1967
Publication
# | Year | Text | Linked Data |
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1 | 1909 |
Segalen, Victor. Lettres de Chine [ID D9511]. [Auszüge aus Briefen an seine Frau Yvonne Segalen-Hébert]. Paquebot, 26 mai Hong-Kong est une chose splendide. Première vision de Chine, car ces monts hautains, aux lignes élégantes et nobles, drapés de brousse verte voilée parfois à mi-seins de collines de l'ombre de nuages, cela, c'est de la terre chinoise, malgré la possession anglaise. J'avoue cependant que ces possesseurs en ont tiré un splendide parti. Dans les eaux limoneuses du Yangtseu, dont on ne voit pas les bords, mais qui roule, dans un estuarie immense, toute la terre qu'il a dérobée au continent. Chang-hai, 29 mai Nous sommes arrivés hier à 6 h. ½ en plain Yangtseu, limoneux, mais rosé dans sa fange qui n'est pas sale. Mais Chang-hai n'est pas sur le Yangtseu, mais sur la petite et large rivière Houang-p'ou. Nuit. Jonques aux ailes immenses de chauve-souris. Vapeurs. Lumières. Bruit. Chang-hai. Je débarque au hasard. C'est après-midi, expédition à Zi-Ka-wei, l'observatoire célèbre des Jésuites. Tramway commode et rapide à travers une campagne plate, jaune, fertile en diable. Si tant et si bien que les poteaux électrophores semblent y pousser avec une merveileuse facilité. Chang-hai, 30 mai Mais Chang-hai cosmopolite m'ennuie déjà. J'ai tous les repères qu'il m'y faut, pour plus tard. Je m'en vais sans regret, vers la Chine, la très vraie, et, dès demain, je passe la nuit à Sou-Tcheou, ville célèbre et célébrée par Marco Polo (entre Chang-hai et Nankin). Je serai à Nankin le 2, à Han-K'eou le 4, à Pékin sans doute le 10. Sou-Tcheou, 1er juin Voici donc la vraie Chine. De Chang-hai à Sou-Tcheou, plaine, plaine d'alluvions, mais riche : fermes un peu bretonnes, toits gris à peine chinois. Partout de petits kiosques et du sarrasin dru et brun. Sou-Tcheou, plaine encore. Au loin pourtant des collines qui masquent le lac T'ai-hou, grand lac. Je prends un âne pour foncer vers la Pagode à huit étages que j'aperçois à 2 ou 3 km à l'intérieur des murs. De 5 à 7 h., le tout Sou-Tcheou mondain défile sous mes fenêtres, dans les voitures européennes. Et voici la première image de la femme chinoise sous un profil que je ne lui aurais pas soupçonné : hausse-col noir ou blanc, ou bleu, cheveux plats, tombant verticalement sur les joues. Nankin, 3 juin On atteint la ville murée : 38 km de tour de murailles crénelées, une grande porte, et, à l'intérieur, des champs, des rizières, des fermes, des dunes, des forts, des routes, tout, excepté une ville. J'aurais aimé à prolonger mon séjour à Nankin. Han-K'eou, 7 juin La ville chinoise est peu intéressante. C'est la vente des porcelaines neuves de l'immense fabrique de King-tö tchen. Que tout ce qui est ancien est plus beau ! On remonte le Yangtseu à 13 noeuds. Depuis Nankin, les collines montent, ondulent, très vertes, très proches des rives. Le fleuve tourne à chaque instant. Pékin, 12 juin Han-K'eou m'a donné deux jours immodes et un troisième fort passable. Puis, j'y ai pris pied. Je sais de quoi il en retourne. En deux mots : c'est la place forte à venir du commerce de la Chine, le coeur affairé d'Extrême-Asie. Le 'rapide' Han-K'eou-Pékin ne part qu’une fois par semaine. Trajet en 30 h pour 1.214 km. D'abord, traversée des Houai-yang chan, collines, puis montagnes ; durant deux heures. Mais ensuite commence l'énorme, l'interminable plaine du Honan, du Cheli ; un champ immense : riz, millet, blé pâle et petit mais si dru ! C'est vraiment la Terre nourricière. Enfin Pékin. Ma ville. Arrivée à 5 h. du soir. Murailles, grandes murailles. Légation. Tes lettres. Hôtel splendide. Pékin, 16 juin Je suis resté deux jours à Tien-Tsin (Tien-Tsin est à 3 H. de Pékin. Voie plate sans intérêt. Pays d'alluvions assez riche). L'après-midi, je me rends au Consulat, et voici Claudel. Froid et aimable d'abord, plus aimable que froid. Tête ronde, yeux porcelaine très vifs ; menton et bouche empâtée comme son parler un peu. Il a reçu mon livre et ma lettres, les a lus. Il me retient longuement. Il m'emmène en voiture pour me montrer Tien-Tsin. D'abord l'église neuve, couronnée des épitaphes des massacrés de 1870. Puis, dans la ville chinoise, vers le temple de Li-hong-tchang, le dernier vice-roi du Tcheli, que l'on vient de écréter dieu. Claudel me parle ensuite fort à la légère de l'hindouisme, qu'il me semble ne connaître qu'à travers [Jules] Michelet. Mais, comme moi, il est d'emblée en Chine, allé vers le Tao-tö King, l'abyssale pensée du vieux Lao-tseu. Et là encore, il ne la pense qu'à travers une vague traduction ; car, - voici le piquant ! Si [Louis] Laloy et moi avions reconnu, clair comme le jour, l'influence du style chinois écrit, sur sa prose, Claudel m'apprend qu'il 'ne sait pas un mot de chinois'. J'ai employé cette matinée aux visites officielles du corps consulaire. Pékin, 21 juin Hier, dans la rue des Libraires où j'ai acheté à bon compte un joli exemplaire du Tao-tö King, livre philosophique des mes amours intellectuelles, et un recueil des poésies de la dynastie des Tang, parmi lesquelles les oeuvres de Li T'ai-po, dont le 'Livre de Jade' donnait quelques pièces. Pékin 24 juin A 6 h re-cheval. Aujourd'hui promenade exquise, par un ciel pur, et un soleil doré qui joignait sa chaleur colorante à la couleur des toits jaunes impériaux, tout autour de la Ville Interdite, du fond de laquelle se haussent, par dessus les murailles aux tuiles brunes et rousses comme la paille chaude, des kiosques mystérieux et d'élégants pavillons. Pékin, 29 juin Je t'adresse un plan de Pékin où j'ai marqué les principaux endroits et numéroté les portes qui sont les grands repères de la ville. Tu y verras qu'en allant du sud vers le nord, on suit jusqu'au Palais Interdit un chemin qui ne manque pas d'allure : porte sud de la ville chinois puis grande voie entres les Temples du Ciel et de l'Agriculture. Porte 15 (ville Tartare), énorme, de belles couleurs bien que toute neuve ; puis porte 20, Palais Impérial interdit. On n'en voit que les kiosques les plus hauts, tous revêtus de tuiles couleur de moissons mûries. En suivre l'enceinte est ma promenade préférée, le soir, entre 6 h ½ et 8 h. Je monte par la grande voie qui traverse toute la ville Tartare de la porte 14 à la porte 13, je sors par celle-ci, je pousse une pointe au temple de lamas qui perche à l'extrême nord, et je rentre par la porte 12 pour suivre, entre des étangs, des boutiques, sculptées et dorées, les zigzags du mur impérial que surpassent des monticules artificiels. Car Pékin et la plaine environnante n'offrent pas la moindre ondulation. Seulement, à 15 km à l’ouest, les montagnes se haussent. Pékin, 30 juin Ce matin, je suis allé à cheval au Pei-t'ang, qui veut dire Temple du Nord, et n'est autre chose que la carhédrale et le séminaire des Lazaristes. Un fois de plus, prendre pour maxime de ne rien accepter sur la Chine que l'on n'ait vérifié soi-même. Si on ne le peut faire, eh bien, ni croire, ni ne pas croire, et se réserver une attitude mixte. L'île de K'ong-t'ong, que toutes les géographies donnent comme française depuis 1860 possède un drapeau vague sur un cimetière français. C'est tout. Pékin, 3 juillet J'ai pris le livre de Mgr Favier sur Pékin, dont j'ai eu la bonne fortune de trouver encore un exemplaire en grande édition. Je couvre mon plan chinois de notes nécessaires, pour qu'à la seule inspection, en nous promenant, en voie dans quel faubourg du Pékin actuel se trouvait autrefois la ville de Ki, 1121 avant J.-C., ou celle de Yeou-tcheou, en seulement 900 après. Augusto [Gilbert de Voisins] est donc arrivé à Tien-Tsin, où je l'attendais, ce matin à 4 h 37. Pékin, 7 juillet Les murailles ont 10 à 20 m de largeur, au faîte. Nous les avons suivies jusqu'à la porte 15, la plus belle, monumentale, dorée, bleue et verte. Crépuscule trè doux. Ce matin, belle chose, le Temple du Ciel, ce grand espace blanc que tu vois sur le plan de Pékin, au sud de la ville chinoise. Dans un parc immense de thuyas, les thuyas graves d'une pagode, se parsème toute une tribu fixée de pavillons, de kiosques, de ponts, de portes, et surtout, les trois énormes et circulaires terrasses de marbre, embalustrées de marbre, - dallées de marbre, et n'ayant pour coupole immense que le ciel drapé des nues, de l'autel où l'Empereur vient chaque année sacrifier au firmament. Pékin, 12 juillet Je serais parfaitement heureux depuis l'arrivée d’Augusto [Gilbert de Voisins]. Nous nous entendons à merveille et préparons un admirable voyage, et vivons dès maintenant une belle vie satisfaire. Avant-hier nous avons fait notre première promenade aux collines de Pékin. Partis à 7 h avec Yang, l'intendant, un mafou, quatre chevaux, un cuisinier monté sur âne avec sa cuisine et en route bien avant nous, nous sommes arrivés vers 10 h à Pi-yun-sseu, pagode au pied de la montagne. Traversé un village et côtoyé le Palais d'Eté où nous reviendrons à loisir. Pi-yun-sseu, monastère bouddhiste évacué par les bonzes, vide maintenant de gêneurs, et gardé par de discrets acolytes, est une série d’escaliers, de pavillons, de kiosques, d’arcs de triomphe grimpant de la plaine à mi-hauteur de la colline. Nous l'avons couru toute la matinée, et nous y avons trouvé : des choses ignominieuses, et un spectacle inoubliable, obsédant, et Une chose belle : Bouddha nous accorde de nous en rendre maîtres ! Et dans un inoffensif et délabré pavillon latéral, je tombais en arrêt sur ceci : une forme très lourde de poids, très poussiéreuse, très suave. J'en veux balayer la tête, elle me reste à la main... et, essuyée d'un revers, me donne la sensation, le poids et le poli d'une tête Egyptienne... A nous deux nous lavons la statue qui a 60 cm de haut, et nous en tombons immensément amoureux. Quoi faire ? Nous la resalissons avec piété, nous la recouvrons pieusement de terre et de poussière, et nous revenons mélancoliques, à Pékin, avec le sésir furieux de l'obetenir, par quelque moyen. Pékin, 15 juillet Voici nos derniers jours : une exquise promenade au Temple de la Grosse Cloche, à 10 km de Pékin. Je sais que l'Empereur accomplit ici des fonctions millénaires et purement chinoises. Pékin, 21 juillet Nous partons demain matin pour les tombeaux des Ming et Kalgan. Nous ferons encore une autre excursion, les Si-ling, en chemin de fer également, irons voir le Palais d'Eté. La Tout du Tambour. La Tour de la Cloche. Surhaussés de leur tertre de terre, entr'aperçus l'un derrière l'autre au travers de leurs arches déformées, ils se jumellent par le site, la sonorité et le nom : Tchong-leou, Kou-leou. Pékin, 22 juillet Nous partons donc demain, 23, pour les Si-ling, ou Tombeaux Occidentaux de la dynastie régnante, des Tsing. Départ définitif le 1er août, pour Pao-ting-fou où nous déjeunerons, puis Ting-tcheaou, à mi-route sur la voie ferrée entre Pao-ting et T'ai-yuan-fou. Là, première caravane sur Wou-t'ai-chan. A Wou-t'ai, deux jours pour visiter le monastère qui est une des plus belles lamaseries de Chine. Et quatre jours de descente de Wou-t'ai à Tai-yuan fou. C'est à Tai-yuan seulement que nous formons la caravane, - mules, charrettes ou chambeaux – qui doivent nous mener en plein Kansou. On affirme, dans cette province, une grande famine. Nan-K'eou, 31 juillet A Tch'ang-p'ing, première étape, thé, redépart et arrivée après quatre heures pleines de cheval au sud de l'immense plaine encerclée de montagnes que l'ancienne dynastie avait choisie pour sépulture. Le plus noble et le plus puissant en fut Yong-lo, frère du Hong-Wou enterré à Nankin, et dont il détrôna le fils pour s'emparer du trône. Son tombeau est aussi le plus vaste et le plus classique, le plus pur. Le plan en est inévitable : muraille d'enceinte, plâtrée de torchis peint de Rouge. Triple porte, cour, portes, grande pagode au double toit jaune, d'un dessin très beau. Enorme salle de 60 m de long ; colonnade de gros troncs de cèdres de 10 m de haut. Ceci est vraiment de l'architecture. Le tout, au milieu d'un parc. Les autres tombes beaucoup plus petites, mais si reposées, si intimes, si égales et similaires malgré des nuances inattendues. Ce matin, nous sommes sortis d'assez bonne heure de Nan-K'eou (petite ville délabrée, ceinte d'une muraille crénelée) pour remonter en pleine vallée jusqu'à la Passe de Nan-K'eou, porte dans la Grande Muraille. C'est un haut rempart de pierres et de briques, parsemé tous les 100 m de tours de briques crénelées. C'est assez inutile et fort beau. Cela se déroule avec la même puissance à travers monts et plaines. Au nord, c'est encore la Chine politique, mais en réalité c'est déjà toute la Mongolie qui découvre. Pékin, 8 août Voici notre tableau de marche pour douze jours : Partir lundi 9, à 9 h.30. Pao-ting fou, midi. Arriver Ting-tcheou, à 6. Mardi 10 : Partir Ting-tcheou 10 h. Coucher Fou-Ping. Mercredi 11 : Fou-Ping à Grand Muraille. Jeudi 12 : Grand Muraille à Wou-t'aichan. Vendredi 13 et Samedi 14 : Wou-t'ai-chan. Pagodes. 2.000 bonzes. Monastère. Dimanche 15 : Wou-t'ai-chan à Wou-t'ai-hien. Lundi 16 : Wou-t'ai-hien à Tsing-tcheou. Mardi 17 : Tsing-tcheou à Tai-yuan-fou. Et deux jours passés à Tai-yuan-fou pour former caravane. Ting-tcheou, 11 août La partie la plus soignée est toujours la Porte. Celles de Ting-tcheou sont fort belles. Augusto [Gilbert de Voisins] a aperçu quelque chose d'assez saisissant : un mur de 2 m, entourant une sorte de puits de broussailles ; émergeant de tout cela, mais enfoui jusqu'aux genoux, un dos d'homme, les épaules, une tête coiffée du chapeau de cérémonie des Ming. Nous avons escaladé le muretin, sauté à l'intérieur, et nous sommes trouvés nez à nez avec une belle statue mandarinale de bois. Augusto l'a nettoyée de la boue et des feuilles. Tsieou-yang 13 août. Avons atteint Li-yuan-fou, après deux étapes assez dures, mais fort belles. Nous remontons la vallée du Cha-ho. Le pays est merveileusement divers. 14 août. Arrivée à Che-tsouei – voici la vraie montagne. Le point le plus élevé de notre route d'aujourd’hui est un col de 1.350 m, à l'endroit précis où nous atteignons la Grande Muraille. 15 août. Wou-t'ai-chan est une sorte d'élargissement de la vallée que nous avons remontée six heures durant. Petit village insignifiant, mais, tout autour, tout en haut, étagées à perte de vue au flanc des montagnes, des lamaseries par centaines. Tout au centre, un énorme bulbe blanc de forme à peine nouvelle, c'est la Dagoba hindoue, le reliquaire de maçonnerie venu de l'Inde nord. 16 août. A coté de la grande Dagoba est un autre monastère, plus complexe, plus ascensionnel et plus riche. Il contient un grand édifice blanc à deux étages, un petit temple entièrement en cuivre jaune, deux trous à treize étages faites aussi du même métal, et qui, adossées à la montagne, font flèche vers le haut des monts, couronnés de la plus belle chose : le grand temple des lamas mongols, aux tuiles jaunes rehaussées de petit toits bleu-turquoise. Tai-yuan-fou, 24 août Partis de Wou-t'ai-chan très reposés, très ravis des deux jours passés en haute montagne. Mais étape fort dure. De 9 h. du matin à 5 h. du soir. Montons d'abord à un col de 2676 m. d'altitude où nous trouvons toute la flore de l'Engadine, scabieuses, édelweiss. Couchons à Nan-t'ao-t'ou. Départ avec l'aube, et commencée des chemins en Terre jaune. Je n'ai jamais vu d'apparat agricultural plus évident. A Tai-yuan-fou – grande ville aux longues et éternelles murailles crénelées. Alors, j'avais eu une idée de génie : reprendre le chemin de fer qui raccorde Tai-yuan-fou à la ligne Pékin-Han-K'eou, puis l'embranchement qui va de celle-ci à Honan-fou. Cette dernière ville est la plus proche de toutes de Si-ngan. 26, nous arrivons à Piang-yang-fou le 1er septembre, que nous traversons le Fleuve Jaune le 7, et que le 10 au soir nous couchons à Si-ngang, après avoir fait 650 kilomètres, à une moyenne de 45 par jour. Tai-yuan-fou, 25 août Mon Fils du Ciel tient fort bien ses promesses et s'assure un peu tous les jours durant les très longues chevauchées silencieuses. Il aurait cette affabulation : comme héros, un personnage immortel, ou plutôt sans cesse renaissant, phénix du trône, l'Empereur. Première partie : La Chine aristocratique et somptueuse, au faste nombreux, aux raffinements du toucher, des yeux, de tout apparat. Deuxième partie : l'Empereur, tombé du trône et fugitif voit une autre Chine, misérable et précaire, qu'on lui cachait si merveilleusement bien. Son étonnement, ses angoisses. Vive opposition entre la première et la deuxième partie. Sa résolution, s'il redevient Maître, de remédier à tout. Troisième partie : courte, serrée : il a reconquis le trône et son faste. Et tout reprend comme par le passé éternel. Comme matière, toute l'Histoire de tous les Empereurs. Comme drame, la confrontation des deux Chine, impériale et populacière. Comme tissu, quelque chose qu’on n’a pas encore fait : l'histoire humaine d'un héros multiple, changeant et toujours renaissant. Comme exotisme : attitude de cet Empereur en face de son pays. Comme temps d'oeuvrer : quatre ans. Je crois tenir un beau livre. Yu-ts’eu-bien 29 août. Nous avions enfin pris la grand’route, la vraie grand'route impériale, celle des caravanes de jadis. 7 septembre. Nous voici au coeur de la très vieille Chine. Nous allons d'une ville très vieille à une autre plus âgée encore, Piang-yang-fou. La route monte vers la porte d'entrée, qui, semi-circulaire, se bombe vers l'arrivant. Un couloir en demi-lune, entre deux hautes murailles crénelées, mène aux deux baies latérales. Cour intérieure. Troisième porte, et l'on est enfin dans la ville. Au dedans, ville morte, entièrement morte. 8 septembre. C'est une route connue des muletiers, plus courte que la grande, et qui nous met ce soir à Pou-tcheou, à droite du Houang-Ho, que nous traverserons demain soir à Tong-Kouan. Tong-Kouan, 11 septembre Nous avons passé hier le Houang-Ho, changé de province et mis une énorme barrière d'eau jaune entre nous et l'océan. Au lieu de prendre la grand'route, plus longue, j'ai fait suivre le pied des montagnes, les Tchong Kiao. Tong-Kouan est une ville toute en longueur entre monts et fleuve, et lieu de trafic important. Nous serons dans trois jours à Si-ngang-fou. Houa-tcheou, 14 septembre On est allé, au petit matin, explorer la route, la grand'route impériale qui mène à Si-ngan-fou. D'abord j'écris sur mon cahier à peau d'âne le compte précis de la journée, étape et tuyaux renseignants, puis sou la rubrique Briques et tuiles un amalgame de fragments, de proses, d'inventions dont je t'envoie parfois des copies, et d'où j'extrais peu à peu ce qui deviendra Le fils du ciel. J'ai cinquante bonnes pages. J'écris sans difficulté, par plaisir, et sans gêne d'une vie si mouvementée. Je me crois dans une exellente période. Avant-hier soir nous avons couché au Houa-yin-miao, grand temple confucéen situé aux pieds de la célèbre montagne Houa-chan, l'un des cinq monts sacrés de Chine, et le matin nous l'avons visité avec une grande émotion, car le spectacle était fort. En voici quelques échos : "Première cour, peuplée de stèles ; d'un peuple de stèles, sous les thuyas 'graves'. Elles sont innombrables. C'est ici le lieu et le culte des très sacrés et très ancestraux caractères. Immenses, à tenir toute la tablette, ou menus comme les granulations de la pierre ; parfois anguleux et rêches ou bien souples et mordants, éclaboussés encore de l'élan du pinceau, ou si nobles d'être originales, les voici tous, les sphinx à la valeur unique. Il y en a d'épais et d’empâtés. Il y en a de dansants, il y en a de stables, il y en a de vertigineux, où la fougue de tout un art inconnu à l'Europe, tourbillonne. Quand ils restent solitaires, leur sens n'est pas un, mais complexe comme leur histoire. Quand, enchaînés par la logique du discours, ils pendent les uns aux autres, et empruntent leur valeur à ceci, qu'ils sont là, et non pas ici, alors ils forment une trame soudaine, figée pour l'artiste lui-même, et qui n'est plus pensée dans un cerveau mais dans la pierre où ils sont entés. Et leur attitude hautaine, pleine d'intelligence, est un geste de défi à qui leur fera dire ce qu'ils gardent. Ils dédaignent de parler. Ils ne récalment point la lecture ou la voix ou la musique ; ils méprisent les syllabes dont on les affuble au hasard des provinces ; ils n'expriment pas, ils signifient, ils sont." Ces caractères, j'ai pu tous les emporter, grâce aux estampages que les moines en font avec le plus grand soin : ils enduisent toute la stèle d'encre d’imprimerie, la couvrent de papier qu'ils tapotent, et ils tirent ainsi de merveilleuses épreuves dont j'ai une centaine et que tu verras à Canton. Il y a toutes sortes d'époques. Si-ngan-fou, 20 septembre Le plan de Si-ngan est simple : deux longues rues étroites faisant croix, l'une Nord-Su, l'autre, la plus commerçante, Est-Ouest. 21 septembre. Somme toute, on trouve de belles choses. Mais on trouve surtout ceci d'inappréciable en Chine : c'est de sentir à jamais l'art chinois. Puis visite aux Soeurs franciscaines françaises. Et avec les deux missionnaires, pélerinage au célèbre musée des onze mille stèles, le pei-lin, ou 'Fôret des tablettes'. Merveilles, toutes emportables, par honeur, grâce aux admirables estampages dont nous allons choisir des centaines. Résolution d'écrie un Essai très poussé : 'Essai sur les caractères'. Il faut révéler cette sorte d'art, - ni peinture ni littérature, vraiment inconnu à l'Europe. Puis la célèbre stèle Nestorienne, qui raconte toute l'histoire du nestorianisme en Chine, en l'an 735. Vénérable et beau. Si-ngan-fou, 3 octobre Nous avons été claustrés tous ces jours-ci par une pluie incessante. Le Wei-ho est débordé et nous barre la route. Ce séjour forcé est un retard surtout ennuyeux parce qu'il recule ton arrivée. Li-tchouan-bien, 5 octobre Nous avons pu nous enfuir enfin de Si-ngan-fou. Ta-yu, 7 octobre La Terre Jaune a repris, plus excavée, plus tortueuse, plus enchevêtrée que jamais. Comme elle recouvre maintenant des montagnes qui ne nous quitteront plus jusqu'au Kansou, les crevasses sont immenses, et les sentiers passent où ils peuvent. Le paysage se déroule comme un décor. Les routes commencent à se peupler aussi. Lan-tcheou, 24 octobre Nous avons franchi la quatrième et dernière montagne à 10 km à pein de Lan-tcheou, après avoir suivi quelque temps le Houang-Ho retrouvé, plus rapide, plus jaune et plus bouillonnant que jamais. Lan-tcheou est au milieu d'un cirque de montagnes de grès rouge, au sud, de terre jaune et très blonde, au nord. Aucun bâtiment remarquable, mais une popoluation mélangée de Tibétains et plus rude que celle des autres provinces nord. L'intérieur de la ville est rigoureusement le même que celui de toutes les grandes villes chinoises. Un peu plus de fourrures, dont peu de belles. Lan-tcheou, 31 octobre Lan-tcheou a été beaucoup plus agréable et accueillant que Si-ngang. Ville tout d'abord beaucoup plus pittoresque et dont les remparts dessinent sur la plaine le caractère 'chou', longévité. Montagnes blondes, jaunes et rouges, enclosant une plaine de dix km de long, traversée par le Houang-Ho déjà jaune de boue et déjà tumulteux. Nous avons un aperçu du Tibet beaucoup plus intéressant que celui de Kou-Kou-nor. Tout ce pays est franchement tibétain comme montagnes, gens, produits. Et vraiment, cet énorme plateau, le toit du monde, dont nous allons côtoyer la lisière pendant un mois, méritait un coup d'oeil. A Song Pan nous serons à 3.000 m entourés de troupeaux de yaks, de marchands de Lhassa, de caravaniers du Turkestan et de quelques Chinois échangeurs. Mon Fils du Ciel bout d'impatience. C’est un projet colossal. Mon roman bouddhiste prend une excellente tournure. Son titre s'est tassé et est devenu : 'Imitation du Bouddha'. Les notes, les désirs d'oeuvres s'accumulent en moi et autour de moi. Min-tcheou, 8 novembre Trois jours après Lan-tcheou, on a vu les collines encerclantes se piqueter de rouges et de gris, puis les longues stries verticales et blondes devenir plus dures, et s'horizontaliser, et le sol enfin brunir à l'égal des terres de labour en pays d'Occident. Enfin, les forêts commencent. Le pays est splendide et non plus excentrique. Puis nous avons commencé l'ascension de la grande chaîne qui coupe en deux la Chine, les Tsing-Ling, qui vont se raccorder à l'immense ossature du Tibet. Le versant nord en a été splendide. Enfin, depuis deux jours, nous remontons la très belle vallée du Tao-ho. C'est le premier fleuve que nous voyons bleu et clair. Et nous voici à Min-tchou à peu près au tiers de la route de Tcheng-tou-fou. Le Fils du ciel prend corps de la façon suivante : je feindrai que le livre soit écrit par l'annaliste officiel de la période Kouang-siu (le dernier Empereur) ce qui me donnera une trame purement chinoise, très serrée, et qui me permettra, partant d'un terrain plus dûr, de sauter plus librement dans les proses intercalées. Le sujet est énorme, je n'en disconviens pas ; personne ne l'a osé jusqu'ici. J'ai cette bonne fortune que la Chine, milieu immense, soit intacte dans les Lettres françaises. Kieh-tcheou, 17 novembre. A mi-route entre Lan-tcheou et Tcheng-tou. Deux jours après Min-tcheou ont commencé les gorges du Hei-chouei. Mais d'abord il a fallu traverser le torrent lui-même. Les gorges du Hei-chouei nous ont tenus trois jours entier, et ont été splendide. Nous avons décidément renoncé à Song-Pan. 20 novembre. Nous descendons toujours, et jusqu'à Pi-Keou, la vallée du Hei-chouei, plus large, plus jaune, plus heurté encore. Pi-Keou 24 novembre La splendeur des montagnes continue. Enfin nous atteignons Pi-Keou, tête de la navigation sur le Pai-chouei. Mien-tcheou, 3 décembre Voici trois jours de jonque, différents et plaisants au possible.Mien-tcheou est la première ville qui, depuis Pékin, nous en ait vraiment donné l'écho, mais en plus 'pays chaud'. Tcheng-tou-fou, 9 décembre Départ de Tcheng-tou : 15 décembre, par jonque choisie par le Consulat et qui nous conduira jusqu'à Tchong-King. 17. Arrivée à Kia-ting, sur le Min. Arrêt de 4 à 5 jours pour grimper au mont O-Mei-chan, 3.500 m, célèbre et superbe pélerinage des lamaïstes tibétains. 26. Soui-fou. 31. Tchong-King. 2 jours arrêt. 10 janvier. Yi-tcheng 16 janvier. Han-K’eou. A bord de l’Aigrette, sur le Min. 18 décembre Nous avons eu la chance de trouver une excellente jonque. Nous nous sommes embarqués en dehors de la porte Est de Tcheng-tou. Il y a là un canal qui rejoint le Min, plus au sud. Ce canal est exquis. Il se promène dans l'admirable plaine de Tcheng-tou, bientôt rehaussée de collines de terre rouge, de hauts bambous, passe sous ses ponts d'une belle hardiesse, aux cinq arches en dos d'âne, longe un sentier que piétinent les haleurs, et depuis hier, a débouché dans le Min plus majestueux, superbe entre ses coteaux bruns enveloppés de ciel gris. De Yi-tchang nous prendrons le vapeur d'Han-K'eou et débarquerons à Yo-tcheou pour descendre aussitôt le Tong-ting et Chang-cha. Nous nous arrêtons cinq jours à Kia-ting, pour les consacrer au mont O-Mei, le plus célèbre pélerinage bouddhiste de toute la Chine Occidentale. Tchong-King, 2 janvier 1910 Au lieu de tourner de Chang-cha à Canton, nous continuons à descendre le Yangtseu jusqu'à Chang-hai, et de là à faire les ports de la côte, Fou-tcheou, Amoy, Hong-Kong. Tchong-King, 5 janvier 1910 Je ne t'ai pas dit le haut pittoresque de cette ville, bâtie en étagères au coude du Yangtseu qui reçoit le Kia-ling-Kiang, et, d'ici à Yi-tchang va passer entre de splendides montagnes. Wan-bien, 10 janvier 1910 Nous sommes croisés à tout instant par le cortège lent et lourd des jonques montantes, tirées par des centaines de coolies dans les passages durs. Cette navigation vraiment particulière te plairait infiniment bien qu'elle n’ait aucun rapport avec la mer. Ici l'eau est plus rusée, plus nerveuse. Les bateaux s'accommodent fort bien de cet état différent et se modèlent littéralement selon les fleuves pour lesquels ils sont bâtis. Pa-tong-bien-Yangtseu, 14 janvier 1910 Le Sin-t'an, que nous avons passé avant-hier, était d'une grande majesté. Les gorges de Kouei-fou sont les plus énormes que nous ayons vues. Tout le long de la rive, villages, pagodes ou grandes villes, et sur la berge, asséchée aux eaux basses d’hiver, toute une population spéciale de haleurs qui a ses règles, sa discipline et ses moeurs. Chang-hai, 28 janvier 1910 Nous nous sommes arrêtés à Kieou-Kiang infect, et Nankin déplorable : les belles statues d'animaux de Hong-Wou on les a mises en cage ! bois rouge qui les rend odieuses. Nous restons quelques jours à Chang-hai, puis filons sur Tcheou-San, Hang-tchesou. De là à Fou-tcheou, Amoy. J'espère être à Hong-Kong au moins cinq jours avant toit. En mer, vers Nagasaki, 5 février 1910 Nous étions depuis huit jours à Chang-hai. Tu verras que c'est une ville indifférente à qui n'y cherche pas l’américanisme ou le bazar. Fou-tcheou et Amoy nous tentaient de moins en moins, par comparaison avec Canton, qui nous donnera tout ce que nous y aurions cherché : un grand port du sud, tout plein de trafic, de jonques et de couleurs. Alors tout d'un coup, j'ai eu cette idée de nous rabattre sur le Japon si dédaigné. Dimanche 6. Nous passons trop peu de temps au Japon pour nous satisfaire, mais bien assez pour nous mettre en main ce qu'il est. Voici ce que nous comptons faire : nous arrêter douze heures à Nagasaki, grand port trop Européen, six heures à Moji, dans le détroit, traverser toute la mer intérieure du Japon, semée d'îles, de baies, de promontoires, atterrir à Kobé. Là, quitter notre bateau, filer sans retard sur Kyoto, la très ancienne capitale du Mikado, la ville sainte du Bouddhisme japonais, y passer deux jours, prendre l'express pour Yokohama et Tokyo, la capitale actuelle, revenir à Kobé, prendre un grand paquebot allemand qui nous met à Hong Kong le 22 ; remonter immédiatement à Canton, et revenir le 27 à Hong-Kong. |
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2 | 1909 |
Brief von Victor Segalen über Paul Claudel an seine Frau. Pékin, 16 juin Je suis resté deux jours à Tien-Tsin (Tien-Tsin est à 3 H. de Pékin. Voie plate sans intérêt. Pays d'alluvions assez riche). L'après-midi, je me rends au Consulat, et voici Claudel. Froid et aimable d'abord, plus aimable que froid. Tête ronde, yeux porcelaine très vifs ; menton et bouche empâtée comme son parler un peu. Il a reçu mon livre et ma lettres, les a lus. Il me retient longuement. Il m'emmène en voiture pour me montrer Tien-Tsin. D'abord l'église neuve, couronnée des épitaphes des massacrés de 1870. Puis, dans la ville chinoise, vers le temple de Li-hong-tchang, le dernier vice-roi du Tcheli, que l'on vient de écréter dieu. Claudel me parle ensuite fort à la légère de l'hindouisme, qu'il me semble ne connaître qu'à travers [Jules] Michelet. Mais, comme moi, il est d'emblée en Chine, allé vers le Tao-tö King, l'abyssale pensée du vieux Lao-tseu. Et là encore, il ne la pense qu'à travers une vague traduction ; car, - voici le piquant ! Si [Louis] Laloy et moi avions reconnu, clair comme le jour, l'influence du style chinois écrit, sur sa prose, Claudel m'apprend qu'il 'ne sait pas un mot de chinois'. J'ai employé cette matinée aux visites officielles du corps consulaire. |
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# | Year | Bibliographical Data | Type / Abbreviation | Linked Data |
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1 | 2000- | Asien-Orient-Institut Universität Zürich | Organisation / AOI |
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