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Year

1897

Text

Claudel, Paul. Paysages de Chine [geschrieben 1896] : Fête des morts le septième mois, Théâtre, Villes, Tombes-Rumeurs, L'entrée de la terre, Religion du signe, Le banyan. In : La revue blanche ; 1er juillet (1897).
Paysages de Chine II : La dérivation [1896-1897], Portes [1896-1897], Le fleuve [1897] . In : La revue blanche ; 15 août (1897).

Fête des morts le septième mois
« ...La barque part et vire, laissant dans le large mouvement de son sillage une file de feux : quelqu’un sème de petites lampes... Un bras saisissant le lambeau d'or, la botte de feu qui fond et flamboie dans la fumée, en touche le tombeau des eaux : l'éclat illusoire de la lumière, tel que des poissons, fascine les froids noyés. D'autres barques illuminées vont et viennent ; on entend au loin des détonations, et sur les bateaux de guerre deux clairons, s'enlevant l'un à l'autre la parole, sonnent ensemble l'extinction des feux... Le bateau se rapproche, il longe la rive et la flotte des barques amarrées, et s'engageant dans l'ombre épaisse des pontons à opium, le voici à mes pieds. Je ne vois rien, mais l'orchestre funèbre, qui d'un long intervalle, à la mode de chiens qui hurlent, s'était tu, fait de nouveau explosion dans les ténèbres. Ce sont les fêtes du septième mois, où la Terre entre dans son repos. »

Théâtre
« ... Le rideau, comparable à ce voile qu’est la division du sommeil, ici n'existe pas. Mais, comme si chacun, y arrachant son lambeau, s'était pris dans l'infranchissable tissu, dont les couleurs et l'éclat illusoire sont comme la livrée de la nuit, chaque personnage dans sa soie ne laisse rien voir de lui-même que cela dessous qui bouge ; sous le plumage de son rôle, la tête coiffée d'or, la face cachée sous le fard et le masque, ce n'est plus qu'un geste et une voix. L'empereur pleure sur son royaume, la princesse injustement accusée fuit chez les monstres et les sauvages, les armées défilent, les combats s'engagent devant les vieillards, les dieux descendent, le démon surgit d'un pot... L'orchestre par derrière, qui tout au long de la pièce mène son tumulte évocatoire, comme si, tels que les essaims d'abeilles qu’on rassemble en heurtant un chaudrom, les phantasmes scéniques devaient se dissiper avec le silence, a moins le rôle musical qu'il ne sert de support à tout, jouant, pour ainsi dire, le souffleur, et répondant pour le public. C'est lui qui entraîne ou ralentit le mouvement, qui relève d'un accent plus aigu le discours de l'acteur, ou qui, se soulevant derrière lui, lui en renvoie, aux oreilles, la bouffée et la rumeur. Il y a des guitares, des morceaux de bois, que l'on frappe comme des tympans, que l'on heurte comme des castagnettes, une sorte de violon monocorde quie comme un jet d'eau dans une cour solitaire, du filet de sa cantilène plaintive soutient le développement de l'élégie ; et enfin, dans les mouvements héroïques, la trompette... »

Tombes.-Rumeurs
«... La mort, en Chine, tient autant de place que la vie... Les liens entre les vivants et les morts se dénouent mal, les rites subsistent et se perpétuent. A chaque instant on va à la tombe de la famille, on brûle de l'encens, on tire des pétards, on offre du riz et du porc, sous la forme d'un morceau de papier on dépose sa carte de visite et on la confirme d'un caillou. Les morts dans leurs épais cercueils restent longtemps à l'intérieur de la maison, puis on les porte en plein air, ou on les empile dans de bas réduits, jusqu'à ce que le géomancien ait trouvé le site et le lieu. C'est alors qu’on établit à grand soin la résidence funèbre, de peur que l'esprit, s'y trouvant mal aille errer ailleurs. On taille les tombes dans le flanc des montagnes, dans la terre solide et primitive, et tandis que, pénible multitude, les vivants se pressent dans le fond des vallées, dans les plaines basses et marécageuses, les morts, au large, en bon lieu, ouvrent leur demeure au soleil et à l'espace... Les villes chinoises n'ont ni usines, ni voitures : le seul bruit qui y soit entendu quand vient le soir et que le fracas des métiers cesse, est celui de la voix humaine... Chacun croit qu'il parle seul : il s'agit de rixes, de nourriture, de faits de ménage, de famille, de métier, de commerce, de politique. »

Religion du signe
« ... Le Signe Chinois développe, pour ainsi dire, le chiffre ; et, l'appliquant à la série des êtres, il en différencie indéfiniment le 'caractère'. Le mot existe par la succession des lettres, le caractère par la proportion des traits. Et ne peut-on rêver que dans celui-ci la ligne horizontale indique, par exemple, l'espèce, la verticale l'individu, les obliques dans leurs mouvements divers l'ensemble des propriétés et des énergies qui donnent au tout son 'sens', le point, suspensu dans le blanc, quelque rapport qu’il ne convient que de sous-entendre ? On peut donc voir dans le Caractère Chinois un être schématique, une personne scripturale, ayant, comme un être qui vit, sa nature et ses modalités, son action propre et sa vertu intime, sa structure et sa physionomie. Par là s'explique cette piété des Chinois à l'écriture ; on incinère avec respect le plus humble papier que marque le mystérieux vestige. Le signe est un être, et, de ce fait qu'il est général, il devient sacré. Telle est la base de cette religion scripturale qui est pariculière à la Chine. Hier j'ai visité un temple Confucianiste... »

Le fleuve
« ...Le ciel est bas, les nuées filent vers le Nord ; à ma droite et à ma gauche, je vois une sombre Mésopotamie. Point de villages ni de cultures ; à peine, çà et là, entre les arbres dépouillés, quatre, cinq huttes précaires, quelques engins de pêche sur la berge, une barque ruineuse qui vogue, vaisseau de misère arborant pour voie une loque. L'extermination a passé sur ce pays, et ce fleuve qui roule à pleins bords la vie et la nourriture n'arrose pas une région moins déserte que n'en virent ces eaux issues du Paradis, alors que l'homme, ayant perforé une corne de boeuf, fit entendre pour la première fois ce cri amer et rude dans le milieu de la terre inhabitée. »
Gilbert Gadoffre : Dans Le fleuve l'étagement des significations est marqué. Dès les premières lignes on nous présente une analyse du débit du Yangzi qui pourrait sortir de la plume d'un ingénieur hydrographe. Définies d'abord en termes techniques la masse et la force sont alors transposées, situées dans le milieu magique où microcosme et macrocosme se confondent : le lit du fleuve, ses eaux, ses alluvions, s'anthropomorphisent et deviennent artères, sang, plasma. Le poète nous a fait passer successivement par trois registres : le scientifique, le magique et la mythique.

Mentioned People (1)

Claudel, Paul  (Villeneuve-sur-Fère-en-Tardenois 1868-1955 Paris) : Dichter, Dramatiker, Schriftsteller, Diplomat

Subjects

Literature : Occident : France

Documents (2)

# Year Bibliographical Data Type / Abbreviation Linked Data
1 1900 Claudel, Paul. Connaissance de l'Est. (Paris : Mercure de France, 1900). = Claudel, Paul. Oeuvre poétique. Introd. par Stanislas Fumet. (Paris : Gallimard, 1957). (Bibliothèque de la Pléiade ; 125). Publication / Clau1
2 1972 Gadoffre, Gilbert. Claudel et le paysage chinois. In : Etudes de langue et littérature françaises ; 20 (1972). Publication / Clau29
  • Cited by: Romanisches Seminar Universität Zürich (URose, Organisation)