Malraux, André. Psychologie de l'art [ID D23479].
Arrouye, Jean. André Malraux intercesseur de l'art chinois.
L'importance qu'André Malraux accorde à l'art chinois se mesure à la place qu'il lui fait dans Le musée imaginaire de la sculpture mondiale [ID D23479]. Dans le premier tome se trouvent reproduites trois oeuvres dans une section intitulée 'La Chine archaïque', toutes de la dynastie Chang-Yin, entre le XIVe et le XIe siècle av. J-C, puis vingt-neuf oeuvres, dans la section 'Chine', classées dans l'ordre chronologique, allant du Ve-VIe siècle au XIVe-XVIe ; mais l'avant-dernière oeuvres présentée est du Xe-XIIIe Siècle, ce qui montre que ce choix est clairsemé.
Le style nerveux et lyrique de Malraux, émaillé de formules vigoureuses et éclatantes, rend parfaitement clair cet exposé convaincu qui se veut convaincant, et qui l'est tant, en fait, que l'on n'ose s'éloigner de ce que dit Malraux, de sorte que ce bref rappel de sa pensée prendra par moments l'apparence d'un montagne de ses dires.
A l'entreprise de réconfort moral et de restauration métaphysique de l'homme qu'est le Musée imaginaire de la sculpture mondiale toutes les civilisations étaient appelées à contribuer et la participation de la Chine est sans doute une des plus cohérentes et des plus démonstratives de la métamorphose des dieux.
Dans le tome II intitulé 'Des bas-reliefs aux grottes sacrées' Malraux rappelle en une formulation très simple, la nature de son projet : « J'ai tenté de rassembler les formes les plus agissantes de la création artistique : témoins d'une aventure de l'âme et de l'esprit qui en Egypte, en Grèce, en Chine et dans la chrétienté accompagnent les témoins de l'histoire. » L'on voit que la Chine occupe une place importante dans la pensée de Malraux puisque seule à être mentionnée avec l'Egypte et la Grèce qui le sont en tant que sources de la culture occidentale, c'est-à-dire ici de la 'chrétienté'. C'est sans doute que Malraux la consière comme l'une des plus riches cultures du monde. De fait, sur trois cent quatre reproductions d'oeuvres contenues dans ce volume, vingt-cinq sont consacrées à la Chine, et huit autres reproductions d'oeuvres chinoises sont insérées dans le texte d'introduction.
Malraux confesse son ignorance relative des oeuvres chinoises : « Les problèmes que nous pose le Musée imaginaire de l'art chinois sont d'ailleurs d'une autre nature. Qu'on le veuille ou non, le bouddhisme l'emplit. Il domine sa peinture, dont nous ne traiterons pas ici ; il joue dans sa sculpture un rôle capital, malgré les découvertes récentes, malgré la tension donnée aux formes par les bronziers des plus anciennes dynasties. Les bronzes sont des objets, alors que les grottes bouddhiques sont des cathédrales ; nous connaissons l'art chinois comme les Américains connaissent l'art gothique. Le grand masque de la dynastie Chang-Yin est un chef-d'oeuvre, mais Long-men est un monde. Or, la Chine antérieure au bouddhisme a produit de nombreux reliefs, dont nous possédons seulement quelques échantillons ; cet art tient une plus grande place dans nos connaissances que dans notre sensibilité, parce que ses oeuvres, difficilement accessibles, nous sont connues surtout par des photos anciennes, d'assez petit format, qui n'en transmettent pas l'accent. Il nous suffit de comparer les photos modernes qui reproduisent des oeuvres secondaires conservées dans nos musées, ou celle de 'l'Oiseau rouge' qui nous permet de connaître réellement le célèbre pilier de Chen, avec celles que l'on trouve dans les histoires de l'art (celle du bas-relief de Wou Leang Ts'eu par exemple) qui reproduisent pourtant des oeuvres capitales, pour être assurés que cet art est encore pour nous un art voilé. »
Le musée imaginaire confirme la légèreté du savoir d'André Maurois sur l'art chinois. Mais, dans ce volume où il expose longuement les bénéfices pour la connaissance de l'art du recours à des reproductions photographiques, il va faire la démonstration du bon usage éditorial que l'on peut faire de celles-ci. Si, parmi les près de quatre-vingt dix reproductions d'oeuvres on n'en trouve que cinq chinoises, celles-ci sont mises en page avec un souci tout particulier des effets qu'on peut obtenir d'une bonne coordination du texte et des images.
Les deux premières, reproduites pleine page, sur deux pages qui se font face, représentent une statue de la dynastie Wei et une peinture de Bodhisattva, du Ville siècle. Elles sont accompagnées d'une légende commune : « A l'intrusion de la grande sculpture chinoise... va succéder celle des grandes écoles de peinture ». Le texte n'apprend rien de plus, qui dit :
« Enfin, à l'intrusion des grandes sculptures indo-hellénistiques, indienne et chinoise, va peut-être succéder celle de quelques fresques de l'Inde et des grandes écoles de peinture de la Chine et du Japon. La fidélité de la reproduction du lavis chinois nous a fait, bien à tort, préjuger de celle des peintures... »
« La sensibilité présente est loin d'être favorable à la peinture des Soung. Sa subtilité n'apportera ni la révélation du grand classicisme intérieur de la sculpture Tang, ni celle du monolithisme aigu des nègres. Elle ne répond à rien qui nous harcèle ; et demeure compromise par le japonisme de la fin du XIXe siècle. Elle implique pourtant une nouvelle attitude du peintre, une autre fonction de la peinture. Je serai surpris que l'oeuvre de Ma Yuan, après les meilleures fresques de Nara, n'entrât bien avant la fin du siècle dans notre musée imaginaire. Nous sommes avides de tout ce qui étend le pouvoire de l'homme. »
« Les oeuvres sont dispersées. Il n'existe aucun musée sérieux de peinture en Chine. Nombre de collectionneurs, de trésors des temples, refusent le droit de photographier les rouleaux qu'ils possèdent. Enfin le matériel de reproduction en couleur y est assez primitif. »
Ces plaintes sont un appel à ce que les usages évoluent. En peu de lignes Malraux a ainsi affirmé que l'art chinois était de la plus haute qualité, en a procuré quelques échantillons qui donnent envie d'en voir et savoir plus et appelé à une plus grande diffusion de ces oeuvres. C'est un plaidoyer.
Soixante-dix pages plus loin Malraux revient à la charge : « L'Extrême-Orient et la Perse ont connu de longues périodes d'un raffinement qui s'accorde à l'idée que nous avons d'un raffinement humaniste » Ce n'est pas pour rien, dit-il, que le XVIIIe siècle s'est intéressé à l'art chinois, « reconnaissant un cousinage qu'il refusait à l'Inde et même à l'Islam ». Mais, regrette-t-il, cet art est mal connu, « les siècles de raffinement de la Chine n'appartiennent qu'aux spécialistes». Et de nouveau de parler de la peinture des Soung, et aussi des fresques de Nara. Cet appel - cet encouragement, plutôt - à la curiosité se renforce d'un très habile argument visuel. Sur la page de gauche est reproduite une oeuvre tibétaine montrant Yi-Dam et Sa Çakti, aux visages grimaçants, d'une expressivité outrée ; sur la page de droite, insérée dans le texte qui parle de « raffinement humaniste » une sculpture harmonieuse et sereine de Bodhisattva : le contraste est démonstratif.
Enfin à l'avant-dernière page du livre l'ultime photographie d'un Bodhisattva de la dynastie Tang, illustrant l'affirmation que : « Toutes nos résurrections... sont religieuses », une note précise que « la Chine entre d'abord dans le Musée imaginaire à travers le bouddhisme ». Ainsi la dernière image du volume est celle d'une oeuvre chinoise, afin que l'intérêt suscité pour l'art chinois soit ultimement reconduit et que le lecteur-spectateur reste sur sa faim. Il semblerait donc que le peu de place fait à l'art chinois dans ce livre est moins dû aux causes dénoncées par Malraux, du peu de divulgation de ses œuvres et du manque de documentation, qu'a une stratégie de l'éveil du désir.
Dans le volume II, La création artistique, tout entier consacré à l'art occidental, on trouve cependant deux représentations d'oeuvres chinoises. D'abord celle d'un Bodhisattva Wei qui est commenté sur la page d'en face :
« Les yeux de la dynastie Wei sont sans précédent. Le schématisme de l'instinct s'y unit au dépouillement d'une humble et péremptoire maîtrise - ce ne sont plus les boucles de la calligraphie indienne, mais le trait du pinceau décisif. Cet art rencontre dans la sûreté de son écriture une spiritualité qu'on ne retrouvera que dans le modelé complexe des têtes khmères (dont les yeux sont parfois traités de la même façon) ; mais il rencontre aussi la volonté d'architecture. Et du lien entre son génie de l'ellipse et le sens monumental naissent à Yun-Kang quelques-unes des plus hautes figures que les hommes aient sculptées. Peut-on mieux servir une oeuvre que par un tel commentaire, alerte, précis, comparatiste, enthousiaste ? »
La seconde reproduction est celle d'un paysage de Mi Fei, du XIIe siècle, reproduit pleine page. Il vient en contrepoint d'une réflexion exposant une nouvelle conception du rapport de la représentation et du style, qui permet de voir dans la représentation un mode d'accès à l'intemporel, et non pas seulement de connaissance du monde réel.
Depuis que la représentation ne nous aveugle plus, depuis que les millénaires ont remplacé les quelques siècles méditerranéens pendant lesquels sa poursuite joua un si grand rôle, nous commençons à deviner que la représentation est un moyen du style, non le style un moyen de la représentation. Que l'impressionnisme japonais et chinois vise, par le choix subtil de l'éphémère, à la suggestion de l'éternité dans laquelle l'homme se perd comme dans le brouillard qu'il contemple. Ce commentaire eût pu être celui de l'oeuvre de Ma Yuan, représentant un pêcheur, dans le volume I.
Art : General
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Literature : Occident : France