Claudel, Paul. Livre sur la Chine [ID D21908]. [Auszüge (1)].
Gilbert Gadoffre : Les archives de la Société Paul Claudel possèdent un précieux text qui permet de suivre le premier état du projet. Il s’agit d’un ensemble de quarante-hui feuilles de grand format, dactylographiées recto-verso et groupées en sept cahiers.
Index
Idées sur la politique de la France en Chine
Politique de l’Indochine
Faire un répertoire d’idées
Organisation d’une banque française en Chine
Indochine
Conclusions générales
Chap. 1 : La Chine et les Chinois
Chap. 2 : L’Europe en Chine
Chap. 3 : Les missions
Chap. 4 : Les écoles
Psychologie de l’Européen en Chine
Chap. 5 : L’Européen et le commerce en Chine
Chap. 6 : Géographie commerciale de la Chine
Chap. 7 : La monnaie et le Change
Chap. 8 : Industries en Chine
Chap 9 : Entente possible de l’Europe contre le Japon en Chine
« La Chine a beaucoup changé au cours de ces dernières années, plus peut-être que dans bien des siècles de sa tranquille existence passée : Les idées quon se fait de la Chine en Europe doivent aussi changer. Le présent livre a pour ambition de renouveler le fonds de lieux communs sur lesquels les personnes qui sont appelées à exercer une action quelconque sur les affaires d’Extrême-Orient sans les connaître sont bien forcées de vivre ; qu’il soit donc le modeste répertoire qu’un journaliste ou un homme d’Etat puisse feuilleter sans ennui. Les auteurs ont beaucoup pratiqué la Chine. Ils ont pensé ne pouvoir donner une forme plus utile au résultat de leur expérience et se rendre ainsi agréables au plus grand nombre de leurs contemporains qu’en composant un ‘guide-âge’ qui les promènera sans fatigue à travers les poins de vue divers d’un site compliqué. »
Idées sur la politique de la France en Chine
Principes
1) La France n’a pas, en Chine, de ces intérêts que l’on peu appeler nécessaires et organiques : c’est-à-dire dont le développement ou la mise en échec ragit sur l’existence même de la nation et qui sont l’objet naturel de l’attention qu’elle porte au-dehors. On ne saurait la comparer à ce point de vue au Japon, à la Russie, ni même à la Grande-Bretagne.
2) La France a en Chine trois espèces d’intérêts positifs : 1. des intérêts politiques et locaux du fait de ses possessions d’Indo-Chine ; 2. des intérêts commerciaux ; 3. des intérêts financiers, du fait du mouvement de fonds qu’entraînera la réorganisation économique et administrative de l’Empire Céleste.
3) Le rôle de la France en Chine est donc essentiellement un rôle de conservation et de progrès ; elle désire sincèrement la paix et la prospérité de l’Empire à titre de voisin, à titre de client et à titre de bailleur de fons.
Chap. 1 : La Chine et le Chinois
(1. Le pays. 2. La civilisation. 3. L’administration. 4. Le peuple).
1. Un pays est une chose qui a une forme et qui est caractérisé par une direction. Ex[emple] : L'Allemagne est une plaine orientée, vers le S[ud]-E[st]. Un pays est une civilisation, un groupement social au service d'une direction géographique. La Chine est close de tous les côtés (Thibet, Montagnes du Sud, déserts du Nord, solitudes de la Sibérie) : c'est un pays fermé, avec des communications naturelles faciles entre ses bassins. C'est un pays de production homogène qui suffit à tous ses besoins dans toutes ses parties, chacune produisant elle-même pour tous ses besoins : riz, produits textiles, blé, etc. : pas besoin des autres pays. Comme la terre est riche, la population est dense ; la circulation est intense et courte dans la vieille Chine, qui se procure à de faibles distances tout ce qui lui est nécessaire ; c'est une circulation « capillaire ». Pas de spécification organique (tout ceci doit être présenté sans explications, ni discussion, sous forme d'énoncés oraculaires, d'affirmations).
L'état politique de la Chine est le produit d'une nivellation spontanée ; c'est un immense bien-fonds : ayant les mêmes besoins partout, cela supprime les différences politiques, conséquence de la suppression des différences sociales. Les principautés existant du temps de Confucius se sont détruites d'elles-mêmes : les cloisons entre les parties ne séparaient pas des choses différentes et ont disparu par la force des choses ; l'amalgame était forcé puisque tout était pareil, les divisions politiques tenaient plus à des circonstances de hasards locaux qu'à des différences réelles.
L'état social de la Chine résulte d'une exploitation de la terre aussi minutieuse que possible et s'est étendue à mesure que la mise en culture des terres refoulait les peuples plus loin. L'état politique s'est forcément unifié à l'état social. C'est une formation qui s'est produite sans réaction du dehors ; c'est un produit foncier. Les guerres avec les Turcs n'ont affecté que les frontières ; l'intérieur est resté à l'abri de toute attaque sérieuse. La grande invasion mongole du XIIIème siècle n'est qu'un accident passager de 70 ans.
2. La civilisation. - Le trait dominant créateur de la civilisation chinoise est la transaction. La Chine se présente comme un immense bien-fonds ; c'est une masse de terre arable compacte qu'il s'est agi d'aménager. Ce trait domine toute la civilisation chinoise et les mœurs du pays. Elle a un caractère réel au sens juridique c'est-à-dire (en donnant au mot un tour de main) un caractère réaliste. Le contrat et la transaction aussi sont d'une très grande antiquité, toutes les formes d'achat, vente, hypothèque, etc. dominent la civilisation ; l'accommodation de la terre à la population ; aménager la terre par l'agriculture, construire des canaux, tout est basé là-dessus. Si l'on veut trouver l'équivalent d'une civilisation autochtone, agricole, foncière, c'est l'Egypte. Caractère démocratique de tous les pays de population dense : l'Egypte. De cette habitude et nécessité des contrats s'est formé le trait principal du caractère chinois, de tout régler par des compromis, par des titres. Cette civilisation a une immémoriale accoutumance de l'homme à la terre et de la terre à l'homme ; ils ont pris l'habitude l'un de l'autre, si bien que l'on a pu dire que les saisons obéissent au calendrier impérial, les périodes du grand froid, du petit froid, le réveil des insectes dans toute l'étendue de la Chine, correspondent du Nord au Kouang-si, aux indications impératives, prophétiques du calendrier.
3. L'administration. - De ce caractère foncier, réel, de la terre résulte l'importance prise par les scribes, ceux qui enregistrent les contrats : la forme, la formule, la stèle, le titret la fiche, la brique, tout ce qui sert à l'enregistrement des contrats. A Suse, on a trouvé au fond des puits d'énormes accumulations de briques contenant tous leurs exercices (?)... Étant donnée la nécessité du caractère authentique des contrats, les greffiers étaient la conséquence sine qua non. Le scribe est devenu par là même le maître du pays comme dans les vieilles civilisations de l'Assyrie. Un célèbre passage d'un papyrus égyptien exalte l'importance du scribe « pas marin, pas soldat... ». Ce trait explique toute la civilisation babylonienne. La répartition de la terre et de l'eau, deux choses sur quoi vivent les vieilles civilisations agricoles babylonienne et égyptienne ; le contrat
est la base et la stèle qui le constate. L'administration est déterminée tout entière par l'écriture. Cette civilisation actuellement est très intéressante, car elle présente l'état des plus anciennes civilisations telle que les Elamites. Le caractère n'est pas du tout basé sur des principes idéalistes de bien public, de justice absolue. Ce sont des idées étrangères à la civilisation chinoise, appartenant à des couches d'idées extérieures à la Chine, à l'Asie antique même. Cette vieille civilisation chinoise éprouve le besoin de parasiter, exactement à la manière des sociétés animales ; ce parasitisme soulage tout le système, aplanit les inégalités sociales qui peuvent se produire ; elle régularise, réglemente les conflits qui peuvent se produire et au besoin les provoque. Le parasite est attiré et s'applique là où il y a pléthore dans ce corps social. Jamais une grande fortune ne dure en Chine, n'est ancienne et ne se perpétue. On estime que celui qui a fait fortune en jouit de 10 à 15 ans, puis le mandarin intervient et vous engage dans une affaire où l'on vous ruine, ou pressure. L'administration est une couche sociale superposée à une autre, comme dans les sociétés animales, la réglementation et la régularisation des conflits amènent le soulagement des inégalités ; le corps social a besoin d'être exploité, débarrassé de son trop-plein et il se produit ainsi un certain niveau constant auquel il est toujours ramené. Les conflits d'intérêts sont nécessaires au bien public, ils empêchent les trop gros monopoles, la puissance excessive des associations, corporations, congrégations qui, en Chine, se créent naturellement et sans cesse par une sorte d'organisation spontanée, de force nécessaire.
Ainsi : sociétés de scribes et sociétés d'exploiteurs : l'exploitation est légitime et bienfaisante.
4. La psychologie du Chinois. - Aussi difficile que la psychologie de tout autre peuple ; cependant ils se ressemblent plus entre eux que n'importe quelle autre nation et présentent en somme moins de différences. On peut dire trois choses : 1° Ce sont des rats, sales, pullulents, granivores, rongeurs, il a une queue, des dents avancées et « ces yeux impitoyables », ricaneurs, curiosité inintelligente éternellement renouvelée, sans tact, sans pudeur, sans initiative, fuyant brusquement, puis acharnés en légions se ruant à l'assaut. 2° Ce sont des commerçants avant tout, qu'ils soient agriculteurs, marins, industriels, ils évaluent toujours leur travail à sa juste valeur ; quoi qu'il fasse, le Chinois vend tout son travail, donnant le moins possible pour le plus possible. 3° C'est un être collectif : ceci est la clé de toutes ses bizarreries. Pour le reste, sa psychologie est la même que celle des autres hommes ; il éprouve de même des sentiments, des passions, il a des instincts, une intelligence qui ne diffèrent pas sensiblement des nôtres, sauf l'absence de nerfs. Mais il tient à la même tige, fait partie d'une touffe. Il est forcé dans toutes ses actions de tenir compte d'une quantité de choses : moeurs, habitudes, état social.
Ainsi la Chine est un immense réservoir, un amalgame compact qu'on ne sait par où prendre. C'est une civilisation élaborée en vase clos, d'après des bases très anciennes qui ont disparu des autres races ; elle a été soustraite à toute comparaison. Dans ce pays homogène composé de terre arable s'est développée une civilisation basée sur le contrat ; la classe la plus importante est celle qui rédige le contrat, c'est le scribe. La conséquence c'est que le Chinois n'est pas un être déraciné ; il tient au sol par toutes ses racines et à la touffe dont il n'est qu'une partie. C'est là le vieil état de la civilisation chinoise qui tend à se modifier de plus en plus. Cependant cela tient à des nécessités foncières qui ne peuvent disparaître : cette immense quantité de terre arable continuera à être cultivée. Mais la circulation est insuffisante et devra se développer ; actuellement il n'y a que les canaux, les sentiers.
Hammabi et les lois de l'eau. Parker remarque qu'à l'inverse des pays d'Europe où la civilisation a été apportée par la mer, par la Gaule, la civilisation en Chine s'est développée de l'intérieur, du continent et peu à peu la masse continentale a refoulé et gagné vers les côtes, refoulant les populations autochtones dont les populations côtières n'ont encore qu'une assimilation incomplète : la grande variété des langages et dialectes patois n'existe que sur la côte. La Chine n'est arrivée à la mer qu'à la fin de son évolution. Le régime du commerce européen en Chine est très spécial : les rapports anglais, toute une énorme littérature spéciale, très consciencieuse, mais avec les défauts anglais, aucun ordre, un manque d'idées absolu, des renseignements très précieux, mais noyés ; mine de renseignements qu'il faut péniblement extraire.
La prése[nce] et la situation des Japonais en Chine [sont] complètement artificielles ; le Chinois déteste le Japonais, les mandarins leur sont hostiles ; aucune sympathie de nature ; le Chinois préfère le blanc, l'Européen ; mais il est lâche, peureux, et très effrayé des airs de Matamore pris par les Japonais. L'action de ceux-ci est uniquement extérieure, violente, mais elle se caractérise par une impudence, une audace sans frein ; ils ont essayé de fonder des banques, des écoles, des maisons de commerce : façades vides ; des lignes de navigation qui ne vivent que des subventions de la métropole.
Chap. 2 : L'Europe en Chine
Cette civilisation s'était développée sur elle-même et était restée fermée, aussi étrangère à la nôtre que les anciennes civilisations de Babylone. Les Européens qui avaient évolué se trouvèrent en contact avec elle au milieu du XIXème siècle. Ici se pose la question :
1° Quel est le droit d'un pays à rester fermé ? Les autres nations peuvent-elles l'obliger à s'ouvrir ? En vertu du droit qu'a un organisme de communiquer avec toutes ses parties, on est intervenu : on envoie des expéditions dans les champs glacés du pôle, dans les brûlantes régions désertiques du Sahara : comment s'imaginer qu'un peuple de 300 millions d'hommes puisse prétendre échapper à la connaissance et aux rapports avec les autres ; comment admettre qu'une si grande partie de l'humanité reste fermée, soustraite à la circulation des grands courants commerciaux et civilisateurs.
2° L'action de l'Europe a-t-elle été utile ou nuisible ? nuisible certainement. La Chine se suffit, mais absorbe sa production, ses productions laissent rarement un superflu ; elle n'a pas ainsi de monnaie d'échange fixe constante avec l'extérieur (Remarquer le rapport de Bauer (maison suisse) en 1899 sur la situation du commerce North China Herald). On peut apprécier le dommage causé à la Chine : la grande voie commerciale, le sens dans lequel se fait le mouvement était du Sud au Nord, il se faisait d'abord par la côte et aussi par la grande voie intérieure du Méelin (Canton) Rivière de l'Ouest ou du Nord [Blanc - En marge : leur seuil ?] montagneux : le Méelin, entre Kouang-toung et Hou-nan, puis par le lac Toung Ting ou le lac Poyang et le Grand Canal ; dans le sens de la latitude car les productions ne varient pas dans le sens de la longitude (les chemins de fer du S[ud] au Nord payent toujours mieux, même en France sur de petits trajets). Le récit de l'Ambassadeur Macartney en 98 relate déjà l'extrême intensité du commerce par cette voie. Les Européens ont reçu dès leur arrivée le droit exorbitant de cabotage, ce qui a ruiné le commerce du Méelin et causé de grandes souffrances. La population chinoise très dense vit toujours à la limite de la famine, tout le peuple de la batellerie et des jonques, des porteurs a beaucoup souffert : le commerce du riz a passé par le cabotage à vapeur. Plus tard la Chine a créé la « China Merchant » avec Li Hong-tchang et son âme damnée Cheng. Un autre dommage venant des Européens a été celui résultant de l'opium qui a sensiblement détérioré la classe des mandarins qui a beaucoup baissé ; or ce commerce a été toute la politique de l'Angleterre pendant bien des années et ce sont les Sassoon, les juifs de Bagdad d'abord, puis Bombay puis la Chine où ils possèdent une grande partie des concessions de Shanghai et Hankéou. Ainsi double dommage porté à la Chine par l'opium et le droit de cabotage extorqué par l'Europe au nom du droit du plus fort ; les deux ont abaissé le niveau de l'administration chinoise et causé d'énormes souffrances. Autre dommage : depuis longtemps la balance du commerce est au détriment de la Chine, la différence devenant de plus en plus sensible ; l'administration des douanes cherche à pallier cette différence en disant que bien des éléments d'appréciation nous échappent : par l'argent payé aux coolies sur les concessions, l'argent apporté par les missions, le commerce par voie de terre. Mais réciproquement il faut tenir compte des intérêts de la dette chinoise devenue assez considérable. Il y a un débet annuel considérable de la Chine qu'on pourrait trouver dans les comptes de Trésorerie des Directeurs, s'ils étaient faits sérieusement La Chine a été ainsi appauvrie par le contact des Européens. Ajoutons les indemnités à payer à l'Europe, qui s'aggravent de jour en jour et qu'il faut multiplier par 10 au moins pour avoir une idée de ce que paye la population ; de là résulte aussi une dépréciation de l'argent par suite de la nécessité d'acheter de l'or. Tout cela pèse sur une population très pauvre, comme celle de l'Inde toujours à la limite d'une famine. Avant l'arrivée des Européens, c'était un pays clos, plein, se suffisant sans produire de superflu ; le contact avec l'Europe a causé de vives souffrances - Autre cause plus grave et plus profonde : c'est le contact de deux civilisations sans points communs dont l'une a exercé sur l'autre une action destructrice ; en Chine il n'y a pas d'organisation méthodique. C'est une masse amorphe qui tient par une sorte de force agglutinante des moeurs, des habitudes se maintenant par une force centripète, parce qu'elle était isolée ; du moment où il y a eu des sollicitations extérieures, des actions exercées de l'extérieur, comme elle ne possède pas d'armature extérieure, pas d'organisation comportant un échange raisonné de services, comme ce qui existe en Europe, il s'est produit des troubles profonds, des désagrégations. Jusque-là on vivait ainsi parce qu'on ne pouvait faire autrement, ni on n'en avait l'idée ; la Chine se maintenait par la force des habitudes. La grande différence avec l'Europe, ce dont la Chine ne peut se faire une idée, c'est la règle uniforme appliquée à tout le monde également ; l'idée d'une règle générale est difficile à comprendre par eux, que chacun ait à payer la même chose à la douane, l'idée d'une règle extérieure uniforme, mathématiquement imposée à tous est pour eux inadmissible. Tout est question de marchandage, compromis individuel, telle est la situation de l'individu, telle est la somme à payer (cela est ainsi aussi pour l'achat des objets par les mandarins, par rapport à la position occupée, au nombre d'intermédiaires nécessaires) : autant de personnes, autant de compromissions différentes, de moyens différents de s'arranger. Les droits de douane donnaient lieu à des marchandages indéfinis : c'est universel, cela se passe d'ailleurs encore ainsi quand les Chinois se retrouvent entre eux seuls, on a le moyen de retarder et compromettre les examens de douanes pour les obliger à payer un tour de faveur. Ce qu'on paye dépend de la situation de la personne. Une unité rigide, extérieure, mécanique, imposée à tous sans distinction, voilà le régime que l'Europe apporte avec elle partout et dont elle ne peut se passer : les Chinois ne le comprennent pas. Ainsi l'Europe par là a apporté une perturbation profonde dans cette vieille organisation depuis 1840 ; on en a ressenti profondément les effets, doublement : 1° trouble intérieur et 2° difficulté de plus en plus grande d'exercer une action à la périphérie (Ex[emple] les Taipings 1852, attribuables directement aux Européens puisque le fondateur est un élève des missions protestantes ; les Wangs, les 7 rois, le Grand Roi de l'Ouest, le principal fondateur de la secte des Longs cheveux ; de plus, leur doctrine est une caricature de la religion chrétienne : cette rébellion a été créée indirectement par l'Europe et aussi étouffée par elle directement. Autre exemple : les Boxers si pitoyablement réprimés en 1900 par l'Europe.)
Ainsi, troubles intérieurs, convulsions violentes d'un organisme qui cherche à résister et pouvoir régulateur affaibli. Le pouvoir d'élimination, l'exutoire des concours qui occupe et emploie les intelligences par des examens continuels, a diminué beaucoup.
La détérioration de la classe mandarine est un autre dommage très grave : voyant leur autorité très diminuée, leur dignité disparaître, ils n'ont plus confiance dans leur hiérarchie et dans l'appui du pouvoir central, ils ne cherchent plus qu'à gagner de l'argent par tous les moyens ; la préoccupation du bien général a disparu complètement. On ne trouve plus de ces grands fonctionnaires honnêtes comme autrefois : Tchang Tche-tong est la dernière épave des fonctionnaires anciens. Cela provient de la décomposition de l'organisme, chacun cherche à tirer à soi la couverture ; il n'y a plus de contrôle du centre aux extrémités ; il n'y a plus de ces vieux patriotes chinois dont la férocité fanatique est un modèle pour les Chinois comme ce « vieux Chinois » vice-roi du Chan-si [Yu-hien] qui a fait commander de si épouvantables massacres en 1900 ; (les missions protestantes ont fait un rapport secret si épouvantable qu'on a jugé imprudent de le livrer à la publicité pour ne pas soulever d'indignation l'Europe ; seules les missions catholiques et protestantes en ont eu connaissance).
Le manque de confiance dans le pouvoir et la recherche d'un nouvel ordre de choses se traduisent par des émeutes : et ces troubles se produisent sur la grande voie, du Sud au Nord, du commerce, les Taipings venant du Kouang-si.
2° Autre effet de l'intervention de l'Europe. - Diminution de l'influence extérieure de la Chine et impuissance à retenir les anciens royaumes tributaires et les provinces extérieures éloignées de Pékin : Ex[emple] Annam 1885, Birmanie, Lieoukiéou 1873 au Japon, insurrection du Yunnan, Kachgarie aux Yakoublihan en 1873, insurrection du Chen-si, la Corée en 1894, tout le système d'état qui gravitait autour de la Chine. (En 1797 Kien-long faisait une expédition au Népaul). Aujourd'hui enfin le Thibet, dernier pays tributaire de la Chine, se détache. La vie se retire des extrémités et au-dedans il y a des troubles et des convulsions (plus tard on verra pourquoi ce résultat). L'Europe s'effraye de cette action dissolvante si rapide que dès 1842, 10 ans plus tard, la Chine est sur le point de tomber en décomposition ; il faut lui prêter des soldats pour maintenir la dynastie et la centralisation du pouvoir au moment où on la combat (Gordon, Giquel, etc). En même temps on introduit un service administratif organisé, le Service des Douanes. Partout où va l'Européen il porte son administration avec lui, établissant un régime nouveau qui sauvegarde ses intérêts, mais accélère la dissolution ; le système s'est développé, après les Douanes il a embrassé toutes les questions de navigation, le service des phares, la poste, la navigation intérieure, les likins, les douanes chinoises ; c'est une tache d'huile qui s'étend, non par suite d'un plan préconçu, mais au hasard des événements et d'une direction autocratique. Ce système des douanes ne mérite pas sa réputation ; il est très onéreux par rapport aux services qu'il rend ; il a été l'objet des plus vives plaintes du commerce britannique pendant longtemps de 1860 à 1870 constamment, puis l'autorité de Sir Robert Hart a grandi, il a fait tout accepter en raison des services ; les statistiques sont très mal /ailes et suspectes, incomplètes, beaucoup de choses leur échappent. (Étude de Brenier sur la position respective réelle de la France et de l'Angleterre en Chine 1903). Pour toute l'Europe il n'y a qu'une rubrique en bloc avec des contradictions incroyables dans les chiffres. Pour les États-Unis, le chiffre seul du pétrole est supérieur au total indiqué par ses importateurs ; pour l'Angleterre, tout est distingué, chaque colonie. De plus, toute une partie de l'administration est secrète, ce qui est incroyable et contraire à cette organisation établie conventionnellement par les traités. Elle n'est pas même à l'abri de la critique au point de vue de la concussion et on ne peut empêcher les Chinois entre eux de squeezer pour l'examen retardé des objets ; les Européens même ne sont pas toujours à l'abri de tout soupçon. Le personnel est très médiocre et trop payé pour ses services : il ne mérite pas sa renommée. Le seul mérite c'est qu'il donne des chiffres certains pour le commerce ce qui oblige les mandarins à verser réellement à une banque spéciale sous le contrôle chinois [Sir R. Bredon]. Les Douanes sont un des moyens employés par les Européens pour consolider la Chine et maintenir leur commerce. Par la force des choses cette administration s'est étendue et Sir Robert Hart rêve de retendre à une réorganisation de la monnaie. Le régime intérieur chinois devenant cependant de plus en plus mauvais, on en arrive à la perspective immédiate d'une dissolution de la Chine. On prit des précautions : 1° la porte ouverte, mais les Chinois créèrent aussitôt tout un système inextricable de portes entrebâillées comme dans les rues chinoises, ouvertures si incommodes où il faut savoir se faufiler ; le régime intérieur des likins est une création récente pour se défendre contre l'Europe ; dans le Nord il n'y en a pas. Il y aurait un livre à écrire sur les efforts de l'Europe pour échapper à ces droits grâce aux passes de transit inappliquées ; on retrouvera des polémiques indéfinies dans les archives de la chambre de Commerce de Shanghai ; pendant 40 ans l'Angleterre s'est défendue contre les likins, toute sa politique y était engagée ; depuis 1898, changement de front, ils sont reconnus, obtiennent une existence conventionnelle et servent même en partie à couvrir un emprunt anglo-allemand (partie des likins du Tche-kiang et du Hou-pé) ; en 1900, nouvelle consécration : on prévoit que certains likins seront admis par la Douane qui n'en publie pas les statistiques. On est obligé d'envisager la création de ce régime. Cette fameuse porte ouverte à laquelle Lord Ch. Beresford attachait tant d'importance. Cela revient à la clause de la nation la plus favorisée ; pas de régime différentiel ; le mot est impropre. En résumé, le système d'entraves a été augmenté par les likins, il n'y a pas eu de progrès réel. Aussi a-t-on passé à une autre politique, celle des sphères d'influence, ouverte par l'Allemagne à Kiao-tcheou en 1898, c'est le « Break up of China » de Beresford, chacun prend ses positions pour la dissolution de la Chine : les nations comme la France et l'Angleterre prennent position de fait sans chercher à développer leur acquisition, dans un cul-de-sac qui n'aboutit à rien ; les autres comme la Russie et l'Allemagne prennent des positions de politique pure. La Russie et l'Allemagne, au contraire font de la politique à très grande envergure qui tend à englober des morceaux énormes de la Chine. Au point de vue diplomatique, la campagne russe est magnifique ; mais elle a été trop loin, bluffé, n'a pas été finalement assez forte. Reste l'Allemagne qui poursuit la campagne d'assimilation du Chantoung.
Ainsi la Chine complètement fermée à l'Europe se trouve par son contact avec elle profondément troublée, dérangée dans ses aplombs, elle cherche à se retrouver et [subit des] convulsions intérieures. L'Europe inquiète de cette dissolution si rapide de la Chine cherche à réparer le mal en l'organisant, puis prévoyant la désorganisation mortelle elle prend des positions politiques. Aucune mesure jusqu'ici n'a servi pour retrouver la cristallisation chinoise, l'équilibre amorphe, instinctif existant par une sorte de consentement tacite qui est devenu impossible à la suite du dérangement venu de l'extérieur.
L'histoire de ces rapports est celui des efforts des Européens pour empêcher la catastrophe trop rapide ; aujourd'hui la décomposition est complète ; il n'y a plus rien à faire. Les Chinois refusent tout ; même ce qui est prévu formellement par les articles des traités ne peut être obtenu, à moins d'une grande pression des Légations, si les intérêts sont suffisants.
La Chine est un produit artificiel ; si l'Europe se retire d'elle, elle tombera en décomposition, en pourriture ; politiquement c'est une fiction diplomatique ; l'administration chinoise n'existe pas par elle-même, c'est un organisme parasite, superposé. (Francqui disait que l'on peut tracer une ligne, celle du chemin de fer Canton-Hankéou-Pékin : tout ce qui est à l'Est est la partie détachable, même par une désagrégation, et subit l'action de l'Europe ; tout ce qui est à l'Ouest, c'est la vieille Chine, intacte, qu'il faut laisser mûrir). Il reste la force agglutinante des mœurs, des mêmes habitudes ; ce qui reste solide en Chine c'est la force d'une civilisation agricole, conservatrice. Mais elle a besoin de s'organiser : elle ne peut continuer à vivre avec ce régime spongieux : il faut créer de grands organes de circulation, les anciens, route du Méelin, grand canaux sont abandonnés, ensablés. Il faut de grands troncs artériels, des routes qui rétablissent l'unité dans le pays et ne peuvent être l'œuvre que d'une administration européenne qui arrêtera ainsi la dissolution de la Chine au contact d'une civilisation différente de l'Europe.
Chap. 3 : Les Missions
Les commerçants en Chine ne font des affaires que sur les concessions et sur de rares points de l'intérieur ; ils ne cherchent pas à tirer parti des missions toujours prêtes à rendre service, à servir d'intermédiaires, à les mettre en relations directement avec les Chinois ; on ne cherche pas à se servir de cette force énorme que donne le contact direct avec la Chine.
1° Historique. 2° Répartition géographique.
(D'abord ce fut le désordre complet qui a causé la perte du Japon pour le christianisme : livre traité de main de maître par le P. Louvet : Les Daimios chrétiens du Japon et l'Aubin, psychologie du missionnaire).
Il faut distinguer les missions protestantes limitées à un rôle éducationnel ; hôpital, écoles ; ils ont exercé une influence énorme au point de vue du développement des idées libérales et révolutionnaires. Le Chinois élevé par eux devient un hybride, tandis que le Chinois chrétien remplace simplement le culte des tablettes par les images saintes et reste chinois.
Utilité des missions. - Elles pourraient rendre de grands services aux commerçants. Les missions ont une connaissance complète du caractère chinois, ont avec lui le contact immédiat, des relations très fortes, des rapports directs et constants. Livre de l'abbé Hue sur l'Empire chinois, livre très supérieur aux voyages en Mongolie et au Thibet, compte rendu de Pelliot des Écoles d'Extrême-Orient, livre classique comme celui de Tocqueville sur les États-Unis ; il y a aussi une multitude de faits précieux dispersés dans le « Bulletin de la Propagande ».
On se rend compte que l'administration est simplement superposée, n'est qu'un parasite et n'administre pas ; les missions pourraient renseigner les Consuls mieux que personne et disposer le terrain pour une action commerciale ; la mission mettrait en rapport direct le commerçant avec le consommateur. (De l'Écho de Chine, monographies d'ouvriers chinois, de métiers, du P. Korrigan, jésuite de Wou-hou, véritable petite encyclopédie des métiers chinois. Claudel sous le nom de Figulus fait en 1898 des articles de bibelots, un sur [blanc].
On reproche aux missions d'absorber l'influence française, de multiplier « les affaires », mais plus il y en a et mieux cela vaut avec la Chine ; c'est une monnaie d'échange, monnaie courante des transactions ; il ne faut pas les fuir. Si la France a une position en Chine, c'est dû uniquement aux missions et non à son commerce (qui dit catholique dit français, les Chinois se disent aussi « francs », fille de Gotta. [blanc] au Japon. Influence française et anglaise (protestante).
La situation de désorganisation actuelle de la Chine est défavorable aux missions. Jamais la Chine n'a été tolérante à l'égard du christianisme ; la prétendue tolérance des bouddhistes est inexacte (compte rendu excellent du livre de Groot (du Bulletin des Écoles d'Extrême-Orient) et avisé de Maître, article magistral d'exposé sur les causes de la guerre russo-japonaise et historique des faits).
Action personnelle du P. Robert qui amène les capitaux chinois ; l'extension de la concession lui est due, il a fondé un journal, sauvé Racine, etc. Tous les rapports des commerçants, des Consulats avec les Chinois se font par l'intermédiaire du P. Robert qui met en relation avec les gros capitalistes chinois, tous méfiants, qui ne traitent qu'avec ceux qu'ils connaissent et avec qui ils sont en confiance. Le caractère chinois exige toujours un intermédiaire. C'est le rôle que joue la mission, car la position officielle du Consul les effraye.
Les missions pourraient dans l'intérieur de la Chine contrebalancer l'influence japonaise et résister à leur action : elles ont un besoin énorme du gouvernement français qui ne demande rien en échange. Pratiquement, elles ne rendent pas service au commerce français qui n'existe pas. On ne s'étend pas dans l'intérieur. Le caractère français préfère, d'ailleurs, crier toujours contre les autres que d'agir.
Chap. 4 : Les écoles
Dans la suite du développement des relations entre la Chine et l'Europe viennent les écoles.
La première idée qui vient à l'esprit quand il s'agit de réformer, c'est par le moyen de l'éducation. Le Chinois, par essence, est un être studieux, il aime aller à l'école, les relations de professeur à élèves ont une grande importance dans toute la vie, sont sacrées : c'est une des 5 relations sacrées établies par Confucius. Le Chinois toute sa vie va à l'école ; il y a des récompenses spéciales pour les vieux étudiants de 80 ans qui continuent à se présenter aux examens. (Renseignements sur examens : Vetch). Le temple de Confucius de Foutchéou avec les 7 puits de science, de la forme de la Grande Ourse, qui est la constellation des Lettrés ; cela vient du Véda, ce sont les 7 rishis, les 7 sages. Le respect de l'étude est si grand que le marmiton, élève de cuisine, est « student », le 2ème boy apprenti ; tout prend ce nom. Le jeune chinois de 8 ans a des facultés inouïes pour apprendre, il met une application inlassable à l'étude 40, travaille dix heures par jour sans fatigue : ils considèrent que c'est un métier d'étudier, qu'on doit être payé pour étudier ; c'est un but de la vie ; « que fait votre fils ? - il apprend « l'anglais », c'est une profession, les lettres sont un métier. On ouvre une école, les Chinois y affluent de suite ; le fait seul d'apprendre exerce une attraction ; on ouvrirait des cours de sanscrit, d'iroquois, on aurait des élèves en Chine ; d'ailleurs savoir quelque chose de spécial vous donne une position (comme chez nous cela fait vivre son homme, toutes les langues étrangères) un esprit studieux y trouve à vivre de sa science, à [blanc] : tout aboutit à cela. Il ne faut pas croire que cela répond à un besoin réel, ce n'est pas nécessaire. Cependant à Souifou, les gens que l'on paie ne viennent que pour cela et prolongent leurs études ; si on les fait payer, très peu cependant, car ils ne sont pas riches, cela vaut mieux, mais ils veulent aussi tirer parti de suite dès qu'ils savent quelques mots ; et puis ils se considèrent comme clients de la France, on leur doit une place (le lettré de Bons qui ne veut pas faire du commerce). Il ne faut pas s'émouvoir des contradictions : en Chine on admet de suite le contraire près d'une vérité constatée.
Ainsi si l'on veut que la Chine se mette à l'école de l'Europe : 2 moyens.
1° Ecole ; 2° Missions de jeunes Chinois venant s'initier à la science en Europe. Ce second moyen a été employé d'abord ; aussitôt après la guerre de 1857, mission en Amérique sous la direction de [blanc] ; d'autres missions envoyées par la douane en Angleterre sous la direction de Lay (Sir Robert Hart s'en débarrasse comme d'un rival) mission en Allemagne. Le meilleur exemple ce sont les missions envoyées par Giquel sous la direction de M. de Segonzac entre 1870-1878, tradition reprise en 1898 après le second contrat de l'Arsenal, une autre mission fut envoyée en France sous la direction de Lin fusillé comme espion par erreur en 1900. Le Directeur général de ces missions Ou-Tai-tchang résida longtemps en France, chargé de la direction de ces jeunes Chinois, invité constamment à dîner dans le monde, trouvait à se nourrir, mais les autres ne recevant rien étaient affamés : ils ne restèrent que 3 ans (5 ans est le minimum pour pétrir à notre influence ces esprits) - un de ceux-là est vaguement interprète à Yunnan-sen. Depuis les étudiants sont envoyés au Japon (quelques ingénieurs dernièrement en Belgique).
La 1ère des Écoles fut celle de la Douane, le collège de Toung-se-Suan à Pékin.
Les Écoles protestantes. - (Enquête générale faite par la Légation, prescrite par S. Pichon, reprise par M. Dubail). Ils ont consacré énormément d'argent et de travail à cette œuvre : ils ont fondé des écoles de filles, des écoles professionnelles, des sortes d'universités, de grands collèges (rapports de Doire sur l'œuvre éducationnelle des protestants en Chine).
Les écoles non confessionnelles anglaises et américaines : deux à Shanghai ; d'Allemagne à Ichang et Chantoung. École française : celle de la Municipalité française de Shanghai qui a très bien réussi, à Tientsin, à Pékin, grande utilité pour fournir les interprètes, chemin de fer Hankéou-Pékin, etc. L'école de l'Arsenal (34 000 Fr. nouveau-central, 2 professeurs, Médard, la Légation devrait lui [blanc] : il apprend le calcul différentiel. Il y a à Foutchéou une petite école Koung où l'on apprend le français. Les pères Jésuites à Zikawei enseignent le français.
Apprécier cette œuvre-là et le rôle de ces écoles.
Il faut distinguer entre les écoles françaises et anglaises. L'œuvre éducationnelle anglaise a des résultats très importants, c'est à elle qu'on doit cette poussée libérale actuelle dans toutes les villes de Chine, la jeunesse qui est affamée de places, d'affaires, qui sort tous les ans des écoles anglaises. On les reconnaît d'ailleurs, ils ressemblent aux Japonais trait pour trait ; les anciens Chinois étaient courtois, bien élevés, cédaient le pas ; les nouveaux regardent les femmes en face, les bousculent même, sont insolents, affectent des manières européennes, ne respectent pas ceux-ci, sont à l'affût des affaires. Cet élément libéral et révolutionnaire de toutes les villes est maintenant manufacturé régulièrement par les écoles anglaises. Les filles élevées par les protestants sont pareilles : au lieu de cette tournure modeste, chaste, traditionnelle chinoise (qui sont paillards, mais ont extérieurement le respect des apparences, des formes), elles font des mouvements de gymnastique contraires à la décence, à la réserve timide et décente, elles ont les cheveux taillés à la chien, vous regardent dans les yeux comme des filles de la rue ; certaines font des études médicales dans les universités américaines du Michigan. Ces Chinois de la nouvelle Chine sont des ferments de troubles et d'insurrection ; ils ne présentent aucune garantie morale et n'apportent pas la prudence et la réserve des Européens en touchant aux affaires chinoises. Conformément au caractère chinois, ils cherchent toujours de suite à battre monnaie avec ce qu'ils savent et veulent en tirer parti au point de vue pratique. Les Anglais leur apprennent admirablement leur langue ; elle est facile, langue où les mots n'ont pas de sexe, petit nègre ; ils ont beaucoup d'occasions de parler, et puis il faut mieux le savoir car la concurrence est plus grande, placés entre Hongkong et Shanghai, ils trouvent toujours à utiliser leur science. Depuis trois ans l'anglais se répand énormément, dans les villes mêmes de l'intérieur par les Douanes, la poste : on voit, ce qui est tout nouveau, des enseignes dans les villes intérieures. C'est une chose très importante de pouvoir causer directement avec les Chinois : l'anglais est appelé à devenir la langue commerciale. Les débouchés sont innombrables sur les concessions : douanes, coolies, boys, dans les administrations et maisons de commerce. Il y a intérêt à très bien parler la langue à cause de la concurrence.
En regard, il y a les écoles françaises, le débouché est très limité, peu de places ; plus difficile ; quelques places d'interprètes pour l'Indo-Chine, les chemins de fer, pour quelques voy. [blanc] ; ils parlent très très mal, connaissances rudimentaires, ou bien ils ne savent pas le mandarin ([blanc] sache le français, un autre le mandarin). Le niveau intellectuel des étudiants est bien inférieur à celui des étudiants qui apprennent l'anglais ; le temps d'instruction dans les écoles françaises est moins long, l'éducation primaire très rudimentaire, aussi n'a-t-on pas la prise énorme des écoles anglaises sur la Chine, par insuffisance de ressources et de débouchés. Il n'y a pas lieu de développer davantage cette tentative ; les écoles existantes sont amplement suffisantes. Peut-être y aurait-il place, cependant, pour des Écoles d'enseignement supérieur, qui manque en Chine ; mais il faudrait étudier cette idée avec beaucoup de réserve et de toute façon il serait bien meilleur d'envoyer des étudiants en Europe. Les élèves parlant français ont des débouchés très restreints en Chine où les maisons de commerce et banques françaises ne font correspondre qu'en anglais, les employés ne parlent qu'anglais, on ne peut réagir. La devise de l'Alliance française « ...tout h[omme] q[ui] parle français est un client forcé de l'influence française » rien n'est plus faux. Les Allemands apprennent la langue du pays, cela ne nuit pas à leur commerce. Tout au plus faut-il développer les écoles dans les pays limitrophes du Tonkin qui doit être soumis à notre influence et cette œuvre ne regarde que l'Indo-Chine.
Encore le recrutement des instituteurs laïques est-il très difficile (à Pakhoï il était [blanc]) : or ce n'est pas un vice pour les enfants qui sont très bien soignés et préservés dans les familles convenables, on en a le plus grand soin ; ce sont les coolies qui vivent publiquement ainsi tous ensemble. Berthet avait quatre boys, un seul avait une femme ; les autres le considéraient comme un cochon, l'avaient mis en quarantaine pour avoir introduit une femme dans une maison honnête ; la séparation des hommes et des femmes a développé [blanc].
Si on veut continuer cette œuvre grossière d'école primaire, d'apprendre le français aux indigènes, il faut préparer un plan régulier, économique non plus basé sur des considérations sentimentales, multiplier les petites écoles au Yunnan (C'est une bonne observation, comme on dit dans les thèses médicales, celle de Bons sur interprète).
La question des Facultés de Médecine - difficile de trouver [blanc] pour la direction, difficile d'obtenir des élèves pour une longue période d'études, l'enseignement supérieur est une chose de luxe et n'est possible que dans des pays riches ; d'ailleurs on ne peut apprendre que sur des figures, des machines de petit modèle, c'est un enseignement supérieur théorique. Est-ce utile ? est-ce durable ? Cela ne donne aucune prise. Les théories générales sur la solidarité ont même valeur que Confucius et [blanc]. On ne peut se rendre compte sans voir fonctionner les organisations administratives, les grands services publics, la science appliquée. L'idée d'une Université est tout d'abord séduisante. Les universités anglaises, américaines n'ont cependant pas donné de bons résultats : ce sont des écoles secondaires où l'on apprend seulement sérieusement à parler anglais, mais jamais des connaissances approfondies (la médecine chinoise : l'opothérapie, soigner les maladies des organes par des liqueurs tirées de ces organes... Brown Sequ[?]l, organes génitaux, foie, rate).
2° Éducation en Europe. C'est ce qu'il y a de plus intéressant. La France a besoin non de coolies, de fruits secs, d'interprètes, mais de gens rendant des services réels dont la formation dépend d'elle. Les missions de Giquel ont fourni beaucoup de jeunes gens remarquables. L'esprit français produit une véritable hybridation et donne un mélange plus fort que l'anglais dans aucun cas (général Tchenk toi tay, fameux type de ces hommes de Foutchéou ; Wei Yan est à Canton ; on lui doit les deux contrats, pas soutenu par M. Dubail ; Li tao taï, si imbu d'esprit français ; Lin fang examen de droit, même promotion que Claudel, chose de première importance ; Hu, instrument le plus actif du contrat H-P ; Ou-Tai-tchang [blanc] à Vienne, à Nankin. L'esprit français est plus insinuant, très contagieux quand on y est soumis suffisamment longtemps. Services considérables : les interprètes, intermédiaires auprès des autres Chinois ; il faut le temps de se pénétrer des habitudes françaises, 5 ans au minimum. La plupart nous sont acquis, non pour des raisons sentimentales, mais ils sont devenus suspects ; des Français ne sont à l'aise qu'avec des Français, bon gré mal gré ils sont forcés de s'adresser à nous quel que soit leur sentiment intime. Il faut un bain suffisant d'esprit et de civilisation française, ce que jamais aucune école ne donnera, [pour créer] un état d'esprit français. Il est très fâcheux que les missions aient été interrompues, que la diplomatie française s'en soit désintéressée. Elles gardent cependant les moeurs et les habitudes chinoises intactes, le plus grand respect pour les tombeaux de leurs parents et dépensent de grosses sommes pour les entretenir ; Elles conservent aussi les superstitions chinoises (Lin fang, médecin chinois, a incisé le bubon pesteux, enfoui le rat vivant ; voilà comment ils comprennent ce qu'on dit, que les rats causent la peste et illustrent les enseignements et les faits. Un soir de peste ils sont dans les rues nocturnes de Foutchéou et, suivant deux personnes qui causent, j'écoute leur conversation : ils laissent tomber une liste qu'ils ramassent ; ce sont tous les gens qui doivent mourir le lendemain. Il la ramasse, efface son nom : les deux génies de la peste reviennent pour chercher leur liste, tous meurent, sauf lui. Histoires de renards, de possession, très fréquentes et crues ; maisons abandonnées, inhabitées, hantées ; [blanc] est possédée ; phénomènes diaboliques, des incendies éclatent spontanément. Doyêre, ses ingénieurs lui disaient « croyez-vous vraiment que les Boxeurs soient invulnérables pour les balles ?» Il est impossible de changer la crédulité chinoise.)
Il est malheureux que cette excellente pratique des missions ait toujours été limitée au Fokien, pas développée et abandonnée par la mauvaise volonté du gouvernement chinois. Il ne faut pas laisser au seul Japon la formation intellectuelle de la nation, la formation de l'administration future, de la réorganisation administrative de la Chine. Il faudrait des jeunes gens admis après examen très sérieux, des garanties d'intelligence, de famille, de caractère. Cinq ans au moins, ils suivraient les cours de nos grandes écoles scientifiques, feraient des stages dans les grands établissements industriels comme Le Creusot, seraient formés [blanc] jointe au groupe chinois. École extrême-orientale, ce mélange de nos élèves interprètes serait inappréciable, leur donnerait une connaissance familière de la langue et créerait des relations précieuses pour l'avenir. Il faudrait que ces jeunes Chinois revenus ne fussent pas suspects, soient connus de la Légation, appuyés par elle, suivis dans toute leur carrière, défendus comme nos clients. Ainsi : choix très sévère à l'entrée, contrôle très suivi à la sortie de manière à ce qu'ils ne soient pas tenus en quarantaine en Chine. La France payerait l'École pour [blanc] bon marché Japon.
Psychologie de l'Européen en Chine
Passé le Canal de Suez, les Dix Commandements n'existent plus, dit Kipling. L'Européen se croit en vacances ; les conditions de vie sont beaucoup plus faciles : il gagne beaucoup plus d'argent, il se sent spécialement protégé ; il constitue au milieu des Chinois une aristocratie investie d'un pouvoir exceptionnel, rien que par le fait d'être blanc ; en Europe, l'homme n'est qu'une unité ; en Extrême-Orient, il prend la valeur d'un coefficient. Les Chinois cherchent à l'intéresser à leurs affaires ; une multitude de gens interlopes n'ont d'autres moyens d'existence que de servir d'enseignes aux affaires chinoises ; le Consul ne peut intervenir, il doit même fermer les yeux, car il trouve là un moyen d'influence. On reçoit largement, on dépense beaucoup, on a une domesticité nombreuse, l'habitude du « chit » et du chèque est dangereuse ; jamais on n'a d'argent sous la main, les banques sont très larges pour le crédit ; l'épargne n'existe pas ; tous ces éléments sont des agents de démoralisation actifs ; la communauté rapatrie aisément les enfants laissés sans ressources, assure des bourses aux veuves : l'Européen en Chine est très généreux, il laisse en Occident ses instincts d'avarice et même d'économie. L'honnêteté est d'ailleurs très rare, il est difficile de trouver des gens sérieux sur qui l'on puisse compter ; la question qui domine tout, c'est celle des clerks pour les commerçants : il est très difficile d'en trouver ; les Anglais n'ont de bon que les Écossais, leurs meilleurs agents ; les Allemands ont seuls d'excellents employés qui viennent apprendre le commerce et sont très peu payés (ils sont tenus de jouer du violon, de faire la cour à la demoiselle de la maison et ils trouvent encore le moyen d'attraper des maladies secrètes, tout cela pour 75 dollars par mois) ; il y a les employés volontaires, « freiwillig », c'est la grande force du commerce allemand, avec leur force de travail. Les Français montrent souvent des initiatives intéressantes (ils ont été les premiers à organiser Hankéou et le commerce avec le Setchouen) ; mais ils manquent de suite dans les idées et de sérieux dans les affaires. Ils n'ont pas de grandes maisons solides, bien connues des Chinois, établies depuis longtemps dans le pays, inébranlables comme les grandes maisons allemandes et anglaises. Les maisons françaises sont branlantes, à la merci d'une mauvaise année ou de mauvais employés. On peut d'ailleurs s'étonner que les grandes maisons d'exportation de soie s'adressent à des maisons anglaises de préférence (Jardine) : si le commerce et le commerçant étaient la même chose, les Français auraient une plus grosse situation. Le Français se décide malaisément à passer sa vie au loin, il s'attend toujours à quitter ; il considère dans tous les cas qu'il a fait un sacrifice héroïque et veut en être payé grassement. Il exagère tous les défauts de l'Européen en Chine : de dépensier il devient prodigue, les autres sont indépendants : il ne supporte aucune subordination ; il ne peut consentir à rester employé ; ses qualités même d'économie, de prévoyance, sont grandement diminuées hors de France : Marty doit son succès à ce qu'il a été gagne-petit, grippe-sou, inattaquable pour les Chinois. Le grand défaut de l'Européen en Chine c'est l'importance que donne ce privilège de l'exterritorialité : le plus petit employé, le plus mince [blanc] est un personnage important, protégé par le Consul ; il s'exagère son importance, perd l'esprit d'économie, de famille : il vit tout le temps comme à l'hôtel en Chine.
Economics and Trade
/
History : China : General
/
Literature : Occident : France
/
Periods : China : Qing (1644-1911)