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“Le siècle de Louis XIV.” (Publication, 1751)

Year

1751

Text

Voltaire. Le siècle de Louis XIV. Publ. par [Joseph Du Fresne] de Francheville. Vol. 1-2. (Berlin : C.F. Henning, 1751). (Volt10)

Type

Publication

Contributors (1)

Voltaire  (Paris 1694-1778 Paris) : Schriftsteller, Dramatiker, Philosoph
[Voltaire siehe unter "Literatur : Westen : Frankreich"]

Subjects

Literature : Occident : France : Prose

Chronology Entries (1)

# Year Text Linked Data
1 1751 Voltaire. Le siècle de Louis XIV [ID D19811].
Disputes sur les cérémonies chinoises.
Ce n'etait pas assez pour l'inquiétude de notre esprit que nous disputassions au bout de dix-sept cents ans sur des points de notre religion: il fallut encore que celle des Chinois entrât dans nos querelles. Cette dispute ne produisit pas de grands mouvements; mais elle caracterisa plus qu'aucune autre cet esprit actif, contentieux et querelleur qui regne dans nos climats.
Le jesuite Matthieu Ricci, sur la fin du dix-septième siècle, avait été un des premiers missionnaires de la Chine. Les Chinois étaient, et sont encore, en philosophie et en litterature, à peu près ce que nous étions il y a deux cents ans. Le respect pour leurs anciens maîtres leur prescrit des bornes qu'ils n'osent passer. Le progrès dans les sciences est l'ouvrage de la hardiesse de l'esprit et du temps. Mais la morale et la Police étant plus aisées à comprendre que les sciences, s'étant perfectionnées chez eux quand les autres arts l'étaient pas encore, il est arrivé que les Chinois, demeurés depuis plus de deux mille ans à tous les termes où ils étaient parvenus, sont restés médiocres dans les sciences, et le premier peuple de la terre dans la morale et dans la police, comme le plus ancien.
Après Ricci, beaucoup d'autres jésuites pénétreèrent dans ce vaste empire; et, à la faveur des sciences de l'Europe, ils parvinrent ä jeter secrètement quelques semences de la religion chrétienne parmi les enfants du peuple, qu'ils instruisirent comme ils purent. Des dominicains, qui partageaient la mission, accuserent les Jésuites de permettre l'idolâtrie en prêchant le christianisme. La question était délicate, ainsi que la conduite qu'il fallait tenir à la Chine.
Les lois et la tranquillité de ce grand empire sont fondées sur le droit le plus naturel ensemble et le plus sacré: le respect des enfants pour les pères. A ce respect ils joignent celui qu'ils doivent à leurs premiers maîtres de morale, et surtout à Confutzee, nommé par nous Confucius, ancien sage qui, cinq cents ans avant la fondation du christianisme, leur enseigna la vertu. Les familles s'assemblent en particulier, à certains jours, pour honorer leurs ancêtres; les lettrés, en public, pour honorer Confutzee. On se prosterne, suivant leur manière de saluer les superieurs, ce qui dans toute l'Asie, s'appelait autrefois adorer. On brûle des bougies et des pastilles. Des colaos, que les Espagnols ont nommés mandarins, égorgent deux fois l'an, autour de la salle où l'on vénère Confutzee, des animaux dont on fait ensuite des repas. Ces ceremonies sont-elles idolâtriques ? sont-elles purement civiles? reconnaît-on ses pères et Confutzee pour des dieux ? sont-ils même invoqués seulement comme nos saints ? est-ce enfin un usage politique dont quelques Chinois superstitieux abusent? C'est ce que des étrangers ne pouvaient que difficilement démêler à la Chine, et ce qu'on ne pouvait décider en Europe.
Les Dominicains défèrerent les usages de la Chine à l'inquisition de Rome, en 1645. Le Saint-Office, sur leur exposé, défendit ces cérémonies chinoises jusqu'à ce que le pape en decidât.
Les Jésuites soutinrent la cause des Chinois et de leurs pratiques, qu'il semblait qu'on ne pouvait proscrire sans fermer toute entrée à la religion chrétienne dans un empire si jaloux de ses usages. Ils representèrent leurs raisons. L'inquisition, en 1656, permit aux lettrés de reévérer Confutzee, et aux enfants chinois d'honorer leurs pères, «en protestant contre la superstition, s'il y en avait».
L'affaire étant indécise, et les missionnaires toujours divisés, le procès fut sollicité à Rome de temps en temps; et cependant les Jésuites qui étaient à Pékin se rendirent si agréables à l'empereur Camhi, en qualité de mathématiciens, que ce prince, célèbre par sa bonté et par ses vertus, leur permit enfin d'être missionnaires, et d'enseigner publiquement le christianisme. II n'est pas inutile d'observer que cet empereur si despotique, et petit-fils du conquérant de la Chine, était cependant soumis par l'usage aux lois de l'Empire; qu'il ne put, de sa seule autorité, permettre le christianisme; qu'il fallut s'adresser à un tribunal, et qu'il minuta lui-même deux requêtes au nom des Jésuites Enfin, en 1692, le christianisme fut permis à la Chine, par les soins infatigables et par l'habileté des seuls Jésuites.
II y a dans Paris une maison établie pour étrangères. Quelques prêtres de cette maison étaient alors à la Chine. Le pape, qui envoie des vicaires apostoliques dans tous les pays qu'on appelle les parties des infidèles, choisit un prêtre de cette maison de Paris, nommé Maigrot, pour aller présider, en qualité de vicaire, à la mission de la Chine, et lui donna l'évêché de Conon, petite province chinoise dans le Fokien. Ce Français, évèque à la Chine, declara non seulement les rites observés pour les morts superstitieux et idolâtres, mais il declara les lettrés athées. Ainsi les Jésuites eurent plus alors à combattre les missionnaires, leurs confrères, que les mandarins et le peuple. Ils représentèrent à Rome qu'il paraissait assez incompatible que les Chinois fussent à la fois athées et idolâtres. On reprochait aux lettrés de n'admettre que la matière; en ce cas, il était difficile qu'ils invoquassent les âmes de leurs pères et celle de Confutzee. Un de ces reproches semble détruire l'autre, à moins qu'on ne prétende qu'à la Chine on admet le contradictoire, comme il arrive souvent parmi nous. Mais il fallait être bien au fait de leur langue et de leurs moeurs pour démêler ce contradictoire. Le procès de l'empire de la Chine dura longtemps en cour de Rome. Cependant on attaqua les Jésuites de tous côtés.
Un de leurs savants missionnaires, le père Lecomte, avait écrit dans ses Memoires de la Chine que «ce peuple a conservé pendant deux mille ans la connaisance du vrai Dieu; qu'il a sacrifié au Créateur dans le plus ancien temple de l’univers; que la Chine a pratiqué les plus pures leçons de la morale, tandis que l'Europe était dans 1'erreur et dans la corruption».
Il n'était pas impossible que le père Lecomte eût raison. En effet, si cette nation remonte, par une histoire authentique et par une suite de trente-six eclipses verifiées, jusqu'au temps où nous plaçons ordinairement le deluge, il n'est pas hors de vraisemblance qu'elle ait conservé la connaissance d'un Etre suprême et unique plus longtemps que d'autres peuples. Cependant, comme on pouvait trouver dans ces propositions quelque idée qui choque un peu les idées reçus, on les attaqua en Sorbonne. L'abbé Boileau, frère de Despréaux, non moins critique que son frère, et plus ennemi des Jésuites, dénonça, en 1700, cet éloge des Chinois comme un blasphème. L'abbé Boileau était un esprit vif et singulier, qui écrivait comiquement des choses sérieuses et hardies. Il est l'auteur du livre des Flagellants et de quelques ouvrages de cette espèce. Il disait qu'il les écrivait en latin, de peur que les évèques ne le censurassent; et Despréaux, son frère, disait de lui : «S'il n'avait été docteur de Sorbonne, il aurait été docteur de la comédie italienne.» Il déclama violemment contre les Jésuites et les Chinois, et commença par dire que «l'éloge de ces peuples avat ébranlé son cerveau chretien». Les autres cerveaux de l'assemblée furent ébranlés aussi. Il y eut quelques débats. Un docteur, nommé Lesage, opina qu'on envoyât sur les lieux douze de ses confrères des plus robustes s'instruire à fond de la cause. La scène fut violente; mais enfin la Sorbonne déclara les louanges des Chinois fausses, scandaleuses, téméraires, impies et hérétiques.
Cette querelle, qui fut vive, envenima celle des cérémonies; et enfin le pape Clément XI envoya, l'année d'après, un légat à la Chine. Il choisit Thomas Maillard de Tournon, patriarche titulaire d'Antioche. Le patriarche ne put arriver qu'en 1705. La cour de Pékin avait ignoré jusque-là qu'on la jugeait à Rome et à Paris. L'empereur Camhi reçut d'abord le patriarche de Tournon avec beaucoup de bonté. Mais on peut juger quelle fut sa surprise quand les interprètes de ce légat lui apprirent que les chrétiens qui prêchaient leur religion dans son empire ne s'accordaient point entre eux, et que ce légat venait pour terminer une querelle dont la cour de Pékin n'avait jamais entendu parier. Le légat lui fit entendre que tous les missionnaires, excepte les Jésuites, condamnaient les anciens usages de l'Empire; et qu'on soupçonnait même Sa Majesté chinoise et les lettrés d'être des athées qui n'admettaient que le ciel matériel. Il ajouta qu'il y avait un savant évèque de Conon qui lui expliquerait tout cela si Sa Majesté daignait l'entendre. La surprise du monarque redoubla, en apprenant qu'il y avait des évèques dans son empire. Mais celle du lecteur ne doit pas être moindre en voyant que ce prince indulgent poussa la bonté jusqu'à permettre à l'évèque de Conon de venir lui parler contre la religion, contre les usages de son pays, et contre lui-même. L'évèque Conon fut admis à son audience. Il savait très peu le chinois. L'Empereur lui demanda d'abord l'explication de quatre caractères peints en or au-dessus de son trône. Maigrot n'en put lire que deux; mais il soutint que les mots king-tien, que l'Empereur avait écrit lui-même sur des tablettes, ne signifiaient pas adorez le Seigneur du ciel. L'Empereur eut la patience de lui expliquer que c'était précisément le sens de ces mots. Il daigna entrer dans un long examen. Il justifia les honneurs qu'on rendait aux morts. L'évèque fut inflexible. On peut croire que les Jésuites avaient plus de crédit à la cour que lui. L'Empereur, qui, par les lois, pouvait le faire punir de mort, se contenta de le bannir. Il ordonna que tous les Européens qui voudraient rester dans le sein de l'Empire viendraient désormais prendre de lui des lettres patentes, et subir un examen.
Pour le légat de Tournon, il eut ordre de sortir de la capitale. Dès qu'il fut à Nankin, il y donna un mandement qui condamnait absolument les rites de la Chine à l'égard des morts, et qui défendait qu'on se servît du mot dont s'était servi l'Empereur pour signifier le Dieu du ciel.
Alors le légat fut relégué à Macao, dont les Chinois sont toujours les maîtres, quoiqu'ils permettent aux Portugals d'y avoir un gouvemeur. Tandis que le légat était confiné à Macao, le pape lui envoyait la barrette; mais elle ne lui servit qu'à le faire mourir cardinal. Il finit sa vie en 1710. Les ennemis des Jésuites leur imputèrent sa mort. Ils pouvaient se contenter de leur imputer son exil.
Ces divisions parmi les étrangers qui venaient instruire l'Empire discréditèrent la religion qu'ils annonçaient. Elle fut encore plus décriée lorsque la cour, ayant apporté plus d'attention à connaître les Européens, sut que non seulement les missionnaires étaient ainsi divisés, mais que parmi les négociants qui abordaient à Canton il y avait plusieurs sectes, ennemies jurées l'une de l'autre.
L'empereur Camhi ne se refroidit pas pour Jésuites, mais beaucoup pour le christianisme. Son successeur chassa tous les missionnaires, et proscrivit la religion chrétienne. Ce fut en partie le fruit de ces querelles et de cette hardiesse, avec laquelle des étrangers prétendaient savoir mieux que l'Empereur et les magistrats dans quel esprit les Chinois révèrent leurs ancêtres. Ces disputes, longtemps l'objet de l'attention de Paris, ainsi que beaucoup d'autres nées de l'oisiveté et de l'inquiétude, se sont évanouies. On s'étonne aujourd'hui qu'elles aient produit tant d'animosités; et l'esprit philosophique qui gagne de jour en jour semble assurer la tranquillité publique.

Basil Guy : Emile Bourgeois claimes that Voltaire was motivated by a passion for letters, arts and sciences – for his intellectual aspirations of humanity – when writing this work. Voltaire's intentions are dominated by two thoughts. One, 'philosophic', allowed him to paint but one man as the principal representative of a nation in which he, Voltaire, took very great pride. The other, 'satirical', was perhaps the true inspiration of the work and furnished, in any case, its insinuating conclusion. Voltaire decided to end with the religious quarrels which disturbed the decline of the Louis XIV's reign, treating of the strife beween Jesuits and jansenists, between orthodoxy and the Quietists, as well as of the persecution of the protestants. In this way, he arrived quite naturually at the Rites controversy in the last chapter. What is perhaps less natural is the fact that the history ends abruptly on the note of distress characteristic of that quarrel and without any sort of commentary as a conclusion. Voltaire's procedure had not been to declaim openly against the expulsion of the protestants. But since his material led him to treat of China, why should he not use a regular, if not so obvious subterfuge ? The Sun of Heaven was to be compared with Louis XIV, China with France, the foreign missionaries with the heretical State-within-a-State represented by French protestantism. And from his comparison would derive all the blame that Voltaire wished to lodge, not only against religious intolerance in the seventeenth century, but also against the same spirit in his own, and notably in the France of Louis XV. The conclusion of the Siècle thus conjured up a kingdom where there were no jesuits, where the king himself was a 'philosophe', where despotism was beneficent. By condeming the reign of Louis XV when he compared it with that of Louis XIV, Voltaire had wished to get at the root of the difficulties and to extirpate it. This was but one example of 'philosophical' criticism carried to its natural end. And as we realize, these fulminations which were to grow in violence against the irrational, chicanery, intolerance, and all those evils produced by an absolute and unenlightened belief in religious power would never end, since all were part and parcel of 'l'infâme'. Althought the criticisms are perhaps most striking because they attack two evils at the same time : French indifference and French intolerance.

Etiemble : Chez Cornelius de Pauw tout est prétexte à mépriser les Chinois : 'qu'ils aiment mieux construire leurs maisons en étendue qu'en hauteur ; qu'ils édifient des tours de neuf étages, vernissées, sculptées et ornées de clochettes ; ou que, pour permettre aux bateaux de passer sans peine dessous, ils bâtissent des ponts très élevés'.
Mais à chacun des ces arguments de sinophobe, Voltaire opposa une réponse. Disputes sur les cérémonies chinoises, comment ces querelles contribuèrent à faire proscrire le christianisme à la Chine. On sut que, précisément en ce temps-là, les disputes qui aigrissaient les missionnaires des différents ordres les uns contre les autres avaient produit l'extirpation de la religion chrétienne dans le Tunquin ; et ces mêmes disputes, qui éclataient encore plus à la Chine, indisposèrent tous les tribunaux contre ceux qui, venant prêcher leur loi, n'étaient pas d'accord entre eux sur cette loi même. Enfin on apprit qu'à Canton, il y avait des Hollandais, des Suédois, des Danois, des Anglais, qui, quoique chrétiens, ne passaient pas pour être de la religion des chrétiens de Macao.
Toutes ces réflexions réunies déterminèrent enfin le suprême tribunal des rites à défendre l'exercice du christianisme. L'arrêt fut porté le 10 janvier 1724, mais sans aucune flétrissure, sans décerner de peines rigoureuses, sans le moindre mot offensant contre les missionnaires : l'arrêt même invitait l'empereur à conserver à Pékin ceux qui pourraient être utiles and les mathématiques. L'empereur confirma l'arrêt, et ordonna par son édit qu'on renvoyât les missionnaires à Macao, accompagnés d'un mandarin pour avoir soin d'eux dans le chemin, et pour les garantir de toute insulte. Ce sont les propres mots de l'édit.
  • Document: Guy, Basil. The French image of China before and after Voltaire. (Genève : Institut et Musée Voltaire Les Délices, 1963). (Studies on Voltaire and the eighteenth century ; vol. 21). S. 234-236. (Guy, Publication)
  • Document: Etiemble, [René]. L'Europe chinoise. Vol. 1-2. (Paris : Gallimard, 1988-1989). (Bibliothèque des idées). S. 281, 300. (Eti6, Publication)
  • Person: Voltaire

Cited by (1)

# Year Bibliographical Data Type / Abbreviation Linked Data
1 2007- Worldcat/OCLC Web / WC