HomeChronology EntriesDocumentsPeopleLogin

“Trois voyageurs français en Chine : Eugène Simon, Claudel et Segalen” (Publication, 1982)

Year

1982

Text

Gadoffre, Gilbert. Trois voyageurs français en Chine : Eugène Simon, Claudel et Segalen. In : Bulletin de la Société Paul Claudel ; no 86 (1982). (Clau32)

Type

Publication

Chronology Entries (2)

# Year Text Linked Data
1 1885 Simon, Eugène. La cité chinoise [ID D2437].
Gilbert Gadoffre : Simon a été le premier Français à envisager l'étude de la Chine sous l'angle économique. La cité chinoise est une analyse socio-économique et une idéologie. L'analyse est appuyée sur trois postulats : la Chine est un empire sans état, l'économie chinoise est autosuffisante et sans crises cycliques, le moteur de la civilisation chinoise est une religion du travail avec rituels mais sans métaphysique.
La Chine, dit Eugène Simon, est le contraire de ce qu'elle paraît. Sous son apparence d'empire despotique aux pouvoirs hiérarchisés par un mandarinat en cascade, c'est une confédération de villages qui vivent dans un état de semi-autonomie. Les mandarins se contentent de prélever un impôt foncier et d'intervenir dans les cas, rarissimes, de troubles ou de catastrophes. Pour le reste, ils laissent les villages libres d'élire leur chef, leur maître d'école, leur tribunal et de s'organiser entre eux pour les problèmes de routes et de canaux. Le village lui-même n'est que le prolongement et le modèle agrandi de la cellule familiale, les principes d'organisation viennent d'en bas au lieu d'être imposés. On se trouve en présence d'un ordre biologique, le contraire de l'ordre mécanique de nos sociétés. D'où notre incompréhension. Nous avons, dit Eugène Simon, « une telle habitude d'être gouvernés que nous n'imaginons pas qu'une société puisse exister sans gouvernement et que nous ne rêvons encore que d'un bon gouvernement, c'est-à-dire d'un gouvernement fort ».
A cette image, très XVIIIe siècle, de la Chine considérée comme l'exemple absolu d'une civilisation de l'homme naturel, s'ajoute une seconde image d'origine plus récente et plus proche du saint-simonisme, celle de la patrie de la religion du travail. Confucius est ainsi présenté comme l'apôtre de « la grande religion du progrès par le travail », religion « fondée sur l'unité du ciel, de l'homme et de la terre ». Ce culte n'est « pas autre chose que la symbolisation de ces idées », l'essentiel étant la loi du travail autour de laquelle s'ordonne le système, et qui justifie la supériorité, la résistance et la longévité de la civilisation chinoise, fondée sur les ruines du surnaturel. Non que le surnaturel soit tout à fait absent de l'Empire du Milieu, puisqu'il y a le taoïsme et le bouddhisme Mais l'auteur est bien décidé à leur faire la plus petite part dans son système de représentation. Ce sont, dit-il, des « religions inférieures » dont les fantasmagories sont « sans effet sur la vie sociale de ceux qui les partagent ».
La Chine devient ainsi une image en creux de l'Occident dont Simon veut faire le procès. Pour rendre la thèse plus crédible, la stagnation chinoise est tantôt niée, tantôt présentée comme l'équilibre heureux d'une civilisation parfaite. Les faits économiques eux-mêmes sont chargés de justifier cette affirmation. Le dynamisme occidental ne nous a-t-il pas condamnés aux crises périodiques ? En Chine au contraire, « on peut dire que, sauf accidents, la production et la consommation sont partout en rapports constants » grâce à la stabilité du marché intérieur et à l'absence de besoins artificiels. La structure statique de la vieille Chine, qui lui valait tant de brocards, est présentée ici comme le garant de l'équilibre économique et social, de la sérénité des Chinois, de la qualité de la vie.
2 1948.7 Claudel, Paul. Sous le signe du dragon [ID D3550]. (7)
Sekundärliteratur
Gilbert Gadoffre : Claudel voit dans la Chine au lendemain de la révolte des Boxers un état inadapté à l'économie mondiale, condamné par le déséquilibre chronique de la balance du commerce extérieur à être inéluctablement colorisée par les puissances européennes. Le tableau que Claudel nous propose de la religiosité chinoise est une sorte de négatif photographique de celui d'Eugène Simon. Ecrire trente-sept pages sur la religion des Chinois sans mentionner, ou presque, Confucius, sans accorder la moindre attention au culte ou aux livres confucéens peut sembler un tour de force aberrant. Il est vrai qu’un mode de présentation habile lui permet de se débarrasser du moule traditionnel des 'trois religions de la Chine' : il était légitime de montrer après Wieger, que l'homme du peuple n'a guère conscience de doctrines aux frontières tranchées, qu'il pratique une sorte de syncrétisme dans lequel Laozi, Confucius et Bouddha sont quelque peu confondus et jouent un moindre rôle que le culte des ancêtres, la croyance aux esprits et à la métempsychose. Claudel fait expier à Confucius le rôle de demi-dieu positiviste qu'on avait voulu lui conférer. La Chine redevenait ainsi le champ clos où l'Occident chrétien vidait ses querelles qu'il était si tentant de projeter sur l'image de Confucius. Le taoïsme par contre, est pour Claudel un objet de fascination. Non pas le taoïsme populaire, mais le Dao de jing, parcouru dès le premier séjour en Chine, et l'admirable livre de Zhuangzi qui sera une source d'inspiration à Tokyo. Tout plaît au poète chez les philosophes taoïstes : l'irrationalisme agressif, l'anti-confucéisme anarchisant, le goût du paradoxe, la cocasserie beroque, les préceptes de non-intervention, de non-action. Il interprète le taoïsme à travers un certain nombre d'images et de concepts symbolistes. C'est ainsi que le vide taoïste autour duquel s'organise l'être, le non-agir, oeil immobile au centre du cyclone qui gouverne le devenir, finit par se superposer aux notions mallarméennes de 'blanc' et de non-dit. Le taoïsme est ainsi digéré, assimilé par l'organisme claudélien qui en fait une synthèse complexe.
Vers la fin de son séjour en Chine, Claudel a imaginé une explication rationnelle : l'existence de deux bouddhismes, un bon et un mauvais. Le mauvais, c'est le bouddhisme du Petit Véhicule, limité à quelques pays de l'Asie méridionale, et plus particulièrement Ceylan. Il n'est qu'une « méthode progressive d'anéantissement (ou simplement d'abrutissement) ». Il paraît avoir eu, ajoute Claudel, « une existence positive assez courte avant que quelques cranes anglais lui aient rendu un semblant d'existence ». Les philosophes à l'allemande et les cranks à l'anglaise ne connaissaient que ce bouddhisme-là, grâce auquel on pouvait se réclamer de l'assentiment de millions d'hommes pour fonder la croyance en un idéalisme philosophique de tendance nihiliste. Cette école, prétend Claudel, n'a plus guère qu'une existence livresque, alors que le bouddhisme bénéfique, celui du Grand Véhicule, est celui qu'on peut observer en Chine et au Japon. Celui-là est une vraie religion, au sens occidental du mot, il maintient l'idée de « puissances supérieures qui s'intéressent à notre sort », il fortifie « l'idée du mérite et du démérite », et même, dans une certaine mesure « l'idée de péché, d'une souillure entraînant le désir de purgation ».

Yvan Daniel : Claudel ne retient pas les allusions historiques qui étaient rapidement évoquées dans le Livre sur la Chine, il laisse ainsi de côté les éléments historiques datant de l'Antiquité ou du XVIIe siècle, pour n'envisager le Japon qu'à partir de sa 'Restauration'. On ne peut que constater que les propos tenus dans le Livre sur la Chine sont pour le moins extrêmement hardis : ils remettent en cause toute la politique économique et commerciale des puissances occidentales en Chine, et n'hésitent pas à proposer de mettre en oeuvre des actions communes qui auraient bouleversé tout ce qui avait été accompli jusqu'alors et nui à bon nombre d'intérêts. Si les deux oeuvres d'éclairent indubitablement l'une l'autre, Sous le signe du dragon semble prudemment contourner ces propositions – presque révolutionnaires - : Claudel les jugea-t-il utopistes, estimant inutile alors de les reformuler ?
Les différences importantes qui existent entre le Livre sur la Chine et Sous le signe du dragon sont souvent expliquées par la prudence de Claudel ou l'évolution de ses opinions ou façons de penser. Ces causes ne sont en effet nullement à négliger ; néanmoins, à considérer beaucoup plus simplement les textes on peut légitimement suggérer que l'auteur a souhaité faire le nécessaire, dans la dernière version, pour que le texte soit agréable à lire. Les premières versions, outre le caractère désordonné inhérent au plan incomplet et encore indécis, foisonnent en effet de développements particulièrement arides qui sont dans bien des cas issus de la réutilisation par Claudel des informations qui avaient servi à rédiger ses rapports consulaires.
Même si Claudel a pu être amusé par les nombreuses anecdotes de Chinese characteristics, et a emprunté à Arthur Smith quelques idées piquantes pour décrire le Chinois dans sa vie quotidienne ou ses rapports à l'argent, l'approche quelque peu simpliste du religieux britannique a bien évidemment été volontairement 'oubliée'. Claudel s'emploie certes à rendre son texte plaisant, mais sans aller jusqu’à la plaisanterie moqueuse. Il ne pouvait d'ailleurs sans doute pas de satisfire de l'approche de Smith, en particulier dans le domaine spirituel et religieux, car celui-ci présente une analyse pour le moins malhabile et manquant de clairvoyance.
Le chapitre 'Religion' sur confucianisme, taoïsme et bouddhisme, a été rédigé probablement en 1911. Il est marqué par l'influence de la lecture des ouvrages de Léon Wieger, mais il est aussi le résultat des livres de Smith, Edkins et Parker. L'auteur mets en valeurs dès le premier point, la religion archaïque chinoise du culte du Ciel. Le 'culte des morts' fait l'objet de la seconde partie. Il est directement lié au confucianisme qui est pour partie fondé sur la piété filiale. Claudel ne néglige nullement la doctrine de Confucius, même si le nom n'est pas explicitement cité. Le chapitre IV contient l'esposé de tous les points essentiels de la doctrine confucéenne : le culte des ancêtres, la piété filiale, l'intérêt majeur porté au 'nom' et à l'écriture, la question des rites. Les références et les explications confucéennes sont assez étrangement suivies d'une série de citations du Dao de jing de Laozi. La partie II se termine alors dans une certaine confusion : les allusions à Confucius ne sont pas clairement explicites, les extraits du Dao de jing ne sont pas commenté. Le chapitre contient une série de citations d'auteurs chinois qui établissent leur représentation du monde sur le principe yin-yang. Le commentaire claudélien commence par présenter ce système comme 'l'étroite conjonction des deux principes opposés' mais montre ensuite que l'alternance ne doit pas ici être uniquement comprise comme une succession d'influences contradictoires, car elle forme un tout complémentaire, et, surtout, lorsque l'un des influx domine, l'autre est présent, même sous sa form minimale ou latente.
La philosophie chinoise est jugée 'matérialiste', mais non pas au sens occidental du terme. Il s'agit d’un matérialisme extrême-oriental, complexe et systématisé, envisagé 'sans logique' et de façon 'rustique'. L'insistance de l'auteur en ce sens est à peine nuancée : la langue, tout d'abord, 'n'est pas faite pour l'abstraction', la philosophie est fondée sur l'observation du monde matériel, et les vertus elles-mêmes 'ne sont que la conséquence de la conformation physique'.
Claudel ait relégué le bouddhisme dans la dernière partie, mêlé aux superstitions et aux fantômes populaires. L'auteur se heurte violemment, dès 1899, à cette religion originaire d'Inde qu'est le Bouddhisme. La condamnation du bouddhisme qui apparaît en 1899 et s'affirme jusque dans les derniers écrits de Chine ne laisse pas la possibilité de suggérer une ambiguïté quelconque de l'opinion de Claudel. Il partage les thèses des milieux savans catholiques et très probablement est-ce là la même condamnation qu'il entendit prononcer par les Pères jésuites, souvent tolérants à l'égard du confucianisme, parfois à l'égard du taoïsme, mais fort rarement pour ce qui concerne le bouddhisme. Claudel reviendra avec constance sur l'anathème prononcé en 1899, sans jamais en changer le contenu ni l'argument théologique, sans jamais se pencher sur les nouvelles études concernant le bouddhisme.

Bernard Hue : Claudel ne s'intéresse guère qu'aux aspects moraux et politiques du taoîsme. Il cite abondamment Laozi, mais il n'utilise à aucun moment les chapitres V, XI et XX qu'il connaît pourtant fort bien et d'òu émane, à ses yeux, l'essence même du taoïsme.

Liang Pai-tchin : Claudel met en lumière le trait paticulier de la civilisation chinoise en disant que c'est la seule qui s'écoule de l'intérieur et se nourrit de ses propres sources. Car la terre chinoise vaste et riche est protégée par la nature, ayant des montagnes nombreuses et hautes au nord-ouest et l'océan au sud-est. Claudel consière comme un peule nourri des profondes ressources de l'instinct et de la tradition, peu cultivé et immobile. Mais les Chinois lui paraissaient spontanés, honnêtes, sachant rire ; et avec eux on se plairait à vivre. Ils sont des artisans-nés et ont le génie du signe. Dans les rapports humains, ils se montrent sensibles pour la moindre chose, polis pour ne pas humilier les autres, trop modestes pour être religieux, et prêts à tout faire et à tout accepter pour ne pas perdre la face.
  • Document: Liang, Pai-tchin. La Chine dans la poésie française du XXe siècle. In : Cahiers de l'Association internationale des études françaises ; vol. 13, no 1 (1961). (Seg30, Publication)
  • Document: Gadoffre, Gilbert. Claudel et l'univers chinois. (Paris : Gallimard, 1969). Diss. Univ. de Paris, Faculté des lettres et sciences humaines, 1968. S. 301. (Clau8, Publication)
  • Document: Hue, Bernard. Littérature et arts de l'Orient dans l'oeuvre de Claudel. (Paris : C. Klincksieck, 1978). (Publications de l'Université de Haute-Bretagne ; 8). S. 119. (Clau33, Publication)
  • Document: Daniel, Yvan. Paul Claudel et l'Empire du Milieu. (Paris : Les Indes savantes, 2003). S. 59, 215, 223-224, 226, 228, 236, 240-241, 282-283, 312, 325-327, 329, 331, 333-334, 335. (Clau24, Publication)
  • Person: Claudel, Paul