, comme une coque d'insecte, de celui qui fut l'empereur Kouang-hsi. Là les Chinois ont réellement ce que les poètes païens nous racontent de la demeure des ombres. C'est un vaste pays enclos de murs infranchissables où nul vivant jadis, avant les profanations européennes, n’était admis a pénétrer, a l'exception de quelques gardiens caducs et c'est là que les Noms impériaux reposent au milieu d'un océan de feuillages. Domaine du songe et du souffle ! La voix gémissante des dix mille arbres, pareille à ce qu'ils entendaient jadis de leur peuple au delà de l'enceinte interdite, soupir à peine sensible et comme (défendu) ou sombre tumulte dans la nuit, enveloppe l'âme souveraine qui dort amèrement. Dans l'herbe fleurissent d'étranges anémones au coeur noir. Ça et là s'ouvrent d'immenses avenues qui par des arches et des ponts de marbre, entre une double rangée d'animaux agenouillés conduit enfin vers une cité d'or, aux toits couleur de soleil, qui luit mystérieusement, vide de toute humanité, que la syllabe funèbre en son centre proférée par une stèle de marbre, au milieu du noir profond des cyprès. Au delà s'élèvent de hautes montagnes verticales pareilles à la barrière irréparable de la vie. Et de tous côtés du milieu de la forêt ensevelie s'élèvent ainsi les pavillons d'or des empereurs, les toits d'azur et de turquoise des princesses et des concubines. Ici tout est fini, à jamais, tout est tari, même l'eau de ces fleuves illusoires qu'aucune larme vivante n'enrichit, et tout est épuisé excepté le vent qui passe.
Vous avez sans doute entendu dire bien souvent que les Chinois étaient un peuple essentiellement matérialiste. C'est une manière assez inexacte de s'exprimer. Il n'y a rien dans l'esprit chinois qui ressemble à cette confiance intrépide dans les « lois » de la science, à cette conviction dogmatique des Büchner ou des Hoeckel que tout dans la nature est réductible à des chiffres et que tous les êtres exprimant de simples états différents d'une manière homogène, ne sont que des états différents d'une même équation à des phases diverses de sa résolution. La Chine est le conservatoire de toutes les idées de l'humanité à l'état primitif ; elle ressemble à ces jardins du Caucase et de l'Altaï où l'on dit que l'on retrouve à l'état sauvage toutes nos céréales et tous nos arbres fruitiers, tels qu'ils étaient avant que la culture ne les eût transformés, tels la vigne, le blé, le cerisier, le pommier, etc. Parmi ces idées primitives, le matérialisme est certainement une des plus naïves, à la portée des esprits les plus simples. On peut même dire qu'il n'exclut pas toute idée religieuse, puisqu'on peut croire que les dieux sont le résultat d'une évolution purement matérielle aussi bien que les hommes et les animaux. Le matérialisme chinois ressemble beaucoup à celui des anciens philosophes grecs, d'un Thalès, d'un Heraclite, d'un Empédocle, d'un Anaximandre, qui croyaient que le monde entier résultait des jeux et des conflits d'un ou de plusieurs éléments, de la rencontre capricieuse des atomes et des homoeoméries. D'autre part le Chinois est frappé d'une certaine incapacité dont témoigne son écriture si curieuse, à se représenter les idées autrement que sous une forme concrète et sensible. Cela ne l'a pas empêché d'exprimer souvent dans les livres de ses philosophes les conceptions les plus ingénieuses et les plus profondes sous une forme naïve et comme rustique que je trouve, pour ma part, pleine de saveur.
Le fond de cette vieille philosophie chinoise, c'est ce qu'on appelle le Yang et le Yin. Plutôt que d'entrer dans de longues explications au sujet de ces deux termes, je crois que le plus simple est de vous en donner la représentation graphique, telle qu'elle figure à profusion en Chine sur les objets d'art, sur les meubles, sur les ustensiles, dans les étoffes, au fond des temples les plus vénérés comme sur les objets les plus usuels : le yang et le yin entourés des trigrammes magiques formaient même autrefois le blason national du royaume de Corée.
Ce cercle formé de l'accolement tête-bêche de deux espèces de têtards, l'un blanc, l'autre noir, représente la conjonction des deux principes opposés dont les éternelles transformations constituent l'évolution universelle. Vous voyez que les Chinois, bien avant Hegel, avaient eu l'idée de l'identité des contradictoires. Le Yang représente le blanc, le Yin le noir, le premier le plein, l'autre le vide, l'un le chaud, l'autre le froid, l'un la terre, l'autre le ciel, l'un le relief, l'autre le creux, l'un le mâle, l'autre la femelle, etc. Ces termes sont tellement passés dans le langage usuel, que si vous allez chez un ciseleur par exemple, l'ouvrier vous demandera si vous voulez les caractères gravés yang ou yin, en relief ou en creux. Le cercle formé de ces deux figures constitue pour ainsi dire par ces transformations le moteur central, il en est l'engin rotatif, l'âme circulaire, la turbine perpétuelle roulant sans frottements et sans déchet. Au moment où le Yang est à son apogée (partie renflée) l'autre se substitue à lui insensiblement (partie effilée). Chacune porte en soi le germe de l'autre, ainsi qu'il est figuré par l'oeil de couleur contraire dans la partie renflée.
Cette conception du Yang et du Yin vous permettra de comprendre l'idée que les Chinois se font de la vie future. Évidemment, je suis forcé d'exagérer et de simplifier des imaginations qui provenues de sources différentes ont un caractère complexe et souvent contradictoire. Mais d'une manière générale, on peut dire que pour les Chinois la vie future est comme la complémentaire de celle-ci. La vie future est pour ainsi dire en vide et en creux ce que celle-ci est en plein et en relief. On y trouve les mêmes moeurs, les mêmes habitudes, le même gouvernement, la même administration que dans celle-ci. C'est une Chine spirituelle superposée pour ainsi dire à la Chine matérielle et dont les frontières demeurent parfois incertaines et mal fixées. Le folklore chinois abonde en histoires de vivants qui s'y sont aventurés. C'est: un mandarin qui se fait descendre par une corde dans un puits profond, c'est un cavalier surpris par un tourbillon de vents jaunes (le jaune est en Chine couleur fantastique, comme le blanc l'est dans la plupart des autres pays), c'est un voyageur égaré dans un pays sauvage qui lit tout à coup dans le brouillard sur une stèle vermoulue cette inscription à demi effacée : Limite des deux mondes. Là les âmes légères et désincarnées, comme celles de la Nekuia homérique attendent que le mouvement du Yang et du Yin les ramène en ce monde sublunaire. Les Chinois se font de l'âme une idée singulièrement matérielle. L'âme désincarnée craint les courants d'air et les coups de vent violents qui l'emportent, les explosions et les bruits violents qui la désagrègent, elle est susceptible de se diviser en deux ; il arrive de même que deux âmes se confondent en une seule ; invisible pendant le jour, elle est visible pendant la nuit, comme ces animaux transparents que l'on ne distingue dans la mer que suivant une certaine inclination des rayons solaires. Certains magiciens peuvent même à leur gré séparer leur âme de leur corps et la reprendre ensuite. Je trouve à ce sujet dans le livre du Père Wieger une légende assez curieuse :
[Celle d'un jeune homme qui avait commis tant de crimes « que ses dossiers judiciaires formaient une montagne de papier. Des mandarins l'avaient à diverses reprises battu à mort, décapité, jeté à la rivière. Chaque fois le troisième jour il était ressuscité et avait recommencé dès le cinquième jour à commettre de nouveaux crimes... Un jour il battit sa mère, mal lui en prit. La vieille alla trouver le mandarin, lui remit un bocal, lui dit : Dans ce vase est contenue l'âme supérieure de mon méchant fils. Quand il se prépare à faire un mauvais coup, il commence par la retirer de son corps, la réconforte et l'enferme dans ce vase. Ce que le mandarin châtie ensuite, ce n'est que son corps... Maintenant qu'il m'a battue, il a comblé la mesure de ses forfaits. Prenez ce vase, brisez-le, mettez-le dans un tarare. Le mandarin fit comme la vieille venait de dire. Il dissipa l'âme et fit assommer le corps... Le vaurien ne ressuscita pas. »]
Parfois même il arrive qu'un homme voit devant lui sa propre âme qui lui annonce l'avenir :
[« Liou Chaoyou était un devin fort habile ... un client se présenta chez lui, offrant une pièce de taffetas comme honoraire. Que désirez-vous? lui demanda Chaoyou... Je désire savoir combien de temps il me reste à vivre, dit le client... Chaoyou consulta les mutations. Quand l'opération fut terminée, il dit en soupirant : Le pronostic n'est pas favorable, vous mourrez ce soir-même... Le client parut très affligé et demanda à boire. Le petit domestique qui apporta la boisson demandée vit deux Chaoyou absolument pareils. Quand il eut bu, le client prit congé... Le petit domestique rentra et demanda à son maître : Êtes-vous si intime avec cette personne ? elle m'a dit votre passé. Alors Chaoyou comprit que le client était sa propre âme supérieure... Il mourut de fait le soir de ce jour. »]
Si le cadavre du défunt est resté intact par suite de la nature du terrain ou de toute autre circonstance, il arrive que l'âme peut venir momentanément ranimer le corps, et ainsi se produisent ces phénomènes de vampirisme que l'on retrouve si fréquemment dans les légendes chinoises et japonaises. Je vous raconterai l'une de ces légendes les plus célèbres, celle de la jeune fille aux pivoines, qui a été d'ailleurs adaptée, je crois, par l'un de vos poètes les plus célèbres J. Zeyri.
Enfin le moment venu et son temps de stage fini l'âme désincarnée est ramenée à ce monde sublunaire et recommence sous une forme nouvelle son éternelle existence. Peu d'idées forment un thème aussi riche de légendes que ce thème des réincarnations. La littérature chinoise n'est pas moins riche à ce sujet que celle de l'Inde avec cette différence toutefois que l'on y voit très rarement des âmes humaines réincarnées dans le corps d'animaux. Dans l'abondante collection que j'ai sous la main, je choisirai un seul récit qui me paraît caractéristique. C'est le cas d'une âme que l'Hermès psychopompe chinois a oublié de faire boire à ces « eaux jaunes » qui jouent là-bas le rôle du Léthé :
[« A Yang Tchéou un certain Tchenn élevait des chevaux et des mules. Il avait cinquante ans passés, quand il tomba malade. Un jeune homme monté sur un cheval entra chez lui, lui donna sur la nuque une tape qui l'étourdit, le tira sur son cheval et partit en toute hâte en l'emportant. Le jeune homme emmène Tchenn, au bout de trois jours ils entrent dans une maison. Une femme étendue sur un lit se tordait de douleur. Ayant plié le Tchenn en arc, de manière à joindre sa tête à ses pieds, le jeune homme le jeta vers cette femme. Il sembla au Tchenn qu'il perdait connaissance, qu'il étouffait dans un endroit étroit, obscur et infect. Enfin un rayon de lumière filtra jusqu'à lui. Il fit effort et se sentit dégagé. Aussitôt il entendit un concert de félicitations proférées par des voix inconnues : C'est un beau garçon, disaient-elles. Il voulut parler, mais ne put tirer de sa bouche qu'un faible vagissement... On le porta, on l'allaita et le reste. Ce régime abrutissant fit son œuvre. Peu à peu ses souvenirs perdirent de leur vivacité et il se résigna, mais sans arriver à oublier tout à fait. II raconte un jour son histoire et parviendra même à retrouver son fils, âgé d'une vingtaine d'années.]
Il me resterait pour épuiser le programme que je vous traçais au début de cette conférence à vous parler de tous les êtres fantastiques qui peuplent la légende chinoise. Mais je m'aperçois que la matière est trop abondante et que je serais entraîné trop loin. Il ne me reste qu'à souhaiter que mes histoires de bonne femme vous procurent un agréable sommeil et à vous demander pardon d'avoir abusé si longtemps de votre patience.
Literature : Occident : France
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Religion : Popular Religion