2009
Web
# | Year | Text | Linked Data |
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1 | 1902.9 |
Loti, Pierre. Les derniers jours de Pékin [ID D2674]. (9) Sekundärliteratur 1902 H.L. Paris lettres : Pierre Loti's Les derniers jours de Pékin. In : Academy and Literature ; 62 (1902). [Rezension]. "M. Pierre Loti's new book ist not, perhaps, a very valuable addition to the pile of literature raised round the recent conflict between Europe and China ; but, if not documentary, it is interesting as a piece of serious impressionism. Its essential note is pity for an ancient race at war with modern progress, and though the writer is a French naval officer, proud of his profession and his country, he can see that there is something to be said for China too, against her coalesced enemies. The descriptive part of the book ist, of course, charming. Pierre Loti may be relied on in the midst of all that is old, odd, quaint and melancholy to give it a form of delicate enchantment, writing with a sigh at the end of his witching pen. For his is the witchery of form, the witchery of reverie, the witchery of colouring and incongruous contrasts. He seizes the essential sadness of things, the mortuary charm of the past, the lived, the evanescence of each mood and moment, as no other writer has ever done." 1988 Funaoka Suetoshi : Dans Les derniers jours de Pékin, il y a quelques erreurs dans les explications historiques et géographiques, des exagérations, et même des inventions pour faire plaisir aux lecteurs. Il s'agit, d'abord, d'une 'chambre abandonnée' dans la Ville interdite où, d'après Loti, avait été enfermé l'empereur. Là, il nous semble avoir inventé une historie ; d'ailleurs, Loti ne mentionne rien sur cette chambre dans son journal intime. De plus, la description de l'empereur nous semble exagérée dans l'intention d'exciter la curiosité des lecteurs. Il est très curieux aussi que Loti représente l'Impératrice de soixante-cinq ans comme une femme affable, rêveuse et amoureuse, alors qu'elle a laissé, en réalité, la mauvaise réputation d'un despote dans l'histoire de Chine. Deuxièmement, les tombeau des empereurs qu'il visita ne sont autres, d'après la description, que le Mausolée de l'Ouest ; mais le Tombeau de l'Impératrice n'y est pas : il se trouve en fait dans le Mausolée de l'Est. Il y a d'autres petites incorrections et exagérations ; mais dans l'ensemble, ce livre est un reportage très intéressant qui nous montre la vie en Chine sous ses divers aspects : la ville et la campagne ; toutes sortes d'habitants : princes, mandarins, commerçants et paysans ; les moeurs et les habitudes particulières ; le climat, la nature et les sites, sans parler des villes et de villages détruits par la guerre. 1996 Yvonne Y. Hsieh : Pierre Loti not only did visit the private quarters of the Emperor and Empress Dowager in the Forbidden City, he himself stayed in a palace inside the Imperial City. He came first, Oct.-Nov. 1900, to carry despatches to carry despatches to the French Legation in Beijing, later, May 1901, to represent Pottier at the funeral of a German officer who had perished in an accidental fire. His literary reputation served him well in a country where men of letters were greatly respected, entitling him to lavish receptions among Chinese dignitaries, and even securing him an interview with Li Hongzhang. As an officer, he was free to move in and out of the city, to visit palaces, temples, and imperial mausoleums. The book seems to fluctuate perpetually between two opposing tendencies which have characterized Europe's view of China over several centuries, ranging from the sinophilic to the sinophobic. Passages which humanize the Chinese and present them as victims of both the fanatic Boxers and the foreign invaders are counterbalanced not only by vivid descriptions of Boxer atrocities but also by statements alleging the innate cruelty of the entire Chinese race. Passages praising the magnificence of Chinese art and architecture, much of which no European had been allowed to see before, are often juxtaposed with scenes evoking the horror and 'monstrosity' of decorative motifs produced by the perverted Chinese imagination. Throughout the book, he consistently refers to the sculpted animals as 'monsters', be they stone lions, dragons and phoenixes sculpted on walls, beams and ceilings of palaces ; or mythic beasts perched atop tiled roofs and triumphal archers. The dragon is the symbol of the Emperor, the phoenix, that of the Empress. Loti is fully convinced of the 'nightmarish' nature of the Chinese mind. He repeatedly refers to the presence of 'barbarian' soldiers in such sacred precincts as the Imperial City, the Temple of Heaven, or the imperial mausoleums as an act of 'profanation'. And nowhere in Les dernier jours de Pékin, does Loti imply that the Western presence in China is beneficial to the Chinese. He does not identify with the colonialist ideology of the French government or believe in the white man's civilizing mission. He opposes the imposition of Occidental values and systems on non-European countries, and believes firmly in preserving indigenous cultures and traditions. Loti's admiration for the Chinese is almost exclusively based on his appreciation of their art. Notwithstanding his frequent outbursts over the strangeness of its forms, it is clear that the most satisfactory part of his experience in China was his exposure to Chinese art, much of which had never been seen by Europeans before. He admires the exquisite workmanship of the art objects, many of which have unfortunately been plundered or destroyed by the invading soldiers : artificial bouquets carved in agate, jade, coral, lapis lazuli ; blue pagodas and landscapes made from kingfisher feathers or carved in icory with thousands of little figures. He recognizes that Chinese painting is in no way inferior to its Western counterpart, although it must be judged by entirely different criteria. During a visit to the Palace of Ancestors, the temple for deceased emperors, he discovers collections of ancient paintings stowed away in huge cupboards. Pierre Loti described the man in the street, the eunuchs in the palace, looters, peasants, provinical mandarins who offered him hospitality, and acrobats who provided the entertainment, but obviously was never on initmate terms with any of them. He describes the Chinese crew hired to tow his junk as 'ragged, dirty, with stupid and ferocious faces'. The Chinese proletarians who according to Loti played a larger role in the destruction of Beijing than the foreign soldiers, have 'small, bad, squinting eyes'. Loti characterize the Chinese as inscrutable, sadistic and ferocious, as well as good-natured, child-like and trusting. There is no contradiction between Loti's absolute loyalty to the French Navy, and his opposition to the French government's imperialistic ambitions and colonial policies. For him, the Navy can do no wrong. Any absurd and atrocious events which result from French colonial ventures arte to be blamed on the studpid and irresponsible politicians who send young men to their deaths. 2001 Qian Linsen : Lorsque Loti regarde ce pays d'un oeil de 'conquérant', c'est-à-dire avec froideur et dédain, l'image qu'il nous en offre est celle d'un empire en agonie, piétiné et décecé par les puissances occidentales. Mais lorsqu'il observe ce pays en sa qualité d'écrivain entiché d'exotisme, donc avec un humanisme apitoyé, la peinture qu'il nous en fait est celle d'une civilisation antique orientale, penchant vers son déclin. Cette double image porte des traces d'une époque historique, ce qui confère à ce livre une valeur de document historique, et à son auteur une place particulière dans l'histoire des relations culturelles sino-françaises. Pour nous, lecteurs chinois, ce qu'il y a de plus méritoire dans ce livre, c'est la véridicité et l'objectivité avec lesquelles est décrit le sort tragique d'un pays semi-féodal et semi-colonial, foulé aux pieds par des puissances occidentales. Loti est témoin de cette époque la plus ténébreuse et la plus humiliant que la Chine ait vécue. Au fil de la lecture, nous semblons revoir les agresseurs européens piétiner de leur bottes brutales la belle terre chinoise recelant des trésors culturels et des vestiges historiques, mettre à sac et à feu la Cité Interdite est ses palais resplenissants de dorures et de décorations, nous semblons réentendre les pleurs et les sanglots des habitants sans défense, femmes, enfants et vieillards surtout, qui, expulsés par la guerre, abandonnent leurs foyers, sous les éclats de rire des soldats étrangers. Pékin, noyé dans le sang, était alors transformé en un grand abattoir et un cimetière immense. Mais au milieu des humiliations, des massacres et des pillages auxquelsse lancent les envahisseurs étrangers, retentissent les grondements de la révolte des Boxers. Loti décrivait à ses lecteurs le Temple du Ciel où les empereurs chinois offraient le sacrifice à leurs ancêtres, les galeries aux poutres peintes et sculptées, les robes bordées des concubines impériales, les longs rouleaux de peinture pendus dans les salles spacieuses, les palais somptueux avec leurs cours profondes, leurs pavillons élancés, leurs meubles raffinés en bois précieux. Et ces descriptions ont excité la curiosité et l'émerveillement de beaucoup d'Occidentaux. Que Loti recherches les charmes exotiques dans les ruines de l'Empire chinois reflète son goût esthétique, sa passion pour une vieille civilisation déclinante. Ce goût esthétique se manifeste dans l'intérêt qu'il avait pour tout ce qui renferme quelque élément d'une culture exotique ou tout ce qui la symbolise. Loti ne se laisse pas de décrire avec minutie chacun des objets qui ornaient les palais de la Cité Interdite, chacun des vestiges trouvés dans les tombeaux impériaux mis à jour. Officier expéditionnaire et écrivain orientaliste en même temps, au milieu des pillages et des massacres auxquels il assistait et parfois même participait, il n'oubliait pas d'admirer les beaux trésors qui traînaient partout. Ce qui est positif dans ce livre, c'est qu'en décrivant les conflits politiques et culturels entre la Chine et l'Occident, l'auteur appelle la réconciliation ; au milieu de la violence et de l'hostilité, il recherche les bons rapports et l’amitié entre les peuples. C'est là l'aspiration de l'exotisme, c'est là le reflet de la conscience un peu idéaliste, il est vrai, d'un écrivain épris de raison et d'humanisme. Mais cela prouve la sympathie et l'affinité qu'il avait pour la civilisation d'autres nations, par delà la contradiction et l'antagonisme qui pourraient exister entre elles. 2001 Guillemette Tison : Loti, chargé de missions officielles, a conscience de la singularité de la situation et note que cette expédition représente un choc de cultures, celle de 'l'Europe armée contre la vieille Chine ténébreuse'. Cette découverte de la Chine, si elle n'a duré que quelques semaines, a pour Loti un retentissement durable, qui va s'exprimer à travers des formes littéraires variées : le journal intime, le reportage, puis le théâtre, et même dans son activité de décorateur. Si sa première impression est plutôt negative, celle d'un pays de grisaille marqué par l'omniprésence de la mort, le recul va lui permettre de décrouvrir cette culture en esthète, puis de réfléchir sur la confrontation des civilisation. Sa réflexion sur la Chine l'éloigne de plus en plus du réel, pour le conduire à la construction imaginaire d'un pays rêvé. A première vue le livre est très morbide, reprenant une obsession fondamentale de l’oeuvre de Loti, celle de la mort, des cadavres, de la décomposition. La capitale présente en effet un étrange aspect : les corps des victimes n'ont pas été inhumés après les combats, et dans les rues, dans les maisons, on trouve d'affreux restes humains. Même dans les passages descriptifs où la beauté domine, la mort est toujours présente. Ainsi Loti, visitant la Ville Impériale où il va loger, découvre 'Le lac des lotus' et 'Le pont de marbre'. De même, en voyage vers les tombeaux des Empereurs, il fait étape à Laishu et s'épouvante, reçu en grande pompe à l'entrée de la ville, de voir les remparts ornés de têtes coupées and des cages. La mort ne se fait jamais oublier, elle se rappelle au voyageur à chaque détour de son chemin. L'obsession de la mort ne vient pas seulement des traces encore visibles des combats tout récents. Plus encore, Loti a l'impression d'assister à la mort lente de toute une civilisation. Ainsi, découvrant la Grand Muraille, Loti note le contraste entre le caractère grandiose de l’ouvrage dans l'espace, 'une chose colossale qui ne doit nulle part finir' et la finitude de son rôle dans l'histoire. La mort est présente aussi par la destruction de toute une culture. Le comportement des soldats européens n'est pas toujours irréprochable, et Loti ressent ce que peut avoir de sacrilège la profanation de la 'Cité interdite' et des temples du Palais des ancêtres. A plusieurs reprises, Loti emploie pour désigner la Chine l'expression de 'colosse jaune', qui n'est pas dénuée d'ambiguïté. Si le pays l'effraie quelque peu, il en reconnaît la grandeur et va porter sur les lieux où il séjourne un regard d'esthète : Loti est en effet depuis longtemps un grand amateur d'art, d'abord par tendance personnelle, puis sous l'influence de Judith Gautier en ce qui concerne la Chine. Il trouve dans l'art chinois un mélange unique d'imitation et de transfiguration de la nature, que ce soit dans l'art des jardins ou la décoration intérieure. La complexité de ses sentiments, 'admiration, respect, effroi'. Son jugement sur le peuple chinois n'est pas exempt des stéréotypes véhiculés à cette époque par une propagande volontiers raciste. Il lui semble difficile de comprendre les Chinois, qu'un cliché répandu dit impénétrables. Il évoque aussi la crauté latente des Chinois. L'humour de Loti affleure parfois dans certains portrait de vieux mandarins, comme venus d’un 'autre monde'. Dans le domaine esthétique, Loti se montre plus nuancé, comprenant qu'on ne peut établir de hiérarchie en ce domaine. La révélation de l'art chinois, pendant son séjour dans la cité impériale, lui fait juger cet art au moins égal au nôtre, mais profondément dissemblable, et il est fasciné par cette décoration somptueuse. Loti qui n'aime pas son époque, qui rejette le progrès technique, ne peut qu'être sensible à la culture millénaire chinoise si soucieuse de préserver le passé. |
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2 | 1921 |
Segalen, Victor. René Leys [ID D3084]. In this entrancing story of spiritual adventure, a Westerner in Peking seeks the mystery at the heart of the Forbidden City. He takes as a tutor in Chinese the young Belgian René Leys, who claims to be in the know about strange goings-on in the Imperial Palace: love affairs, family quarrels, conspiracies that threaten the very existence of the empire. But whether truth-teller or trickster, the elusive and ever-charming René presents his increasingly dazzled disciple with a visionary glimpse of an essential palace built upon the most magnificent foundations. (New York review of books 2007). Our narrator is a Frenchman in Peking in 1911, the final year of the Qing dynasty. He is not so much interested in the politics of revolutionary Sun Yat-sen and warlord Yuan Shih-kai, however, as he is obsessed by the "Within", by the mysteries of the Imperial family, nested within the successive walls of the Forbidden, Imperial, Manchu, and Chinese cities. Seeking out anyone who might have access to the palace, he finds the answer to his dreams in his tutor René Leys, a young Belgian boy who has learnt fluent Chinese and managed to find himself a place at court — a surprisingly privileged place. Though there is little direct action in René Leys, it is nevertheless engrossing, drawing us into the narrator's plans and imaginings. It is also an unusual and original novel, involving storytelling at several different levels and incorporating elements of espionage and mystery fiction, including a murder and a twist right at the end. It also offers a view of life in Peking. (Book review by Danny Yee 2002) 1988 Yvonne Y. Hsieh : Segalen's novel ist set in contemporary China. Real political events that took place between 28 Febr. and 22 Nov. 1911 are woven into the text. The only one among Segalen's literary creations to reflect his actual presence near Beijing at the time of the revolution, the novel contains obious autobiographical elements. The first-person narrator, who records in his diary the astonishing divulations of René Leys, is a thirty-five-year-old Frenchman whose name also happens to be Victor Segalen. Like Segalen, he penetrates once into the palace as a member of the French delegation received by the regent. His real-life model is the nineteen-year-old Frenchman Maurice Roy, whom Segalen met in June 1910. Between June 1910 and 30 Oct. 1911, Segalen kept a diary entitled 'Annales secrètes d’après Maurice Roy', in which he noted the incredible revelations of his friend, who admitted to being the lover of the empress Dowager, to fathering a daughter by her, and to receiving a concubine offered by the regent. René Leys ist neither a novel concerning the Chinese capital nor a documentary work about the revolution. Its main theme is the dialectical tension between the real and the imaginary, which has played a significant role in all the texts examined thus far. The irruption of the real is based on historical events, the fall of the Qing monarchy and the proclamation of the Republic. The shattering of the narrator's belief in Leys' fictional life coincides with the destruction of Segalen's own vision of an eternal and imperial China. The narrator is a Frenchman in Beijing in 1911. He is not so much interested in the politics of revolutionary Sun Yat-sen and warlord Yuan Shih-kai, however, as he is obsessed by the "Within", by the mysteries of the Imperial family, nested within the successive walls of the Forbidden, Imperial, Manchu, and Chinese cities. Seeking out anyone who might have access to the palace, he finds the answer to his dreams in his tutor René Leys, a young Belgian boy who has learnt fluent Chinese and managed to find himself a place at court — a surprisingly privileged place. Though there is little direct action in René Leys, it is nevertheless engrossing, drawing us into the narrator's plans and imaginings. It is also an unusual and original novel, involving storytelling at several different levels and incorporating elements of espionage and mystery fiction, including a murder and a twist right at the end. It also offers a view of life in Peking, albeit through the lens of the narrator's misunderstandings and sexual and antiquarian obsessions. 1990 Anne-Marie Grand : Du narrateur nous est livré le nom : Segalen, sa nationalité : française enracinée dans la Bretagne, son âge : il a quinze ans de plus que son héros, 36 ans en 1911. René Leys commence dans un parallélisme avec le texte abandonné qui se complique d'un grand nombre d’arabesques pour en faire cette oeuvre étonnante de facilité et de difficultés mêlées. Un écrit destiné à une lecture sous le signe de l'équivoque. A première vue l’enquête, comme l'induisait le refus de l'audience, concerne le Palais impérial. Le texte est placé sous le signe de la communication. Tous les personnages, à des degrés divers d'ironie, en sont marqués, à commencer par le héros : René Leys. Le jeune homme est professeur, à ce titre chargé de transmettre un savoir, qu'il s'agisse d'économie politique quand il exerce à l'Ecole des nobles ou de chinois lorqu'il y initie le narrateur. Leys appartient à un double système de communication, sans négliger qu'il s'octroie un rôle au sein de la police secrète, organisme consacré, par définition, aux activités de renseignements. Similaire en cela au vieux professeur Wang enseignant dans une école officielle (de la police secrète) et dans le cadre du cours de chinois que lui aussi despense au narrateur. Le héros du récit, René Leys atteint d’une mort scripturale, comme son modèle, Maurice Roy d'une mort symbolique le jour où il a cessé d’amuser ou d'intriguer Segalen, comme le double perdu dans le temps ; le second, Guangxu, mort bien réel dont l'écriture assume la réalité ; Pékin enfin, morte pour avoir souffert 1911, cessant alors d’être 'l'habitat des rêves' de l'écrivain qui s'en plaindra encore en 1917, 'déplorant avec preuves constantes à l'appui que Péking n'ait pas brûlé d'un seul jet' à ce moment-là. René Leys, très jeune, est, malgré ses dénégations, profondément sinisé. Il parle avec la même aisance tous les dialectes chinois. Monsieur Wang est un vieillard chinois occidentalisé. Il s'oppose à Leys chargé de maintenir l'Empire du milieu dans ses traditions. Le français Jarignoux se situe dans le même réseau d'oppositions complémentaires. Solidement européen par le dire et le faire, mais naturalisé chinois par souci mercantile. René Leys ouvre, pour le narrateur, des portes au Palais, Jarignoux s'empresse de les refermer qui jette un doute sur sa personnalité. Les trois personnages, bien souvent, ne paraissent faire qu'un. Le palais, orienté au sud, cerné de murailles, entouré de fossés fleuris de lotus traduisant 'à la fois la beauté secrète du Dedans et sa contemplation impossible' est similaire à la maison du narrateur. René Leys était l'ami de Guanxu comme il deviendra celui du narrateur. Le miroir trouble qui unit Leys et Guangxu, héros du Fils du ciel, fait vaciller l'image de l'écrivain. C'est toujours de nuit que René Leys se rend au Palais, comme c'est la nuit que par le jeu des confidences arrachées ou provoquées le narrateur ouvre 'des portes au Palais'. Leys commence par affecter le plus important, le Palais lui-même. L'habitant du Dedans n'est plus Empereur mais impératrice, la veuve de Guangxu, l'impératrice Longyu. Ce pourrait n'être que simple soumission à la vérité historique s’il n'y avait, de la part du narrateur, une insistance telle qu'elle se diffuse dans tout le texte et autorise la suspicion. René Leys meurt en même temps que l'Empire. Dedans et dehors vont bientôt se confondre. Le narrateur va s'arracher à Pékin, a l'attraction béante de son Centre. Leys se termine sur une mort qui a des allures de meurtre. Meurtre ou suicide, il disparaît dans une apothèose, plus beau, plus séduisant que jamais, ayant dit ce qu'il avait à dire, finalement vainqueur. Le mystère du Dedan reste toujours à déchiffrer. Le déplacement du respect sur la personne de Guangxu comme sur le cadavre de Leys invite à les poser en équivalence. Le texte se termine par le départ du narrateur. 1993 Yvonne Y. Hsieh : Segalen's description of Yuan Shikai in René Leys during his triumphant entry into Peking – after the Manchu court was forced to recall him from disgrace to save the dynasty from the rebels – reflects real admiration for Yuan. Segalen was thus ironically in agreement with most Europeans in China at the time, even though he always distanced himself from his fellow expatriates, whose cultural ignorance and colonialist arrogance he deplored. 1999 Jacques Huré : Le narrateur de René Leys voit dans 'le Palais' (La cité interdite), l'allégorie de ce qu'il nomme le 'Dedans'. Il va chercher à entrer dans cet espace à travers René Leys, soit chercher à parcourir le labyrinthe de la connaissance d'une réalité qui lui échappe et pour laquelle il doit passer par l'intermédiaire d'un professeur de chinois. René Leys devient le médiateur de la connaissance du mystère du Dedans, indispensable en quelque sorte à l'accès à la lumière de la connaissance de soi. Le 'dedans' ou le 'souterrain' représente bien l'autre face du Palais, domicile, lui, du souverain (Homme ou femme), et la quête passe par l'un et par l'autre. Segalen présente dans son roman, sous la forme d'un journal, l’interrogation du narrateur sur l'identié véritable de René Leys qui lui raconte les histoires du 'Dedans' (complots, intrigues amoureuses), dont la véracité lui paraît douteuse. Ici, le doute exerce une fonction capitale. Il détruit toutes les certitudes constituitives pour ainsi dire de la personnalité de René Leys. Quelle réalité reposait son discours ? Qui était-il ? Un affabulateur ? Plutôt un séducteur, comme l'observation de ce qui le lie au narrateur, de plus en plus, et qui se résout par la tragédie, la mort, incline à le penser ? René Leys serait le récit de l'emprise exercée par un jeune homme de sensibilité très féminine, sur le narrateur, qui prend conscience de l'ambiguïté de sa relation, reflet de sa propre ambiguïté. 2001 Philippe Zard : Les premières pages de René Leys décrivent un personnage avide d'en savoir plus, de pénétrer les secrets du règne de l'Empereur Kouang-siu, disparu moins de trois ans plu tôt, d'aller au-delà des versions officielles pour pénétrer jusqu'aux secret intimes de la 'ville violette interdite'. Au commencement se trouve donc un mytère, une énigme, un point d'histoire et de politique resté sans réponse. Le culte du secret apparaît comme une irréductible composante de la Cité interdite. Chez Segalen, le narrateur se complaît à évoquer l'architecture singulière d'une ville entourée 'd'enceintes géométriques', fournit un plan de la ville qui fait apparaître les encastrements successifs balisés par des remparts de plus en plus infranchissables : 'Ville tartare, Ville impériale, Palais, Palais du milieu'. L'imaginaire de Segalen est centripète : il converge vers le centre de la structure, le 'milieu' isolé et protégé par une interminable série de murs et de cloisons. L'essence de l'Empire repose dans 'la magie encolse dans ces murs, où je n’entrerai pas' et dans la figure d’un Empereur dont on ne sait s'il règne ou s'il est retenu prisonnier dans 'l'enclos où l'on avait muré sa personne, cette ville violette interdite, - dont les remparts m'arrêtent maintenant'. La question de la clôture, de la fortification, de l'enfermement est donc le point de fixation du récit. 'Segalen', au cours du roman, met à l'épreuve divers modes d'accès au Dedans. Ainsi le récit de l'Audience au Palais n'exprime-t-il que la déception de n'avoir rien vu : la voie directe est plus égarante qu'instructive. L'enseignement de Maître Wang, l'un de ses deux professeurs de chinois, lettré et familier du Palais, n'est pas davantage éclairant. Il n'a rien d'autre à proposer qu'une oiseuse érudition, qui se résout en manie taxinomique, en nomenclatures aussi dérisoires que mortes, qui ne trahissent qu'une passion de l’Ordre – quand 'Segalen' est à la recherche de sensations fortes : son rapport à la Chine est un rapport de désir, don de désordre. L'observation de la ville apporte au personnage des satisfactions bien supérieures : elle flatte un désir de maîtrise et de toute-puissance ; elle lui permet de 'comprendre' la cité, en un sens spatial et intellectuel, sans lui permettre pour autant de la 'pénétrer'. Il s'agit encore d'une approche abstraite, occidentale, qui ne permet pas encore l'intimité avec le Dedans. Dans cette mesure, René Leys apparaît comme un cauveur : c'est lui qui va réenchanter la Chine, en faisant parler le romanesque. Autrement dit, parti pour une enquête sur les derniers jours de Kouang-siu, le narrateur opte durablement pour un accès romanesque à l'Empire, pour la voie de la fabulation. A la fin, le principe de réel semble définitivement l'emporter, par le surgissement de l'Histoire et la chute de l'Empire, sans que cependant le narrateur se résigne à trancher, à répondre, selon ses propres termes, par 'oui ou non à la question de l'imposture de René Leys. Au total, la démarche du narrateur confronté à l'énigme impériale semble constamment se mouvoir dans la zone de l'approximatif, - entre le possible, le plausible, l'incroyable et l'invraisemblable, l'incertain, le douteux pour aboutir à une forme de dégagement sceptique. Il est clair que Segalen – l'auteur et le narrateur se confondent ici – semble choisir de se tenir à égale distance de la pure fantaisie romanesque et de la philosophie positiviste de la connaissance caractéristique de l'école naturaliste traverse les denières pages du roman. La Chine semble être de ces pays qu'on ne pénètre pas sans le secours de l'imagination. Peu à peu, l'attention de 'Segalen', d'abord fixée sur l'Empereur défunt et les mystères du Palais impérial, se porte sur son informateur : c'est René Leys qui finit par devenir la source d'intérêt, l'individu mystérieux, aussi impénétrable que les murs du Palais. René Leys, l'étranger mystérieusement introduit au Palais, est celui qui, dans les enceintes de la Cité intrerdite, ouvre une brèche où s'engouffrent le récit et le désir : celui-ci ne s'éveille ni dans la connaissance absolue de l'Empire, ni dans l'ignorance complète, mais dans l'entre-deux. L'inité, et initiateur, se dit policier, et même bientôt chef de la Police secrète ; il rend compte des menaces imminentes qui pèsent sur le Régent. Le roman que bâtit le jeune homme se fixe sur les périls qui guettent la paix de l'Empire, renvoie à une inquiétude fondamentale sur la pérennité de celui-ci, sa solidité, ses assurances – or, cette inquiétude est celle-là même que nourrit Segalen, fasciné par l'exemple historique d'un Empereur malade et mélancolique. La précarité de l'Empire est vérifiée, à la fin, non par René Leys, mais par l'Histoire elle-même, à travers la chronique des révolutions de 1911 et du décret d’abdication en faveur de Yuan Che-k'ai, qui place la Chine 'presque en république'. Que le 'Dedans' soit l'objet d'un investissement métaphorique et fantasmatique est plus manifest encore dans le cas de l'oeuvre de Segalen. René Leys ne peut en rien être réduit au rôle de manipulateur ou de mystificateur. A la fin du livre, relisant ses notes, le narrateur prend conscience du tandem singulier qu'il formait avec son mentor : il se rend compte qu'il a soufflé au jeune homme l'essentiel de son affabulation ; le professeur ne fait que répondre à une demande tacite de son disciple, exécute un programme fantasmatique dont les grandes lignes ont été dessinées par le narrateur. L'homosexualité du jeune René Leys est presque transparante – son absence manifest de désir pour les femmes, ses nombreux 'amis' font peser sur lui tous les soupçons – comme est clairement lisible la propre attirance de 'Segalen' pour l'éphèbe. L'atmosphère homosexuelle du roman se révèle sur fond d'une peur quasi obsessionnelle de la castration et d'une phobie de la femme. Dans le Dedans de l'Empire règnent les femmes – au milieu des Eunuques. Dans l'enclos des murailles du Dedans se joue pour Segalen un scénario fantasmatique dans lequel se retrouvent tout à la fois le mystère de l'origine, la défaillance du père, l'impérieuse puissance maternelle, - et le secret de sa propre féminité. Les murs du Dedans figuraient une identié invulnérable, idéal de permanence à soi-même, d'autant plus forte qu'elle est soustraite au regard inquisiteur, dérobée à toutes les curiosités, à l'abri de toute altération. Les révélations de René Leys ont donc à cet égard une foction ambivalente : elles satisfont un désir irrésistible de voir et de connaître, une curiosité irrépressible. Le destin de René Leys est emblématique de celui de l'Empire. Le jeune homme d'effondre sous le double poids du scepticisme croissant de 'Segalen' et de l'Histoire en marche. Dès que la foi du narrateur se fissure, dès que le doute gagne, le jeune homme se défait, meurt de ne pouvoir maintenir longtemps l'illusion de sa toute-puissance ; mais c'est aussi le cas pour l'Empire tout entier. 2009 Jean Claude Trutt : René Leys a ceci d'extraordinaire, c'est d'abord qu'il est né de la recherche entreprise pour un tout autre livre, Le fils du ciel, complètement différent, et qu’ensuite le personnage principal du roman est entièrement copié sur un personnage réel, Maurice Roy, fréquenté par Segalen en 1910 et au cours de l’été 1911. Le manuscrit du Fils du ciel est très incomplet. Une oeuvre originale: des Annales consacrées à l'Empereur Guangxu, arrivé sur le trône en principe à l'âge de 4 ans en 1875, régnant réellement 100 jours du 11 juin au 21 septembre 1898, immédiatement écarté du pouvoir par sa tante Cixi, effrayée par sa volonté de réforme, puis confiné jusqu'à sa mort en 1908, peut-être encore empoisonné à la dernière minute par sa tante agonisante (elle avait déjà fait tuer sa concubine préférée lors des événements de 1900) qui meurt un jour plus tard après avoir désigné comme successeur au trône le fameux Puyi, qui était alors âgé de 3 ans, et avoir nommé comme Régent son père, frère cadet de Guanxu. Les Annales que projetait Segalen devaient contenir la chronique d'un historien s'exprimant à la mode chinoise sur un ton officiel et dans une langue hagiographique et les poèmes de l'Empereur (qui, comme tous les Empereurs du passé devait être un lettré) et peut-être ses réflexions face à l'intrusion étrangère. Cela aurait pu être un très beau livre, si Segalen avait eu le temps et la force de l'achever. René Leys, dont le héros est l'avatar littéraire, à peine modifié, de ce Maurice Roy, fils de 19 ans du Directeur de la Poste de Pékin, parlant parfaitement chinois, parfaitement au courant des secrets d'alcôve de la Cité interdite, prétendant y avoir ses entrées, avoir été l'ami du défunt Empereur Guangxu, faire partie de la police secrète, et être l'amant de l'Impératrice (et avoir été dépucelé par elle). Sophie Labatut a rassemblé tout ce qu'on pouvait savoir sur le mystérieux Maurice Roy: le dossier de Segalen intitulé Annales secrètes d'après M. R., les lettres de Maurice Roy envoyées à Segalen et que celui-ci a conservées, un autre dossier de Segalen intitulé Révolution qu'il a constitué à la suite des Annales M. R. Le narrateur de l'histoire est, lui, un avatar de Segalen, plus naïf encore, et plus gaulois aussi dans certaines de ses remarques (dont certaines sont même carrément de mauvais goût). Quant à René Leys il est finalement plutôt touchant, juvénile et frêle ('pâle et les yeux grands ouverts comme deux puits d'ombre'). Et puis sa fin est dramatique : il meurt empoisonné. C'est quand même une plus belle fin que celle de Maurice Roy qui devient un vil banquier ('engraissé... insipide, gentil, fini', dit Segalen qui le rencontre à nouveau en 1917). Quand Segalen rédige René Leys, en 1913, il est bien désenchanté. |
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