Voltaire. Épître CVIII au roi de la Chine [ID D20018]..
Reçois mes compliments, charmant roi de la Chine.
Ton trône est donc placé sur la double colline!
On sait dans l'occident que, malgré mes travers,
J'ai toujours fort aimé les rois qui font des vers.
David même me plut, quoique, à parler sans feinte,
Il prône trop souvent sa triste cité sainte,
Et que d'un même ton sa muse à tout propos
Fasse danser les monts et reculer les flots.
Frédéric a plus d'art, et connaît mieux son monde;
Il est plus varié, sa veine est plus féconde;
Il a lu son Horace, il l'imite; et vraiment
Ta majesté chinoise en devrait faire autant.
Je vois avec plaisir que sur notre hémisphère
L'art de la poésie à l'homme est nécessaire.
Qui n'aime point les vers a l'esprit sec et lourd;
Je ne veux point chanter aux oreilles d'un sourd:
Les vers sont en effet la musique de l'âme.
O toi que sur le trône un feu céleste enflamme,
Dis-moi si ce grand art dont nous sommes épris
Est aussi difficile à Pékin qu'à Paris.
Ton peuple est-il soumis à cette loi si dure
Qui veut qu’avec six pieds d'une égale mesure,
De deux alexandrins côte à côte marchants,
L'un serve pour la rime et l'autre pour le sens?
Si bien que sans rien perdre, en bravant cet usage,
On pourrait retrancher la moitié d’un ouvrage.
Je me flatte, grand roi, que tes sujets heureux
Ne sont point opprimés sous ce joug onéreux,
Plus importun cent fois que les aides, gabelles,
Contrôle, édits nouveaux, remontrances nouvelles,
Bulle Unigenitus, billets aux confessés.
Et le refus d'un gîte aux chrétiens trépassés.
Parmi nous le sentier qui mène aux deux collines
Ainsi que tout le reste est parsemé d'épines.
A la Chine sans doute il n'en est pas ainsi.
Les biens sont loin de nous, et les maux sont ici:
C’est de l'esprit français la devise éternelle.
Je veux m'y conformer, et, d'un crayon fidèle,
Peindre notre Parnasse à tes regards chinois.
Écoute: mon partage est d'ennuyer les rois.
Tu sais (car l'univers est plein de nos querelles)
Quels débats inhumains, quelles guerres cruelles,
Occupent tous les mois l'infatigable main
Des sales héritiers d'Estienne et de Plantin.
Cent rames de journaux, des rats fatale proie,
Sont le champ de bataille où le sort se déploie.
C'est là qu’on vit briller ce grave magistrat
Qui vint de Montauban pour gouverner l'État;
Il donna des leçons à notre Académie,
Et fut très mal payé de tant de prud'homie.
Du jansénisme obscur le fougueux gazetier
Aux beaux esprits du temps ne fait aucun quartier;
Hayer poursuit de loin les encyclopédistes;
Linguet fond en courroux sur les économistes
A brûler les païens Ribalier se morfond;
Beaumont pousse à Jean-Jacque, et Jean-Jacque à Beaumont
Palissot contre eux tous puissamment s'évertue
Que de fiel s'évapore, et que d'encre est perdue!
Parmi les combattants vient un rimeur gascon
Prédicant petit-maître, ami d'Aliboron
Qui, pour se signaler, refait la Henriade;
Et tandis qu'en secret chacun se persuade
De voler en vainqueur au haut du mont sacré,
On vit dans l’amertume, et l'on meurt ignoré.
La Discorde est partout, et le public s'en raille.
On se hait au Parnasse encor plus qu'à Versaille.
Grand roi, de qui les vers et l'esprit sont si doux,
Crois-moi, reste à Pékin, ne viens jamais chez nous.
Aux bords du fleuve Jaune un peuple entier t'admire:
Tes vers seront toujours très bons dans ton empire:
Mais gare que Paris ne flétrît tes lauriers!
Les Français sont malins et sont grands chansonniers.
Les trois rois d'Orient, que l'on voit chaque année.
Sur les pas d'une étoile à marcher obstinée,
Combler l'enfant Jésus des plus rares présents,
N'emportent de Paris, pour tous remerciements,
Que des couplets fort gais qu'on chante sans scrupule.
Collé dans ses refrains les tourne en ridicule.
Les voilà bien payés d’apporter un trésor!
Tout mon étonnement est de les voir encor.
Le roi, me diras-tu, de la zone cimbrique.
Accompagné partout de l'estime publique,
Vit Paris sans rien craindre, et régna sur les coeurs;
On respecta son nom comme on chérit ses moeurs.
Oui; mais cet heureux roi, qu'on aime et qu'on révère,
Se connaît en bons vers, et se garde d'en faire.
Nous ne les aimons plus; notre goût s'est usé:
Boileau, craint de son siècle, au nôtre est méprisé.
Le tragique étonné de sa métamorphose,
Fatigué de rimer, va ne pleurer qu'en prose.
De Molière oublié le sel s'est affadi.
En vain, pour ranimer le Parnasse engourdi,
Du peintre des Saisons la main féconde et pure
Des plus brillantes fleurs a paré la nature;
Vainement, de Virgile élégant traducteur,
Delille a quelquefois égalé son auteur.
D'un siècle dégoûté la démence imbécile
Préfère les remparts et Vaux-hall à Virgile.
On verrait Cicéron sifflé dans le Palais.
Le léger vaudeville et les petits couplets
Maintiennent notre gloire à l'Opéra-Comique;
Tout le reste est passé, le sublime est gothique.
N'expose point ta muse à ce peuple inconstant,
Les Frérons te loueraient pour quelque argent comptant;
Mais tu serais peu lu, malgré tout ton génie,
Des gens qu'on nomme ici la bonne compagnie.
Pour réussir en France il faut prendre son temps.
Tu seras bien reçu de quelques grands savants,
Qui pensent qu'à Pékin tout monarque est athée.
Et que la compagnie autrefois tant vantée,
En disant à la Chine un éternel adieu,
Vous a permis à tous de renoncer à Dieu.
Mais, sans approfondir ce qu'un Chinois doit croire,
Séguier t'affublerait d’un beau réquisitoire;
La cour pourrait te faire un fort mauvais parti,
Et blâmer, par arrêt, tes vers et ton Changti.
La Sorbonne, en latin, mais non sans solécismes,
Soutiendra que ta muse a besoin d'exorcismes;
Qu'il n'est de gens de bien que nous et nos amis;
Que l'enfer, grâce à Dieu, t'est pour jamais promis.
Dispensateurs fourrés de la vie éternelle,
Ils ont rôti Trajan et bouilli Marc-Aurèle.
Ils t'en feront autant, et, partout condamné,
Tu ne seras venu que pour être damné.
Le monde en factions dès longtemps se partage;
Tout peuple a sa folie ainsi que son usage:
Ici les Ottomans, bien sûrs que l'Éternel
Jadis à Mahomet députa Gabriel,
Vont se laver le coude aux bassins des mosquées ;
Plus loin du grand lama les reliques musquées
Passent de son derrière au cou des plus grands rois.
Quand la troupe écarlate à Rome a fait un choix,
L'élu, fût-il un sot, est dès lors infaillible.
Dans l'Inde le Veidam, et dans Londres la Bible.
A l'hôpital des fous ont logé plus d'esprits
Que Grisel n'a trouvé de dupes à Paris.
Monarque, au nez camus, des fertiles rivages
Peuplés, à ce qu'on dit, de fripons et de sages,
Règne en paix, fais des vers, et goûte de beaux jours;
Tandis que, sans argent, sans amis, sans secours,
Le Mogol est errant dans l'Inde ensanglantée,
Que d'orages nouveaux la Perse est agitée,
Qu'une pipe à la main, sur un large sofa
Mollement étendu, le pesant Moustapha
Voit le Russe entasser des victoires nouvelles
Des rives de l'Araxe au bord des Dardanelles,
Et qu'un bacha du Caire à sa place est assis
Sur le trône où les chats régnaient avec Isis.
Nous autres cependant, au bout de l’hémisphère,
Nous, des Welches grossiers postérité légère,
Livrons-nous en riant, dans le sein des loisirs,
A nos frivolités que nous nommons plaisirs;
Et puisse, on corrigeant trente ans d'extravagances.
Monsieur l'abbé Terray rajuster nos finances !
Walter Engemann : Voltaire ist begeistert von der Dichtung Eloge de la ville de Moukden et de ses environs [ID D1855] des Kaisers Qianlong, in der dieser zum Ausdruck bringt, dass er von der grössten Achtung vor dem höchsten Wesen durchdrungen ist. Voltaire schildert in dem Gedicht, was Qianlong bei einem Besuch in Paris alles erfahren würde. Einige grosse Gelehrte würden ihn empfangen, die der Ansicht seien, dass jeder Monarch in Peking atheistisch sei, während China doch allen Ländern im aufgeklärten Gottesglauben voraus sei. Allerdings tadelt Voltaire, dass sich der Kaiser übernatürlicher Herkunft rühmt. Der Glauben des Kaisers an seine göttliche Herkunft führt Voltaire auf dessen tatarische Abstammung von Gengis Khan zurück, da er in China das einzige Land sieht, das weder Mythos noch Wunder kennt.
Voltaire schickt eine poetische Satire über die Eloge de Moukden an Friedrich II., der das Gedicht kennt, aber nicht die gleiche Begeisterung wie Voltaire aufbringen kann.
Voltaire schreibt : "Frédéric a plus d'art et connaît mieux son monde. Il es plus varié, sa veine et plus féconde, il a lu son Horace, il imite." Friedrich II. schreibt zurück : "Je vous suis obligé des beaux vers annexés à votre lettre. J'ai lu le poême de notre confrère le Chinois, qui n'est pas dans ce qu'on appelle le goût européen, mais qui peut plaire à Pékin."
1776 schreibt Friedrich II : "Je ne connais de l'empereur de la Chine que les mauvais vers qu'on lui attribue ; s'il n'a pas de meilleurs poètes à Peckin, personne n'apprendra cette langue pour pouvoire lire de pareilles poésies."
Literature : Occident : France