# | Year | Text |
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1 | 1900.1 |
Loti, Pierre. Journal intime inédit [ID D22432]. (1)
3e partie : En route pour la Chine Lundi 24 septembre. – Après avoir traversé la Mer Jaune, par un temps morne, nous arrivons de grand matin à Takou où l'immense escadre internationale est déjà assemblée. Alors commence une vie militaire à outrance, coups de canons, sonneries et musiques de guerre. Dimanche 30 septembre. Lundi 1er octobre. – Préparatifs de bombardement et de combats pour la prise des forts de Ning-Haï, que l'on dit très armés de canons Armstrong. 2 octobre 1900. Ning-Haï. – Qui m'eût dit, il y a quelques mois, que je viendrais encore faire du pillage en Chine ? Ce matin, dans les maisons abandonnées en hâte, au milieu du désarroi des fuites précipitées, parmi les meubles brisés, les cartouches jonchant le sol, la poudre répandue en jonchée noire ; fouillé à la recherche des bibelots, des porcelaines. Ca sent le chinois, la poudre et la mort. Cela rappelle les jours de Thuan-An, il y a dix-huit ans, et le pillage de Makung il y a quinze ans. Je ne suis jamais venu en Chine au'au milieu de ce tohubohu des pillages, je ne l'ai jamais vue qu'ainsi. Qui m'eût dit que ces jours, qui semblaient finis à tous jamais, recommenceraient pour moi. Au dehors du fort et des logements dévolus aux Français, que gardent nos matelos furetant et pillant avec moi, le beau soleil d'un matin d'automne resplendit sur des campagnes qui devaient être heureuses, sur des jardins, des vergers fleuris comme chez nous de zinnias et d'astres. De partout les Chinois ont fuit, tout est vide. Mais, dans les chemins bordés de bouleaux et de saules, c'est une étonnante confusion de soldats de sept nations alliées, furetant, maraudant, détruisant. Les grandes invasions barbares devaient ressembler à cela. Des bersaglieri d'Italie, la plume de coq sur leur casque colonial rabattent des moutons pour les emmener. Des cosaques pillent une pagode, emportant les grands bouddhas dorés, les vases de bronze. Das Autrichiens, des Anglais, des Allemands, des troupes de l'Inde à haut turban, dévastent les jardins, chassent les boeufs et les poulets. Des soldats et des matelots japonais, merveilleux dans leurs tenues européennes toutes nouves, fraternisent avec les nôtres, puisant à la même aiguade. Et des pavillons de toutes les nations flottent partout, sur des maisons, des forts, des pagodes. Les Russes, les plus nombreux, sauvages et sales, débarqués au nombre de cinq mille encombrent la plage, envahissent comme une marée montante. Et des familles chinoises s'en vont, tête basse, sans une plainte ni seulement un regard des petits enfants emportant sur leur tête leurs couvertures et leurs matelas. Cette chose navrante : une pauvre vieille Chinoise, vieille, vieille, presque centenaire, ne pouvant plus marcher sur ses petits pieds déformés, chassée de sa maison, se traîne Dieu sait où, emmenée par deux jeunes garçons qui doivent être ses petit-fils, tandis que des brutes d'Anglais et de Russes chavirent son logis, jettent dehors, en riant, les modestes images de son autel d'ancêtres. Les deux enfants qui la soutiennent de leur mieux ont un air de tendre soolicitude et de respect infini. Et la figure de cette vieille femme exprime le désespoir sans bornes. La Grande Muraille de Chine, au beau soleil de 10 heures du matin, d'un matin d'automne déjà presque frais. Je monte à un mirador de vieille que vient d'occuper un poste de Japonais ; très souriants, les petits Japonais, officier en tête, m'offrent de monter à ce mirador. Ils sont en train d'y planter leur pavillon au bout d'une hampe de bambou. La prodigieuse Grande Muraille, épaisse ici de 6 à 8 mètres, flanquée de bastions carrés, déploie sa ligne infinie qui, d'un côté, tombe dans la Mer Jaune, de l'autre se perd dans les montagnes. On domine de là, dans la pure lumière, les plaines désertes de la Mandchourie. Sur la mer, l'étonnante escadre d'invasion, les monstrueux cuirassés assemblés comme une troupe de pirates, à la curée de la Chine. Là-bas, mystérieuse, la grande ville tartare de Shangh-Haï-Kouan, toute grise et comme endormie, a fermé ses portes dans la terreur de'linvasion, des massacres et des pillages. Un temps calme, exquis et léger. L'herbe fine, sur la Grande Muraille, est mêlée d'asters et d'oeillets roses comme ceux de nos sables. Mercredi 3 octobre 1900. – Appareillé de Shang-Haï-Kouan le soir pour Takou. Jeudi 4 octobre. – Au lever du jour, repris notre mouillage dans l'escadre internationale en rade de Takou. Jeudi 11 octobre. – Par un beau temps calme, presque chaud, très lumineux sur la mer, je quitte le 'Redoutable', en rade de Takou, pour me rendre en Mission à Pékin, n'emmenant avec moir que mon fidèle Osman. D'abord nous prenons passage sur le 'Bengali', l'un des bateaux qui depuis un mois fait le pénible et lassant va-et-vient, toujours chargé de matériel et de troupes, entre l'escadre, les transports ou les affrêtés qui arrivent et la terre chinoise, par-dessus la barre dangereuse du Peiho. Aujourd'hui il est bondé de zouaves, le 'Bengali', de braves zouaves arrivés hier de Tunisie et qui s'en vont, inconscients et joyeux, sur la funèbre terre chinoise. Ils sont serrés, à tout touche sur le pont les zouaves, avec de bonnes figures gaies et des yeux grands ouverts pour voir enfin la Chine. Suivant le cérémonial d'usage le 'Bengali' passe à la poupe du 'Redoutable', pour le salut à l'amiral. La musique les attend à l'arrière du cuirassé, pour leur jouer au passage Sambre-et-Meuse et quelqu'un de ces airs qui emballent les soldats. Et quand nous passons, tous les zouaves – ceux qui reviendront et ceux qui doivent mourir – tandis que leurs clairons sonnent « aux champs », tous les zouaves agitent leurs bonnets rouges avec des hurrahs pour l'amiral qui, du haut de sa galerie, ll lève sa casquette en leur honneur. Au bout d'une demi-heure de route environ, la terre chinoise apparaît. Jamais rivage d'une laideur plus féroce n'a surpris et glacé des soldats nouveaux venus. Une côte basse de terre grise toute nue, sans un arbre ni un herbage, et partout des forts, de contours géométriques et de taille colossale, du même gris que la terre, percés d'embrasures de canons. Jamais entrée de fleuve n'a montré un attirail militaire plus étalé ni plus menaçant ; sur les deux rives de l'horrible fleuve aux caux bourbeuses, les forts se dressent donnant l'impression de quelque chose d'imprenable et de terrible – laissant entendre aussi que cette entrée, malgré la désolation des rives, est d'une importance de premier ordre et même à quelque cité immense, peureuse et riche, comme Pékin doit être. 4e partie : En Chine De près les murs gris de ces forts, éclaboussés, percés, déchiquetés de boulets, laissent voir de terribles brèches ; ils se sont tirés l'un sur l'autre, à bout portant, le jour de la prise de Takou. Par un miraculeux hasard, un obus français, lancé par 'le Lion', était tombé au milieu de l'un d'eux amenant l'explosion de son énorme poudrière et l'affolement des Chinois ; les Japonais alors s'en étaient emparés, pour ouvrir un feu imprévu sur le fort d'en face ; et alors, comme on sait, la déroute chinoise avait commencé. Sans ce hasard, sans cet obus et cette panique, toutes les canonnières européennes entrées dans le Païho étaient invévitablement perdues ; le débarquement des forces alliées devenait impossible ou problématique, et toute la face de la guerre était changée. Nous avançons maintenant dans le fleuve, sur l'eau bourbeuse et infecte où flottent des cadavres, des carcasses le ventre gonflé, des immondices de toute sorte. Et les deux rives sinistres nous montrent au soleil déclinant du soir, un défilé de ruines, une désolation uniformément grise et noire, terre, centre et charpentes calcinées. Plus rien que des murs crevés, des écroulements, des décombres. Sur les eaux empestées du fleuve, une animation fiévreuse, un encombrement où nous avons peine à nous frayer passage : des jonques par centaines, jonques réquisitionnées par les Alliés, portant chacune le pavillon et, en grandes lettres, le nom écri sur la coque de la nation qui l'emploie. Et des remorqueurs, des chalands, des charbonniers, des paquebots. Et sur les horribles berges de vase et de terre grise, parmi les détritus et les bêtes mortes, une acitivité de fourmilière, à débarquer des munitions, des tentes, des fusils, des fourgons, des mulets, des chevaux. Des soldats de toutes les nations, au milieu d'un peuple de coolies menés à coups de fouet ; une confusion encore jamais vue d'uniformes, de tentes, de ruines, de canons, de butin et de matériel de guerre. Et un petit vent glacé, qui se lève avec le soir, vient nous faire frissonner après le soleil encore chaud du jour. Devant les ruines d'un quartier où flotte le pavillon de France, le 'Bengali' accoste à la lugubre rive et nos zouaves débarquent au crépuscule, un peu décontenancés par cet accueil sombre que leur fait la Chine. Sur une sorte de place qui est là, en attendant qu'on leur ait trouvé quelque gite, ils allument des feux par terre, que le vent tourmente les couvrant d'une fétide poussière, et ils font chauffer dans l'obscurité, sans chansons et en silence, le petit repas du soir. Cette ville dévastée et noire, pleine de soldats, au milieu des plaines désertes qui nous envoient ce vent, ce froid et cette poussière, sent la peste et la mort. Ca et là des cloaques où croupissent des chiens, des crânes et des chevelures, parmi des débris de meubles et de hardes. Une rue, une petite rue centrale, rebâtie à la hâte depuis un mois, avec des poutres, des briques, du torchis, de la boue et, le long des boutiques louches où des gens arrivés on ne sait d'où ont improvisé des cabarets de l'absinthe, des poissons salés et de l'eau-de-vie russe. Les soldats s'envirent et jouent du couteau. Couché à bord du 'Bengali'. Toute la nuit des coups de fusils à la cantonnade, et vers le matin d'horribles cris. Vendredi 12. – Levé un peu avant le jour pour aller prendre le chemin de fer qui marche encore jusqu'à Tien-Tsin et un peu au delà. Pas de billets à ce train. Tout ce qui est militaire, ou même européen, y monte de droit. Retrouvé à la gare tous nos zouaves d'hier, sac au dos ; ils d'entassent dans les wagons, avec les Japonais et des Russes. Je prends place dans une voiture aux vitres cassées, avec des officiers de zouaves qui regrettent leur Tunisie d'où ils viennent. Deux heures et demie de route à travers la sinistre plaine. D'abord ce n'est que de la terre grise comme à Tong-Kou ; ensuite, cela devient des roseaux, des herbages fripés par la gelée. Et il y a partout d'immenses taches rouges, comme des traînées de sang, dues à la floraison d'une espèce de plante de marais. Le vent souffle du nord et il fait très froid. Sur l'horizon de ce désert, on voit s'agiter des nuées d'oiseaux migrateurs. Rien, dans cette plaine, que des tombeaux, des tombeaux innombrables ; tous de même forme, sortes de haute taupinières surmontées d'un bouton de faïence, ils sont groupés par familles et ils sont légion ; c'est tout un pays funéraire qui défile sous nos yeux, taché de plaques rouges et peuplé à l'infini de ces mêmes inquiétants petits cônes en terre durcie. Les stations, les gares, brûlées, détruites, sont occupées militairement par des cosaques ; on y voit des wagons calcinés et tortus par le feu, des locomotives criblées de balles. Et les rares villages rencontrés sur la route ne sont plus que des ruines. Rien que des images de destruction et de mort. Tien-Tsin. Dans des tourbillons de poussière noire que soulève un vent glacé, nous mettons pied à terre, livrés aussitôt à des « pousse-pousse » qui nous emmènent en courant, dans ce nuage de poussière qui nous aveugle. D'abord la ville européenne, une très grande ville dirait-on, avec des maison somptueuses, mais démolies, éventrées, sans toitures ni fenêtres, criblées d'obus. Le long du fleuve une agitation fiévreuse, des milliers de jonques débarquant de la cavalerie, des troupes, du matériel de guerre. Dans les rues, une foule remuante de soldats de tous les pays l'Europe, d'officiers à cheval, de coolies chinois promenant d'énormes charges. Et des saluts militaires tout le long du chemin. Où aller faire tête, malgré le désir qu l'on a d'un gîte, par ce vent glacé et cette poussière ? Frappé à la porte de deux ou trois hôtels, qui se reinstallent dans des ruines, dans un invraisemblable désordre de mobilier brisé. Tout est plein ; rien à espérer de ce côté-là. Et il faut, bon gré mal gré, aller mendir la table et le lgois chez des officiers inconnus, qui nous donnent la plus aimable hospitalité dans des maison où les trous d'obus ont été bouchés à la hâte et où le vent n'entre plus. Samedi 13 octobre. – La journée en préparatifs de ce départ pour Pékin. On peut aller à chevel, en charrette ou en jonque. Je choisis la jonque plus pratique pour le bagage et qui fournit un gîte tout trouvé pour dormir, puisque sur le route il faut s'attendre à ne trouver que des ruines et des cadavres. Dans les magasins européens de Tien-Tsin, à moitié ruinés et pillés, il s'agit d'acheter tout ce qui sera nécessaire à la vie pendant trois jours : petits matelas, couvertures, plats, couverts, vivres etc... Et puis faire nettoyer, préparer la jonque ; dans le petit sarcophage où nous habiterons, faire mettre un toit de nattes. Et, chez des pères Lazaristes, embaucher un petit Chinois pour faire le thé – le nommé Toum, - 14 ans, une figure éveillée et jolie, une queue qui lui tombe jusqu'aux pieds. Au Consulat, on ne nous juge pas suffisamment armés, bien que nous ayons chacun un revolver, Osman et moi, et on nous adjoint deux soldats du train. Dîné chez le général Frey, qui est entré le premier avec les troupes françaises dans la Ville impériale, et qui me raconte en détails la prise du « Pont de Marbre ». Il s'inquiète de l'eau que nous boirons en route, le fleuve étant empesté de cadavres, l'eau des puits empoisonnée par les morts qu'on y a jetés, et me fait un inappréciable cadeau : une caisse d'eau d'Evian. Dimanche 14 octobre. – Le matin, expédié en avance ma jonque avec mes deux soldats, mon petit Chinois et mon bagage. Je la rejoindrai damain matin à Yang-Soun, le point où le chemin de fer s'arrête, coupé par les boxers, économisant ainsi presque un jour de navitgation sur le fleuve. Dîné chez le Consul Général, avec le confortable et l'élégance que les obus n'ont pu atteindre, n'ayant démoli que les étages supérieurs du consulat. (Dans le jour, visite aux deux déesses). Toute la nuit, coups de fusil dans le lointain. Lundi 15 octobre. – Départ de grand matin, en chemin de fer. Au bout d'une heure, à travers les mêmes désolations qu'hier, arrivée à Yang-Soun, par un vent glacé. Trouvé là ma jonque et mon personnel qui m'attend au bord du fleuve licencié un de mes soldats, qui me déplaît. Gardé seulement le nommé Jules David, du 15e du train, avec son fusil, ses cartouches et son sac. Départ en jonque à neuf heures. Et, pour trois jours, il va falloir s'arranger une petite existence de lacustre, dans le sarcophage qui est la chambre de cette jonque, sous un toit de nattes qui laisse voir le ciel par mille trous et cette nuit, laissent tomber la gelée blanche. Vivre en promiscuité complète avec ces deux compagnons, Osman et David, servis par l'impayable petit Toum. Et le petit logis, à improviser tout ce qu'il faut, que le voyage au beau soleil, malgré le vent froid, commence bien, avec de bons rires. (Jules David, 22 ans, né à Saint-Martin-des-Besaces, Calvados, ancient garçon de ferme, aujourd'hui soldat du train. Une fine et régulière figure d'arabe, moustache noire sur des joues d'un rouge de pêche mûre, grands yeux candides et admirables). Cinq Chinois inconnus pour équipage et nous partons à la cordelle, remontant le courant du Peïho ; l'eau lourde et empoisonnée ou macèrent des cadavres. Paysage monotone et funèbre. Sur les deux rives, des sorghos, espèce de millets géants, beaucoup plus hauts que nos maïs, que la guerre a empêché de faucher et que les gelées ont roussis. Un petit chemin de halage, étroit, sur la terre grisâtre et tout le temps ces sorghos desséchés, en rideau sans fin. Quelquefois un fantôme de village apparaît : ruines et cadavres si l'on s'approche. A 10 heures et demie, arrêt devant un grand fort chinois sur lequel flotte le pavillon français. C'est un de nos gîtes d'étape ; le Peïho est occupé militairement sur tout son cours, pour permettre la communication avec Pékin ; des postes de sept nations alliées sont échelonnés sur les deux rives. Ce fort est occupé par des zouaves ; nous y descendons pour toucher nos rations de campagne : deux jours de vivres, pain, viande de conserve, vin, thé et sucre. Nous ne toucherons plus rien à présent jusqu'à Tong-Tchéou (Ville-de-la-Pureté-céleste) où nous arriverson après-demain soir. Et le halage de la jonque recommence, lent et monotone, entre les tristes berges dévastées. J'ai sur le pont de cette jonque un fauteuil de mandarin, pour trôner au soleil, quand on n'y gèle pas trop. Le plus souvent je préfère sauter sur la berge et, devant nos Chinois qui tirent la cordelle, marcher, marcher avec Osman et David, sur le petit sentier de terre grise, entre le rideau sans fin des sorghos et le fleuve, obligés parfois à un brusque écart, pour un cadavre sournois couché en travers du chemin. Souvent nous croisons de longs convois de jonques qui redescendent à la file, sous pavillon de l'une des nations alliées, rapportant des soldats, des malades, des blessés et du butin. Enormément de Russes qui évacuent la région et emportent un effrayant pillage. Au crépuscule, passé devant les ruines d'un village où des Russes viennent camper pour la nuit. Ils déménagent d'une maison des meubles d'ébène sculptée, les brisant et y mettant le feu. En nous éloignant, nous voyons la flamme haute briller dans le gris du soir et gagner des arbres voisins. 5e partie : Vers Pékin Sinistre tombée de nuit, dans une solitude. Tant d'ombre, de silence et de cadavres autour de nous, tant d'ambiances hostiles ou désolées, et le froid qui augmente, avec l'obscurité... L'impression mélancolique s'évanouit au souper, devant la comique petite table à trois couverts, organisée par Osman et David, dans le petit sarcophage fermé le mieux possible, à la lueur d'un fanal chinois. Nous avons pour nous réchauffer des cigarettes turques et le thé bouillant confectionné par Toum, sur un feu de sorghos. Puis vient l'heure de dormir. Tout habillés, bien entendu, et les armes chargées à nos côtés ; nous nous étendons tous trois sous les couvertures mises en commun et sous le toit de nattes, par les trous duquel des étoiles paraissent. Coup de fusil à la cantonade, très loin. Deux alertes avant minuit. Des factionnaires de postes japonais et russes, sur la rive, nous hèlent pour nous empêcher de passer ; il faut se lever, montrer avec un fanal le pavillon français et l'uniforme. A minuit, nos Chinois amarrent la jonque pour jusqu'au matin, en un lieu qu'ils disent sûr, et nous nous endormons d'un profond sommeil, dans la nuit glacée. Mardi 16 octobre. – Réveil au petit jour, pour faire lever et repartir les Chinois. Déjeuner au thé bouillant que le petit Toum fabrique. Et puis nous voulons aller à terre, marcher sur la berge bien vite, pour nous réchauffer. David, alors, glisse sur le rebord de la jonque couvert d'une couche de glace et tombe dans le fleuve. Il faut l'essuyer, le réchauffer, l'habiller de la tête aux pieds dans des vêtements à moi, et je n'en ai que d'uniforme. Alors le voilà dans la joie et le fou rire, de se trouver en capitaine de frégate. Enfin je saute à terre, dans la hâte de marcher et de courir. Horreur ! A un détour du sentier de halage, je manque marcher sur quelque chose qui git, en forme de croix : un cadavre, nu, aux chairs grisâtres, couché sur le ventre, les bras étendus, à demi enfoui dans la vase dont il a pris la couleur ; les chiens ou les corbeaux l'ont scalpé ; le crâne apparaît tout blanc et la chevelure n'y est plus. Le vent est glacé, mais sec et vivifiant, la lumière magnifique, le soleil donnant l'illusion d'été. Et, dans l'éternel petit sentier qui mène à Pékin, sur la gelée blanche, entre les sorghos et le fleuve, on marche, on marche, sans fatigue et avec une envie de courir en avant des Chinois penchés sur la cordelle qui traîne la maison flottante. Il y a des arbres maintenant sur les rives, des espèces de saules aux feuilles d'un vert intense, inconnus chez nous. Il y a des jardins aussi, jardins à l'abandon, autour de villages en ruines ; nos cinq Chinois y courent en maraude, prendre des légumes pour leur repas. David, dans une maison en ruines, trouve des piquets de fleurs artificielles chinoises, qu'il apporte pour décorer le petit logis. On s'habitue à cette vie de la jonque, à ces petits repas dans le sarcophage, où l'on mange avec un appétit extrême, après tant de plein air et tant de vent. Vers le soir, les montagnes de Pékin, en petite découpure extra-lointaine, commençent de se dessiner sur l'horizon. Mais le crépuscule de ce second jour a je ne sais quoi de pariculièrement lugubre. Le fleuve sinueux, tout en détours de labyrinthe, s'est resserré encore et semble n'être plus qu'un ruisseau entre les deux silencieuses rives. Le ciel s'éteint dans des nuances froides et mortes de soir d'hiver. Tout ce qui reste de lueurs est sur l'eau qui reflète en miroir glacé les hauts herbages, les sorghos des rives et quelques silhouettes d'arbres déjà toutes noires. Ce isolement immensce, cet enveloppement de la nuit dans un lieu quelconque de ce pays des morts, ces derniers reflets des roseaux les plus proches et ces ténèbres des lointains confus et inconnus, - tout cela serait pour glacer le coeur des plus braves. Et vite il faut redescendre dans le petit logis de nattes, à la lueur du fanal chinois, se réchauffer, s'égayer et oublier, si l'on peut, avec des cigarettes et du thé bouillant que Toum prépare. Vers 9 heures du soir, comme nous venions de dépasser un groupe de jonques purement chinoises, jonques de maraudeurs, vraisemblablement, des cris de détresse et de mort tout à coup, d'horribles cris... Toum, qui écoute ce que ces gens disent, explique qu'ils veulent assommer et noyer un vieux parce qu'il a volé du riz. Nous ne sommes pas en nombre et d'ailleurs pas assez sûrs de nos gens pour intervenir. Dans leur direction nous tirons des coups de fusil en l'air, et soudainement le silence se fait. Nuit tranquille, amarrés n'importe où dans les roseaux. Grand froid. Quelques coups de fusil au loin, mais on s'y habitue et on se rendort. Mercredi 17 octobre. – Réveil pour aller courir sur la berge, dans la gelée blanche, au beau soleil clair. Vers 10 heures, ayant voulu prendre un raccourci, avec David, pour aller rejoindre plus loin la jonque, obligés de suivre un long détour du fleuve, nous traversons les ruines d'un hameau où gisent d'affreux cadavres tordus. Et bientôt nous voici égarés et anxieux, au milieu des éternels sorghos, ne retrouvant plus le chemin, ni la jonque, ni le fleuve. Vers 1 heure après-midi, Tong-Tchéou, « Ville-de-la-Pureté-Céleste » apparaît au loin devant nous : grands remparts, miradors, tour étonnament haute et frêle, de silhouette très chinois, à vingt toitures superposées. Des cadavres de bestiaux, morts de la peste bovine, passent à côté de nous au fil de l'eau, le ventre gonflé, répandant une horrible odeur. Et, d'une jonque échouée, sort un long bras de mort, aux chairs pourries. On a dû violer aussi par là des cimetières, car il y a, sur la vase des berges, des cercueils éventrés vomissant leurs ossements et leurs pourritures. Ville immense que Tong-Tchéou, occupant deux ou trois kilomètres de rivage. Ville fantôme, bien entendu. En s'approchant, on s'aperçoit vite que tout est en ruines et en décombres. Le long du fleuve, devant les grands murs crénelés c'est, en petit, l'agitation de Takou et de Tien-Tsin, compliquée de quelques centaines de chameaux mongols, accroupis dans la poussière. Rien que des soldats, des envahisseurs, du matériel de guerre. Et tous les pavillons d'Europe flottant sur les campements et les jonques. Des cosaques, très ivres, essaient des chevaux capturés, vont et viennent au triple galop, comme des fous, avec des cris de brutes sauvages. Le vent glacé, qui promène l'infecte poussière, tourmente ces pavillons plantés partout qui donnent un air ironique de fête à cette désolation. Je cherche où sont les pavillons de France pour arrêter ma jonque devant ce quartier et me rendre au « gîte d'étape », toucher nos rations de campagne, réquisitionner pour demain des charrettes et des chevaux de selle. Des zouaves qui sont là, quand je mets le pied sur le funèbre bord, parmi des détritus et des puanteurs sans nom, m'indiquent qu'il faut entrer par la grande porte des remparts, tourner à gauche, etc... puis finalement viennent me conduire. Dans cette porte, percée dans l'épaisseur des murs noirs, un parc à boeufs pour la nourriture des soldats ; il y en a trois ou quatre par terre, crevés de la peste boine, et on vient les tirer par la queue pour les jeter dans le fleuve, au rendez-vous général des carcasses. Les massives portes franchies, nous trouvons une rue où s'empressent à divers travaux des soldats de chez nous, dans une épaisse poussière et une odeur de cadavres. Les maisons, aux portes et aux fenêtre brisées, laissent voir leur intérieur lamentable où tout est en lambeaux, saccagé à plaisir. Et tout de suite nous trouvons le logis des officiers, du colonel, sous les toits réparés en hâte, parmi des chinoiseries dépareillées, réunies par les soldats. Quand tout est convenu ; le départ fixé à demain matin au lever du jour, les charrettes et les chevaux demandés pour nous attendre à 6 heures sur la berge en face de notre jonque ; je pars, profitant de ce qui reste de jour, me promener dans les ruines, escorté d'Osman, David et Toum, toutes les armes chargées. A mesure qu'on s'éloigne du quartier où la présence de nos soldats entretient un peu de vie, l'horreur augmente, avec la solitude et le silence. D'abord le quartier des marchands de porcelaine, des grands entrepôts où se vendaient les potiches de Canton. Le long d'une rue, qui devait être belle à en juger par des restes de devantures sculptées et dorées, nous entrons dans des magasin béants, marchant sur des monceaux de cassons. Ici, c'est l'oeuvre des Russes. Et il a fallu s'acharner des journées entières, à coups de crosse, pour piler si menu toutes ces choses. Les potiches, assemblées ici par milliers, les plats, les assiettes, les tasses tout cela est concassé, broyé, avec des débris humains et des chevelures. Nous pénétrons jusqu'au fond de ces entrepôts, dans des cours intérieures particulièrement lugubres, entre leurs vieux murs. Dans une de ces cours un chien galeux s'escrime à tirer, tirer quelque chose de dessous un morceau de cassons ; le cadavre d'un enfant dont la tête a été fracassée d'un coup de crosse (les Russes en ont tué ainsi par centaines). Et le chien commence de lui manger les jambes. Personne, naturellement dans les longues rues de cette ville de morts. Des corbeaux qui croassent dans le silence. D'affreux chiens repus de cadavres, qui s'enfuient devant nous la queue basse. De loin en loin, quelques rôdeurs chinois de mauvais aspect : gens qui cherchent encore à piller dans les ruines, ou pauvres dépossédés, échappés au massacre, qui viennent peureusement voir ce qu'on a fait de leur logis. Le soleil est déjà très bas, le froid augmente, les maisons vides d'emplissent d'ombre. Toujours très profondes ces maisons, avec des recoins, des petits cours, des petits bassins, des jardinets mélancoliques. Quand on a franchi le seuil, que gardent des petits monstres en granit usés par le frottement des mains, on s'enfonce dans des détours sans fin. Et les détails intimes de la vie chinoise se révèlent, gentils et touchants, dans l'arrangement des pots de fleurs, des plates-bandes, des petites galeries où courent des liserons. Ici, une cage pendue appartenais sans dout à quelque enfant dont on aura tracassé la tête ; l'oiseau y est encore, mort de faim et desséché dans un coin. Et tout est saccagé, les meubles éventrés, le contenu des tiroirs, les papiers épandus par terre, avec des vêtements marqué de larges taches rouges, avec des tout petits souliers de dame, barbouillé de sang. Et ça et là, des bras, des james, des têtes coupées, des chevelures. En certains de ces jardinets, les plantes continuent gaiement de fleurir, débordant dans les allées, parmi les débris humains. Sur une tonnelle, où se cache un cadavre de femme, des volubilis roses sont délicatement fleuris en guirlande, encore fleuris à cette heure tardive du soir et malgré le grand froid des nuits, ce qui dérout nos idées d'Europe sur les volubilis. En dehors des grandes voies, les petites rues latérales, contournées aboutissant à des murs, sont les plus lugubres à voir, au crépuscule et au chant des corbeaux, avec ces têtes de morts à longue queue qui roulent ça et là dans la poussière. Au fond d'une maison, dans un recoin, dans une soupente, quelque chose remue. Deux femmes, tapies là, cachées. Elles s'affolent dans la terreur de nous voir, tremblant, criant, joignant les mains pour demander grâce. L'une jeune, l'autre un peu vieille, se ressemblent toutes deux sans doute la mère et la fille. Elles attendaient de nous les pires choses et la mort. Autre maison, maison de riches, avec un grand luxe de pots de fleurs en porcelaine dans les jardinets. Au fond d'un apparement déjà sombre – car la nuit vient – mais pas trop saccagé, avec des meubles encore intacts et de beaux fauteuils sculptés, David, tout à coup, se recule avec horreur de quelque chose qui sort d'un seau posé à terre : deux cuisses décharnées. La moitié inférieure d'une femme posée dans ce seau les jambes en l'air, la maîtresse de ce beau logis probablement. Le torse a disparu, mais la tête, la voici, c'est ce paquet noir aux mèches ébouriffées, sous ce fauteuil, à côté d'un chat crevé. Nous étions allés loin dans cette ville, dont l'horreur et le silence à présent nous glacent, dans la nuit qui vient. Et nous retournons bon pas, sur les cassons et les débris, vers le quartier où les soldats ont ramené de la vie. Nous les trouvons en train de faire leurs cuisines du soir, sur des feux clairs, en brûlant des tables ou des fauteuils. Sur le quai, près du magasin où nous touchons nos vivres de route, il y a une cantine improvisée par un Italien, où l'on vend des choses à griser les soldats. Nous y achetons des vins et des liqueurs, ayant besoin de nous réchauffer et de nous égayer ce soir, dans notre logis de nattes, dans notre jonque amarrée à la berge, parmi les horribles détritus, sous le froid et la nuit qui commence. David, au dessert, nous conte que son escadron, à Tien-Tsin, est campé près d'un cimetière chinois et que ses camarades – des soldats de chez nous – passent leur temps à fouiller sous les tombes, pour prendre l'argent qu l'on met, en ce pays, à côté des morts, et qu'ils se servent du bois des cercueils pour faire la cuisine : « Moi je ne trouve pas ça bien, dit-il ; ç'a beau être des Chinois, il faut laisser les morts tranquilles. Et puis ça me dégoûte, ils coupent notre viande sur ces planches-là. Je leur dis : au moins, coupez sur le côté qui est au dehors, pas sur le côté du dedans qui a touché le mort. » Le lendemain matin, quand nous nous éveillons avant jour, nos chevaux et nos charrettes sont là. Sur le sinistre bord, des Mongols, parmi leurs chameaux, sont accroupis autour de feux qui ont brûlé toute la nuit dans la poussière. 6e partie : A Pékin Jeudi 18 octobre. — Dernière étape, à cheval. Départ avant jour de notre jonque, devant Tong-Tchéou. Longue route monotone, par un matin sombre et froid, à travers des villages saccagés d'aspect lamentable, à travers des champs de maïs et de sorghos brûlés par les premières gelées. Une petite pluie fine, rendant plus tristes les choses. Par moments, on dirait nos campagnes en automne si, de temps à autre, de grandes stèles en granit posées sur d'énormes tortues étranges ne venaient rappeler la Chine. Et puis, des tombeaux et des tombeaux, les uns dans des bois funéraires d'arbres sombres. Sur cette route que nous suivons, des convois de troupes, d'ambulances, de toutes les nations. Des pillards dans les ruines des villages. Dix heures. Un détour pour voir en passant le mausolée d'une impératrice. C'est au bord d'un étang qui est une macération de cadavres, avec des têtes de mort surgissant çà et là des roseaux, un bois d'arbres sombres, un portique et une avenue de stèles de marbre blanc. La pluie fine tombe. Les lotus, fripés par la gelée, retombent sur l'eau froide. Encore une demi-heure et, tout à coup, de derrière les arbres, la muraille de Pékin apparaît, chose géante, d'aspect babylonien, muraille noire, de plus de quarante kilomètres. Jamais chose plus lugubre et en même temps plus surhumaine ne m'était apparue, dans le grand silence et la lumière grise d'un matin bnmieux d'automne. C'est haut dans le ciel, haut comme une cathédrale, et cela s'en va à perte de vue, cette muraille noire, flanquée d'énormes bastions carrés. Sur chaque créneau un corbeau croasse à la mort. Pas un passant aux abords de cette ville, personne. Au pied des murs, une zone de terrain grisâtre, ravinée, poussiéreuse, sinistre, avec des lambeaux de vêtements qui traînent, des os et des crânes. Et nous nous avançons en silence, sous l'oppression de ce Pékin jamais vu, dont le nom seul est pour imposer et qui vient de faire audessus de nos têtes cette apparition déconcertante et soudaine. Maintenant, de là-bas devant nous, d'une percée dans la muraille colossale et noire, d'une porte, commence de couler vers nous une caravane mongole — dans ce même silence toujours où les corbeaux crocissent à la mort. A la file incessante, les chameaux monstrueux, tout en fourrure, avec d'énormes manchons aux pattes, des crinières comme des lions, défilent lentement et sans fin le long de nos chevaux qui s'effarent ; leurs pieds s'enfoncent dans la poussière noire qui assourdit leurs pas et le silence n'est pas rompu par leur marche. Les quelques Mongols qui les mènent, figures cruelles et lointaines, nous jettent à la dérobée un regard hostile. La caravane est passée, sans un bruit, aperçue à travers un voile de pluie fine et de poussière noire, comme une caravane fantôme. Et nous nous retrouvons seuls, sous la muraille prodigieuse, infinie, du haut de laquelle les corbeaux nous regardent. Enfin les portes, épaisses comme des tunnels, doubles, triples, se contournant sous les lourdes et puissantes maçonneries, portes surmontées de donjons à meurtrières qui ont cinq étages de toitures courbes, qui sont des choses colossales et noires, posées sur la muraille noire. Nos chevaux enfoncent profondément dans la poussière que le vent glacé promène en tourbillons aveuglants, malgré la petite pluie, la neige fondue qui fouette le visage. Et nous entrons dans les ruines, dans le pays des décombres et de la cendre. Quelques mendiants dépenaillés, grelottant sous des loques bleues et d'affreux chiens engraissés de cadavres. Des ruines et des ruines. De longues rues, encore tracées parmi les éboulements de murs et les débris avec, de distance en distance, des restes de barricades qui étaient faites de briques grises amoncelées. Toujours des petites briques grises, des myriades de petites briques grises. C'est avec ces matériaux presque uniques que Pékin était bâtie ; ville de maisons basses, n'ayant jamais qu'un rez-de-chaussée et qui étaient revêtues de boiseries sculptées et dorées ; ville qui laisse un champ infini de lamentables petites ruines, à présent que le feu a passé, et la mitraille, émiettant toutes choses, ajoutant au gris des petites briques éboulées le gris monotone des cendres. Voici que nous entrons dans la rue des Légations, le quartier des Européens, sur lequel on s'est le plus acharné. Tout est en ruines, il va sans dire ; il ne reste plus que des pans de murs et, de droite et de gauche, par des échappées, on perçoit qu'au loin tout est pareil amas de décombres, de petites briques grises et de poutres calcinées. Mais les pavillons d'Europe flottent ici partout et il y a dans cette rue un continuel va-et- vient d'uniformes, soldats, officiers, cavaliers de toute arme et de toute couleur. Le pavillon de France et l'entrée de ce qui fut notre légation, avec deux monstres de marbre blanc ainsi qu'il est d'étiquette devant tous les palais de la Chine. Des soldats de chez nous gardent cette porte que je franchis avec recueillement, au souvenir des héroïsmes qui l'ont si longtemps défendue. Je mets pied à terre dans une première cour, parmi des débris de toute sorte et des ruines. Les murs de cette cour sont tellement criblés de balles que l'on dirait une gageure, un amusement ; ils ressemblent à des écumoires. A ma gauche, la maison du chancelier où s'étaient réfugiés les braves défenseurs du lieu parce qu'elle était plus abritée. Elle n'est pas détruite et c'est là que l'on a offert de me recueillir. A ma droite, la légation proprement dite que des mines chinoises ont anéantie ; il n'en reste plus que quelques pans de murs et un immense turaulus de décombres. Devant moi, le jardin, où dorment, ensevelis en hâte, sous des grêles de balles, ceux de nos braves matelots qui furent fauchés pendant le siège. Les arbres, qui s'effeuillent au vent glacé, sont déchiquetés par la mitraille. Et, sous le ciel bas et lugubre, des flocons de neige passent en fouettant... Il faut se découvrir, en traversant ce petit bois étrange, car on ne sait pas sur qui l'on marche ; les places qui seront marquées bientôt, je n'en doute pas, n'ont pu l'être encore ; on n'est pas sûr, en passant, de n'avoir pas sous les pieds quelqu'un de ces morts qui mériteraient tant de couronnes. La maison du chancelier, presque épargnée, un peu par miracle, c'est là que les défenseurs habitaient pêle-mêle et dormaient par terre, diminués de jour en jour par les balles, vivant sous la menace incessante de la mort. Ils étaient là, une cinquantaine de matelots avec un officier, le lieutenant de vaisseau Darcy, et un aspirant, qui dort à présent dans la terre du jardin, frappé d'une balle en plein front. Quelques volontaires s'étaient joints à eux, qui faisaient le coup de feu dans leurs rangs, sur les petites barricades ou sur les toits. Et deux étrangers, M. et Mme de Rosthorn, de la Légation d'Autriche. L'horreur de ce siège, c'est qu'il n'y avait à espérer aucune merci si l'on se rendait à bout de forces et à bout de vivres : c'était la mort, et la mort avec d'atroces raffinements chinois pour prolonger des paroxysmes de souffrance. Aucun espoir de s'évader non plus, par quelque sortie suprême ; on était au milieu des grouillements d'une immense ville, on était enclavé dans un dédale de petites bâtisses sournoises, abritant une fourmilière d'ennemis, le tout emmuré dans le colossal rempart noir de Pékin. C'était pendant la période torride de l'été chinois. Le plus souvent, il fallait se battre quand on mourait de soif, quand on était aveuglé de poussière, sous un soleil aussi destructeur que les balles, et dans l'incessante et fade infection des cadavres. Et une femme était là, avec eux, élégante et jeune, cette Mme de Rosthorn, cette Autrichienne à qui il faudrait donner une de nos plus belles croix françaises. Seule, au milieu de ces hommes en détresse, elle soutenait les coeurs par son inaltérable gaieté de bon aloi, elle soignait les blessés, leur préparant des plats de ses propres mains. Et puis s'en allait charrier des briques et du sable pour les barricades. Autour des assiégés, le cercle se resserrait de jour en jour, à mesure que leurs rangs s'éclaircissaient et que la terre du jardin s'emplissait de morts. Ils perdaient du terrain pied à pied, disputant à l'ennemi qui était légion, le moindre pan de mur, le moindre tas de briques. Et quand on les voit, leurs petites barricades de rien du tout, faites en hâte la nuit, et que cinq ou six de nos matelots réussissaient à défendre (on n'en pouvait plus mettre davantage) il semble vraiment qu'à tout cela un peu de surnaturel se soit mêlé. Quand, avec l'un des défenseurs du lieu, je me promène sous ce ciel sombre, écoutant ses explications de témoin, et qu'il me dit : là, au pied de ce petit mur, nous les avons tenus tant de jours ; là, devant cette petite barricade, nous avons résisté une semaine — cela semble un conte héroïque et merveilleux. Oh ! leur dernier retranchement. C'est là, tout à côté de la maison, dans ce jardin (qui n'est plus qu'une steppe de terre grise, piétinée dans les perpétuels petits combats à bout portant, retournée pour les trous où l'on j était les morts) , c'est là, à quelques pas du kiosque de la musique, un petit fossé creusé en hâte la nuit avec, sur la berge, un amas de sacs de terre et de sable : tout ce qu'ils avaient pour barrer le passage aux meurtriers et aux tortionnaires qui leur grimaçaient la mort, à six mètres à peine, derrière des pans de murs. Et ces si.x mètres, ce « terrain contesté », était précisément le petit cimetière pour lequel on tremblait, car c'est une habitude chinoise de déterrer et de violer les morts ; c'était le point où l'on avait, le plus longtemps possible, enterré ceux que l'on perdait chaque jour. Oh ! l'étrange petit cimetière, avec ses bosses de terre grise, ses arbustes fracassés, hachés par les balles. On y enterrait encore sous le feu à bout portant des Chinois, et un vieux prêtre à barbe blanche — devenu depuis un martyr dont la tête fut promenée par les rues — disait tranquillement sur les tombes les prières des morts, malgré tout ce qui sifflait dans l'air autour de lui, et fouettait, et cassait les branches. S'ils avaient franchi ce petit cimetière, les Chinois, et escaladé le pauvre petit retranchement suprême en sacs de sable cousus dans des rideaux, pour tous ceux qui étaient là, c'était l'horrible mort avec des rires, les ongles arrachés, les pieds tenaillés, et la tête ensuite promenée en musique avec des danses. Elle restait là quand même, la gentille étrangère, qui aurait si bien pu s'abriter ailleurs, à la Légation d'Angleterre par exemple, où s'étaient réfugiés la plupart des ministres avec leurs familles, au centre même du quartier défendu par quelques poignées de braves. Mais non, elle restait là, en ce point brûlant qu'était la Légation de France — d'ailleurs la clef et la pierre d'angle de tout le quadrilatère européen, et dont la perte eût amené le désastre général. On les attaquait de tous les côtés et de toutes les manières, avec des cris et des fracas soudains de trompes et de tambours, souvent aux heures les plus imprévues de la nuit. Ils entendaient parfois des milliers d'hommes hurler à la mort — et il faut avoir entendu hurler des gosiers de Chinois pour connaître ces voix qui glacent. Et des gongs rassemblés sous les murs leur faisaient un bruit de tonnerre. Parfois, d'un trou soudainement percé dans un mur, sortait sans bruit et s'allongeait une perche de vingt ou trente pieds, avec du feu au bout, de l'étoupe et du pétrole enflammés, et cela venait s'appuyer contre les toits, pour allumer sournoisement des incendies. Et c'est ainsi qu'une nuit furent brûlées les écuries de la Légation. On les attaquait aussi en dessous ; ils entendaient des coups sourds frappés dans la terre et comprenaient qu'on les minait, que les tortionnaires allaient surgir du sol, ou plutôt les faire sauter. Et il fallait, coûte que coûte, creuser aussi, tenter d'établir des contre-mines pour conjurer ce péril souterrain. Un jour cependant, vers midi, en deux terribles détonations qui soulevaient des trombes de plâtras et de poussière, la Légation de France sauta, ensevelissant sous ses décombres le lieutenant de vaisseau qui commandait la défense et un groupe de ses marins. Et cependant ce ne fut pas la fin encore ; ils sortirent de toute cette cendre où ils étaient jusqu'aux épaules — excepté deux, deux braves matelots qui ne reparurent jamais — et la défense continua encore durant plusieurs jours. Une fois, ils virent, avec leurs longues-vues, afficher un édit de l'Impératrice ordonnant de cesser le feu sur les étrangers (ce qu'ils ne virent pas, c'est que les hommes chargés de l'affichage étaient écharpés par la foule). Une sorte d'accalmie, d'armistice, s'ensuivit quand même, on les attaqua avec moins de violence. Ils voyaient aussi des incendies partout dans la grande ville chinoise. Ils entendaient des fusillades, des canonnades et de longs cris. Des espions venaient parfois leur donner des renseignements, toujours faux d'ailleurs et contradictoires, sur cette armée de secours qu'ils attendaient d'heure en heure avec une croissante angoisse. On leur disait : elle est ici, elle est là ; elle avance, ou bien : elle a été battue et elle recule. Et toujours elle ne paraissait pas. Que faisait donc l'Europe ? Est-ce qu'on les abandonnait ? Et ils continuaient désespérément de se défendre, dans un espace de plus en plus restreint, enserrés par l'horrible mort et la torture chinoise. Il fallait économiser sur toutes choses — en particulier sur les balles. Et quand on capturait des Boxeurs, des incendiaires, au lieu de les fusiller on leur fracassait le crâne à bout portant avec un revolver. Un jour enfin, leurs oreilles, toujours tendues au bruit des batailles du dehors, perçurent une canonnade continue, sourde et profonde, en dehors des murs de Pékin, en dehors de ces grands murs noirs dont ils apercevaient au loin les créneaux et qui les enfermaient comme dans un cercle dantesque. On bombardait Pékin ! Ce ne pouvait être que les armées d'Europe, venues à leur secours. Cependant une dernière épouvante troublait encore leur joie. Est-ce que les Chinois n'allaient pas tenter contre eux un suprême assaut, pour les anéantir avant l'entrée des troupes alliées ? En effet, on les attaqua furieusement ce jour-là ; mais ils résistèrent. Et tout à coup, plus personne autour d'eux sur les barricades chinoises ; leurs ennemis étaient en fuite, et les alliés entraient dans la ville. 7e partie : Dans la Ville Impériale Dans cette maison du chancelier où je reçois l'hospitalité, on a bouché les brèches des murs. On me donne une chambre où les plâtriers travaillent encore et où les murs frais répandent une humidité glacée. Rien, là-dedans, Osman et David étendent à terre nos petits matelas et nos couvertures de la jonque, organisent des tables avec des planches. Et, dans ce gîte misérible et mouillé, nous regardons tomber le crépuscule et la neige. Quant à M. Picbon, le ministre de France, auprès duquel j'ai une mission à remplir, il est à la Légation d'Espagne, moins détruite que celle-ci ; mais il a la fièvre, typhoïde — épidémique à Pékin à cause de l’eau empoisonnée — impossible de le voir, et mon séjour dans ce cite de misère menace de durer. Pendant le souper, que je prends avec les membres de la Légation, sans feu, grelottant de froid, on m'annonce qu'une surprise m'est réservée au dessert. La surprise c'est Cluzeau, aide-de-camp du général Voyron, commandant le corps expéditionnaire de France, qui vient me faire la communication suivante : Le général, qui repart demain matin pour Tïen-Tsin, a l'intention et s'installer pour l'hiver dans l'inacessible Ville Impériale, à quelques kilomètres d'ici, dans un des palais de l'Impératrice. Et il m'offre d'aller avec Cluzeau m'installer là, en son absence et lui préparer ses appartements, C'est au milieu d'un désarroi de choses merveilleuses et on pourra faire du pillage Vendredi 19 octobre. — Nous nous éveillons mouillés et gelés, dans le triste logis de pauvre. Visite le matin au général qui part à 10 heures pour Tien-Tsin. Il est convenu que j'irai demain m'installer dans le palais impérial, avec mes compagnons de route. Dans l'après-midi nous allons au Temple du Ciel. C'est à trois kilomètres d'ici, au milieu d'un parc d'arbres séculaires, muré de doubles murs. Les empereurs y venaient une fois l'an, s'enfermer pour les purifications préparatoires et finalement pour un sacrifice solennel. Jusqu'à ces jours de désastre, les Européens, bien entendu, n'y entraient jamais surtout depuis qu'un touriste américain, homme de haute éducation, qui s'y était faufilé, avait fait ses ordures sur l’autel. Il faut, pour aller là, sortir d'abord de la ville tartare où nous sommes, franchir de terribles murs intérieurs et des séries de gigantesques portes et pénétrer dans la ville chinoise. La ville chinoise, lorsqu 'elle se découvre au sortir de ces remparts, présente d'abord une sorte d'avenue immense et droite, une chaussée de deux kilomètres de long aboutissant à une autre porte monumentale qui apparaît là-bas, surmontée de son donjon à toiture cornue et percée dans cette muraille babylonienne qui est la fortification extérieure de Pékin. Des deux côtés de l'avenue s’alignent les maisons basses toujours sans étage, les façades, les corniches revêtues de boiseries étrangement sculptées et dorées, d'où s'élancent comme chez nous des gargouilles, des rangées de dragons d'or. A travers un nuage de poussière, et un poudroiement de soleil on voit jusque dans le lointain des dorures briller. Sur la chaussée large où l'on piétine dans l'épaisse poussière, c'est un continuel défilé de cavaliers et de caravanes. Les monstrueux chameaux mongols, semblables à des moutons géants, tout laineux et roux, attachés à la queue leu len, lents et solennels, coulent incessants comme un fleuve, soulevant la poussière en nuages noirs. Ils s'en vont, très loin peut-être, jusqu’au fond des déserts confinant à la Sibérie, emportant, de la même allure infatigable et lente, des milliers de ballots de marchandises, agissant à la manière des canaux et des rivières qui charrient lentement, à travers des espaces immenses, les chalands et les jonques. Ils souèvent tant de poussière lourde qu'on ne voit, au-dessus du nuage incessant qu'ils font, que leurs dos et leurs têtes se préciser ; leurs jambes, comme la base des maisons, comme les robes des passants, tout cela est confus et noyé, déformé et imprécis. Et l'or des façades ne commence à briller très nettement qu'à la hauteur des extravagantes corniches. On dirait une ville de féerie et de rêve, n'ayant pas de base, posant sur un nuage où s'agitent des moutons inoffensifs et géants chargés de clochettes. Et la lumière est si belle, l'air si pur, au-dessus de cette poussière invraisemblable, qu l'on voit sur le ciel se détacher avec une précision absolue les découpures étincelantes qui couronnent les maisons, les centaines de chimères d'or élancés en gargouilles, les centaines de stèles en bois doré, chargées de caractères étranges, stèles noires et or, deux fois plus hautes que les maisons, piquant le ciel de leurs pointes et supportant des emblèmes bizarres, des diableries, des chimères. Et plus haut que les stèles et que les maisons, traversent en plein ciel, au-dessus de l'avenue fantastique, des arcs de triomphe de proportions colossales, en bois découpé, laqué, doré, dont la base sort confusément du grouillement et du nuage mais qui dessinent en haut leurs cornes et leurs monstres avec une impitoyable netteté. Pékin, les jours de sécheresse, de vent et de soleil, retrouve dans l'éternelle poussière de ses steppes et de ses ruines, dans le nuage de cendre qui masque son délabrement et sa vermoulure. – Pékin, ville de découpures et d'excentricité où tout est griffu et cornu, retrouve encore un reflet de sa splendeur. La grande avenue, de plus en plus en ruines, saccagée, dévastée, aboutit à un pont courbe, de marbre blanc, avec des ablustres à tête de monstres, encore superbe, sur une sorte de canal fétide où macèrent des détritus humains et des immondices. C'est le pont des mendiants, hôtes dangereux qui, avant la prise de Pékin, se tenaient en double rangée macabre le long des balustres et rançonnaient les passants ; ils étaient une corporation redoutable, ayant un roi et quelquefois pillant à main armée, le pont est vide aujourd'hui ; depuis tant de batailles et de massacres leur toupe s'est évanouie comme un essaim de mouches chassé par le vent. Après le pont commence une steppe, un désert, une étendue grise de deux ou trois kilomètres qui s'en va vide et désolée, jusqu'au grand rempart, là-bas, là-bas, où tout finit. Et la chaussée, à travers cette steppe, continue jusqu'à la porte, toujours là-bas, surmontée de son grand donjon noir. Pourquoi cette solitude, en plein ville ? On n'y voit même pas trace de ruines, à part quelques débris qui traînent, quelques affreux chiens en maraude, on n'y voit personne. A droite et à gauche, très loin, de grands murs rouge sang, qui forment remparts à l'intérieur du grand rempart de Pékin, semblent enclore de grands bois. A droite, c'est le Temple de l'Agriculture ; à gauche, le Temple du Ciel où nou nous rendons, et nous nous engageons dans la steppe de terre grise. Il y a de trois kilomètres de côté, l'enclos du Temple du Ciel ; il est une des choses les plus colossales de cette ville où tout est colossal. Quand nous sommes au milieu des terrains gris, nous voyons derrière nous, en longue procession isolée, couler, couler toujours vers la porte, la suite interminable des caravanes qui s'en vont, on ne sait où, lentement, vers l'intérieur de la Chine. La porte de l'enclos jadis impénétrable est grande ouverte. C'est un bois d'arbres séculaires, saules, pins et thuyas, avec de belles allées ombreuses. Mais ce lieu, tant habitué au respect et au silence, est profané aujourd'hui par la cavalerie des 'barbares'. Quelques milliers de Sikhs – troupes anglaises de l'Inde – sont sampés là, leurs chevaux piétinant partout les pelouses pleines de détritus et d'ordures. Il y a, comme toujours, plusieurs murs s'enfermant les uns dans les autres et, çà et là, dans le bois, des temples secondaires. Nous nous dirigeons vers le temple central qui apparaît au loin, sorte de rotonde au au toit d'émail bleu, surmonté d'une sphère d'or qui brille très haut audessus des cimes des arbres. Vers le sud du grand parc, une épaisse et infecte fumée noire ; elle s'échappe du brûle-parfum gigantesque affecté autrefois aux sacrifices sacrés. Ce sont les Anglais, gens de haute délicatesse, qui y font insinéter leur bétail mort de la peste bovine afin de fabriquer du noir animal. La rotonde centrale, le temple même du Ciel, est posée sur une haute esplanade de marbre blanc. On y monte par des degrés très doux et par un 'sentier impérial' réservé au Fils du Ciel. C'est un plan incliné en marbre blanc fait d'un seul bloc, d'un monolithe énorme, où le dragon impérial est sculpté en bas relief, ses enroulements, ses écailles, ses griffes servant aux pas du souverain, pour les empêcher de glisser sur cet étrange sentier réservé à lui seul. Du haut de la terrasse solitaire tristement et éternellement blanche, de l'inaltérable blancheur du marbre, on voit l'immense Pékin se déployer dans sa poussière que le soleil dore comme il dore les nuages et ça et là, de cet ensemble, qui est comme enveloppé sous les voiles de gaze, émergent plus net les grands toits vernissés des palais et des pagodes. Autour, dans les environs proches, des cimes d'arbres et un grand silence. L'herbe et les broussailles poussent entre les dalles sculptées, attestant l'antiquité de cette terrasse malgré son immaculée blancheur sur laquelle tombe un soleil chaud et clair, soleil de Pékin, apportant des surprises d'été au milieu de l'automne ou de l'hiver. La porte du temple est ouverte, gardée par un Indien à brand turban aussi dépaysé que nous-mêmes au milieu de ces ambiances chinoises. Le temple est neuf, éclatant de laques et d'or, bâti en remplacement de l'ancien qui brûla il y a quelques années. Grandes colonnes de laque rouge, tout uniment fuselées, avec des enroulements de fleurs d'or. L'autel est vide, tout est vide ; les pillards sont passés par là, il ne reste que le marbre des dalles et la laque des murs. Rentré à la fin du jour, à travers les kilomètres de grouillement et de poussière. Couché ce soir encore dans le délabrement funèbre et l'humidité glacée, à la Légation de France. Samedi 20 octobre. – Le matin, je vais commencer de remplir ma mission auprès du ministre de France. Il est couché, encore très malade, très déprimé, très éteint. C'est dans le voisinage, à la Légation d'Espagne non détruite qu'il reçoit l'hospitalité. Temps noir aujourd'hui, vent glacé qui chasse des tourbillons de neige et de poussière, les deux ensemble par surcroît. Triste temps pour mon exode vers la Ville Impériale où je vais habiter. Vers deux heures arrivent les charettes chinoises que l'on me prête pour me transporter avec mes gens et mes bagages. Petites charrettes massives et sans ressorts, jadis élégantes ; la mienne revêtue, à l'extérieur et au dedans, d'une soie gris ardoise avec applications de velours noir, aspect de corbillard. Il y aura cinq ou six kilomètres à faire, presque au pas, à cause de l'état pitoyable des rues et des ponts. Les charrettes chinoises ne ferment pas, on y est battu par le vent glacé, aveuglé par la poussière, cinglé par la neige, transit de froid jusqu'aux moelles. D'abord les ruines, pleines de soldats, du quartier des Légations. Puis, des ruines plus solitaires, une dévastation poudreuse et grise vaguement aperçue avec des yeux brûlés par les tourbillons blancs ou noirs. Un peu partout, des pavillons des nations alliées, plantés sur des ruines ; aux principaux passages, aux portes, aux ponts, des entinelles européennes ou japonaises. Des corvées de soldats, des voitures d'ambulance portant pavillon de la Croix-Rouge. Enfin les grands remparts couleur sang de la Ville impériale ; nous y entrons, avec d'épouvantables cahots, non par une porte mais par une brèche que les soldats indiens de l'Angleterre ont ouverte dans le mur. Quelques grouillements chinois, gens du peuple et gens de mauvaise mine, dans des rues aux maisonnettes de bois doré avec des légions de chimères, tout cela croulant, criblé d'obus, léché par le feu, couvert de neige ou obscurci de poussière. Puis des terrains vagues, cendres grises et détritus où errent, la queue basse, d'affreux chiens engraissés de chair de cadavres. Une autre porte, dans un autre rempart qui fermait ce désert gris, et nous entrons, paraît-il, dans la Ville impériale proprement dite (Ville Jaune). Et là, j'entre dans le mystère et l'inconnu, dans toute cette partie centrale de l'immense Pékin où jamais un Européen n'avait pénétré. Mais ma surprise est grande, car ce n'est pas une ville mais un bois, un bois d'arbres séculaires, de mêmes essences qu'au Temple du Ciel : pins, thuyas et saules. Le grésil fouette dans leurs vieilles branches noueuses, tandis que la poussière noire, qui ne veut pas s'abattre, monte encore du sol des allées. Et des corbeaux croassent de tous côtés. Je perçois, à travers ce qui cingle toujours mes yeux, qu'il y a de grandes montagnes boisées où d'échelonnent des kiosques de faïence ; qu'il y a çà et là sous bois de vieux palais farouches aux toits d'émail, gardés par d'horribles monstres de marbre ou de bronze. Il est immense le bois, mais comme tout cela est funèbre, hostile, inquiétant sous le ciel sombre. Maintenant quelque chose d'immense ; une prison, une forteresse, quoi ? De doubles remparts rouge sang, avec bastions à meurtrières et fossés pleins d'herbages. Doubles remparts qui s'en vont à perte de vue... Cela c'est la 'ville violette', enfermée au sein de l'impénétrable 'ville jaune' et plus impénétrable encore, la résidence de l'Invisible, du Fils du Ciel... Mon Dieu, comme tout cela est funèbre, hostile, féroce sous le ciel sombre. |
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Loti, Pierre. Journal intime inédit [ID D22432]. (2)
8e partie : Le Palais de I’Impératrice Nous avançons toujours entre les vieux arbres dans une absolue solitude, comme si tout était mort et voici, me dit mon guide, le « Lac des Lotus » et le « Pont de marbre »... Ces deux noms, qu'on avait entendus souvent, et qui semblaient des noms de féerie, des noms désignant des choses qui ne pouvaient être vues, mais des choses dont la renommée pourtant avait transpiré à travers les farouches remparts de la « Ville murée », ces deux noms qui évoquaient pour moi des aspects de lumière et d'ardente couleur me surprennent, prononcés ici, dans ce morne désert, sous ce vent glacé. Le « Lac des Lotus ». J'imaginais, comme l'avaient chanté les poètes chinois, une étendue toute rose, une étendue de grands calices sur l'eau. Et c'est ça, c'est ce sinistre marécage, couvert de feuilles et de roseaux fripés par les gelées. Et puis il est immense bien plus que je ne pensais, il s'en va, s'en va, vers de tristes rivages de vieux arbres et de vieilles pagodes, sous le ciel gris. Le « Pont de marbre », en effet, ce long arceau blanc, supporté par des séries de piliers blancs, cette courbe gracieuse, ces balustres à têtes de monstres, cela répond à peu près à l'idée que j'en avais, et c'est très chinois. Mais ce lac, où sont ses calices tout roses ? De près cependant, oui, ce sont bien des lotus ; je reconnais, roussies et mortes, leurs larges feuilles que j'ai vues si vertes aux palais d'Yeddo. Et ils devaient être fleuris à profusion, car les tiges et les calices desséchés se dressent encore au-dessus de la vase comme un champ de roseaux. On m'explique que les Alliés les ont vidés, ces lacs artificiels, pour déverser leurs eaux dans le canal de communication entre Pékin et le fleuve, afin de rétablir cette voie que les Chinois avaient desséchée de peur qu'elle ne servit aux envahisseurs d'Europe. Ce Pont de marbre, de 150 mètres de long, enjambe le Lac des Lotus, très rétréci en cet endroit, et c'est sur l'autre rive, tout près, que je trouverai ma résidence impériale. Elle est hantée, l'entrée de ce grand pont, par deux personnages bien horribles, en robe bleue, effondrés sur la berge, deux cadavres en pleine pourriture. Sur l'autre rive, la rive où je vais habiter, voici des murailles épaisses comme des remparts, des portiques brisés, puis des ruines et des débris, car on s'est beaucoup battu par là. Devant un vieux mur gris, des chiens crevés, un amas de loques et de détritus répandant une odeur cadavérique — toujours, partout, le désarroi et la mort — ; dans ce mur une brèche toute fraîche, gardée par deux chasseurs d'Afrique ; c'est là chez moi. Et sans doute je vais habiter encore dans les décombres et la misère. Je descends au milieu d'une cour pleine de débris. Je suis noir de poussière, saupoudré de neige et mes dents claquent de froid. Au fond de cette cour cependant, une longue galerie vitrée, élégante, légère, intacte, dirait-on, au milieu de la destruction des abords. Et à travers les glaces on voit briller des ors, des porcelaines, des soies impériales traversées de chimères et de nuages. C'est bien un coin de palais, très caché là, et que rien ne décelait aux alentours... Etrange, notre premier dîner au milieu de ces merveilles. A une petite table d'ébène, Cluzeau et moi, enveloppés dans nos capotes au collet remonté, grelottants de froid, servis par Osman qui tremble de tous ses membres. Une pauvre petite bougie chinoise de cire rose, plantée dans une bouteille — bougie ramassée par là dans les débris d'un autel d'ancêtres — nous éclaire à grand'peine, tourmentée par le vent. Nos assiettes, nos plats sont des porcelaines inestimables jaune impérial, marquées au chiffre de l'Empereur Kouang-Si qui fut contemporain de Louis XV. Notre vin de ration, notre eau trouble — bouillie et rebouillie par peur des cadavres qu'on a jetés dans tous les puits pour les empoisonner — sont dans d'affreuses bouteilles qui ont pour bouchon des navets taillés au couteau. La scène se passe dans une galerie d'une longueur à n'en plus finir, dont les lointains sont dans le noir mystérieux et où s'esquissent vaguement des splendeurs de mille et une nuits. Nos pieds glacés posent sur des tapis impériaux jaunes, à haute laine, où s'enroulent les dragons à cinq griffes. A côté de nous brillent doucement, à la lueur de notre pauvre petite bougie finissante, des vases de dix mille francs, des écrans fantastiques, des trônes, des monstres, des choses dont la magnificence étrange n'a plus de prix. Et nous sommes pleins de poussière, traînés, crottés, l'air de grossiers barbares, intrus chez des fées. La longue galerie, dont on ne voit pas les extrémités, a des glaces de chaque côté jusqu'à hauteur d'homme et ces choses frêles sont seules à nous séparer du grand noir sinistre, plein de ruines et de cadavres, qui nous environne. Au-dessus des glaces c'est, suivant l'usage chinois, une série de châssis garnis de papier de riz qui sont déchirés de toutes parts et à travers lesquels nous arrivent, comme en plein vent, tous les souffles glacés de la nuit. Notre maigre ration de soldat avalée, notre thé bu dans des porcelaines de musée, nous n'avons pas le courage de rester pour l'heure de la cigarette, tant ce froid nous glace jusqu'aux os. Nous préférons nous séparer pour aller dormir. Cluzeau, qui a pris possession de ce lieu deux jours avant moi, me mène dans la chambre qu'il me destine. C'est au rez-de-chaussée, bien entendu, puisque les constructions chinoises n'ont jamais d'étage. J'ai, pour me séparer de la nuit extérieure, des glaces, comme dans la galerie du dîner, de très légers stores de soie blanche et des châssis de papier de riz crevés par le vent. Quant à la porte, toute vitrée, je l'attacherai avec une ficelle car elle n'a plus de loquet. J'ai par terre d'admirables tapis jaunes. J'ai un grand lit impérial d'ébène sculptée avec des matelas de soie et d'or. Demain j'irai dans les réserves de l'Impératrice choisir les bibelots qui plairont à ma fantaisie pour décorer mon appartement. Cluzeau éprouve le besoin de m'assurer que les portes des murs extérieurs et la brèche par où je suis entré sont bien gardées par des factionnaires. Il s'en va dormir dans son logis, sous la garde de ses ordonnances, à l'autre bout du palais. Je fais coucher près de moi Osman et David. Nous nous endormons en tremblant de froid dans les belles soies de l'Impératrice, entendant le vent d'hiver qui tourmente et déchire nos carreaux en papier de riz. Et dans un demi-sommeil, au milieu de la nuit, nous entendons, de temps à autre, des fusillades espacées, sinistres dans le lointain. Dimanche 21 octobre. — Changement à vue. Au réveil le soleil rayonne, chauffe comme un soleil d'été. Et toute cette magnificence, un peu bouleversée, s'éclaire d'une lumière d'Orient. Et c'est amusant d'aller à la découverte dans le dédale de ce palais caché, très bas dans un lieu bas, dissimulé derrière des murs et des arbres. Il est un assemblage de très longues galeries droites, vitrées des deux côtés comme des serres, avec des boiseries d'une légèreté extrême. Elles forment, ces galeries, comme des damiers de cours intérieures plantées d'arbustes et de bosquets ; on voit à travers et on voit en passant les merveilles d'art qu'elles contiennent ; elles ne sont défendues par rien, et on sent que toutes ces frêles choses sont construites dans un lieu tellement impénétrable, gardé par tant de remparts, que l'on considérait qu'il était inviolable et qu'on n'avait rien à y craindre. Il y a des alignements de grands vases de faïence contenant des arbustes, grenadiers et lauriers, que l'on devait rentrer l'hiver. Il y a des plates-bandes de zinnias à moitié morts de sécheresse depuis que l'étrange dame est en fuite et que l'on n'arrose plus. A mesure que l'on s'éloigne vers le bois — et sous le bois, pourrait-on dire — les logements, les galeries deviennent plus modestes : habitations de mandarins, d'intendants, de jardiniers, de domestiques. Il y a des jardins entourés de murs où l'on accède par des portes de marbre bizarrement sculptées et qui sont remplis de petits bassins, de prétentieuses et étranges rocailles. Il y a des jardins potagers aussi, car c'est un village, une ville, tout un monde. On y cultivait des kakis, des raisins, des aubergines et quantité de citrouilles bizarrement déprimées pour faire des gourdes. Il y avait des petits pavillons pour la culture des vers à soie (qui est en Chine un passe-temps princier) et des petits kiosques pour les graines potagères, chaque espèce de graine contenue dans des jarres de vieille porcelaine avec dragons impériaux qui seraient des pièces de musée. Le plus imprévu, dans cet ensemble, c'est une église gothique avec ses deux clochers, un presbytère et une école, choses bâties jadis par les missionnaires, dans des proportions grandioses. L'Impératrice qui, en quittant la régence, désirait bâtir là ce palais et étendre les dépendances de la Ville Impériale, avait échangé tout cela aux évêques contre des terrains plus vastes situés plus loin, contre une église plus grande et plus belle (contre ce nouveau Peh-Tang où les missionnaires et quelques milliers de chrétiens ont subi cet été les horreurs d'un siège de quatre mois). Et elle avait, cette Impératrice, en femme d'ordre, utilisé cette église et ses dépendances pour y déposer, dans quelques milliers de caisses, ses trésors de toute sorte. Et on n'imagine pas ce qu'il peut y avoir de choses étranges dans les réserves d'une Impératrice de Chine. Avant nous, les Japonais, très pillards et destructeurs, ont campé dans ce labyrinthe de palais ; ensuite, sont venus les Cosaques, puis les Allemands qui nous ont précédés. Et on a déjà emporté d'ici des tombereaux de pillage, mais il reste encore de quoi emplir des musées. En quel indescriptible désarroi tout cela, en quel méli-mélo extravagant ! On voit qu'on avait commencé des triages, les Allemands, sans doute, gens d'ordre. Dans les longues galeries vitrées, sur une longueur de 15 ou 20 mètres, sont empilés des coussins et des matelas, de soie et d'or, brodés, rebrodés de chimères et de fleurs. Ensuite la section des bronzes ou la section des écrans... Et c'est à l'infini, car il y avait ici des richesses accumulées pendant des siècles dans la Ville Violette et transportées par l'Impératrice dans les dépendances de ce nouveau palais. Nous nous occupons surtout de l'aile principale, où le général fera ses salons et où, par fantaisie, nous prenons nos petits repas de soldats en campagne au milieu d'un luxe d'Héliogabale. Notre déjeuner, ce matin, s'éclaire d'un soleil splendide et ces vitrages nous donnent une tiédeur de serre. Toute l'élégance de ces longues galeries est dans les arceaux d'ébène épais qui s'y succèdent de proche en proche ; ébène tellement sculptée, fouillée, ajourée, qu'on dirait des charmilles de feuillages noirs se succédant en perspective jusque dans les fonds. Ce matin notre décoration, qui changera peut-être ce soir, consiste surtout en des paravents de laque noire sur lesquels sont jetés des vols tourmentés de cigognes de grandeur naturelle dont chaque plume est faite en relief d'une nacre blanche différente ; un trône et des fauteuils pareils. Et quelques brûle-parfums en vieux cloisonné aux teintes inimitables, d'un mètre de haut, posant sur des têtes d'éléphants d'or. Dans les lointains de la galerie, les merveilles se succèdent : fauteuils de laque rouge ciselée, écrans féeriques, potiches géantes, plus vieilles que nos cathédrales. Tout cela, sous les arceaux d'ébène, s'en va en perspectives qui n'en finissent plus. Et la lumière qui tombe sur ces merveilles est admirable. Dehors, pour préserver les vitrages du soleil trop ardent des étés, courent des vérandas faites de colonnades légères, d'un vert bronze avec gerbes de lotus roses. Une découverte de ce matin — et nous en ferons tant d'autres ! — c'est, dans une grande salle qui était restée fermée, les décors et les accessoires du théâtre impérial. Oh ! l'étrangeté de tout cela ! Evidemment on devait jouer des féeries mythologiques se passant dans les nuages, chez les Dieux ou aux enfers. Ce qu'il y a là dedans de monstres, de bêtes, de diables, en carton, en papier, montés sur des carcasses de bambou ou de baleine, tout cela fabriqué avec un suprême génie de l'horrible, avec une imagination qui dépasse les extrêmes limites du cauchemar ! Cela périra par le feu, tout cela qui servit à amuser ou à troubler la rêverie du jeune empereur débauché, sonm oient et malade. Ce local servira pour l'hôpital de nos soldats, il faut le déblayer. Et avec quelle joie nos chasseurs d'Afrique charrient dehors, au grand soleil de onze heures, toutes ces choses, les énormes bêtes d'apocalypse, les éléphants grands comme nature qui ont des écailles et des cornes et qui ne pèsent rien, et qu'un seul homme fait sauter et courir. Et ils les brisent, ils sautent dedans, les réduisent à rien, et les brûlent. Aussitôt le déjeuner, je vais prendre possession de ce qui sera mon cabinet de travail pendant ces quelques jours, dans le recueillement et la solitude. C'est de l'autre côté du Pont de marbre, en allant vers la Ville Violette, dans un troisième palais de l'Impératrice appelé « La Rotonde ». Juste au bout du Pont de marbre, en face des deux cadavres qui sont toujours là, au beau soleil de ce matin, dans les lotus gelés, on trouve un portique monumental de bois laqué avec les deux inévitables monstres de marbre blanc. Derrière ce portail se dresse un grand mur épais comme un rempart avec une porte de forteresse que garde, en ces temps insolites, un poste d'infanterie de marine qui a la consigne de ne laisser passer que moi-même ou mes serviteurs. La porte franchie et refermée, on monte par un plan incliné en pierre, sur une vaste esplanade — artificielle sans doute, malgré ses grandes proportions — esplanade de douze mètres de haut, qui supporte un temple, des jardins d'arbres centenaires, des rocailles, des kiosques, des petits palais, des petits miradors. De tous ces points, on a vue changeante et toujours admirable sur les parcs et les palais, sur toute la Ville Violette d'un côté, sur le Lac des lotus, de l'autre. Aujourd'hui, c'est là-haut le silence, le calme de l'isolement et de la mort. Dans le temple qui est là, très criblé par des éclats d'obus, une grande déesse de jade, en robe d'or, qui était un peu le palladium de l'empire chinois, trône, souriante et intacte au milieu de mille débris. De tous les coins de ce lieu surélevé, celui qui fixe mon choix, que je fais meubler pour mon usage, est un petit kiosque à toit de porcelaine, un petit kiosque vitré, grand comme une cabine de bord, où le soleil donnera jusqu'au soir et qui, posé tout au bord de l'esplanade, sur la crête du rempart d'enceinte, domine le Lac des Lotus et le Pont de marbre. Derrière le temple, dans une grande salle épargnée par les obus, des meubles restent intacts : un trône d'ébène pour l'Impératrice et des écrans impériaux. C'est de là que je fais enlever les meubles qu'il me faut : une petite table d'ébène et deux fauteuils, d'ébène aussi, avec des coussins d'admirable soie impériale jaune d'or. Mon installation terminée, je vais rejoindre, à travers le triste bois, au palais des Ancêtres, les membres de la Légation de France qui ont déjeuné là, à une table improvisée, car nous devons aller ensemble visiter la Ville Violette et le palais de l'empereur. Le soleil, qui rayonnait ce matin, s'est voilé de nouveau sous des nuages qui semblent lourds de neige et le vent qui souffle est, comme hier, un vent glacé, venu de Mongolie. La Ville Violette, sinistre et fermée, avec ses remparts rouge sang et ses fossés de trente mètres de large, où poussent en fouillis des joncs et des roseaux, nous fait sombre mine. Le poste de Japonais qui garde la porte veut bien nous ouvrir, mais ils frappent en vain à ces battants énormes, dont les vieilles ferrures dorées figurent des monstres grinçant des dents ; les eunuques ont barricadé à l'intérieur avec des poutres énormes. Par les fentes du bois disjoint, on les aperçoit, inquiets, répondant avec des voix flûtées « qu'ils n'ont pas d'ordres ». Il fait un froid de loup à cette porte ; les petits soldats japonais nous allument im grand feu avec des bois laqués qui traînent par terre. Nous menaçons d'incendier la porte, de tirer des coups de revolver par les fentes, etc.. Alors les eunuques se sauvent et nous restons devant l'écrasante muraille, devant la porte barricadée et muette, nous amusant à ramasser des flèches que l'empereur ou les mandarins avaient tirées du haut des murs. Nous avons envoyé le sergent japonais faire le tour, par une autre entrée (deux kilomètres à peu près) et nous attendons là une heure, tandis que la journée s'avance, nous chauffant les doigts aux flammes de ce petit bûcher que le vent tourmente. Enfin des cris à l'intérieur ; notre Japonais est dans la place ; avec un bruit sourd tombent les poutres qui barricadaient la porte et les eunuques s'avancent, cauteleux, apeurés, souriants, se confondant en saluts et en excuses. Coups de canne aux premiers à portée de la main. Et nous voici tous enfin dans une sorte de sinistre chemin de ronde, au pied de la seconde muraille, muraille intérieure, plus haute et plus terrible que la première, recouverte de tuiles jaunes représentant des monstres. Cette espèce de couloir étroit, vide, désolé, qui s'en va à l'infini, entre les deux murailles d'un rouge sanglant, est semé de quelques débris humains, de quelques loques ayant été des vêtements de soldats ; il est plein de corbeaux qui croassent et il s'y promène quelques chiens mangeurs de cadavres. Sans difficulté, les eunuques, maintenant déjoués, nous ouvrent la seconde enceinte, et nous voici dans l'impénétrable dédale. Tout est muré et remuré, portes barricadées et gardées par d'horribles monstres ; murs rouge sang, ornés de faïences jaunes, toits de faïence jaune, hérissés de diableries, de cornes et de griffes. A chaque instant, des portes nouvelles se referment et se cadenassent derrière nous avec un bruit de sépulcre qui se recouvre. 9e partie : Dans la Ville Violette Là-dedans, où presque personne n'était entré (et où aucun de nous s'était jamais venu il va sans dire) nous nous dirigeons au hasard, toujours du côté où les eunuques ne veulent pas nous mener. Jamais séries de prisons, de préaux de Mazas n'ont été sinistres comme tout cela. Et un délabrement, une usure ! Et tant d'horribles emblèmes, de grimaces, de formes inquiétantes, de griffes, de dents dégalnées et de regards louches ! Nous savons qu'il y a encore des femmes cachées là-dedans, des princesses, des trésors..., mais où les trouver ? Derrière combien de portes et des monstres les a-t-on cachées ? ou dans quels souterrains ? Nous trouvons enfin les appartements particuliers de l'empereur, sa chambre à coucher, sa bibliothèque toute d'ébène noire où les précieux livres sont reliés de soie jaune. Puis, les appartements particuliers de l'Impératrice. Une série de salles séparées les unes des autres par des petites cours, des jardinets emplis d'ornements de bronze, monstres, brûle-parfums et chimères. On y arrive toujours par un perron de marbre blanc, gardé par deux lions, de marbre, de bronze ou d'or étincelant, de grandeurs naturelle. Et toutes ces salles, vitrée comme des serres, vitrées de grandes glaces qui laissent voir les richesses intérieures, n'ont qu'un rez-de-chaussée, et leur énorme toiture de faïence jaune les écrase de sa complication et de son amas de chimères. Derrière la chambre à coucher de l'Impératrice, une sorte d'oratoire sombre, rempli de divinités bouddhiques sur des autels. Il y reste encore une senteur exquise laissés par la femme élégante et galante, par la vieille belle au'était cette souveraine. Parmi ces dieux, un petit bouddha de bois, très vieux, très fané et dont l'or ne brille plus, porte au cou un long collier de perles et, devant lui, un bouquet se dessèche : dernières offrandes, nous dit l'un des eunuques, faites par l'Impératrice pendant la minute suprême avant sa fuite, à ce vieux petit bouddha qui était son fétiche favori. Le grand luxe inimitable de ces appartements de l'Impératrice et de ceux de l'Empereur c'est toujours ces espèces d'arceaux d'ébène, fouillés à jour, qui semblent d'épaisses charmilles de feuillages noirs et qui se succèdent, comme les arbustes taillés en voûte des vieux parcs. Comment, avec quels ciseaux, avec quelles prodigieuses patiences, a-t-on pu ainsi, en plein bois, à presque un mètre de profondeur, ajourer ces charmilles mortuaires, sculpter chaque tige et chaque feuille, chaque nervure de feuille et encord introduire là-dedans des papillons et des oiseaux ? Sur les coffres, sur les tables, quantitié d'objets sont placés sous des boîtes carrées en verre, à cause sans doute de cette poussière noire de Pékin qui est incessante et infiniment ténue. Et cela donne un air de tristesse et de mort. Beaucoup de bouquets artificiels, de chimériques fleurs, en corail, en jade, en agathe, en pierreries, même en plumes de martin-pêcheur montées sur bronze pour leur donner la raideurs qu'il faut. Le quartier des salles de trône, le quartier des anciennes splendeurs impériales, est loin des appartements particuliers, dans la partie centrale de cette « Ville Violette ». Il est dans l'axe de la grande entrée d'honneur, du côté opposé à la porte par laquelle nous sommes venus. Trois salles de trône, pareilles, se succèdent en prolongement somptueux, séparées par d'immenses cours de marbre. Les cortèges magnifiques des vieux temps, les défilés de princes et de rois tributaires, arrivaient dans l'une ou l'autre de ces salles, la plus extérieure ou la plus profonde, suivant leur noblesse et leur importance. Elles sont toutes surélevées sur des terrasses de marbre d'une quinzaine de mètres de haut. On arrive à la première par de doubles escaliers de marbre blanc, immenses, d'aspect babylonien, séparés l'un de l'autre par un « sentier impérial » où aucun autre que le Fils du Ciel n'avait le droit de mettre le pied, sorte de plan incliné en marbre blanc, fait d'un seul et monstrueux bloc, sur lequel des chimères et des dragons sont sculptés. La salle est là-haut, immense aussi, surmontée d'une prodigieuse toiture de faïence jaune qui est courbe, contournée, dont tous les angles se retroussent en formes de monstres. Au-dedans, c'est la splendeur des laques et des ors ; colonnes de laque rouge et d'or, plafond d'une complication inimaginable où se tordent en tous sens les dragons et les chimères, monstrueuses bêtes dont les griffes et les cornes apparaissent partout, mêlées à des nuages. La plus énorme un lustre au-dessus du trône. Le trône, de laque rouge et d'or, se dresse au milieu, en haut d'une estrade tout le long de laquelle sont rangés les brûle-parfums et les monstres, comme devant l'autel d'un Dieu. Et derrière le trône, de larges écrans de plumes, au bout de hampes, emblèmes de la souveraineté. Par terre, des tapis jaune-impérial, en haute laine, avec encore des dragons et des griffes. Et tout cela d'un délabrement de vieux cimetière. Des corbeaux, des pigeons ayant leurs nids dans les dorures de la voûte, les beaux tapis couverts de fiente et de poussière, le vent glacé entrant là-dedans par des fenêtres crevées. Derrière cette première salle des escaliers de marbre redescendent dans une grandiose cour dallée, au fond de laquelle se dresse, sur une autre terrasse de marbre, au bout des mêmes escaliers prodigieux et du même sentier impérial, une seconde salle pareille à la première, avec l'écrasant édifice de faïence jaune qui lui sert de toiture. Derrière cette seconde salle, redescent encore dans une autre cour dallée, déserte et blanche, au fond de laquelle se dresse, obsédante et pareille, la troisième salle, le troisième amas farouche de monstres jaunes, en haut d'escaliers et de « sentiers impériaux ». Et toutes ces rampes de marbre, obstinément blanches à travers les siècles, ont des centaines de balustres en forme de monstres. Et la lourdeur, l'énormité, l'air dominateur et farouche de ces toitures prodigieuses, représentent bien l'âme du « colosse jaune ». La décrépitude et le silence de tout cela ! Rien que des corbeaux qui croassent à la mort. Entre les dalles de marbre des cours, tant de plantes sauvages et d'arbrisseaux ont poussé qu'on dirait de petits bois funéraires. Et sur ces dalles il y a, parmi les herbes roussies et les branches effeuillées, des rangées de lourdes choses en bronze, espèces de cônes compliqués qui posent seulement sur le sol et peuvent être changés de place ; ils servaient jadis, au temps des magnificences que nous n'imaginons plus, à marquer le poste de chaque grand dignitaire, de chaque porte-étendard, pour les cérémonies solennelles et terribles, quand le Fils du Ciel devait apparaître comme un Dieu en haut des grands escaliers de marbre. Le soir, quand je rentre dans le silence funèbre de notre palais, nos soldats ont travaillé tout le jour à recoller du papier de riz sur les châssis de bois léger de nos appartements ; le vent d'hiver n'entre plus. En outre, Cluzeau a fait fonctionner le chauffage ; sous les sol dallé des longues galeries, des caves sont creusées, sortes de calorifères avec d'énormes fours ; une bande de portefaix chinois (Parmi lesquels on nous a prévenus de nous méfier parce qu'il y a des boxers) est occupée à y brûler des poutres, des boiseries, des portants du théâtre impérial. De dessous les tapis somptueux monte une douce chaleur ; on commence à avoir des impressions de bien-être et de chez soi, dans cette solitude. Et la nuit, malgré le silence et les coups de fusil, paraît moins funèbre. Lundi 22 octobre. – Les Chinois réquisitionnées, les suspects et les non suspects, nous ont toute la nuit chauffés par en dessous – plutôt trop – et ce matin le soleil rayonne. C'est comme hier l'illusion de l'été, sous les légères vérandas couleur bronze, ornées de branches de lotus roses. Et la matinée se passe comme celle d'hier, à la découverte, dans les différents bâtiments du palais. C'est encore l'église qui est la mine la plus extraordinaire, la caverne d'Ali-Baba la plus remplie. En plus de ce qui avait été apporté du grand palais, l'Impératrice avait fait entasser là tous les cadeaux qu'elle avait reçus il y a deux ans pour son jubilé. Et le défilé des personnes qui apportèrent ce jour-là des présents à la souveraine avait, paraît-il, quatre kilomètres de long et dura toute une journée. On imagine ce qu'il est possible d'entasser des caisses dans une église, dans la nef et les bas-côtés, quand on les empile jusqu'à mi-hauteur des colonnes. Tout cela a été plus ou moins pillé, saccagé, brisé à coups de crosses et éventré à coups de baïonnettes. Mais il y en avait tant ! En dessous, les énormes caisses, préservées par leur lourdeur et par l'amas des choses qui les recouvraient, sont demeurées intactes. Mais dessus étaient les milliers d'objets légers, pour la plupart dans des boîtes de verre et posant sur des coussins de soie jaune : vases de fleurs artificielles composées avec des patiences chinoises, en agathe, en marbre, en jade, en corail ; pagodes et paysages d'ivoire avec des milliers de personnages ; paysages en plumes d'oiseaux rares, montée sur bronze ; oeuvres prodigieuses de fragilité et de finesse témoignant des patiences qui nous dépassent et attestant des années de travail. Tout cela, brisé, crevé à coups de baïonnettes, les débris des boîtes de verre jonchant le sol et craquant sous les pas. Les robes impériales de lourde soie jaune, tissées de dragons d'or, traînent par terre, sous les pieds, parmi les cassons de verre. On marche sur des ivoires ajourés, des soieries, des perles. Il y a des centaines de caisses contenant des potiches anciennes, d'une valeur folle, dans des écrins de soie jaune ; des bronzes millénaires provenant des collections d'antiquités de l'Impératrice, toujours dans de somptueux écrins jaunes. Et des paravents brodés ou sculptés, des cloisonnés, des craquelés, des laques. Dans un des bas-côtés, les coffres de santal et d'ébène sculptés sont empilés par centaines. La sacristie contient, en autres choses, dans d'énormes caisses, tous les somptueux costumes des acteurs du théâtre impérial et leurs extravagantes coiffures reproduisant les modes des vieux temps chinois. Le presbytère, les grandes salles d'école sont bondé de caisses ; il y a des vieux bronzes empilés jusqu'à hauteur d'homme, il y a des réserves de soie et des réserves de thé. Et dans cette église, emplie de choses païennes, les grandes orgues sont restées en place, muettes depuis de longues années, et nous en jouons, tandis qu'en bas, nos chasseurs d'Afrique, enfoncés jusqu'à mi-jambe dans les ivoires ou les soies impériales, travaillent au déblaiement. Pas un nuage aujourd'hui ; une lumière étincelante, un ciel profond et bleu. Et c'est cela, paraît-il, le ciel ordinaire de Pékin, même parmi les plus grands froids. Les temps sombres, la pluie, la neige, sont ici de rares exceptions. Après notre petit déjeûner de soldats, servis dans les précieuses porcelaines, au milieu de la longue galerie merveilleuse, je pars pour m'installer au travail, dans le silencieux palais surélevé qui est sur l'autre rive du Lac des Lotus. Osman, David et Toum me suivent, portant mon papier, ma plume, mon encrier provenant des réserves impériales. Un soleil d'été, dont la chaleur surprend, rayonne sur les blancheurs du Pont de Marbre, sur les vases du lac et les cadavres qui dorment parmi les feuilles gelées des lotus. A la porte du palais de la Rotonde le sergent et les hommes du poste m'ouvrent et referment derrière moi les battants de laque rouge. Je commence l'ascension de l'esplanade et me voici dans le silence et la solitude de mon palais étrange. Pour se rendre au petit kiosque-mirador que j'ai élu pour cabinet de travail, il faut passer par d'étroits couloirs aux fines boiseries vitrées qui se contournent entre des vieux arbres et des rocailles très maniérées. A travers les vitres, le beau soleil chauffe ce réduit mystérieux où l'Impératrice, paraît-il, aimait venir s'asseoir et contempler de haut ses lacs tout roses de fleurs ; le beau soleil tombe sur ma table et mes coussins jaune d'or. Le petit kiosque à l'intérieur est tapissé de papier blanc ; contre ses vitres, les dernières mouches, les derniers papillons battent des ailes, prolongés par cette chaleur de serre. Devant moi s'étend le grand lac, traversé par le Pont de Marbre ; et dans les arbres d'alentour, qui couvrent les rives comme un bois, montent des toitures de palais ou de pagodes qui sont d'étranges merveilles de faïence. Au tout premier plan, les branches de quelques vieux cèdres, les petits monstres porcelaine d'un kiosque voisin et la mignardise des rocailles. Je suis très isolé, très haut parmi des splendeurs dévastées et du silence, dans un lieu inaccessible et gardé. Rien ne trouble le calme ensoleillé de ma retraite. De loin en loin, le cri d'un corbeau, ou le galop d'un cheval, en bas, au pied du rempart où pose mon habitation frêle : quelque estafette militaire qui passe. Et puis, plus rien. Je travaillais depuis une heure quand un très léger frôlement derrière moi, du côté des petits couloirs d'entrée, me donne le sentiment d'une discrète et gentille présence et je me retourne : un chat qui s'arrête court, une patte en l'air, hésitant et me regarde bien dans les yeux avec un air de dire : « Qui es-tu ? qu'est-ce que tu fais là ? Tu n'as pas l'air méchant... » Je l'appelle tout bas ; il répond par un miaulis plaintif. Et je me remts au travail, plein de tact, sachant que pour une première entrevue il n'y a pas à insister davantage. Un joli chat blanc et jaune qui a l'air distingué et grand seigneur. Un moment après, tout contre ma jambe, le frôlement est renouvelé et je fais descendre avec lenteur, en plusieurs temps, ma main jusqu'à la petite tête veloutée qui, après un soubresaut, se laisse caresser. C'est fini, la connaissance est faite. Un chat habitué aux caresses, c'est visible, un familier de l'Impératrice vraisemblablement. Demain je lui ferai apporter quelque chose sur ma ration de soldat. Le soleil, à l'heure où il s'abaisse, énorme et rouge, derrière le Lac des Lotus, prend tout à coup son air triste de soleil d'hiver, en même temps qu'un frisson glacé passe sur les choses et que, soudainement, tout devient funèbre dans le palais vide. Alors j'entends des pas qui s'approchent, résonnant au milieu du silence sur les dalles de l'esplanade ; sans doute Osman et David qui viennent me chercher. D'ailleurs qui serait-ce sinon ces deux là, les seuls êtres humains pour qui la porte du rempart a la consigne de s'ouvrir. Il fait un froid glacial et la buée du soir commence à monter sur le Lac des Lotus, quand nous retraversons le Pont de Marbre, au crépuscule, pour rentrer chez nous. Après le souper, par nuit noire, chasse aux voleurs dans le dédale des cours et des jardins de notre palais. On en attrape trois. |
3 | 1900.3 |
Loti, Pierre. Journal intime inédit [ID D22432]. (3)
10e partie : Le Palais des Ancêtres Il a gelé cette nuit ; tout est couvert de petits crisaux blancs quand nous commençons, à travers les galeries et les jardins du palais, les explorations et les fouilles quotidiennes. On enterre quelques cadavres qui empestaient nos alentours. Près de la galerie somptueuse où nous prenons nos repas de soldats en campagne est établi le dépôt général des vieux bronzes, retrouvés partout – et il y en a de millénaires aux formes rudes et jamais vues. Les chasseurs d'Afrique, occupés du matin au soir à déblayer l'église, à trier, à ouvrir les grandes caisses mystérieuses, ont découvert, pendant la journée d'hier, d'étonnantes merveilles en cloisonnés et en laques d'or. Dans un bâtiment tout au fond des cours, presque déjà sous les arbres du bois où le palais finit, des cosaques ont dû longer quelques jours, être malades et peut-être mourir ; ça sent le cadavre là-dedans, et leurs vieux vêtements d'uniforme, troués, pleins d'horribles taches, traînent par terre. Il y traîne aussi des vieilles bottes qu'ils avaient commené de cirer ; ils les faisaient reluire en les frottant avec des morceaux qu'ils déchiraient à de magnifiques robes impériales jaunes et or, qui sont là pleines de cirage, à terre, comme des choses viles. Vers 10 heures du matin, par les sentiers du grand bois impérial qu'habitent en ces jours d'abomination les chiens, les pies et les corbeaux, je m'en vais, de l'autre côté de la « Ville Violette », visiter le Palais des Ancêtres qui est occupé par notre infanterie de marine. C'est dans une partie plus ombreuse du bois, où les énormes cèdres, les énormes pins aux branches centenaires, abritent et font verdir les monstres gardiens des portes. En avant de la muraille d'entrée, des portiques extravagants et légers, laqués de vert et de rouge, contournés et tourmentés, s'emmêlent aux ramures sombres. Une fois franchie la première enceint, qui a l'épaisseur d'un rempart, on en trouve naturellement une seconde, puis une troisième. Toujours dans l'ombre verdâtre des vieux arbres, les cours se succèdent, pompeuses et funèbres, ornées d'emblèmes mortuaires en bronze ou en marbre, - et les cèdres sur tout cela étendent leurs branches centenaires. Au fond d'une dernière cour, sur une estrade de marbre, le Palais des Ancêtres dresse sa façade aux ors ternis et sa haute toiture de faïence jaune. De chaque côté du palais, aux portes closes, deux kiosques aux formes étranges, dont les laques et les ors ont pris au cours des siècles des teintes de vieux bronzes, enferment comme des étuis deux colossales tortues de marbre portant sur le dos une stèle inscrite. La tortue et la stèle et, autour de la tortue, un banc circulaire en laque rouge pour qui veut s'asseoir et la contempler : c'est tout ce que contient le kiosque mystérieux, où vingt personnes environ pourraient prendre place en cercle. Dans ce lieu, tout est incompréhensible et on reste confondu devant l'énigme des symboles. On m'ouvre le grand palais, tout laqué d'or, d'or terni qui passe au rougeâtre de cuivre. Une salle unique, au fond de laquelle sont rangées neuf portes à doubles battants fermés sur lesquelles, par ordre du général, les scellés ont été posés. Au milieu de la salle, des tables sur lesquelles il était d'usage d'apporter des mets pour le repas des Mânes ancestraux. (C'est sur cette table que, le jour de l'entrée à Pékin, le général et son état-major trouvèrent toute servie une collation de gâteaux, de fruits et de breuvages). Aux deux extrémités de la salle, des musiques pour les morts : plusieurs sortes de harpes ou de cithares, aux cordes horizontales, instruments gigantesques posant sur des pieds en laque d'or et ornés de monstrueuses figures ; et des carillons, (à l'une des extrémités, un carillon de cloches ; à l'autre, un cariollon de blocs de marbre suspendus par des chaînes d'or) ; aux corniches des énormes chevalets qui supportent ces carillons, des phénix et des monstres éployant leurs ailes d'or, dans l'éternelle pénombre, vers la voûte d'or. Des armoires d'ébène enferment d'inestimables manuscrits ancien, ayang forme de grands rouleaux enveloppés de soies impériales. Nous en déroulons un qui représente, en une sorte de série sans fin, la réception par l'un des empereurs défunts d'une ambassade de Louis XIV (gens en grands costumes et en grandes perruques, avec des figures du temps). La plupart de ces rouleaux, en séries sans fin de peintures, représentent des scènes de la vie des anciens empereurs, costumes, attitudes et mise en scène, tout cela reproduit avec une minutie extrême et un art souvent merveilleux, bien que très différent du nôtre. Les neuf portes magnifiques, aux battants scellés, conduisent aux autels mortuaires de neuf empereurs Célestes. On veut bien briser pour moi la cire rouge et les bandelettes de toile et je pénètre dans l'un des neuf sanctuaires sacro-saints – celui du grand empereur Kouang-Si. Il y fait sombre et on dirait qu'on a jeté de la terre et de la cendre sur les choses : toujours cette poussière de Mongolie qui est ici partout, comme un indice de vétusté et de mort. Cinq ou six marches montent à l'autel, charé d'objets rares et inconnus, vases d'or et vases de jade, sceptres et cachets impériaux. Un sergent qui m'accompagne promène la lueur d'une petite bougie sur les merveilles qui sont là. Derrière l'autel, une grande figure que je n'avais pas vue en entrant me regarde avec des yeux obliques, entre deux rideaux de soie jaune impérial dont tous les plis sont noirs de poussière : un pâle portrait de l'empereur défunt, de grandeur naturelle, si pâle, à la lueur de notre barbare petite bougie, que l'on dirait un reflet de fantôme dans une glace ternie. Et quelle profanation inouïe, aux yeux de ce mort, notre simple présence dans ce lieu impénétrable entre tous, au milieu d'une impénétrable ville ! De chaque côté des marches qui conduisent à l'autel, de grands coffres de laque noire, à compartiments, à doubles fonds, fermés par des serrures compliquées, renferment des centaines de petites boîtes contenant des cachets impériaux, en onyx, en jade, en or, reliques sans prix qui dormaient là depuis deux cents ans - l'empereur étant contemporain de Louis XV... Quand tout cela est refermé, rescellé et le pâle reflet du vieil empereur rendu à son silence et à ses ténèbres habituelles, nous sortons de ce froid sépulcral pour chercher dans la cour un peu de soleil, filtré entre les branches des cèdres. Je déjeune ce matin à l'autre bout de la « Ville Jaune », invité par un groupe d'officiers qui sont logés au Temple des Vers-à-soie, autre vieux sanctuaire, où des brûle-perfums de bronze s'alignent dans des cours de marbre. Et vers 3 heures, par les allées de ce bois fantastique où tombe à présent un soleil d'été, je m'en retourne dans mon palais solitaire dont les portes se referment et se verrouillent derrière mois dès que je suis passé. Dans mon petit mirador, j'aurai pour tout le jour paix et silence inviolable, sur mes hautes terrasses, - jusqu'à l'heure où le soleil, tombant en boule rouge derrière le Lac des Lotus, annoncera le triste soir ; alors j'entendrai derrière moi sur l'esplanade les pas d'Osman et de mon soldat qui viendront me chercher pour rentrer au gïte. Installé depuis quelques instants au travail, dans mon haut mirador, devant les perspectives du lac et des vieux toits de faïence émergeant des arbres, je sens contre ma jambe un amical frôlement. Ah ! la visite du chat ! Je l'avais prévue et je la recevrai sans doute chaque jour… Une heure après, un galop de cavalerie, en bas, sur les dalles blanches du Pont de Marbre : c'est le Maréchal de Waldersee ; il demeure dans la « Ville Jaune », lui aussi, dans un palais de l'Impératrice. Il passe très vite, suivi de cavaliers qui portent de petits étendards. Tout cela se perd et le funèbre silence revient. De temps à autre, j'entre chez ma voisine, la grande déesse de jade qui sourit toujours, blanche et sereine, dans sa robe d'or bordée de pierreries ; il m'arrive même de toucher sa main froide et de la retenir dans les miennes. Ou bien je vais explorer les autres kiosques de l'étrange résidence, ceux où se trouvent des coussins, des fauteuils, des trônes ; on dirait des nids d'amour, clandestins, séparés les uns des autres par des rocailles et de vieux arbres, - et ce devait être cela en effet, l'Impératrice y venait s'isoler, dans les soies impériales, dans le jaune et dans l'or, avec ses favoris. La haute esplanade dallée, qu'entoure le faite crénelé des remparts, domine de partout des paysages artificiels, mais immenses et séculaire et surtout interdits, jamais vus par des yeux européens. Elle st sans doute artificielle elle-même malgré son énormité, et elle est très ancienne, car il y croît des cèdres de cent ans ; - des cèdres et des pins de ce pays-ci qui ont vraiment des formes tout à fait chinoises, qui ont dans leur vétusté des tournures d'arbres comme on en a vu sur les potiches et les laques. Tout est tellement chinois ici, qu'on est pour ainsi dire dans la Chine quintessenciée et exclusive. Cette trerrasse était un haut jardin, très maniéré, pour les rêveries ultrachinoises d'une intransigeante impératrice. Le point culminant, derrière la demeure de la déesse de jade, est une étonnante rocaille où l'on grimpe vers un kiosque de porcelaine bleue, par une rampe torturée. Sur l'esplanade, à l'ombre des vieux arbres tordus, d'alignent des pots de faïence avec des arbustes nains ; il y a aussi des petits carrés de chrysanthèmes et d'oeillets d'Inde jaune d'or. – Du silence et du silence ; point de chants d'oiseaux, mais on entend parfois, dans le bois que l'on domine, les corbeaux croasser -. Et je découvre à chaque promendade des choses étranges. Voici un kiosque de faïence que je n'avais pas remarqué ; il abrite, sur un socle de marbre, un énorme bloc d'agathe qui représente un flot de la mer, une sorte de vague chassée par le vent, avec des formes de poissons ébauchées dessus et qui ont l'air de bondir... Le soleil rougit, tombe, tombe, le froid vient, et voici Osman et mon soldat m'apportant pour le retour un manteau de fourrure pris dans les réserves du palais. Et une fois de plus, nous repassons le Pont de Marbre, au crépuscule glacé, pour rentrer chez nous. Le soir, c'est dans l'appartement de Cluzeau qu'a lieu notre veillée. Comme il doit passer ici l'hiver, il l'a meublé avec une richesse et une profusion magnifiques. Sous les arceaux d'ébène sculptée, c'est un chatoiement de broderies faites par les fées, d'écrans merveilleux, de cloisonnées centenaires. De grands paravents étranges masquent les fonds et, de la voûte, descendent des lanternes et des pendeloques qui avaient dormi pendant des siècles dans des écrins. Et, vêtus de robes impériales, nous nous étendons sur des coussins dorés pour fumer l'opium qui apporte le rêve chinois et l'oubli, dans ce décor de Mille et une Nuits, au milieu du silence et du noir funèbre des alentours, où des cadavres traînent encore partout parmi les ruines. Très tard, l'opium tient en éveil, dans un état qui est tout à la fois lucide et confus. Et au loin, le grand silence extérieur est parfois traversé d'un cri, ou d'un coup de feu. 11e partie : Le Temple de la Pensée abstraite Mercredi 24 octobre. - L'après-midi nous allons visiter le Temple des Lamas, à l'angle nord-est de Pékin, contre les murs de la ville tartare. En sortant de chez les Lamas, nous profitons de ce qui reste de soleil pour aller chez Confucius qui habite le voisinage, la même nécropole pourrait-on dire, dans un délaissement plus funèbre encore. La grande porte vermoulue, pour nous livrer passage, s'arrache de ses gonds et s'effondre, tandis qu'un hibou qui dormait là s'envole. Et nous voici dans une sorte de bois funéraire, marchant sur l'herbe mourante d'automne, parmi de pauvres vieux arbres à moitié morts. Un art ce triomphe à trois arches se présente à nous, d'un dessin exquis et singulier et qui surprend par sa fraîcheur, au milieu du délabrement de toutes choses. De près, cependant, on s'aperçoit de son grand âge, à je ne sais quel archaïsme et quelle imperceptible usure ; mais il est composé de matériaux presque éternels : marbre blanc pour la base et faïence ensuite jusqu'au sommet ; faïence jaune et verte représentant, en haut-relief, des fleurs de lotus, des nuages et de chimères. Et chacune des trois arches est surmontée d'un clocheton émaillé de jaune qui a, naturellement, un toit courbe avec des dragons à tous les angles. La poussière n'a pas prise sur ces faïences, surtout en ce climat sans pluie, et ce portail isolé, qui ne se relie à rien, semble un bibelot précieux égaré dans des ruines. Plus loin, une grande rotonde, couleur de terre et de cendre, qui accuse une antiquité extrême, est entourée d'un large fossé où meurent des roseaux et des lotus et que gardent des balustres de marbre blanc. C'était un lieu pour les sages, où ils allaient méditer et deviser, et ce large fossé avait pour but de l'isoler pour y faire plus de silence. On y accède par la courbe d'un pont de marbre dont les balustres ébauchent vaguement des têtes de monstres. A l'intérieur, c'est la décrépitude et l'abandon suprêmes. Il y reste une sorte de chaire, jadis somptueuse, avec une table ; sur tout cela, on dirait qu'on a semé à pleines pelletées une sorte de terre très fine qui recouvre aussi le sol ; les pas s'y enfoncent et s'y assourdissent, et on s'aperçoit que, sous cette couche poudreuse, des tapis restent encore. Et ce n'est que de la poussière, la continuelle et épaisse poussière de Pékin, accumulée là depuis des temps incalculables. Et la voûte est pleine de nids d'oiseaux. En cheminant un peu dans l'herbe jaunie, sous les vieux arbres presque desséchés, on arrive au temple lui-même ; précédé d'une grande cour où sont plantées, de hautes stèles de marbre, on dirait tout à fait un cimetière, cette fois. Mais non, les morts ne sont point là ; ces stèles glorifient seulement leur mémoire. Philosophes, profonds penseurs, ténébreux pour nous, qui illustrèrent ce temple de leur présence et de leur rêverie, dans les siècles antérieurs, leurs noms sont là, gravés avec quelqu'une de leurs pensées les plus transcendantes. On arrive au temple proprement dit par des marches de marbre blanc, de chaque côté desquelles sont rangés de blocs de marbre en forme de tambours, objets d'une antiquité à donner le vertige, sur lesquels des pensées, intelligibles seulement pour quelques mandarins très érudits, sont inscrites en caractères chinois primitifs, en lettres contemporaines et soeurs des hiéroglyphes de l'Egypte. C'est ici le temple du détachement de la pensée abstraite et de la spéculation glacée. On est saisi dès l'abord par sa simplicité absolue à laquelle la Chine ne nous avait pas préparé. Très vaste, très haut de plafond, très grandiose, et d'un rouge uniforme de sang, il est magnifiquement vide et supérieurement calme. Colonnes rouges et murailles rouges, avec de discrets ornements d'or, à l'éclat voilé par le temps et la poussière. Au milieu, un bouquet de lotus géants dans un vase colossal et c'est tout. Après la profusion, la débauche d'idoles, de dragons, de monstres, le pullulement de la forme humaine ou animale dans toutes les pagodes de Chine, cette absence de toute figure cause un soulagement et un repos. Dans des niches rangées autour des murs, des stèles, rouges comme ce lieu tout entier, sont consacrées à la mémoire de personnages plus éminents que ceux de la cour d'entrée et portent des maximes qu'ils énoncèrent. La stèle de Confucius lui-même, plus grande que les autres et plus longuement inscrite, occupe la place de l'autel, au centre de la vaste salle. A proprement dit, ce n'était point un temple, puisqu'on n'y faisait ni cérémonies ni prières ; une sorte d'académie plutôt, un lieu de réunion et de froides conférences philosophiques. Malgré tant de poussière et d'apparent abandon, les nouveaux élus de l'Académie de Pékin sont tenus encore d'y venir faire une retraite et tenir une conférence. Et plus des maximes inscrites sur sa stèle, des pensées de Confucius, en lettres d'or, forment ça et là des tableaux encadrés sur les murs. Et en voici une que je transcris ici textuellement, à l'intention de jeunes érudits de chez nous, préoccupés surtout de classifications, de dissections et d'enquêtes. Ils y trouveront une réponse vénérable et millénaire à l'une de leurs questions les plus modernes. « La littérature de l'avenir sera de bonté et de pitié. » Il est près de cinq heures quand nous sortons de ces herbes et de ces ruines, et le triste soleil d'automne décline tout à fait là-bas, derrière l'étendue de l'immense Chine, du côté de l'Europe lointaine. Je me sépare de mes compagnons du jour car ils habitent, eux, le quartier des Légations, dans le sud de la Ville tartare, et moi je dois rentrer dans la Ville Jaune, ou Ville Impériale, ou Ville Interdite, où je demeure depuis une semaine. J'ignore absolument le chemin, n'étant jamais venu dans ces lieux morts d'où nous venons de sortir, et j'ai pour me guider un « Mafou » en français un cocher ou piqueur. Je sais seulement que je dois avoir environ quatre kilomètres à faire, avant de retrouver mon gîte somptueux et désolé. Nous sortons bientôt du silence et des ruines pour arriver dans des avenues larges, qui paraissent sans fin et où commencent à grouiller des robes de coton bleu et des têtes à longue tresse. De tristes petites maisons toutes basses, toutes grises, souvent brûlées et croulantes, sont de chaque côté de la vaste chaussée où les pas des chevaux, dans la terre friable et noire, soulèvent autour de nous d'infects nuages. Si basses les maisons et si larges les avenues, qu'on a sur la tête une immense étendue de ciel crépusculaire. Le froid augmente si vite, à la tombée du jour, qu'il semble que de minute en minute sout se glace. Parfois le grouillement est compact, autour des petites boutiques où l'on vend à manger, devant la fétidité des boucheries de viande de chien ou des rôtisseries de sauterelles. Ensuite, la solitude revient, dans des quartiers en ruines. D'après l'orientation du couchant d'or pâle, je crois voir que la direction suivie est bonne ; si cependant il n'avait pas compris, mon mafou d'emprunt, où j'ai l'intention de me rendre ; comme il ne parle que chinois, je serais fort au dépourvu. Et la bonhomie en somme de tous ces gens qui, si près encore des bombardements et des pillages, me laissent passer sans un regard de malveillance. Qu'est-ce que je ferais pourtant, avec mon mafou et mon revolver, si ma figure venait à ne pas leur plaire ?... Ca n'en finit plus, ce retour... A la fin je reconnais, sur le ciel, la silhouette de la montagne artificielle des palais impériaux, avec ses petits pavillons et ses vieux arbres arrangés comme sur les laques. Et voici la muraille rouge sang et l'une des portes d'émail jaune de la Ville Impériale, avec deux factionnaires de l'armée alliée qui me présentent les armes. Là, je me reconnais, je suis chez moi et je congédie mon mafou pour pénétrer seul dans cette ville Jaune de laquelle du rest, à cette heure-ci, on ne le laisserait plus sortir... La Ville Impériale, ou Ville Jaune, ou Ville Interdite, qui est murée de si terribles murs au centre de l'immense Pékin, est bien plus un parc qu'une ville, un bois d'arbres séculaires, pins et thuyas surtout, qui peut avoir trois kilomètres de côté et où sont épars quelques vieux temples et les quelques palais récents dus à la fantaisie de l'Impératrice actuelle. Cette ville Impériale, ce parc immense, où je pénètre ce soir comme chez moi, était jadis inacessible et inconnu aux Européens ; les ambassadeurs mêmes n'y pénétraient jamais. Il entourait la très mystérieuse Ville Violette, qui, au centre, y occupe un carré dominateur, défendu par des fossés et de doubles remparts. Ce grand bois, qui depuis des siècles voyait passer dans ses allées des cortèges de mandarins en robe de soie, des princesses promenées dans des palanquins, ou des impératrices suivies d'étranges dames, est ce soir un désert d'ombre funèbre. Maintenant que ses hôtes habituels se sont enfuis et que les « barbares d'Occident » le gardent, il est nuit et jour silencieux ; on y rencontre, de loin en loin, quelques piquets de soldats d'une nation ou d'une autre ; on n'y entend guère que le pas des sentinelles gardent les portes des plais ou des temples, ou le cri des corbeaux, le cri des chiens en maraude pour finir de manger les cadavres. J'ai d'abord à traverser une assez longue étendue de bois où il n'y a rien ; la route est poudreuse. L'ombre des vieux arbres précipite le crépuscule. Sur l'herbe rase, desséchée par l'automne, sautillent des pies attardées, sautillent aussi des corbeaux dont les cris résonnent lugubrement dans le froid silence. Là-bas, des chiens se disputent quelque chose qu'ils tirent de dessous des laques et que l'on préfère ne pas trop définir. Les vieux arbres ont vraiment des formes chinoises et, la lumière baissant, on dirait des paysages peints sur papier de riz, à l'encre de Chine. Voici la Ville Violette, dont un angle apparaît là-bas au détour deu chemin. Ses longues murailles droites, au-dessus de ses fossés pleins de roseaux, s'en vont à perte de vue dans le crépuscule. Toujours muette et fermée, bien entendu, comme un colossal tombeau. De l'autre côté, un coin du Lac de Lotus apparaît entre les branches. Et maintenant ja passe devant l'Ile des Jades ; on y va par un petit pont de marbre et je sais d'avance, pour l'avoir vue plusieurs fois par jour, l'horrible grimace chinoise que me réservent les deux monstres de marbre blanc qui en gardent l'entrée. Je sors enfin de l'ombre et de l'oppression des arbres. Le Lac des Lotus se déploie devant moi, faisant de l'espace libre, en même temps qu'une grand étendue de ciel crépusculaire s'ouvre de nouveau sur ma tête, avec une prmière étoile allumée. C'est le commencement d'une de ces nuits de solitude et de silence que l'on passe ici, dans cette étrange région de Pékin, avec constamment des coups de fusil à la cantonade. Le Lac des Lotus, qui tout l'été est un merveilleux champ de calices roses, est à présent un triste marécage recouvert de feuilles roussies, au-dessus duquel monte à cette heure une espèce de buée glacée, comme un nuage qui traînerait sur les roseaux morts. Arrivé là, je suis presque chez moi, car voici le grand pont de marbre blanc, en arc de cercle bordé de deux rangées de monstres, qui mêne à mes quartiers. Il gêlera cette nuit. Et, dans l'air glacé, monte une petit bouffée cadavérique. Ah ! oui, je reconnais le personnage qui me l'envoie, en robe bleue, les bras étendus, couché le nez dans la vase du lac et montrant sa nuque au crâne ouvert. De même que je devine, dans l'obscurité envahissante, son voisin qui, à dix pas plus loin, gît le ventre en l'air. Ce bau solitaire pont de marbre une fois passé, au-dessus du petit nuage qui voile les herbages du lac, je trouverei sur ma gauche un grand portail de faïence, gardé par deux factionnaires allemands, merveilleux de correction automatique, qui me présenteront les armes s'ils y voient encore. Ce sera l'entrée des jardins au fond desquels habite le feld-maréchal de Waldersee, dans un palais de l'Impératrice. Et deux cents mètres plus loin, après avoir traversé d'autres portails, et des murs, et des ruines, je trouverai une brèche fraîchement ouverte dans une vieille muraille grise et gardée par des soldats de chez nous, des chasseurs d'Afrique ; ce sera mon entrée à moi. Là, je trouverai un second palais de l'Impératrice, très caché, très enfoui, qui se prolonge indéfiniment comme noyé sous les vieux arbres. Et ce sera la féerique splendeur de chaque soir, sous des arceaux d'ébène prodigieusement sculptée, avec, autour de moir, l'éclat des cloisonnés, des laques, des soies aux chimères d'or. Jeudi 25 octobre. – Le même soleil radieux se lève sur nos galeries vitrées, et nos jardins, et nos bois saupoudrés de gelée blanche qui vont de plus en plus s'effeuillant. Et chaque matin, c'est la même activité de nos chasseurs d'Afrique faisant travailler leurs équipes de Chinois à déblayer l'église. A travers nos cours c'est un continuel va-et-vient de meubles, de bronzes précieux, portés sur des brancards qui sortent de l'église ou du persbytère, pour aller prendre place dans les galeries où les sergents les classent. Et on en a tant vu, de ces choses précieuses, que cela devient satiété et lassitude. Rien n'étonne plus, rien ne nous plaît plus pour nos apparements, rien n'est assez beau pour nos fantaisies d'Héliogabale. Et, en fait de découvertes de trésors, ce matin Osman a fait celle d'une tranchée pleine de cadavres ; les derniers défenseurs de la Ville Jaune qui sont là, en tas, enchevêtrés, dans des poses d'agonie cruelle. Les chiens et les vautours, descendus au fond du trou, leur ont mangé les intestins, les yeux, vidé le thorax ; on voit des épines dorsales toutes rouges qui se contournent parmi des lambeaux de vêtements et dans un fouillis de membres n'ayant presque plus de chair. Presque tous ont gardé leurs souliers, mais ils n'ont plus de chevelures. D'autres Chinois évidemment les ont scalpés pour faire de fausses queues ; presque tous les autres cadavres, rencontrés un peu partout, avaient la natte arrachée avec la peau, laissant voir le blanc du crâne. Et l'horrible amas s'étale au soleil qui en précise les détails et la bouffonnerie macabre. L'après-midi, comme toujours, dans la solitude de mon mirador. Et voici que ce lieu si lointain et si inaccessible, dont il eût semblé insensé autrefois de dire que je ferais ma demeure, m'est devenu déjà familier ainsi que tout ce qui s'y trouve et ce qui s'y passe : la présence de la grande déesse de jade, la visite quotidienne du chat, le silence, le manège des moineaux qui nichent aux toits d'émail et la promenade des feuilles mortes avec la chute des petites aiguilles balsamiques des cèdres sur les dalles de l'esplanade, sitôt que souffle le vent... 12e partie : Les souliers de l'Impératrice Une heure merveilleuse est celle où le soleil couchant va mourir sur les toits de cette « Ville Violette » que l'on domine d'ici un peu comme à vol d'oiseau. Toutes ces extravagantes toitures d'émail jaune, hérissées de monstres, qui se suivent, pressées en lignes symétriques, entre les farouches remparts d'enceinte, brillent sous les rayons du soir, semblent tout à coup des palais d'or. Et le silence funèbre de tout cela, avec ce froid soudain qui tombe et ces croassements de corbeaux. Aussitôt mon retour de la « rotonde », je repars avec Osman et David, dans le crépuscule déjà presque nocturen, nos revolvers chargés, pour aller, à travers la poussière et les ruines, faire visite à Monseigneur Favier qui demeure près de la « Ville Jaune », à un kilomètre à peine de ma résidence impériale. Un chasseur d'Afrique nous guide. La nuit nous prend au milieu des décombres ; dans le nuage de poussière noire que nos pieds soulèvent nous trébuchons sur les pierres, les débris, les cassons. Enfin voici l'église. – celle dont l'Impératrice accorda la construction, en remplacement de l'ancienne où elle avait entassé ses réserves – et voici les murs de la concession catholique où les missionnaires et leurs chrétiens chinois viennent de subir les horreurs d'un long siège. Monseigneur Favier, chef des missions en Chine, habitant ce pays depuis quarante ans, ayant joui longtemps de la faveur impériale, avait édifié ici une oeuvre immense qui vient de s'écrouler subitement. Il est encore une puissance à Pékin. Il avait du reste été le premier à prévoir et à annoncer le mouvement Boxer et on eût évité bien des désastres en l'écoutant. La salle où il me reçoit tient du presbytère et de la maison chinoise ; aux murs blancs, des trous d'obus ont été récemment bouchés. L'évêque est un homme de haute taille, de beau visage régulier, avec des yeux ardents qui disent l'énergie et la finesse. Les évêques croisés, qui jadis accompagnaient les armées en Terre-Sainte, devaient lui ressembler au moral et au physique. Depuis le commencement des hostilités chinoises, il a renoncé au costume mandarin qu'il portait depuis de longues années, - et qui constituait une des plus rares prérogatives accordées par l'empereur céleste, - il a coupé sa longue tresse et repris la soutane noire lisérée de violet des évêques français. Il est d'une exquise bienveillance, avec beaucoup d'esprit et un peu de rudesse. Une heure à causer avec lui, en fumant des cigarettes et en prenant du thé qu'un Chinois nous sert. Il me conte ce siège épique de quatre mois, cette défense admirable par une vingtaine de matelots et quelques prêtres, contre des milliers de Chinois ; la première attaque ds Boxers arrivant au nombre de cinq ou six mille avec des bannières où étaient inscrites des paroles de mort, jusque devant l'église que l'on avait barricadée et fortifiée en hâte depuis la vieille et là, saisis d'on ne sait quel effroi avant de commencer leur oeuvre, s'arrêtant pour pousser tous ensemble une clameur immense. L'héroîsme de ces vingt matelots – qui furent tous blessés ou tués, - l'héroïsme des prêtres et aussi des pauvres chrétiens chinois, réfugiés là quatre mille, protestants ou catholiques et qui, vers les derniers jours, quand la faim commençait à les torturer, se privaient de leur maigre ration de riz pour la laisser aux matelots, disant : « Ceux-là qui se battent pour nous défendre, ils ont besoin de plus de force que nous. » A la fin on mangeait les feuilles et les jeunes pousses des arbres du préau, pétries avec un peu de millet ; quant aux arbres, on les carbonisait pour faire de la poudre avec ce charbon et du salpêtre qu'on allait voler la nuit en sautant par-dessus les murs. On fondait des balles avec le plomb des toitures ; on sautait par-dessus les murailles pour aller ramasser des douilles vides et on s'en servait pour refaire des cartouches. Au pied des murs, qu'on défendait désespérément, s'entassaient les cadavres des Boxers qui avaient tenté l'assaut ; des chiens venaient leur manger les entrailles, - et on tuait ces chiens et on les pêchait d'en haut avec des cordes et des crochets, pour les manger, - les réservant aux malades et aux femmes qui nourrissaient afin que leur lait ne fût point tari. On tentai d'envoyer des messager aux légations pour demander des nouvelles et du secours : une heure après, la tête du messager était plantée sur un bâton devant l'église avec ses entrailles. Un canon, adroitement placé par les Chinois devant la porte principale, menaçait d'ouvrir une brèche et de tout perdre ; un jeune prêtre, à la tête de quelques volontaires, était allé une nuit s'en emparer et le ramener au prsbytère... Et la joie, après, quand on était à bout de forces et de vivres, enbombré de malades et de cadavres, la joie d'entendre le bombardement de Pékin, et surtout la joie d'entendre tout près, sous les murs, un clairon français sonner la marche des zouaves. Et quand enfin on ouvrit les portes à l'infanterie de marine, on se jetait dans les bras les uns des autres et on s'embrassait. Et puis il y eut le Te Deum, dans l'église criblée de balles et d'obus où tout le monde pleurait. L'évêque doit partir après-demain pour l'Europe, ayant à parler au Pape (Il n'est allé en Europe que deux fois en quarante ans). Il est maintenant très tard et je ne veux pas abuser. Mais Monseigneur Favier vent bien me faire promettre de revenir demain, à la même heure qui est son heur de repos et où ses préparatifs seront finis. Dehors il fait nuit noire et nous avons renvoyé notre chasseur d'Afrique. L'évêque alors sort avec nous, entre Osman et mois, nous tenant chacun par un bras, il nous mène devant une grande brèche, disant : « Vous n'avez qu'à aller tout droit ». Un instant après nous sommes complètement égarés, dans les ruines, les ténèbres, la poussière, marchant sur des débris, sur des têtes de mort. Et cela dure une heure. Vendredi 26 octobre. – Conduits par le guide chinois qu'on m'a envoyé de la Légation et escorté par le chasseur d'Afrique Reboux qui m'accompagne d'habitude chaque fois que je dois sortir de l'enceinte Jaune, nous partons à cheval pour aller à l'audience que Li-Hung-Chang me donne pour ce matin. C'est, comme toujours, au radieux et chaud soleil, dans la sécheresse et la poussière. Nous nous égarons un peu en voulant chercher des raccourcis ans l'étrange bois et quand nous retrouvons notre chemin il faut, pour ne pas être en retard, filer ventre à terre le long des grands murs et des fossés en marécages de la Ville Violette. Après cette solitude si défendue, dans laquelle on s'habitue à vivre, c'est une surprise, chaque fois que l'on rentre dans le Pékin de tout le monde, de retrouver tout à coup ce grouillement chinois et les humbles foules. On a peine à se figurer que ces bois et ces lacs, où l'on a des illusions de vraie campagne, sont englobés de toutes parts dans la plus populeuse des villes. Décidément les Chinois reviennent en masse à Pékin. Au dire de Monseigneur Favier, il y revient surtout des Boxers, sous tous les costumes et sous toutes les formes. Les longues rues aux maisons de boiseries dorées se repeuplent de robes et de queues ; tout ce qui n'est pas en ruine est réhabité. Et les marchands reviennent aussi, les marchands du matin, avec leur fruits, leurs salades, leurs légumes. Et tous les petits métiers des rues reprennent leur activité et leur drôlerie. Nous allons vite au milieu de tout cela, étant presque en retard. Nous suivons notre guide chinois, ou plutôt le nuage de poussière que laisse derrière lui le trot de son cheval. La cours est longue, Li-Hung-Chang demeure très loin. Enfin, dans une rue sordide et grise, à l'entrée d'une vieille maison délabrée, le guide s'arrête. Est-ce possible qu'il demeure là, ce Li-Hung-Chang, riche comme Aladin, possesseur de plais et de merveilles, qui fut l'un des favoris les plus durables de l'Impératrice et une des gloires de la Chine ? Un poste de soldats russes garde cette entrée ; on sait en effet que Li-Hung-Chang est un des protégés de la Russie. La salle où l'on m'introduit, au fond d'une cour, est triste et délabrée. Une table et deux ou trois chaises assez élégantes. Un Chinois en belle robe de soie me fait asseoir et m'offre du thé, - c'est l'interprète de Son Altesse – il parle français d'une façon correcte et distinguée. La salle, dans les fonds, est pleine de malles, de valises, de paquets, de couvertures enroulées ; on dirait un campement prêt à partir. Sur un signe d'un autre Chinois l'interprête m'emmène dans une seconde cour, et là apparaît, à la porte d'une salle de réception, un grand vieillard qui vient à ma rencontre, s'appuyant de droite et de gauche sur des serviteurs vêtus de robes de soie. Il est colossal, avec des prommettes saillantes sous de petits yeux rusés ; il a l'exagération du type mongol. La robe fourrée est d'une couleur indécise, sombre, laissant voir l'usure et les taches ; son bonnet de mandarin serait quelconque dans un diamant placé au-dessus du front (Li-Hung-Chang, qui a toujours été d'une avarice sordide, pose en ce moment pour la pauvreté !). La salle de réception est vieille et mal tenue, encombrée, comme la pièce d'entrée, de paquets et de couvertures. Nous prenons place dans des fauteuils, l'un devant l'autre, une table entre nous deux sur laquelle des serviteurs posent des cigarettes, du thé et du champagne. Et nous nous dévisageons comme deux êtres qu'un monde sépare. Après m'avoir demandé mon âge et le chiffre de mes revenus (ce qui est une formule de politesse chinoise), Li-Hung-Chang salue de nouveau et la causerie commence. C'est évidemment mon titre de lettré et d'académicien qui me vaut la grâce particulière de son accueil. Quand nous avons parlé des questions politiques brûlantes du jour, Li-Hung-Chang s'apitoie sur la Chine, s'apitoie sur les ruines de Pékin. « J'ai visité toute l'Europe » dit-il, « j'ai vue les musées de toutes vos capitales. Pékin avait aussi le sien ; la Ville Impériale était un uncomparable musée, commencé depuis des siècles, et il est maintenant détruit... » Il m'interroge ensuite sur ce que nous faisons dans le palais de l'Impératrice, si nous détruisons toujours. Ce que nous faisons, il le sait sans doute aussi bien que moi, ayant des espions partout ; sa figure cependant simule une satisfaction et un soulagement quand je lui assure que nous ne détruisons plus. L'audience finie, les poignées de mains échangées, Li-Hung-Chang, toujours appuyé sur les deux serviteurs qu'il domine de toute la tête, vient me reconduire jusqu'au milieu de la cour. Sur le seuil il me rappelle pour me prier, si j'écris un livre sur mon voyage à Pékin, de lui en envoyer un exemplaire. A travers deux kilomètres de ruines et de décombres nous allons au quartier des Légations où j'ai besoin de causer avec M. Pichon, notre ministre. Toujours couché et très déprimé, bien que la fièvre typhoïde soit conjurée. Au moment de romonter à cheval, deux attachés de la Légation me donnent très gentiment une indication précise, de source chinoise très certaine, qui me permettera d'emporter deux souliers de l'Impératrice. Dans la Ville Jaune où j'habite, dans un îlot parmi les arbres, au sud du Lac des Lotus, est une petit palais, me disent-ils, où l'Impératrice a passé la dernière nuit d'angoisse avant sa fuite. Dans la deuxième chambre à droite, au fond de la deuxième cour, - la chambre où elle a couché – je trouverai par terre, sous un lit, une paire de souliers lui ayant appartenu. Nous rentrons ventre à terre dans la Ville Jaune. Après avoir déjeuné avec Cluzeau, dans notre galerie de plus en plus splendide, enrichie chaque jour de nouvelles merveilles, je pars à la recherche de cette dépouille impériale, escorté par Osman et David, le revolver à la ceinture. Nous n'étions jamais allés nous promener dans cette partie du bois qui est au sud du lac. Et nous trouvons cependant sans difficulté, parmi les vieux cèdres, ce palais dans un îlot de verdure où mène un pont de marbre. Ce petit palais a été pillé d'abord par les Russes ; dans le partage il a été depuis attribué aux Allemands qui ont quelques sentinelles aux abords. Bâti sur des terrasses de marbre enguirlandées de verdure, c'était un petit chef-d'oeuvre de grâce, un arrangement exquis de boiseries laquées et de toitures de faïence. Mauvais présage, sur l'escalier de marbre qui y monte c'est une dégringolade barbare de cassons de porcelaine, de cassons de laque, de grands brûle-parfums brisés sans soute à coups de crosse, de fleurs artificielles et de lambeaux de soie. La première cour est pleine de débris ; la seconde, de même. Et enfin j'entre dans la seconde chambre au fond à droite ; il y reste des débris de meubles, un lit d'ébène, un trône et, par terre, à la plac indiquée, parmi des soies déchirées, les deux petits souliers, adorables et comiques ! Souliers de princesse tartare qui ne se déformait point les pieds à la chinoise, mais les avait très petits ; souliers de soie rouge finement brodés, avec des talons blancs de trente centimètres de haut, des talons comme des échasses. Et je m'empare de ce souvenir de l'étrange dame... Il est près de deux heures. Dans les allées qui me ramènent vers la « rotonde » où je finirai ma journée, un soleil brûlant, comme en été. Les soldats de garde au pied du rempart m'ouvrent et renferment derrière moi la porte et je monte dans ma solitude habituelle où m'attend le sourire de la déesse de jade et la visite du chat blanc moucheté de jaune. A la tombée glacée du soir, quand Osman et David viennent me chercher, nous passons sans nous arrêter devant les murs de notre palais caché derrière les décombres, continuant dans la poussière et les ruines, dépassant la tranchée pleine de cadavres, et nous allons jusqu'au presbytère de Monsieur Favier. L'évêque me reçoit dans son même parloir blanc, les paquets formés, les valises prêtes. Il part demain matin pour l'Europe, anxieux et triste, après l'effondrement presque complet de ce qui fut l'oeuvre de toute sa vie. Après souper, chasse de voleurs, en deux bandes armées, dans les cours lointaines de notre palais. Nous n'en attrapons point. Nous en laissons fuir deux qui enjambent lestement un mur, malgré les coups de revolver et nous échappent. 13e partie : Retour vers la Mer Jaune Samedi 27 octobre. - L'île des Jades, sur le Lac des Lotus, est un rocher qui se dresse au-dessus des bois de la Ville Jaune, supportant un amas de vieux arbres et de vieilles pagodes qui vont s'étageant vers le ciel. Couronnant le tout, une sorte de donjon s'élance, de proportions gigantesques et de contours particulièrement étranges. On le voit de partout ce donjon ; il domine Pékin de sa silhouette ultra-chinoise et contien une effroyable idole aérienne dont le rictus et le geste menaçant planent sur la ville et que les soldats ont appelée : « le grand diable de Chine ». On arrive à l'Ile des Jades par un arceau de marbre blanc qui enjambe les lotus et dont les deux entrées, il va sans dire, sont gardées par des monstres grimaçants et par de hauts portiques en bois laqué avec toitures de faïence. Ce pont franchi, on arrive aux pieds de rochers à pic et il faut de suite commencer à grimper, par des escaliers et des sentiers pavés. On trouve alors, échelonnées sous les ramures séculaires, des séries de terrasses de marbre, d'escaliers de marbre bordés de brûle-parfums de bronze et de pagodes vieilles et sombres, au fond desquelles brillent dans l'obscurité d'énormes idoles dorées. Cette île des Jades est occupée par nos soldats, détaché là sous le commandement d'un capitaine, et qui couchent dans les pagodes. Pour se faire de la place, pour avoir de quoi s'étendre la nuit sur les autels, roulés dans leur couvertures, ils on mis dehors tous les petits dieux secondaires qui dormaient là depuis des siècles, tout le petit peuple de bronze et d'or qui encombrait les tables sacrées. Et ils gisent par centaines, par milliers, sur les terrasses blanches, en tas, chavirés, les james en l'air, les petits bouddhas encore étincelants sur qui tombent à présent le soleil, la poussière ou la neige. Les grandes idoles seules sont restées au fond des sanctuaries, protégées par leur énormité et leur lourdeur. Et avec quel air de grossière barbarie s'étalent, autour de leurs trônes, les fusils de nos soldats, leurs courvertures, leurs hardes éparses. Et quelle puanteur humaine ils ont déjà apportée sous ces plafonds de laque habitués aux parfums du santal et des baguettes d'encens. A travers les ramures torturées des vieux cèdres, à mesure que l'on s'élève, l'horizon se déploie, toujours plus immense. On ne voit guère partout que des cimes d'arbres, avec des teintes d'automne. Et ce bois infini, où apparaissent çà et là, comme noyées, d'étonnantes toitures d'émail jaune, c'est Pékin. Pékin que l'on ne se serait jamais représenté sous de tels aspects ; et Pékin vu des hauteurs d'un lieu sacro-saint, d'où jamais un Européen n'avait regardé. L'espace qui vous porte va toujours diminuant, se rétrécissant, à mesure que l'on sélève vers « le grand diable de Chine », à mesure que l'on s'approche de la pointe de ce rocher qu'est l'Ile des Jades. A ces étages supérieurs, nous croisons une petite troupe de visiteurs singuliers qui redescendent : des missonnaires lazaristes, vêtus en mandarins et portant la longue queue. En leur compagnie quelques jeunes prêtres catholiques chinois qui, dirait-on, tremblent d'être là et ont, malgré eux et malgré leur christianisme, le sentiment de quelques sacrilège commis par le fait seul de leur présence en ce lieu défendu. Nous voici tout au pied du donjon étrange qui couronne ces rochers et, à côté de nous, le kiosque de faïence où le grand diable habite. Nous sommes très haut, dans l'air vif et pur, sur une étroite terrasse au-dessus d'une immense région d'arbres un peu voilée par une buée de poussière et de soleil. Et nous entrons chez le grand diable, le seul habitant de cette région aérienne. Oh ! l'horrible personnage ! Comme Shiva, dieu de la mort, il dans sur des cadavres : il est de taille surhumaine, coulé en bronze ; il a cinq ou six visages atroces ; il porte un collier de crânes et gesticule avec une quarantaine de bras qui brandissent des lances ou des têtes de mort. Tel est le Dieu que ces Chinois ont placé au-dessus de leur ville, dominant tout, presque dans l'air... Les choses qui nous supportent : rochers, terrasses de marbre, cime des vieux arbres, dévalent sous nos pieds avec des fuites de vertige. L'air est d'une pureté absolue, la lumière admirable et le silence infini. Pékin, sous nos pieds, semblable à un bois, nous n'attendions pas cela. Aux premiers plans, la Ville Violette dessine son grand carré de toitures d'émail jaune. Ailleurs, des arbres et encore des arbres ; tout est noyé là-dedans. Quelques longues rues se dessinent, comme des coupées dans une forêt. On voit aussi, au loin, formant un carré gigantesque, les remparts noirs émerger de la verdure ; au delà des remparts le bois recommence, semble infini. Du côté du Nord les grandes montagnes de Mongolie s'élèvent, charmantes, nettes et irisées. Et de cette ville de la mort qui sans soute ne se relèvera jamais plus, monte un grand silence traveré par des croassements de corbeaux. L'après-midi, comme d'habitude, dans mon palais fermé, dans un mirador que le soleil d'automne emplit de rayons, je sens que cela va finir, mon séjour ici, mon petit rêve de magnificence et de solitude. Alors un peu de mélancolie me vient, sur ces terrasses dallées, au milieu de ces vieux arbres et de ces petits kiosques de porcelaine. Et quand l'énorme soleil rouge s'abaisse derrière le Lac des Lotus, je me dis que je le verra là encore une ou deux fois peut-être et que ce sera fini au grand jamais. Si même, plus tard, quelque chose me ramenait à Pékin, ce lieu qui m'était familier serait redevenu impénétrable et sacré. Quelle singulière destinée m'en a fait le maître pour quelques jours ! Quand je vais faire visite à la déesse de jade – le soleil déjà décliné et les toits de la Ville Violette déjà dans l'or du soir -, je trouve les aspects changés autour d'elle. Les soldats du post ont déblayé tout qui enbombrait son sanctuaire. Cassons de porcelaine, de laques, de girandoles, débris de bouquets et d'autels, ils ont tout enlevé et soigneusement balayé la place. Et la déesse, solitaire pus que jamais, sourit dans son temple vide et déjà presque obscur. Dimanche 28 octobre. – Je devais partir demain ; J'ai décidé de prolonger d'un jour. Je regrette ce lieu. Et puis je voudrais me trouver transporté d'ici dans ma chambre du « Redoutable » ; je recule le moment de reprendre la funèbre route de Takou. Ce matin, des emballages à n'en pas finir. J'emporterai près de dix caisses de pillage, plus un grand panneau de laque incrusté de jade, pour l'amiral. L'après-midi, pour revoir la mystérieuse Ville Violette, je monte sur la montagne artificielle de la Ville Impériale, - tellement haute que l'on croirait un coteau véritable, tellement ancienne que les cèdres y meurent de vieillesse. On y trouve une série de kiosques aux toits de faïence et, tout en haut, une pagode où des soldats d'infanterie de marine dorment en compagnie de grandes idoles d'or. De là, comme du sommet de l'Ile des Jades, on domine le bois silencieux qu'est Pékin et au milieu duquel la Ville Violette trace un carré de grandes toitures jaune d'or, entouré comme une ruine abandonnée de larges fossés qui sont devenus des marécages. Et, d'en bas, montent des cris de pies et de corbeaux. En redescendant, je passe par le Palais des Ancêtres. On y arrive toujours sous la voûte des mêmes pins et des mêmes cèdres, dans le même silence et la même solitude. Le soleil du soir, déjà rose sur les toits et les hautes branches, laisse dans l'ombre les dalles verdies, les monstres et les emblèmes gardiens des seuils. Et je me hâte pour aller encore une fois voir mourir le jour dans mon mirador où je n'aurai pas travaillé aujourd'hui et où le chat ne m'aura pas trouvé à ma place habituelle. Une tournée d'adieu dans tous les recoins de ce lieu étrange, sur les hautes terrasses dallées qui dominent les toits d'or, dans tous les petits kiosques maniérés et charmants où l'Impératrice cachait ses rêveries et ses amours. Puis je vais prendre la main glacée de la déesse de jade qui est déjà dans l'obscurité sépulcrale. Le soleil s'est couché dans de petits nuages d'hivers et de gelée qui donnent froid rien qu'à regarder. Et quand nous repassons le Pont de Marbre pour rentrer dans notre palais, le vent de Mongolie, sec et piquant, nous fait trembler sous nos manteaux. Lundi 29 octobre. – Le dernier jour. Le soleil se lève splendide sur nos galeries vitrées, sur nos jardins saupoudrés de gelée blanche où continue l'activité des chasseurs d'Afrique et des corvées chinoises charroyant les bibelots précieux. Emballages encore, préparatifs de départ. A quatre heures, grande émotion chez nos sentinelles : de Tien-Tsin, arrivée imprévue du général et de son état-major que l'on n'attendait que demain. Et il me faut dîner à sa droite, à une grande table officielle, avec tout ce monde. Il me faut aussi lui céder sa chambre que j'occupais et je m'en vais pour cette dernière nuit dormir au milieu des splendeurs de chez Cluzeau. Mardi 30 octobre. – A sept heures du matin, à l'inaltérable beau soleil et au vent glacé, je suis à cheval, avec le chasseur d'Afrique Reboux et nous prenons la tête du convoi de nos malles et caisses de pillage qui suivent dans deux voitures d'artillerie, escortées de quatre chasseurs d'Afrique, d'Osman, David et Toum. Envorion six kilomètres à faire, avec tout ce petit convoi, pour aller au « port de Pékin » m'embarquer dans une jonque. Après avoir passé le Pont de Marbre, longé la sinistre Ville Violette et ses marécages de roseaux mourants, nous sortons du grand bois qu'est la Ville Impériale. Ensuite il faut traverser, dans le vent et les nuages de poussière noire, tout un Pékin de ruines, de décombres, de grouillement et de pouillerie, en pleine activité matinale. Et enfin, une fois franchies les terribles portes dans les hauts remparts noirs, il reste à traverser une sorte de steppe grise et sinistre où des caravanes lentes, des centaines de chameaux de Mongolie, énormes, à crinière de lion, font cabrer nos chevaus. On gêle, à ce port de Pékin. Un petit sous-lieutenant qui y commande le poste nous donne gentiment du thé chaud. Il se trouve qu'il a été à Rochefort à un bal que j'ai donné. Ma jonque est là qui m'attend. Et sur l'étroit canal, entre les deux rives je joncs où pourrissent des cadavres, nous partons à la cordelle, trainés par un mulet au trot que fouette un Chinois à la course. Il faut changer quatre fois de jonque, à cause des écluses. Vers quatre heures enfin nous arrivons à Tong-Tcheou, la ville de ruines et de cadavres, qu'il faut traverser à pied, une vingtaine de Chinois réquisitionnés portant mes caisses de pillage, pour arriver au borde du Peï-Ho, - où Dieu merci, je retrouve ma jonque amarrée, sous la garde d'un soldat – la même jonque qui m'avait amené de Tien-Tsin, mes mêmes Chinois et tout mon petit matériel de nomade. On n'a pillé que notre provision d'eau ; heureusement il nous reste les précieuses caisses d'eau d'evian, données par le général Frey. Nous avons juste le temps, avant la tombée de la nuit, d'aller chez le chef d'étape pour les papiers, d'aller au magasin des vivres toucher ses rations de campange, d'aller à une petite cantine tenue dans les ruines par un bandit italien et d'y acheter quelques conserves. Et vite, démarrons la jonque de la rive infect qui sent la peste et la mort et commençons de redescendre au courant vers Tien-Tsin. Cela nous amuse de reprende notre vie de lacustres et, la lanterne allumée, nous mangeons avec une faim terrible notre premier dïner à la jonque, arrosé par le thé bouillant que Toum nous fabrique. Il fait beaucoup plus froid qu'à l'aller. Gelés, tombant de sommeil, nous récressons nos couvertures, nos manteaux et nous nous couchons tous les trois ensemble, Osman, David et moi, nous réchauffant les uns par les autres sous le toit de nattes qui laisse voir des étoiles. Mercredi 31 octobre. – Le soleil matinal resplendit sur le pont de la jonque couvert d'une couche de glace. Le vent de Mongolie souffle avec violence, sec et glacé. Nous redescendons quand même le fleuve très vite, entrainés par le courant. La journée se passe presque entière à marcher sur le petit chemin de halage, à côté de nos Chinois à la cordelle, ne rentrant que pour prendre nos repas, avec des appétits de sauvages. Les rives désolées défilent à nouveau sous nos yeux, avec leur mêmes ruines, leur mêmes cadavres yux mêmes places ; seulement ils n'ont plus de cheveux, on les a tous scalpés pour faire des fausses nattes. Pour nous réchauffer, nous buvons de l'eau-de-vie, du vin chaud, du thé bouillant et nous nous couchons en tas, comme les moutons, l'hiver, dans les bergeries. |
4 | 1900 |
Giuseppe Sirianni ist während des Boxer-Aufstandes in Beijing.
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5 | 1900 |
Federico Tommaso Paolini verteidigt während des Boxer-Aufstandes die italienische Gesandtschaft in Beijing.
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6 | 1900 |
Angelo Olivieri verteidigt die christliche Mission Beitang in Beijing.
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7 | 1900 |
Ermanno Carlotto ist bei der Verteidigung von Tianjin im Boxer-Aufstand beteiligt.
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8 | 1900 |
Vincenzo Rossi ist zum Schutz gegen den Boxer-Aufstand an der italienischen Gesandtschaft in Beijing.
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9 | 1900-1901 |
Giuseppe Messerotti Benvenuti hält sich während des Boxer-Aufstandes als Arzt in China auf.
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10 | 1900 |
Maurizio Bensa kommt in China an.
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11 | 1900 |
Giovanni Vacca nimmt am ersten internationalen Philosophie-Kongress in Paris teil.
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12 | 1900-1928 |
Stanislas Chevalier ist Gründer und Direktor des Observatoriums in Sheshan (Shanghai).
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13 | 1900-2000 |
John Dewey and China : general.
1956 Michael, Franz H. ; Taylor, George E. : John Dewey's message was that democracy could be achieved only through a slow process and that social objectives were relative. He was particularly interested in the scientific approach which he described as the search 'for concrete methods to meet concrete problems according to the exigencies of time and place'. In contrast to the apparent indefiniteness of his general social philosophy, the Communist theory provided the Chinese intellectuals with a system which also claimed to be scientific and to be based on a materialistic and antimetaphysical interpretation of human life… The pragmatists helped to prepare the way for the spread of materialism in the next decades. By joining in the attack against Confucianism they discredited the traditional value system, but themselves offered no system of values. They proposed solutions to the problems of the day according to what Dewey called 'exigencies of time and place'. Because the pragmatists themselves tend toward a materialistic and utilitarian interpretation they offered little resistance to communist doctrine. 1960 Thomas Berry : Dewey's influence in the philosophical order might be described as a further development of the positivism that began to dominate the intellectual life of China after Yan Fu published his translation of Thomas Huxley's 'Evolution and ethics' in 1898. We can follow the later development of this positivism, especially in the years just preceding Dewey's arrival, in the pages of the periodical Xin qing nian. Hu Shi from his earliest years as a student was responsive to the attraction of Western materialist philosophy. He saw in science and technology something more spiritual than material. He developed the religious enthusiasm for Dewey's pragmatism. Hu was in close contact with the intellectual life of China during the critical years of its transition. Through him the new conception of the human mind as the instrument of pragmatic adaption to reality was transplanted to China. Hu sought especially to relate Chinese philosophical systems to their historical and social setting. In the field of philosophy, other traditions have been stronger than that of Dewey and Hu Shi. As a special school of philosophy pragmatism was vigorous for only a few years. Since the middle 1920's, pragmatism as a system has been overshadowed by other Western philosophies. Pragmatists, including Hu, turned their attention to educational reform, social reconstruction and political revolution. The philosophical arena was taken over by neo-Realism, rationalistic and idealistic neo-Confucianism, and finally by Marxism. The Marxist challenge to Dewey proved to be more effective than the Confucian or the idealist. Marxism began to awaken in the Chinese a response of very great depth and enthusiasm. Positivism and Hegelian idealism, with their insistence on the progressive stages of development in the mind of man, had prepared the way. Neither Dewey nor his followers realized how powerful and influence Marxist-Leninist Communism would become. During the two years of his venture in China, Dewey made the greatest single effort ever made to bring China into the new age of Western liberalism in political life, of radical empiricism in philosophy, and of progressivism in education. Most important was the philosophical weakness of his position. It offered no satisfactory alternative to the traditional humanism that in former centuries had fashioned the Confucian virtues in the individual person and which had given inner vitality to the social structure. His educational program contained some excellent ideas which could be most beneficial in the training of the young, but only within a more adequate philosophical and religious context which his philosophy could not supply. His cause was in trouble from the lack of strength in the existing Chinese government. Liberalism can grow and develop only within an ordered society. Liberalism supposes order, it does not create order. His cause was in trouble from the existing antagonism toward the West rising from resentment against the colonial systems that had been imposed on so many Asian peoples. The greatest influence of Dewey in China has been in the field of education. An ideal situation existed for his work as educator, a situation much more favorable, than the situation in America, for Chinese students had a sense of political and social involvement lacking among students in America. Detached intellectual speculation was as impossible and as undesirable for them as for Dewey. 'Education for living' had a welcome meaning to students anxious to make their contribution to the welfare of their society. Dewey constantly encouraged the Chinese to take the initiative in bringing their nation into its proper place in the modern world. Dewey's confidence in the power of the human mind to find its own way and his opposition to indoctrination of though upon the mind of other persons were embodied in his insistence that the Chinese should administer their own affairs. The achievement of Dewey was to strengthen the bonds of American-Chinese association. After his visit, other professors from America, particularly educators, were invited to China to assist in establishing training centers for teachers and to develop research program to guide and promote the new effort at the universal education of the Chinese people in accord with modern standards. Three achievements of Dewey should be balanced against a consideration of the detrimental effects of his influence : 1) In accenting the positivistic approach in communication between China and America, Dewey created further difficulties in spiritual communication between the two countries. 2) In encouraging the Chinese people to an immediate and thorough adaptation to the modern age, he helped to turn them further dependence on the West. 3) In fostering a closer association between China and America on the philosophical basis of pragmatism, he helped to alienate the more humanistic forces of China and thereby created an area of antagonism as well as an area of agreement. 1960 Chow, Tse-tsung [Zhou, Cezong]. The May fourth movement : Intellectual revolution in modern China. (Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1960). Chow notes on John Dewey : When Dewey classified in his lectures all social problems into three categories – economic, political, and intellectual – Dewey pointed out that economic problems were the most important, because, as he said, 'economic life is the foundation of all social life'. But the significant economic problem discussed by Dewey did not attract enough attention from his Chinese students and friends and other Chinese liberals. Chinese liberals at this time were preoccupied with educational reform, academic research, and the reevaluation of national classics. Few of them considered seriously the problem of the application of democray in China in terms of economic organization and practice. This was undoubtedly one of the major causes of their waning influence on the public following their dramatic role in attacking the traditional ideology and institutions. 1972 Ou Tsui-chen : For China, Dewey suggests some practical measures to realize the ideal of democracy. He does not think it necessary to follow the Western pattern to go through self-seeking individualism and then employ the power of state to equalize society. She may, he thinks, amalgamate these two steps at one stroke. Since in China political individualism has not made headway, traditional paternalism can be turned into the protection of its citizens by a democratic government. In dealing with cultural problems, Dewey proposes to attach great importance to the authority of science instead of the authority of tradition. He pleads for free thinking and free expression of thought. In addition to a prosperous material life, he advocates a free intellectual life. To fulfill this ideal, he stresses the importance of using education as an efficient tool. As the lectures were delivered shortly after the New Culture Movement had begun in Beijing and Chinese traditional morality was under severe criticism, Dewey's lectures often refer to the Movement and particularly to Chinese morality. Contrary to what might be expected, Dewey never advances any extreme view with regard to the then prevailing moral revolution. He takes a middle-of-the-road position vis-à-vis the conflict between the moralities old and new. At the end of his lectures, Dewey makes an excellent comparison between Eastern and Western ethical thought. He first states that morality is a function of the environment and varies with it. So it is difficult to judge which morality has more value than another. There is no doubt whatsoever that of all Western educators Dewey most influence the course of Chinese education, while his influence on Chinese thought, politics, and society in general is a controversial question difficult to resolve. A number of educational reforms and practices were introduced in China which reflected Dewey's influence : 1) Chinese educational aims were reconsidered in the light of Dewey's thought. 2) The national school system was reformed according to the American pattern. 3) Child-centered education was faced in the revision of the curriculum. 4) The new method of teaching according to the pragmatic theory was promoted. 5) Experimental schools were multiplied. 6) Student government as a mode of school discipline was promoted. 7) Literary reform and the adoption of textbooks for elementary schools written in the spoken Chinese language were encouraged. 1973 Robert W. Clopton ; Tsuin-chen Ou : Dewey's stay in China was one of the most significant and influential events in recent Chinese cultural history, but the Chinese have been so familiar with Dewey's influence that they have not bothered to analyze it, nor even to write extensively about it. Americans, on the other hand are largely unfamiliar with Dewey's impact on Chinese thought. In view of the reputation he established throughout the world, it is scarcely surprising that special attention to Dewey's Chinese sojourn should have been delayed. Yet there can be no doubt that China was the one foreign country on which Dewey exercised his greatest influence, particularly in the field of education. When we consider Dewey's impact on Chinese thought and education, we think first of the warmth of his reception in China. All who met him were impressed by his personality, his intellectual honesty, his enthusiasm, his simplicity of nature, his friendliness, and his sympathetic understanding of the Chinese people and their problems. All these characteristics contributed to his popularity both among the intellectuals and among the common people. On one occasion Cai Yuanpei, chancellor of National Beijing University, even likened him to Confucius. Another factor which contributed to Dewey's popularity among the Chinese was that, as an American, he represented the one great nation friendly to China and opposed to its partition by the great powers. Two important institutions were the main centers of Dewey's influence in China, both during his stay and after his departure. These were the National Beijing University and the National Nanjing Teachers College. Both had at their head men who had been Dewey's student : Chiang Monlin in Beijing and P.W. Kuo in Nanjing. Hu Shi involved Dewey in the New Culture movement. The other important institutions of higher learning helped to extend Dewey's influence throughout China : Beijing Teachers College of which Li Jianxun was president, and Nankai University in Tianjin, of which Zhang Boling was president. Dewey's impact was primarily on political and social trends. In his lectures he advocated democray – social, political, and economic. He opposed both laissez-faire individualism and Marxist Communism. While he proposed a general ideal, he refused to advocate any all-embracing ism or any concrete program for action. His principle of the primacy of method also dominated his social and political thinking. Dewey took an unequivocally anti-Communist position, severely criticizing and pointedly repudiating Marxism. In a speech delivered in Fujian he blamed the Communists for neglecting critical thought and for their blind obedience. Dewey most influenced the course of Chinese education, both in theory and practice. His philosophy of education dominated the teaching of educational theory in all teachers colleges and in university departments of education for many years. His textbook 'Democracy and education' was used everywhere, either as a text or as a work of reference. Dewey's disciples Dao Jixing and Chen Heqin (1892-1982) were the most responsible for spreading his influence in China. They developed her own system, taking Dewey's educational theory as her starting point. Dewey's influence in Chinese thought and education was dominant from1919 until1920. His influence first began to diminish after the May 30 incident in Shanghai in 1925. After the Nationalists came to power in 1927, Dewey's influence was seriously undermined. After 1949, the Chinese communists followed Soviet authorities and educators in their denunciation of Dewey and his followers. 1977 Barry Keenan : The most characteristic aspect of Dewey's lectures in China was his insistence that the fields of philosophy, education, and political theory incorporate modern science. He meant in particular the methodological importance of testing hypotheses with verifying evidence, and the implications of the Darwinian theory of evolution. The democratizing of society was linked by Dewey directly to the scientific revolution. His audiences in China were introduced to democracy and the philosophy of experimentalism, with both portrayed as related developments in the history of Western thought. Dewey's explanation of the role of the development of modern science in the West emphasized some points that were particularly designed for his Chinese audiences. One of these was the effect of science on human values and temperament. Dewey felt that the two or three hundred years in which the West had materialistically and morally undergone the effects of science accounted for the most evident differences between the East and West. Dewey's discussion of values extended to some criticism of the way ethics was taught in Chinese schools. In China the school system provided set course on 'ethical education' at the primary and secondary levels. Dewey attacked the theory behind such course, namely, that morality could be presented as a body of facts and knowledge. In his China lectures, Dewey felt it important to emphasize the child-centered curriculum – a turning away from classroom emphasis on subject matter to emphasis on the growth of the child. He dedicated one of his first lectures in Beijing to a discussion of the natural instincts and inherent dispositions of a child, which he considered 'the natural foundation of education'. Child-centered education should be a priority for China, Dewey felt, as a departure from the stratified society or authoritarian tradition that tended to promote the 'pouring in' of accepted subject matter as education. In the democratic society Dewey was told China was trying to create, there had to be equal opportunity for each child to develop his potentialities and become a participating citizen. It was important during a period of rapid social change, Dewey noted, that the younger generation be able to adapt to new conditions. Dewey's comments on reform in China were undoubtedly guided by his coaches and spokesmen, Hu Shi and Chiang Menglin. Many references appear in his lectures relating his educational ideas to social change and 'modernization' in China. Socialization of the child should not only give him or her a critical attitude toward tradition, but also develop his or her critical judgment about contemporary social and political conditions. Dewey and his followers in China felt that the school should be the basic unit in the reconstruction of China. Other institutions of social reform and betterment such as law and political parties, lacked the power of education to carry out deep and lasting change. The experience of going to school gave a child his first daily contact with an environment broader than the family. Dewey pointed out that it was the role of the school to present the world of human knowledge in order to extend the limits of the child's environment. Dewey's discussion of the nature of democracy in his China lectures were a kind of final equilateral component in the triangular connection of democracy, the experimental method, and the democratic education. The democratization of knowledge by science had led historically to an increase in the role of the common people in society, as Dewey saw it, and the connection between scientific knowledge and democracy remained close. As he said soon after arriving in Beijing : 'A person in a democratic country must have the power of independent judgment, the power to think freely, and the actual opportunity to experiment. He must be able to use his own ability to choose the direction of his ideas and his behavior.' In the process of formulating a pragmatic philosophy of politics Dewey discussed rugged individualism, Marxism, and socialism. He warned China to avoid the dangers of rugged individualism. Throughout his lectures he endorsed the idea that individuals should be able to develop themselves to their full potential. The dangers of uncontrolled individualism were emphasized by Dewey because he feared China, in the throes of liberating itself from the authority of the state and the family system, would be prone to fall into its opposite extreme of radical individualism. Dewey was critical of Marxism in his lectures. He pointed out that Marxian theory had failed on two counts : 1) although capital squeezed out competition as predicted, the workers came to fare better and better- the poor did not become poorer and poorer ; 2) the prediction regarding industrial nations being the first to change to socialism was erroneous and shed doubt on the rest of the theory. The question of labor discontent was taken very seriously by Dewey, but he addressed himself critically to Marx's theory of alienation. Dewey was not so critical of some non-Marxian types of socialism. Guild socialism in particular had several points Dewey thought appropriate to China's needs. The existence of guilds in China – for railroads, mines, forests, and roads – provided a natural organizational unit which could be useful in China's transformation from a handicraft to an industrial economy. Dewey called for Chinese reformers to retain a direct connection between the past and change. Dewey's views called for a re-evaluation of traditional customs and institutions, but not for their rejection. Intensive study of the past were encouraged, so that the indigenous cultural traits and institutions relevant to contemporary needs could be discovered and conserved. Dewey's lectures gave many liberal Chinese reformers an unusual opportunity to study and apply an extremely up-to-date and philosophically reliable formulation of the modern democracy. What Dewey said in these lectures, was his own first-draft attempt to see how well pragmatism might be applied to politics. 1995 Su Zhixin : Deweyan experimentalism – as a way of thinking, as a way of acting politically, and as a component of democratic education – offered no strategy Dewey's followers could use to affect political power. Without such a strategy, failure was the main consequence of his followers' pragmatic reform efforts. Their reformism was paralyzed by dilemma. Dewey himself recognized this failure after his visit to China, writing, "The difficulties in the way of a practical extension and regeneration of Chinese education are all but insuperable. Discussion often ends in an impasse : no political reform of China without education ; but no development of schools as long as military men and corrupt officials divert funds and oppose schools from motives of self-interest. Here are the materials of tragedy of the first magnitude". The experimentalist philosophy, conceiving in a rich, literature, industrial, and relatively serene America and propagated by well-intentioned, but somewhat sheltered, Chinese intellectuals, was finally not appropriate for a huge, varied, agricultural, particularistic country. Maybe this is an important reason for Dewey's silence about his historic visit to China, and his views on educational development in China in his later years. The American scholars conduct their evaluation in a purely academic manner, and they are not personally affected by the consequences of what they say or write because they are far detached from the Chinese reality. The Chinese scholars, on the other hand, have to pay attention to the political climate while conducting their evaluation of Western influence because what they say will directly affect their academic careers and personal lives – being 'politically incorrect' in academic discourse could result in the loss of jobs and alienation of families. In general, the Chinese do not differ from their American counterparts in their acknowledgment of the strong and widespread influence of Dewey's ideas on Chinese educational theory and practice. While the Americans do not question Dewey's sincerity in promoting the development of a democratic society or the worthiness of Dewey's ideas for Chinese schools and society ; some praise him as a saint, while others condemn him as an enemy. In many ways, it has been an ideological struggle between Dewey's pragmatism and experimentalism and Marxist-Leninist Communism. Deng Xiaoping's political and economic pragmatism paved the way for Chinese intellectuals to become infatuated once again with Western pragmatism. Under these circumstances, a serious reevaluation of Dewey's influence on Chinese education has begun to emerge among Dewey scholars and concerned educators in China. Some critics suggest that the worthiness of certain elements in Dewey's educational philosophy and its status in the history of philosophy should be reevaluated. They recommend that instead of totally denying Dewey, the Chinese should critically borrow and make use of Dewey's ideas in Chinese educational practices. 1999 David L. Hall ; Roger T. Ames : The New Culture Movement was initially anti-Confucian, and Dewey's thought was seen to be in radical opposition to traditional Confucian ideas. When Sun Yat-sen and the Guomindang promoted a return to many of the traditional Chinese values and institutions, Dewey's thought was deemed unacceptable due to its foreign origin. When the communists came to power, Dewey's thought was roundly condemned as an expression of Western imperialism. After the establishment of the People's Republic, a purge of Deweyan pragmatism was begun. Literally millions of words were written refuting Dewey's works. The reasons for Dewey's failure finally to influence China were largely associated with his refusal to take a wholesale approach to social problems. Always warning the Chinese against the uncritical importation of Western ideas, as well as the uncritical rejection of traditional Chinese values, Dewey, in spite of his radical reconstruction of the popular democratic ideal, was simply too moderate for a China in search of revolution. It was practically inevitable, that Marxism's wholesale ideology would replace Dewey's decidedly retail philosophy. Dewey's educational reforms, badly misunderstood and only partially applied from the beginning, have long since been effectively abandoned. His understanding of democracy was never altogether in the mainstream. In many ways, the opportunity to introduce a reconstructed idea of democracy seems to have been lost as surely in America as it was in China. 1999 Kim Bong-ki : Dewey traf in China zu einem Zeitpunkt ein, als sich das Land in nahezu allen Bereichen in einer Phase des Umbruchs befand, dessen Ursache externer wie interner Natur war. Die Probleme rührten vornehmlich von der Begegnung mit dem Westen her, der die wissenschaftliche Revolution und die darauf folgende industrielle Revolution früher in Gang gesetzt hatte. Hinzu kamen innere Schwierigkeiten in Form einer prekären Wirtschaftslage, grassierender Korruption und eines in weiten Teilen der Bevölkerung als ungerecht empfundenen Steuersystems. Angesichts der Vielzahl und der Schwere der Probleme erstellte Dewey auf der Grundlage seiner pragmatistischen Gesellschaftstheorie eine konkrete Diagnose und entwickelte Reformvorschläge für die Erneuerung der traditionellen chinesischen Gesellschaft. Die – in Deweys Sicht – hinreichende Ausstattung der chinesischen Kultur mit demokratischen Elementen : Abschaffung der Feudalherrschaft in der Antike, prinzipieller Zugang zur Bildung für alle, besondere Betonung der Erziehung führt ihn zu der Erwartung, China könne den Übergang zum Industrialismus noch kreativer und effektiver durchführen, als der Westen dies geleistet habe. Dewey These von der Verankerung demokratischer Elemente in der chinesischen Tradition findet ihre Bestätigung in den Konzeptionen des 'tian-ming' (Mandat des Himmels) mit einer verbindlichen Tugendlehre für die Herrscher, ihrer Machtbegrenzung und Fürsorgepflicht für das Volk, und des 'yanlu' (Wege der Kommunikation), eines Bestandteils der konfuzianischen Staatsauffassung, in dem Missstände der Beamtenschaft bis hin zur Kritik am Kaiser verzeichnet waren. Was den Erfolg im Sinne Deweys um eine Transformation Chinas anbetrifft, wird man, aufs Ganze gesehen, sagen können, dass der Pragmatismus sich nicht dauerhaft durchzusetzen vermochte, dass er am ehesten noch in der Erziehung zum Tragen kam. Wenn es überhaupt zu positiven Ergebnissen gekommen ist, lässt sich dies darauf zurückführen, dass Dewey die von ihm selbst vorgegebene Prämisse der Vermeidung eines geraden westlichen Transfers nach China ernstgenommen hat. Das amerikanische Konzept der Progressiven Schule wurde von Dewey modifiziert und auf die chinesischen Bedürfnisse zugeschnitten. So war zwar die 'Progressive Education' darauf gerichtet, den in der veränderten Lebenswelt aufgetretenen neuen Herausforderungen zu begegnen, die bewahrenswerten Elemente der chinesischen Tradition sollten aber für die Gegenwart fruchtbar gemacht, die spezifischen Bedingungen und Erfordernisse Chinas in das Bildungssystem eingebracht werden. Als größter einleitender Schritt für eine allgemeine elementare Erziehung kann die unter Deweys Einfluss von Hu Shi vollzogene Einführung einer an der Umgangssprache ausgerichteten Schriftsprache - 'baihua' - gelten, die seither landesweit im Gebrauch ist. Weitere erfolgversprechende Ansätze erbrachten die Schülerselbstverwaltung und die Dezentralisierung der Schulkontrolle und Schulsteuerung, derzufolge den Erfordernissen der örtlichen Umgebung besser entsprochen werden konnte. Deweys Pragmatismus hat es als einzige westliche philosophische Strömung unternommen, Reformvorschläge für die Behebung der chinesischen Kulturkrise in der Zeit nach dem ersten Weltkrieg auszuarbeiten. In zeitlicher Parallelität zur Rezeption und der Interpretation der Ideen Deweys durch die chinesischen Pragmatisten verlief die gesamte Reformbewegung, wobei der Themenkreis die Kritik an den traditionellen Wertmaßstäben, Gebräuchen und Institutionen, die Ordnung des nationalen Erbes durch kritische Interpretation der überlieferten Geschichte, Literaturkritik und die Sprachreform umfasste. Hinsichtlich des Versuches der Schüler Deweys, seine politischen Ideen in die Praxis umzusetzen, muss gesagt werden, dass es bei dem Versuch geblieben ist. Im Sommer 1919 brach eine In zeitlicher Parallelität zur Rezeption und der Interpretation der Ideen Deweys durch die chinesischen Pragmatisten verlief die gesamte Reformbewegung, wobei der Themenkreis die 'Debatte über Probleme und Ismen' bzw. 'Reform und Revolution' auf, die für die folgenden 30 Jahre der politischen Entwicklung Chinas von Bedeutung war, weil sie in der Öffentlichkeit eine intellektuelle Spaltung der Liberalen und Linken hervorrief, die nicht rückgängig gemacht wurde. Während Li Dazhao, Gründer der KPCh, die marxistische Theorie als Alternative zur grundlegenden Lösung für alle gesellschaftlichen Probleme befürwortete, lehnte Hu Shi einen allumfassenden Ismus oder ein konkretes Programm für Aktionen ab und plädierte nachdrücklich für die Reformidee des Pragmatismus, der wegen seiner kritischen Potenz und des Fehlens dogmatischer Züge von einer anderen Qualität ist: die gesellschaftliche und politische Erneuerung durch schrittweise Progressivität, den einzigen in seiner Sicht gangbaren Weg. 2001 Martina Eglauer : Die Wissenschaft stellt nach Deweys Auffassung für China während der Umbruchsphase eine wichtige, ja sogar die einzig mögliche konstruktive Hilfe zur Umgestaltung der Gesellschaft dar. Die solle die neue 'Autorität', im Sinne von 'any thought or belief which directs human behaviour', sein und die zukünftige Orientierung liefern. Die Wissenschaft könne in Zukunft die Rolle übernehmen, die die Tradition in der Vergangenheit einnahm. Seine radikaldemokratische Auffassung, die die Entwicklung und Förderung des wissenschaftlichen Geistes in einer demokratischen Gemeinschaft verankert, versucht Dewey auch in China zu vermitteln, denn wissenschaftliche Erziehung ist für ihn gleichzeitig auch demokratische Erziehung. Nachdem die Wissenschaft jedermann zugänglich sein solle, sei eine Erziehungs- und Bildungsreform erforderlich, welche die traditionellen Lehrmethoden durch neue Methoden ersetzt. Wissenschaft könne nur auf dem Boden intellektueller Freiheit optimal gedeihen. Dewey verweist darauf, dass Wissenschaft nicht einfach mit Technologie identifiziert werden dürfe. Im Hinblick auf den 'wissenschaftlichen Geist', der für die Entwicklung der neuzeitlichen Wissenschaft eine wesentlich fundamentalere Rolle spiele, als einzelne Technologien und Errungenschaften, diagnostiziert Dewey einen Aufklärungsbedarf für China. China könne bei der Entwicklung der wissenschaftlichen Methode von den Erfahrungen des Westens profitieren, und gleichzeitig aus den Fehlern des Westens lernen. Dewey bescheinigt China zwar ein mangelndes Bewusstsein im Hinblick auf die Bedeutung des wissenschaftlichen Geistes, er geht aber von einer grundsätzlichen, verbindenden Rationalität aus. Der wissenschaftliche Geist gilt für ihn nicht als westliches Spezifikum, sondern als unviersales Vermögen, das allen Menschen zu eigen ist. Aus pragmatistischer Sicht ist die Situation in China stark veränderungsbedürftig. Das geistige Klima, welches Dewey vorfindet, ist noch vorwiegend von den alten Traditionen und Strukturen verhaftet und die traditionellen Werte und Gewohnheiten erweisen sich als gesellschaftsbestimmende Konstanten. Für das Reformprojekt in China übernimmt Hu Shi ungebrochen das pragmatistische Wissenschaftsverständnis seines Lehrers Dewey, das er als wirksame Methode für die kulturelle Erneuerung vorstellt. Umgekehrt wirken seine, unter pragmatistischer Perspektive getätigten Analysen auf die Diskussion in der westlichen Philosophie und Wissenschaftsgeschichte zurück. 2002 Jay Martin : After his trips to Japan and China, Dewey had become a changed person, an evolving person. His educational vision and his political understanding had broadened beyond American boundaries to include the world. Dewey was indeed transformed by his trip to the Far East from U.S. philosopher to a transnational philosopher. In addition, after his visit to China, Dewey maintained his noninterventionist approach to international politics. Dewey's visit to China and his efforts to help modernize China's schools, which were widely reported and recognized, led to many invitations from other foreign governments to inspect their education systems. 2003-2004 Sor-hoon Tan : Hu Shi was promoting Dewey's philosophy while he was still developing it. Hu's pragmatist work in China, his promotion of vernacular literature, was an important contribution because it made possible 'the means of communication and publicity required for democracy'. Dewey's views on the process of thought were extremely important in the development of Hu's intellectual method. And much of Hu's life was devoted to the social inquiry that Dewey argued has to be at the center of democratic life, even though the inquiry was necessarily imperfect given the circumstances, and Hu was inclined to a more individualistic view of inquiry than was warranted by Dewey's conception of democracy. Hu Shi, explaining Dewey's views on thinking, singles out 'the cultivation of creative intelligence' as 'the greatest aim of Dewey's philosophy ; it is creative intelligence that will enable human beings to respond satisfactorily to their environments, both physical and social. In his own way, Hu tried to realize Dewey's scientific method as intelligent practice, to transform his own experience and his country's. Hu believed that science could solve moral and political problems. These sentiments echo those in Dewey's 'Reconstruction of philosophy'. Dewey also believed that philosophy has much to learn from modern science, and that the lesson would improve philosophy's ability to handle what should be its central task, solving the problems of humanity, especially moral and social problems. Hu Shi was not misreading or misapplying Dewey when he defended the relevance of science to life, including its moral and political aspects ; but he was less sensitive than Dewey to the dangers of worshiping the achievements of the physical sciences, because he believed that China's backwardness rendered it much more in need of the benefits of science than at risk from science's evils. This does not mean that he would not have agreed with Dewey's clarification that there are important differences between physical sciences and social sciences. Hu's interpretation of pragmatism as method has considerable support from Dewey's writings, he sometimes exaggerated Dewey's own emphasis on method. Referring to Dewey's 1907 'What pragmatism means by practical', he claimed that 'Dewey, from beginning to end, only recognized pragmatism as a method'. Hu borrowed from Dewey much more than the mere formulation of an intellectual methodology. While he pointed out that Dewey's visit to China gave his Chinese audience 'no specific proposals such as communism, anarchism, or free love [but] a philosophical method which enabled [them], through its use, to solve [their] own special problems'. In Dewey's theory and practice, politics and education are integrated in the endeavor to bring about democracy. Dewey endorsed Hu Shi's strategic exclusion of political involvement only to the extent that the politics in question was of a variety that sill awaited reconstruction if it was to contribute to democratization. While Hu and Dewey were not against radical changes, they did not believe in 'revolutionary changes' that break completely with the past. The misplaced denial of the inherent continuity of experience even in the midst of the most drastic discontinuities would only lead to the destruction of not only obsolete customs and institutions but also the values those customs and institutions were originally intended to serve, values that may still be relevant to the new situation. What Dewey's experimentalism led Hu Shi to reject was an undemocratic power struggle that might ensure short-term political victory only at the cost of the eventual defeat of democracy. Hu's attempt to realize Dewey's pragmatism in China may not have succeeded in bringing about democracy, but we should not overlook the democratic significance and far-reaching effect of certain aspects of the education and cultural reforms he and other initiated. If Hu Shi seems a little selective in his presentation and interpretation of pragmatism, we must remember that he was promoting Dewey's philosophy even as Dewey was still developing it. Moreover, from a pragmatist perspective, his mentor's views are not absolute truths ; they are tools to be used appropriately in the circumstances. 2007 Jessica Wang : Many know that Dewey went to China to teach, but few know that he went because he wanted to learn. Dewey taught the Chinese a lot about the West and learned a great deal about China. Even though he may have had some exposure to Chinese culture through his Chinese students at Columbia University, it was not enough to prepare him to be a China expert. Most of Dewey's writings about China are the result of his own observations, assisted by his conversations with various people – his own students and translators, travel guides, missionary friends, academic acquaintances, and institutional hosts – and, most important, by his own study of Chinese history. In his sojourn, Dewey learned about the Chinese social psychology and philosophy of life. At the same time, he also came to understand the West and to question its Eurocentric worldviews. His presence in China opened his eyes to the dark realities of international politics, it also sheltered him from criticism for his idealistic support for the war. Coinciding with the well-known May fourth movement, Dewey's two-year visit demarcated a significant episode in the history of intellectual exchange between China and the United States. One of the most important episodes in the history of intellectual exchange was to grow out of the effort of the U.S. government to promote the education of China's young elites. The encounter between Dewey and China in the 1920s was characterized by ambivalences, uncertainties, and changes on both sides. Faced with challenges from the West, Chinese intellectuals had initially sought to acquire Western technology and implement Western institutions. Later, they realized that they had to study the ideas that inform Western development and practice. During the two years of his stay, Dewey came into contact with these contending ideologies. Although Chinese intellectuals had ambivalent attitudes toward the West, Dewey had his doubts about how the United States should respond to China, or rather, how the United States could help China. Dewey was trying to understand China and its precarious position in the international world, while Chinese intellectuals were trying to understand Dewey and his position in their ideological battles. In the 1920s, Chinese opinions of Dewey reflected their own vexed interests in liberalism, neo-traditionalism, and Marxism. In the 1930s and 1940s, as China underwent a series of domestic and international wars, a natural eclipse of interest in Dewey occurred. Since the establishment of the Communist regime in 1949, the dialogue between Dewey and China took a drastic turn. In the 1950s and 1960s, the Chinese Communist government launched a large-scale campaign to purge the pragmatic influences of Hu Shi and Dewey. During this period, pragmatism was eschewed as an evil influence of Western imperialism and capitalism. In the 1980s, due to the reform and open door policy of China, the dialogue about Dewey was revived. Since then, Chinese scholars have started to reevaluate Dewey and pragmatism. Dewey's experimental theory of inquiry made him qualified as 'Mr. Science'. His promotion of democratic ideals earned him the legitimate title of 'Mr. Democracy'. His concerns for the education of the masses contributed to his reputation as the common people's educator. The three topics on science, democracy, and education are chosen for many reasons. First, they constitute the major themes of Dewey's lectures ; second, they reflected the interests and concerns of his Chinese hosts ; and third, they evoked considerable responses and criticisms from his audience. Dewey knew that in their attempt to emulate Western technology, the Chinese tended to espouse a one-sided, mechanistic view of science, paying attention merely to the products, not the process of science. Therefore in his lectures, Dewey stressed science as a method of thinking, knowing, and acting that has a positive impact on morals and values. During his visit, Dewey was often asked about ways China could avoid the pitfalls of Western materialistic culture. He admitted that love of money, cruelty in military battles, and contention between capital and labor accompanied material progress in the West. He hoped that the Chinese would come to appreciate science as a method of intelligence for coping with problems and difficulties in ordinary life, rather than as a collection of objective truth. Knowing that such a view of science was not even widely shared in the West, he somehow hoped that the Chinese would consider his suggestions, particularly when they planned for education reform. Dewey was aware of the increasing trend toward individualism in China and was wary of its concomitant problems. He advised the Chinese not to follow the same path Western nations had taken – namely, going through a stage of self-seeking individualism to the next stage in which state power had to be used to ensure social equality. He believed that Chinese culture was endowed with democratic elements that would enable her to carry out the transition to industrialism more creatively and effectively than the West had done. Even though Dewey had great sympathy for the struggles of the Chinese and admired many unique qualities of Chinese culture, he was not uncritical of their weaknesses – their passivity and reliance on authority. Therefore, in his lectures, he often stressed the importance of spontaneity, creativity, and initiative, reminding his audience that they needed to reconcile partisan disputes and undertake practical tasks that demands large-scale organization and cooperation. Knowing that the Chinese had learned to organize themselves to operate on a national level, Dewey suggested that schools should cultivate a sense of public spirit extending beyond the students' immediate environments. Dewey's political activism often runs a sharp contrast to Hu Shi's conservatism. Dewey exerted little influence in Hu's pragmatist experiment in China, even though Dewey was also a participant. Dewey was aware that Hu's reform approach was not very practical, that intellectual, attitudinal changes still depended on concrete changes in economic and social conditions, but Dewey was in no position to intervene. Dewey acknowledged the New Culture group Hu led and was willing to 'give face' to their liberal ideals. 2007 Ding Zijiang : Dewey's philosophy was very attractive to Chinese intellectuals because he seemed to give them an 'easygoing' and also 'efficient' way to deal with many current issues. He taught the Chinese people (1) to pay more attention to practical effectiveness rather than man's knowledge of transmaterial being or all former illusions about transcendent truths ; (2) to concern themselves with those immediate problems of individual and social life rather than the past heritage of culture, which had limited the country's development, and any abstract and all-embracing 'ism' which was not urgent for today's actual life, and (3) to consider intelligence as an instrument for meeting and mastering the new social environment. Dewey's pragmatism was suitable for a certain aspect of Chinese thought patterns. Dewey's pragmatism as a method is congenial to the practical mentality and disposition of the Chinese people, and it is also a factor of fundamental importance among those that contributed to Dewey's popularity. The Chinese tradition, unlike the Greek one, has never exalted knowledge for its own sake, but rather for its usefulness to morality, society, politics, and culture. For this reason, leading Chinese intellectuals used Dewey Dewey's pragmatism was suitable for a certain aspect of Chinese thought patterns. Dewey's pragmatism as a method is congenial to the practical mentality and disposition of the Chinese people, and it is also a factor of fundamental importance among those that contributed to Dewey's popularity. Dewey's pragmatic experimentalism with telling effect as a weapon with which to criticize Chinese culture and the traditional value system. One of the reasons for Dewey's influence on China is the 'holistic' nature of his thought, which was thoroughly in tune with a similar position found in Chinese thought. For example, Chen Duxiu's totalistic attack on Confucianism resulted, among other factors, from his conception of the Confucian tradition as fundamentally a holism that rigidly directed all later developments of Confucianism. Dewey's real success in China was his educational thought. Dewey emphasized that there was nothing which one heard so often from the lips of representatives of Young China today as that education was the sole means of reconstructing China. Dewey's theories, such as the 'own experience-centered principle', the 'teaching-learning-doing combination principle', the 'school as a society principle', and the 'education for living principle' were extended and advances by his Chinese disciples, such as Tao Xingzhi, one of the most influential Chinese educators. For the new Chinese intellectuals, Dewey's leading principle was that education is an instrument of social change and development. Accordingly, students who have grown politically aware under the new educational regime can be considered as a force, who will in the future make politics of a different sort. The most important aspect of 'Deweyanization' is education. Dewey was a teacher of teachers. Teaching people how to life and think in the new age of science, technology, democracy, and social development was his mission. His School of education (1889) and Democracy and education (1916) were well known by Chinese edcators and intellectuals. Hu Shi accepted Dewey's idea that education is life and school is society. Importantly, political reform can only be achieved after a social and cultural transformation, which must be promoted by way of education. Dewey himself systematically explained the same views as Hu Shi's in his articles on China. As he correctly pointed out, since 'democracy was a matter of beliefs, of outlook upon life, of habits of mind, and not merely a matter of forms of government', it demanded 'universal education', and the first step towards achieving universal education was to establish the spoken language as a written literary language. In the 1920s, with Dewey's visit, the entire American educational system was transferred to China, and American aims, methods, and materials became dominant. Deweyanized experimental schools and training programs were popularized. Even the purpose of Chinese education was redefined according to Dewey's progressivism, such as learning by doing, developing abilities by capacities, and students themselves running schools. Dewey's educational influence on China : (1) Chinese educational aims were reconsidered in light of Dewey's thought ; (2) the national school system was reformed according to the American pattern ; (3) child-centered education predominated in the revision of the curriculum ; (4) new methods of teaching in accordance with Dewey's pragmatic theory were initiaded ; (5) experimental schools were expanded ; (6) student government, about which Dewey made a number of speeches, was widely extended as a mode of school discipline ; (7) literary reform was encouraged, and elementary school textbooks written in the vernacular were adopted. |
14 | 1900-1908 |
Edmund Dipper ist als Arzt in Qingdao.
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15 | 1900 |
Twain, Mark. I am a Boxer [ID D29323].
I don't suppose that I am called here as an expert on education, for that would show a lack of foresight on your part and a deliberate intention to remind me of my shortcomings. As I sat here looking around for an idea it struck me that I was called for two reasons. One was to do good to me, a poor unfortunate traveler on the world's wide ocean, by giving me a knowledge of the nature and scope of your society and letting me know that others beside myself have been of some use in the world. The other reason that I can see is that you have called me to show by way of contrast what education can accomplish if administered in the right sort of doses. Your worthy president said that the school pictures, which have received the admiration of the world at the Paris Exposition, have been sent to Russia, and this was a compliment from that Government -- which is very surprising to me. Why, it is only an hour since I read a cablegram in the newspapers beginning "Russia Proposes to Retrench." I was not expecting such a thunderbolt, and I thought what a happy thing it will be for Russians when the retrenchment will bring home the thirty thousand Russian troops now in Manchuria, to live in peaceful pursuits. I thought this was what Germany should do also without delay, and that France and all the other nations in China should follow suit. Why should not China be free from the foreigners, who are only making trouble on her soil? If they would only all go home, what a pleasant place China would be for the Chinese! We do not allow Chinamen to come here, and I say in all seriousness that it would be a graceful thing to let China decide who shall go there. China never wanted foreigners any more than foreigners wanted Chinamen, and on this question I am with the Boxers every time. The Boxer is a patriot. He loves his country better than he does the countries of other people. I wish him success. The Boxer believes in driving us out of his country. I am a Boxer too, for I believe in driving him out of our country. When I read the Russian despatch further my dream of world peace vanished. It said that the vast expense of maintaining the army had made it necessary to retrench, and so the Government had decided that to support the army it would be necessary to withdraw the appropriation from the public schools. This is a monstrous idea to us. We believe that out of the public school grows the greatness of a nation. It is curious to reflect how history repeats itself the world over. Why, I remember the same thing was done when I was a boy on the Mississippi River. There was a proposition in a township there to discontinue public schools because they were too expensive. An old farmer spoke up and said if they stopped the schools they would not save anything, because every time a school was closed a jail had to be built. It's like feeding a dog on his own tail. He'll never get fat. I believe it is better to support schools than jails. The work of your association is better and shows more wisdom than the Czar of Russia and all his people. This is not much of a compliment, but it's the best I've got in stock. |
16 | 1900 |
Twain, Mark. China and the Philippines [ID D29327].
For years I've been a self-appointed missionary to bring about the union of America and the motherland. They ought to be united. Behold America, the refuge of the oppressed from everywhere (who can pay fifty dollars' admission)—any one except a Chinaman—standing up for human rights everywhere, even helping China let people in free when she wants to collect fifty dollars upon them. And how unselfishly England has wrought for the open door for all! And how piously America has wrought for that open door in all cases where it was not her own! Yes, as a missionary I've sung my songs of praise. And yet I think that England sinned when she got herself into a war in South Africa which she could have avoided, just as we sinned in getting into a similar war in the Philippines. Mr. Churchill, by his father, is an Englishman; by his mother he is an American—no doubt a blend that makes the perfect man. England and America; yes, we are kin. And now that we are also kin in sin, there is nothing more to be desired. The harmony is complete, the blend is perfect. |
17 | 1900 |
Twain, Mark. Mark Twain to women : adverts to foreign topics [ID D29369].
Wherein He Agrees with the Boxer "When one is not expecting a thunderbolt like that it is exciting. I thought, what a good thing for the whole world! 'Russia has 30,000 soldiers in Manchuria,' I said to myself, 'and this dispatch means that she is going to take them out of there and send them back to their farms to live in peace. If Russia retrenches this way why shouldn't Germany and France follow suit? Why shouldn't all the foreign powers withdraw from China and leave her free to attend to her own business?' "It is the foreigners, who are making all the trouble in China, and if they would only get out, how pleasant everything would be! "As far as America is concerned we don't allow the Chinese to come here, and we would be doing the graceful thing to allow China to decide whether she will allow us to go there. China never wanted any foreigners, and when it comes to a settlement of this immigrant question I am with the Boxer every time. The Boxer is a patriot; he is the only patriot China has, and I wish him success. The Boxer believes in driving us out of his country. I am a Boxer, for I believe in driving the Chinaman out of this country. The Boxers on this side have won out. Why not give the Boxer on the other side a chance? |
18 | 1900 |
Letter from Mark Twain to Joseph Hopkins Twichell ; Aug. 12 (1900).
[About missionary activities in China]. "My sympathies are with the Chinese. They have been villainously dealt with by the sceptered thieves of Europe, and I hope they will drive all the foreigners out and keep them out for good." |
19 | 1900-1903 |
Harte, Bret. Three vagabonds of Trinidad [ID D29478].
"Oh! it's you, is it?" said the Editor. The Chinese boy to whom the colloquialism was addressed answered literally, after his habit:-- "Allee same Li Tee; me no changee. Me no ollee China boy." "That's so," said the Editor with an air of conviction. "I don't suppose there's another imp like you in all Trinidad County. Well, next time don't scratch outside there like a gopher, but come in." "Lass time," suggested Li Tee blandly, "me tap tappee. You no like tap tappee. You say, alle same dam woodpeckel." It was quite true--the highly sylvan surroundings of the Trinidad "Sentinel" office--a little clearing in a pine forest--and its attendant fauna, made these signals confusing. An accurate imitation of a woodpecker was also one of Li Tee's accomplishments. The Editor without replying finished the note he was writing; at which Li Tee, as if struck by some coincident recollection, lifted up his long sleeve, which served him as a pocket, and carelessly shook out a letter on the table like a conjuring trick. The Editor, with a reproachful glance at him, opened it. It was only the ordinary request of an agricultural subscriber--one Johnson-- that the Editor would "notice" a giant radish grown by the subscriber and sent by the bearer. "Where's the radish, Li Tee?" said the Editor suspiciously. "No hab got. Ask Mellikan boy." "What?" Here Li Tee condescended to explain that on passing the schoolhouse he had been set upon by the schoolboys, and that in the struggle the big radish--being, like most such monstrosities of the quick Californian soil, merely a mass of organized water--was "mashed" over the head of some of his assailants. The Editor, painfully aware of these regular persecutions of his errand boy, and perhaps realizing that a radish which could not be used as a bludgeon was not of a sustaining nature, forebore any reproof. "But I cannot notice what I haven't seen, Li Tee," he said good-humoredly. "S'pose you lie--allee same as Johnson," suggested Li with equal cheerfulness. "He foolee you with lotten stuff--you foolee Mellikan man, allee same." The Editor preserved a dignified silence until he had addressed his letter. "Take this to Mrs. Martin," he said, handing it to the boy; "and mind you keep clear of the schoolhouse. Don't go by the Flat either if the men are at work, and don't, if you value your skin, pass Flanigan's shanty, where you set off those firecrackers and nearly burnt him out the other day. Look out for Barker's dog at the crossing, and keep off the main road if the tunnel men are coming over the hill." Then remembering that he had virtually closed all the ordinary approaches to Mrs. Martin's house, he added, "Better go round by the woods, where you won't meet any one." The boy darted off through the open door, and the Editor stood for a moment looking regretfully after him. He liked his little protege ever since that unfortunate child--a waif from a Chinese wash-house--was impounded by some indignant miners for bringing home a highly imperfect and insufficient washing, and kept as hostage for a more proper return of the garments. Unfortunately, another gang of miners, equally aggrieved, had at the same time looted the wash-house and driven off the occupants, so that Li Tee remained unclaimed. For a few weeks he became a sporting appendage of the miners' camp; the stolid butt of good-humored practical jokes, the victim alternately of careless indifference or of extravagant generosity. He received kicks and half-dollars intermittently, and pocketed both with stoical fortitude. But under this treatment he presently lost the docility and frugality which was part of his inheritance, and began to put his small wits against his tormentors, until they grew tired of their own mischief and his. But they knew not what to do with him. His pretty nankeen-yellow skin debarred him from the white "public school," while, although as a heathen he might have reasonably claimed attention from the Sabbath-school, the parents who cheerfully gave their contributions to the heathen abroad, objected to him as a companion of their children in the church at home. At this juncture the Editor offered to take him into his printing office as a "devil." For a while he seemed to be endeavoring, in his old literal way, to act up to that title. He inked everything but the press. He scratched Chinese characters of an abusive import on "leads," printed them, and stuck them about the office; he put "punk" in the foreman's pipe, and had been seen to swallow small type merely as a diabolical recreation. As a messenger he was fleet of foot, but uncertain of delivery. Some time previously the Editor had enlisted the sympathies of Mrs. Martin, the good-natured wife of a farmer, to take him in her household on trial, but on the third day Li Tee had run away. Yet the Editor had not despaired, and it was to urge her to a second attempt that he dispatched that letter. He was still gazing abstractedly into the depths of the wood when he was conscious of a slight movement--but no sound--in a clump of hazel near him, and a stealthy figure glided from it. He at once recognized it as "Jim," a well-known drunken Indian vagrant of the settlement--tied to its civilization by the single link of "fire water," for which he forsook equally the Reservation where it was forbidden and his own camps where it was unknown. Unconscious of his silent observer, he dropped upon all fours, with his ear and nose alternately to the ground like some tracking animal. Then having satisfied himself, he rose, and bending forward in a dogged trot, made a straight line for the woods. He was followed a few seconds later by his dog--a slinking, rough, wolf-like brute, whose superior instinct, however, made him detect the silent presence of some alien humanity in the person of the Editor, and to recognize it with a yelp of habit, anticipatory of the stone that he knew was always thrown at him. "That's cute," said a voice, "but it's just what I expected all along." The Editor turned quickly. His foreman was standing behind him, and had evidently noticed the whole incident. "It's what I allus said," continued the man. "That boy and that Injin are thick as thieves. Ye can't see one without the other-- and they've got their little tricks and signals by which they follow each other. T'other day when you was kalkilatin' Li Tee was doin' your errands I tracked him out on the marsh, just by followin' that ornery, pizenous dog o' Jim's. There was the whole caboodle of 'em--including Jim--campin' out, and eatin' raw fish that Jim had ketched, and green stuff they had both sneaked outer Johnson's garden. Mrs. Martin may take him, but she won't keep him long while Jim's round. What makes Li foller that blamed old Injin soaker, and what makes Jim, who, at least, is a 'Merican, take up with a furrin' heathen, just gets me." The Editor did not reply. He had heard something of this before. Yet, after all, why should not these equal outcasts of civilization cling together! Li Tee's stay with Mrs. Martin was brief. His departure was hastened by an untoward event--apparently ushered in, as in the case of other great calamities, by a mysterious portent in the sky. One morning an extraordinary bird of enormous dimensions was seen approaching from the horizon, and eventually began to hover over the devoted town. Careful scrutiny of this ominous fowl, however, revealed the fact that it was a monstrous Chinese kite, in the shape of a flying dragon. The spectacle imparted considerable liveliness to the community, which, however, presently changed to some concern and indignation. It appeared that the kite was secretly constructed by Li Tee in a secluded part of Mrs. Martin's clearing, but when it was first tried by him he found that through some error of design it required a tail of unusual proportions. This he hurriedly supplied by the first means he found--Mrs. Martin's clothes-line, with part of the weekly wash depending from it. This fact was not at first noticed by the ordinary sightseer, although the tail seemed peculiar--yet, perhaps, not more peculiar than a dragon's tail ought to be. But when the actual theft was discovered and reported through the town, a vivacious interest was created, and spy-glasses were used to identify the various articles of apparel still hanging on that ravished clothes-line. These garments, in the course of their slow disengagement from the clothes-pins through the gyrations of the kite, impartially distributed themselves over the town--one of Mrs. Martin's stockings falling upon the veranda of the Polka Saloon, and the other being afterwards discovered on the belfry of the First Methodist Church--to the scandal of the congregation. It would have been well if the result of Li Tee's invention had ended here. Alas! the kite-flyer and his accomplice, "Injin Jim," were tracked by means of the kite's tell-tale cord to a lonely part of the marsh and rudely dispossessed of their charge by Deacon Hornblower and a constable. Unfortunately, the captors overlooked the fact that the kite-flyers had taken the precaution of making a "half-turn" of the stout cord around a log to ease the tremendous pull of the kite-- whose power the captors had not reckoned upon--and the Deacon incautiously substituted his own body for the log. A singular spectacle is said to have then presented itself to the on-lookers. The Deacon was seen to be running wildly by leaps and bounds over the marsh after the kite, closely followed by the constable in equally wild efforts to restrain him by tugging at the end of the line. The extraordinary race continued to the town until the constable fell, losing his hold of the line. This seemed to impart a singular specific levity to the Deacon, who, to the astonishment of everybody, incontinently sailed up into a tree! When he was succored and cut down from the demoniac kite, he was found to have sustained a dislocation of the shoulder, and the constable was severely shaken. By that one infelicitous stroke the two outcasts made an enemy of the Law and the Gospel as represented in Trinidad County. It is to be feared also that the ordinary emotional instinct of a frontier community, to which they were now simply abandoned, was as little to be trusted. In this dilemma they disappeared from the town the next day--no one knew where. A pale blue smoke rising from a lonely island in the bay for some days afterwards suggested their possible refuge. But nobody greatly cared. The sympathetic mediation of the Editor was characteristically opposed by Mr. Parkin Skinner, a prominent citizen:-- "It's all very well for you to talk sentiment about niggers, Chinamen, and Injins, and you fellers can laugh about the Deacon being snatched up to heaven like Elijah in that blamed Chinese chariot of a kite--but I kin tell you, gentlemen, that this is a white man's country! Yes, sir, you can't get over it! The nigger of every description--yeller, brown, or black, call him 'Chinese,' 'Injin,' or 'Kanaka,' or what you like--hez to clar off of God's footstool when the Anglo-Saxon gets started! It stands to reason that they can't live alongside o' printin' presses, M'Cormick's reapers, and the Bible! Yes, sir! the Bible; and Deacon Hornblower kin prove it to you. It's our manifest destiny to clar them out-- that's what we was put here for--and it's just the work we've got to do!" I have ventured to quote Mr. Skinner's stirring remarks to show that probably Jim and Li Tee ran away only in anticipation of a possible lynching, and to prove that advanced sentiments of this high and ennobling nature really obtained forty years ago in an ordinary American frontier town which did not then dream of Expansion and Empire! Howbeit, Mr. Skinner did not make allowance for mere human nature. One morning Master Bob Skinner, his son, aged twelve, evaded the schoolhouse, and started in an old Indian "dug-out" to invade the island of the miserable refugees. His purpose was not clearly defined to himself, but was to be modified by circumstances. He would either capture Li Tee and Jim, or join them in their lawless existence. He had prepared himself for either event by surreptitiously borrowing his father's gun. He also carried victuals, having heard that Jim ate grasshoppers and Li Tee rats, and misdoubting his own capacity for either diet. He paddled slowly, well in shore, to be secure from observation at home, and then struck out boldly in his leaky canoe for the island--a tufted, tussocky shred of the marshy promontory torn off in some tidal storm. It was a lovely day, the bay being barely ruffled by the afternoon "trades;" but as he neared the island he came upon the swell from the bar and the thunders of the distant Pacific, and grew a little frightened. The canoe, losing way, fell into the trough of the swell, shipping salt water, still more alarming to the prairie-bred boy. Forgetting his plan of a stealthy invasion, he shouted lustily as the helpless and water-logged boat began to drift past the island; at which a lithe figure emerged from the reeds, threw off a tattered blanket, and slipped noiselessly, like some animal, into the water. It was Jim, who, half wading, half swimming, brought the canoe and boy ashore. Master Skinner at once gave up the idea of invasion, and concluded to join the refugees. This was easy in his defenceless state, and his manifest delight in their rude encampment and gypsy life, although he had been one of Li Tee's oppressors in the past. But that stolid pagan had a philosophical indifference which might have passed for Christian forgiveness, and Jim's native reticence seemed like assent. And, possibly, in the minds of these two vagabonds there might have been a natural sympathy for this other truant from civilization, and some delicate flattery in the fact that Master Skinner was not driven out, but came of his own accord. Howbeit, they fished together, gathered cranberries on the marsh, shot a wild duck and two plovers, and when Master Skinner assisted in the cooking of their fish in a conical basket sunk in the ground, filled with water, heated by rolling red-hot stones from their drift-wood fire into the buried basket, the boy's felicity was supreme. And what an afternoon! To lie, after this feast, on their bellies in the grass, replete like animals, hidden from everything but the sunshine above them; so quiet that gray clouds of sandpipers settled fearlessly around them, and a shining brown muskrat slipped from the ooze within a few feet of their faces--was to feel themselves a part of the wild life in earth and sky. Not that their own predatory instincts were hushed by this divine peace; that intermitting black spot upon the water, declared by the Indian to be a seal, the stealthy glide of a yellow fox in the ambush of a callow brood of mallards, the momentary straying of an elk from the upland upon the borders of the marsh, awoke their tingling nerves to the happy but fruitless chase. And when night came, too soon, and they pigged together around the warm ashes of their camp-fire, under the low lodge poles of their wigwam of dried mud, reeds, and driftwood, with the combined odors of fish, wood-smoke, and the warm salt breath of the marsh in their nostrils, they slept contentedly. The distant lights of the settlement went out one by one, the stars came out, very large and very silent, to take their places. The barking of a dog on the nearest point was followed by another farther inland. But Jim's dog, curled at the feet of his master, did not reply. What had he to do with civilization? The morning brought some fear of consequences to Master Skinner, but no abatement of his resolve not to return. But here he was oddly combated by Li Tee. "S'pose you go back allee same. You tellee fam'lee canoe go topside down--you plentee swimee to bush. Allee night in bush. Housee big way off--how can get? Sabe?" "And I'll leave the gun, and tell Dad that when the canoe upset the gun got drowned," said the boy eagerly. Li Tee nodded. "And come again Saturday, and bring more powder and shot and a bottle for Jim," said Master Skinner excitedly. "Good!" grunted the Indian. Then they ferried the boy over to the peninsula, and set him on a trail across the marshes, known only to themselves, which would bring him home. And when the Editor the next morning chronicled among his news, "Adrift on the Bay--A Schoolboy's Miraculous Escape," he knew as little what part his missing Chinese errand boy had taken in it as the rest of his readers. Meantime the two outcasts returned to their island camp. It may have occurred to them that a little of the sunlight had gone from it with Bob; for they were in a dull, stupid way fascinated by the little white tyrant who had broken bread with them. He had been delightfully selfish and frankly brutal to them, as only a schoolboy could be, with the addition of the consciousness of his superior race. Yet they each longed for his return, although he was seldom mentioned in their scanty conversation--carried on in monosyllables, each in his own language, or with some common English word, or more often restricted solely to signs. By a delicate flattery, when they did speak of him it was in what they considered to be his own language. "Boston boy, plenty like catchee him," Jim would say, pointing to a distant swan. Or Li Tee, hunting a striped water snake from the reeds, would utter stolidly, "Melikan boy no likee snake." Yet the next two days brought some trouble and physical discomfort to them. Bob had consumed, or wasted, all their provisions--and, still more unfortunately, his righteous visit, his gun, and his superabundant animal spirits had frightened away the game, which their habitual quiet and taciturnity had beguiled into trustfulness. They were half starved, but they did not blame him. It would come all right when he returned. They counted the days, Jim with secret notches on the long pole, Li Tee with a string of copper "cash" he always kept with him. The eventful day came at last,--a warm autumn day, patched with inland fog like blue smoke and smooth, tranquil, open surfaces of wood and sea; but to their waiting, confident eyes the boy came not out of either. They kept a stolid silence all that day until night fell, when Jim said, "Mebbe Boston boy go dead." Li Tee nodded. It did not seem possible to these two heathens that anything else could prevent the Christian child from keeping his word. After that, by the aid of the canoe, they went much on the marsh, hunting apart, but often meeting on the trail which Bob had taken, with grunts of mutual surprise. These suppressed feelings, never made known by word or gesture, at last must have found vicarious outlet in the taciturn dog, who so far forgot his usual discretion as to once or twice seat himself on the water's edge and indulge in a fit of howling. It had been a custom of Jim's on certain days to retire to some secluded place, where, folded in his blanket, with his back against a tree, he remained motionless for hours. In the settlement this had been usually referred to the after effects of drink, known as the "horrors," but Jim had explained it by saying it was "when his heart was bad." And now it seemed, by these gloomy abstractions, that "his heart was bad" very often. And then the long withheld rains came one night on the wings of a fierce southwester, beating down their frail lodge and scattering it abroad, quenching their camp-fire, and rolling up the bay until it invaded their reedy island and hissed in their ears. It drove the game from Jim's gun; it tore the net and scattered the bait of Li Tee, the fisherman. Cold and half starved in heart and body, but more dogged and silent than ever, they crept out in their canoe into the storm-tossed bay, barely escaping with their miserable lives to the marshy peninsula. Here, on their enemy's ground, skulking in the rushes, or lying close behind tussocks, they at last reached the fringe of forest below the settlement. Here, too, sorely pressed by hunger, and doggedly reckless of consequences, they forgot their caution, and a flight of teal fell to Jim's gun on the very outskirts of the settlement. It was a fatal shot, whose echoes awoke the forces of civilization against them. For it was heard by a logger in his hut near the marsh, who, looking out, had seen Jim pass. A careless, good- natured frontiersman, he might have kept the outcasts' mere presence to himself; but there was that damning shot! An Indian with a gun! That weapon, contraband of law, with dire fines and penalties to whoso sold or gave it to him! A thing to be looked into--some one to be punished! An Indian with a weapon that made him the equal of the white! Who was safe? He hurried to town to lay his information before the constable, but, meeting Mr. Skinner, imparted the news to him. The latter pooh-poohed the constable, who he alleged had not yet discovered the whereabouts of Jim, and suggested that a few armed citizens should make the chase themselves. The fact was that Mr. Skinner, never quite satisfied in his mind with his son's account of the loss of the gun, had put two and two together, and was by no means inclined to have his own gun possibly identified by the legal authority. Moreover, he went home and at once attacked Master Bob with such vigor and so highly colored a description of the crime he had committed, and the penalties attached to it, that Bob confessed. More than that, I grieve to say that Bob lied. The Indian had "stoled his gun," and threatened his life if he divulged the theft. He told how he was ruthlessly put ashore, and compelled to take a trail only known to them to reach his home. In two hours it was reported throughout the settlement that the infamous Jim had added robbery with violence to his illegal possession of the weapon. The secret of the island and the trail over the marsh was told only to a few. Meantime it had fared hard with the fugitives. Their nearness to the settlement prevented them from lighting a fire, which might have revealed their hiding-place, and they crept together, shivering all night in a clump of hazel. Scared thence by passing but unsuspecting wayfarers wandering off the trail, they lay part of the next day and night amid some tussocks of salt grass, blown on by the cold sea-breeze; chilled, but securely hidden from sight. Indeed, thanks to some mysterious power they had of utter immobility, it was wonderful how they could efface themselves, through quiet and the simplest environment. The lee side of a straggling vine in the meadow, or even the thin ridge of cast-up drift on the shore, behind which they would lie for hours motionless, was a sufficient barrier against prying eyes. In this occupation they no longer talked together, but followed each other with the blind instinct of animals--yet always unerringly, as if conscious of each other's plans. Strangely enough, it was the real animal alone--their nameless dog--who now betrayed impatience and a certain human infirmity of temper. The concealment they were resigned to, the sufferings they mutely accepted, he alone resented! When certain scents or sounds, imperceptible to their senses, were blown across their path, he would, with bristling back, snarl himself into guttural and strangulated fury. Yet, in their apathy, even this would have passed them unnoticed, but that on the second night he disappeared suddenly, returning after two hours' absence with bloody jaws--replete, but still slinking and snappish. It was only in the morning that, creeping on their hands and knees through the stubble, they came upon the torn and mangled carcass of a sheep. The two men looked at each other without speaking--they knew what this act of rapine meant to themselves. It meant a fresh hue and cry after them--it meant that their starving companion had helped to draw the net closer round them. The Indian grunted, Li Tee smiled vacantly; but with their knives and fingers they finished what the dog had begun, and became equally culpable. But that they were heathens, they could not have achieved a delicate ethical responsibility in a more Christian-like way. Yet the rice-fed Li Tee suffered most in their privations. His habitual apathy increased with a certain physical lethargy which Jim could not understand. When they were apart he sometimes found Li Tee stretched on his back with an odd stare in his eyes, and once, at a distance, he thought he saw a vague thin vapor drift from where the Chinese boy was lying and vanish as he approached. When he tried to arouse him there was a weak drawl in his voice and a drug-like odor in his breath. Jim dragged him to a more substantial shelter, a thicket of alder. It was dangerously near the frequented road, but a vague idea had sprung up in Jim's now troubled mind that, equal vagabonds though they were, Li Tee had more claims upon civilization, through those of his own race who were permitted to live among the white men, and were not hunted to "reservations" and confined there like Jim's people. If Li Tee was "heap sick," other Chinamen might find and nurse him. As for Li Tee, he had lately said, in a more lucid interval: "Me go dead-- allee samee Mellikan boy. You go dead too--allee samee," and then lay down again with a glassy stare in his eyes. Far from being frightened at this, Jim attributed his condition to some enchantment that Li Tee had evoked from one of his gods--just as he himself had seen "medicine-men" of his own tribe fall into strange trances, and was glad that the boy no longer suffered. The day advanced, and Li Tee still slept. Jim could hear the church bells ringing; he knew it was Sunday--the day on which he was hustled from the main street by the constable; the day on which the shops were closed, and the drinking saloons open only at the back door. The day whereon no man worked--and for that reason, though he knew it not, the day selected by the ingenious Mr. Skinner and a few friends as especially fitting and convenient for a chase of the fugitives. The bell brought no suggestion of this--though the dog snapped under his breath and stiffened his spine. And then he heard another sound, far off and vague, yet one that brought a flash into his murky eye, that lit up the heaviness of his Hebraic face, and even showed a slight color in his high cheek-bones. He lay down on the ground, and listened with suspended breath. He heard it now distinctly. It was the Boston boy calling, and the word he was calling was "Jim." Then the fire dropped out of his eyes as he turned with his usual stolidity to where Li Tee was lying. Him he shook, saying briefly: "Boston boy come back!" But there was no reply, the dead body rolled over inertly under his hand; the head fell back, and the jaw dropped under the pinched yellow face. The Indian gazed at him slowly, and then gravely turned again in the direction of the voice. Yet his dull mind was perplexed, for, blended with that voice were other sounds like the tread of clumsily stealthy feet. But again the voice called "Jim!" and raising his hands to his lips he gave a low whoop in reply. This was followed by silence, when suddenly he heard the voice--the boy's voice--once again, this time very near him, saying eagerly:-- "There he is!" Then the Indian knew all. His face, however, did not change as he took up his gun, and a man stepped out of the thicket into the trail:-- "Drop that gun, you d----d Injin." The Indian did not move. "Drop it, I say!" The Indian remained erect and motionless. A rifle shot broke from the thicket. At first it seemed to have missed the Indian, and the man who had spoken cocked his own rifle. But the next moment the tall figure of Jim collapsed where he stood into a mere blanketed heap. The man who had fired the shot walked towards the heap with the easy air of a conqueror. But suddenly there arose before him an awful phantom, the incarnation of savagery--a creature of blazing eyeballs, flashing tusks, and hot carnivorous breath. He had barely time to cry out "A wolf!" before its jaws met in his throat, and they rolled together on the ground. But it was no wolf--as a second shot proved--only Jim's slinking dog; the only one of the outcasts who at that supreme moment had gone back to his original nature. |
20 | 1900-1901 |
Zerstörung und Wiederaufbau der Shanxi Mission des American Board.
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