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1967.4

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Malraux, André. Antimémoires [ID D23466]. (4)
Sekundärliteratur
Jeannelle, Jean-Louis. André Malraux au pays de l'avenir radieux.
Dès la parution des Antimémoires et surtout depuis la lecture qu'en fit Jean Lacoutre dans sa biographie de Malraux en 1973, on a souvent mis en doute la crédibilité de l'entretien avec Mao Zedong. En 1996, Jacques Andrieu publia un article intitulé « Mais que se sont donc dit Mao et Malraux ? » [Perspectives chinoises ; no 37, 1996], première analyse détaillée de ce passage qu'il confrontait à ses sources : la sténographie chinoise publiée dans 'Mao Zedong si xiang wan sui' et la sténographie française, réécrite par Manac’h à Paris.
Le Figaro littéraire ; no 1119, 25 sept.-1 oct., 1967 a publié des extraits des Antimémoires : « André Malraux : ma rencontre avec Mao ». On peut lire au début de l'article : « C'est d'ores et déjà une certitude : les Antimémoires d'André Malraux constitueront le très grand événement littéraire de la saison. » « Août 1965, André Malraux vient d'arriver en Chine, chargé par le général de Gaulle d'une mission officielle auprès du gouvernement chinois. Des souvenirs de quarante ans resurgissent dans sa mémoire. Ils contribueront à donner les Antimémoires En route, Malraux s'est d'abord arrêté à Hong-Kong où, sur le Grand Magasin communiste, règnent les images mythologiques de la Longue Marche. Puis il a fait escale à Canton où il a visité le Musée de la Révolution aux photographies étrangement censurées de tout ce qui peut rappeler la participation russe à des combats que Malraux lui-même connaît bien. A Pékin, le maréchal Chen-Yi, ministre des Affaires étrangères, 'visage lisse, rure large et coupant. L'expression se fendre la gueule lui convient à merveille', le reçoit en premier. C'est ensuite au tour de Chou En-lai, 'ni truculent ni jovial, parfaitement distingué. Et réservé comme un chat'. Enfin, après un bref séjour à Yenan, berceau de la Longue Marche, Sparte de la Chine nouvelle, c'est l'entrevue avec Mao Tsé-toung. Ce récit commence au moment précis où André Malraux rentre de Yenan et se retrouve à Pékin. »
7 oct. 1967 Paris-Match titra : « Les Antimémoires, mieux qu'un Prix Goncourt : 10'000 exemplaires par jour. »
La plupart des journaux rapportèrent la lutte engagée entre les maisons d'éditions ango-saxonnes pour l'achat des droits de traduction. 25 sept. 1967, le Figaro annonçait : « Les Antimémoires achetés 250'000 dollars par les Américains. » En France, 2000'000 exemplaires furent vendus en trois semaines et la critique est le plus souvent rès élogieuse.
Le 30 sept. 1967, Paris-Match publie : on peut lire au début de l'article « Les grandes pages du livre de Malraux » le dialogue avec Mao Zedong en fait partie.
Le Figaro littéraire ; no 1120, 2-8 oct. 1967 publie « Un entretien exclusif avec Michel Droit ». Malraux déclare : « Mao, c'est le genre visité. Il est visité par la Chine. Pas de question. Quel que soit l'objet de la conversation, il est cordial, la conversation est cordiale, mais il y a quelque chose d'autre. Un peu comme chez le général de Gaulle. J'avais déjà rencontré cette présence intense que possède le général de Gaulle et que les paroles d'expriment pas. Je l'avais rencontré chez de grands religieux... Après tout, je n'aurais guère pu parler avec Mao des problèmes du taoïsme, parce qu'il s'en fiche. Mais supposons que ce ne soit pas le cas. Supposons, par exemple, que j'aie revu Mao à un certain moment et que nous ayons parlé poésie. J'aurais tout de suite atteint une dimension supplémentaire. »

On sait que l'entretien avec Mao manqua manifestement d'entrain et que Malraux s'employa par la suite à introduire dans le récit qu'il en fit beaucoup plus de cordialité qu'il n'y en eut en réalité. Il n'y a aucune raison de considérer que les sténographies de l'entretien sont plus représentatives de ce que fut l'entretien avec Mao que les autres documents dont nous disposons : tous les textes traitant de cet épisode jouent exactement le même rôle, puisqu'ils sont autant de reconstitutions factuelles du même événement, aucun d'entre eux ne disposant de ce fait d'un privilège sur les autres. Il resterait à comparer la composition de l'entretien avec Mao avec celle des autres grands entretiens, notamment avec Nehru et avec le général de Gaulle, dans les Antimémoires et surtout dans Les Chênes qu'on abat... La question est donc moins celle de la mythomanie de Malraux que celle de la vision politique qui sous-tend Le Miroir des limbes. À travers ses dialogues avec quelques grands chefs d'État, l'écrivain livre une analyse du monde marquée par les illusions de son temps et par les ambitions contradictoires qu'il nourrit. Dans le cas du régime maoïste, une telle analyse soulignerait la singularité de ce texte, écartelé entre la volonté de peindre la figure d'un grand homme de l'Histoire et celle de faire la critique du régime communiste — deux ambitions en grande partie contradictoires, l'apologie du grand homme masquant d'une certaine manière la dénonciation du régime qu'il cautionne.

Jean Lacouture : La renommée a accrédité sa version. Pendant l'été 1965, André Malraux est dépêché à Pékin par le général de Gaulle en tant que vieux compagnon des révolutionnaires chinois, pour consolider, ennoblir et personnaliser des liens établis l'année précédente entre la France et la Chine, au niveau des États par la reconnaissance de la République populaire. Il revoit le président Mao et, après une série d'entretiens avec les dirigeants chinois, transfigure des rapports officiels entre deux républiques en amitié entre deux grands hommes.
La réalité est différente, sans être médiocre. Un homme malade, écoutant les conseils de ses médecins, et rêvant d'une de ces longues traversées qui l'incitent à écrire, part pour une croisière maritime. Il choisit d'aller à Singapour, ville par trois fois liée à son passé, et sur le Cambodge, un nom qui parle à sa mémoire. Au début de juillet, à Singapour, il reçoit une lettre du général de Gaulle — averti du désir de son ami de prolonger le voyage jusqu'à Pékin — lui donnant mission de se rendre en Chine au nom du gouvernement français. Cette lettre est accompagnée d'un message qu'il est chargé de remettre au président de la République Liou Shao-chi, tandis que le Quai d'Orsay prépare, avec les autorités chinoises, l'accueil du ministre français des Affaires culturelles. C'est à Hong-Kong, vers le 17 juillet, que le ministre reçoit l'invitation des autorités chinoises. Il part pour Canton le 20 juillet, et de là pour Pékin, porteur du message du général de Gaulle à Liou Shao-chi.
Deux ans plus tard, les Antimémoires rendent compte de ce voyage, nourri de longs retours en arrière — d'ont l'un, magnifique, évoque la « Longue Marche ». On ne procédera pas à un « démontage » systématique de ce récit, opération qui serait fastidieuse. Mais on s'efforcera de mettre ça et là en parallèle à l'évocation poétique du romancier les propos et démarches du ministre, et de compléter tant bien que mal les souvenirs d'un mémorialiste dont il est clair que la mémoire est celle d'un « conquérant », avide de reconnaître pour sien ce qui ne lui appartient qu'en vertu du droit de conquête de l'imagination, du rêve et d'une catégorie qui pour lui transcende le débat entre le vrai et le faux et qu'il appelle admirablement « le vécu ».
Le 15 juillet 1965, quand il quitte Singapour pour Pékin, André Malraux ne connaît de la Chine que ce qu'il a retenu de son court passage à Hong Kong en août 1925, puis de son rapide voyage touristique de 1931 en Chine continentale et naturellement ce qu'il en a lu (d'Edgar Snow, surtout). Enfin ce qu'il en a écrit, qui est parfois génial. Il y a aussi sa légende, née de ses propos, ou de ses textes, ou aussi de l'imagination des autres, indépendante de lui mais authentifiée par lui : elle dit qu'il a été l'un des protagonistes des combats révolutionnaires de Canton et de Shanghaï — et maintenant c'est la légende d'un ministre, messager de la République et du général de Gaulle. Et si ce n'était pas une légende ? Et si, à force d'être « vécue », la légende devenait vérité ?
Quand il parle des paysages, des rues, des photos de visages qu'il a si souvent et si bien scrutés pour les décrire, et dont il a fait ce par quoi les hommes d'Occident se font une idée de ce qui fut là-bas, comment sa « mémoire » ne jouerait-elle pas ? Il est clair que quand il dit « reconnaître » Gallen, sur une photo de musée de la révolution de Canton, il retrouve un visage contemplé sur cent documents. Et qui pourrait douter que, face à Mao lui-même, il « reconnaisse » ce visage illustre ? Un an plus tôt, la France a bien « reconnu » la République populaire de Chine.
Tous ceux qui ont été témoins de ce voyage et ont, en telle ou telle étape, été mêlés aux démarches d'André Malraux, ont noté qu'il n'avait guère tenté de jouer les anciens combattants et les vieux spécialistes. Comme avec Sneevliet quarante ans plus tôt, il écoutait beaucoup plus qu'il ne parlait, épargnant à ses guides et ses interprètes les « de mon temps » ou les « Mao était là, moi ici... ». Savait-il qu'il ne pourrait tromper la science impeccable des sinologues de l'ambassade de France, celle d'un Guillermaz ou d'un Yacovlevitch ? Ce serait lui attribuer illes mobiles mesquins.
Au surplus, les Antimémoires sont rédigés sur un ton évasif pour ce qui est du passé. Hormis une petite phrase sur « les histoires que j'entendais à Shanghaï avant 1930 » qui témoigne de plus de confusion mémorielle que de volonté de tromperie (à ce niveau...), Malraux n'abuse le lecteur que par une sorte de drapé artistique, de toile de fond historico-romanesque vaguement tendue au fond de la scène, parce que cela va de soi, et que l'attitude du « retour » est plus belle que l'étonnenent du touriste. N'est-ce pas son ami Groethuysen qui disait qu'il faudrait ne jamais arriver quelque part que pour la deuxième fois...?
Là où une lecture critique s'impose davantage, c'est pour ce qui touche aux entretiens qu'eut Malraux à Pékin, d'abord avec le maréchal Chen-Yi, alors ministre des Affaires étrangères, puis avec le Premier ministre Chou En-lai et enfin avec Mao Tsé-toung — discrètement flanqué du président Liou Shao-chi. Si on oppose à la version de ces entretiens que donnent les Antimémoires des comptes rendus tant bien que mal reconstitués par le truchement de témoins, ce n'est pas pour donner une dérisoire leçon d'exactitude à l'écrivain — ni même au ministre. C'est d'abord parce qu'il est passionnant d'observer le remodelage qu'opéré, à partir de la vérité (approximative) une haute et illustre imagination; c'est aussi parce qu'il se trouve que l'imagination du plus grand artiste peut être par instants moins riche ou moins savoureuse que la vérité elle-même.
Témoin le premier entretien d'André Malraux à Pékin, celui qu'il eut avec Chen-Yi. De son récit, il ressort que « chez le maréchal, tout est convention » et qu'en lui on n'entend qu'un « disque ». Jugement étrange, parce qu'il se rapporte à un entretien d'un grand intérêt (sur l'intervention chinoise au Vietnam, sur les rapports entre Ayoub Khan (Chef de l’Etat pakistanais) et les Américains, sur la Sibérie et l'URSS ; mais il n'en relate pas, il est vrai, le plus drôle. Il parle au début d'un échange de « salamalecs ». Ce qui est moins savoureux que leur premier dialogue...
Pour ce qui est de la rencontre avec Mao Tsé-toung, les choses se compliquent. Quatre version en existent : celle dont dispose le Quai d'Orsay, celle du ministère des Affaires étrangères chinois, celle que Malraux a donnée, en rentrant, au Conseil des ministres, le 18 août 1965, dotée de quelques trouvailles originales, et celle des Antimémoires, la plus décorative. C'est par elle qu'on débutera, sans crainte de déception ultérieure. Là encore, la vérité vaut bien son poids d'artifice... Ayant défini d'abord sa « mission » - échange d'informations au niveau le plus élevé, évaluation de ce que la France représente pour les maîtres de la Chine, tentative de sondage de ce qu'ils attendent du reste du monde, Malraux entreprit de tracer le portrait de Mao, de faire le récit de sa carrière, de définir son pourvoir et celui du Parti. Et il évoqua ses trois entretiens qu'il résuma ainsi : Chen-Yi, l'essai du disque ; Chou En-lai, le disque ; Mao, l'histoire... Il mit l'accent sur la crainte du « révisionnisme », sur l'idée de progrès matériels, sur l'aspect très « chinois » et indépendant de la pensée de son hôte ; enfin sur sa sérénité. Il fit observer aussi que Liou Shao-chi avait été, à diverses reprises pendant la conversation, consulté par Mao Tsé-toung – notation qui disparait naturellement de la version des Antimémoires, postérieure à la chute de Liou.
Mais ce qui fut dit réellement ? Pour autant qu'on en puisse recouper les échos, l'entretien fut un peu moins épique, un peu plus terre à terre. Lorsqu'un fonctionnaire de l'Ambassade de France à Pékin lui présenta le lendemain la sténographie officielle du « Département », qui ne devient pièce d'archives diplomatiques qu'après approbation du principal intéressé, Malraux dit simplement : « Je compléterai ». Il compléta. On peut regretter qu'il n'ait pas publié le texte. Essayons, à partir des documents français et chinois – qui signalent, par une intervention, la présence de Chen-Yi, non celle de Liou Shao-chi - d'en rétablir la substance...
Dans l'ensemble, le texte chinois, plus fourni, donne davantage de place aux interventions de Malraux. Le président Mao fournit une indication historique intéressante : « Si nous n'avions pas été attaqués par Tchang Kaï-shek, jamais nous ne l'aurions attaqué »...
Sur le décalage entre la version des Antimémoires et ce qu'ont pu recueillir de l'entretien les témoins professionnels, Malraux s'est d'ailleurs expliqué dans une interview avec Henri Tanner, correspondant du New York Times à Paris, en octobre 1968. Il faut lui donner la parole : « J'allais voir Mao pour des raisons d'Etat. Il y avait donc notre délégation... Ce qui s'est passé est que nous étions seuls au moment le plus personnel, le plus humain... Il avait voulu reprendre sur le passé... alors il a laissé partir tous les officiels... et comme il marche comme... un empereur de bronze... les jambes raides... il y avait un espace et j'étais avec sa traductrice et avec lui... Dans la conversation il ne parle pas chinois, il parle en dialecte hounanais, la traductrice peut traduire aussi bien le hounanais que le mandarin ; alors quand il ne voulait être compris que de moi et pas de l'interprète français, il parlait hounanais... »
Malraux ajoute : « Quand on étudiera la sténographie des ministères des Affaires étrangères français et chinois, on s'apercevra que (mon texte) est excessivement près de la sténographie... Naturellement, il y a toujours la mise en oeuvre. »
Ce beau voyage, il n'en reste guère. Pour Malraux tout au moins – hormis une gloire qui parvint jusqu'aux oreilles de M. Nixon, l'homme du monde le plus inapte à déchiffrer tout seul une ligne de Malraux, et quatre-vingt-cinq pages des Antimémoires. Les dirigeants de Pékin les ont peu gouûtées, ces pages, ce qui explique en partie le silence fait depuis lors sur ce voyage, alors qu'on parle si volontiers en Chine de ceux de MM. Couve de Murville, Bettencourt ou Chaban-Delmas.
Déjà, les maîtres de la pensée officielle chinoise jugeaient assez sévèrement les Conquérants et la Condition humaine, épopée du défi métaphysique, hymne à la mort aussi éloigné que possible de l'attitude chinoise (tant confucéenne que marxiste) et description d'une révolution qui aurait été faite par des étrangers. Peut-être les dirigeants de Pékin n'appréciaient-ils pas non plus que Malraux laissât courir la légende de sa participation à telle ou telle phase de leur révolution. Cette Chine où il a situé ses romans, urbaine, cosmopolite, métaphysicienne, pathétique, quêteuse d'aide étrangère, où les révolutionnaires autochtones sont tous des terroristes, quelle image plus déconcertante Malraux pouvait-il suggérer aux dirigeants chinois qui ont voulu leur révolution rurale, intensément chinoise, optimiste, mue par « les masses » ? Mais quoi de plus injuste que cette incompréhension, quand on pense aux innombrables non-Chinois qui auront appris dans Malraux à respecter la Chine et sa révolution ?
C'est pourquoi il faut citer ce mot d'un diplomate chinois à qui je demandais en 1972 comment, en fin de compte, était jugé Malraux dans son pays. Il rit un peu, de ce rire qui signifie que le sujet est délicat. Puis : « Pour nous, c'est un ami de la Chine. Il était de notre côté dans les moments les plus difficiles... »

Moura, Jean-Marc. Dialogues chinois, légendes du Tiers Monde.
L'étude de l'image de la Chine dans les Antimémoires consistera d'abord à replacer le récit malrucien dans son contexte, avant de montrer comment se construit une légende chinoise incluant 'l'empire du milieu' dans l'espace imaginaire plus vaste de l'Asie pour enfin déceler les éléments d'une Chine devenant, selon le voeu de Mao, figure du tiers monde.
L'image des pays asiatiques dans les Antimémoires revêt une triple dimension : elle éclaire le destin de l'Occident, elle permet d'engager une méditation sur l'Histoire, elle apporte les éléments nécessaires à une interrogation métaphysique.
Au centre du voyage de Malraux se trouve l'entretien avec Mao. La critique confronte les trois comptes rendus de la rencontre, l'un issue de la sténographie chinoise, le second de la sténographie française et la version des Antimémoires. Les deux sténographies sont concordantes, mais la chinoise semble plus complète.
Selon Jacques Andrieu : Selon les Chinois, Malraux aurait déclaré à Mao : « je suis très ému de pourvoir être assis, aujourd'hui, à côté du plus grand révolutionnaire de notre époque après Lénine ». Ce propos n'apparît pas dans la version française, comme si le rédacteur avait jugé indécente une telle flatterie dans la bouche d'un ministre français. Mao semble peu intéressé par la conversation et reste froid durant tout l'entretien, d'autant plus que Malraux commet certains impairs diplomatiques. Il évoque ainsi le parti communiste français qui chercherait à maintenir la balance égale entre Moscou et Pékin, idée incongrue qui déclenche l'hilarité de Mao, ou bien il parle des « communes populaires » alors qu'en 1965, il y a plus de trois ans que, à la suite de la famine du Grand Bond en avant, celles-ci, invention maoïste, ont été démantelées.
Malraux paraît inventer par ailleurs des répliques : celle d'un Mao lui confiant « Je suis seul avec les masses » et le monologue de Mao qui suit et qui ne figure pas dans les sténos. Ces déformations et inventions littéraires peuvent s'expliquer : la réalité de l'entretien avec Mao ne correspond nullement à la situation d'énonciation souhaitée par Malraux, celle d'une reconnaissance provenant d'un acteur historique révolutionnaire de premier plan. La grandiloquence parfois et la sollicitation des paroles de Mao pour servir des idées malruciennes s'expliqueraient alors par la difficulté de Malraux à reconnaître son échec.
On doit replacer la présentation malrucienne de la Chine non seulement dans son contexte imaginaire mais aussi dans l'économie générale des Antimémoires et des représentations des autres civilisations.
La figure historique cardinale et omniprésente dans Le miroir des limbes est le général de Gaulle. Pour ce qui concerne les Asiatiques, deux êtres atteignent à la grandeur historique : Nehru et Mao. Chefs d'Etat, ils ne sont pas de simples politiciens qui ont réussi, Mao « est la Chine ». Aux yeux de Malraux, ils sont moins personnes que présences symboliques. La Longue Marche subit un élargissement épique manifesté par l'évocation. Le dépouillement descriptif qui accompagne ensuite les propos de Mao, le climat de grandeur instauré par un lexique de l'éternel et de l'universel lui confèrent la présence monumentale de la statue.
L'Asie du Miroir des limbes est caractérisée par un syncrétisme où s'échangent les divers temps de la vie de Malraux et d'autres existences. Pour l'image de la Chine, il intègre le pays et sa figure révolutionnaire, Mao, à une vision légendaire de l'Orient. Cette métamorphosene s'accomplit pas sans de profondes distorsions de la réalité. On peut en ce sens parler avec Andrieu de mystification condamnable à plusieurs titres : parce que le texte malrucien est peut-être la source de la 'mao-manie' française, parce que l'auteur « utilise la position d'autorité que lui confère son statut de témoin et de chroniqueur impartial pour en fait faire oeuvre de littérateur, et parce qu'enfin, il trahit la solidarité qu'il devrait avoir avec les écrivains persécutés ».

Sun, Weihong. La Chine chez Malraux : de 'La tentation de l'Occident' aux 'Antimémoires'.
Ce que les lecteurs, et surtout les lecteurs chinois, veulent vraiment savoir, c'est si, durant cet été 1965, et donc à la veille de la fameuse Révolution culturelle, Malraux en a perçu quelques prémices. En tant qu'écrivain, dont la célébrité première provient surtout de ses livres traitant largement de la Chine, pouvait-il se rendre compte, en ce moment historique bien particulier, de la situation dans laquelle se trouvaient la culture, l'intelligentsia et la population chinoises ? Beaucoup de restrictions, bien sûr, ont dû l'empêcher d'observer la Chine de plus près, mais un fait qu'on ne peut tout de même pas nier, est qu'on ne ressent pas les préoccupations de Malraux sur ces questions-là dans le livre.
D'abord, la description lyrique de La Longue Marche, une sorte d'introduction resplendissante, puis, les entretiens avec Chen-Yi et Chou Enlai, préparations d'un ton modéré. Parmi les anciens dirigeants du parti communiste chinois, Chen et Chou sont tous deux dotés d'une personnalité très forte, surtout Chou qui a vécu des moments extrêmement complexes et périlleux dans sa vie politique. Presque aucun visiteur étranger qui ait conversé avec lui n'a eu cette impression de sécheresse ; seul Malraux l'a trouvé ennuyeux et délicatement distant.
Finalement, le plus excitant arrive enfin, avec la présence si attendue de Mao Tsé-toung. Si on compare la version de cet entretien de 26 pages imprimées que donnent les Antimémoires, aux comptes-rendus de huit feuillets dactylographiés du sommet Malraux-Mao, on voit bien que ce passage du livre relève en grande partie du fantasme de l'auteur ; en effet, on remarquera une ressemblance frappante entre la façon de parler de Mao et celle de Malraux, et une intimité étonnante entre les deux, comme s'il s'agissait de vieilles connaissances qui puissent facilement aborder n'importe quel sujet et en changer n'importe quand, ce qui ne correspond évidemment pas aux rapports réels des deux personnages. Certes, le titre choisi Antimémoires signifie que chronologie ou exactitude, telles que peuvent les concevoir les historiens, ne comptent pas pour l'écrivain, mais du point de vue littéraire, au moins, on peut indiquer que cette structure n'est pas tout à fait gratuite : dans ces antimémoires romanesques, Malraux nous conduit pas à pas devant un grand autel dressé à Mao Tsé-toung, sur lequel les deux personnages, Mao, maître d'un continent mystérieux, et Malraux, sont en train de converser sur le destin humain. Si on fait un bilan de la vie de Malraux, on peut voir que ce dernier aime toujours avoir pour compagnie les grands hommes, les grands événements et les grands sujets ; en voilà donc un très bon témoignage.
Dans cette partie des Antimémoires, certains détails méritent aussi d'être indiqués. D'abord, Liou Shao-shi, alors président de la République, devient ici une ombre à peine entrevue. Ce n'est peut-être pas sans rapport avec le fait que Liou avait été destitué pendant la Révolution Culturelle au moment où Malraux rédigeait ses Antimémoires. Malraux ne sait probablement pas comment dépeindre cet ancien président dans une scène où Mao, le grand personnage accentué, occupe la place centrale. Malraux ne montre d'ailleurs pas beaucoup de sympathie pour Liou. Un autre point important, c'est que, dans son entretien avec Malraux, Mao a lancé un message très significatif sur ce qui se passerait après : il parle des intellectuels, en les considérant comme une partie importante de l'opposition, des révisionnistes ( il n'y a là pas grande différence entre l'oeuvre de Malraux et le compte rendu brut du dialogue chinois). Mais Malraux, qui connaît bien les purges staliniennes et le mouvement antidroitiste de la Chine, a été insensible aux rares messages émis durant cet entretien, insensible au danger de cette allusion de Mao à de possibles persécutions des intellectuels. Pourquoi ce manque de perspicacité d'un homme si intelligent ? Parce que là n'est pas son intérêt.
Pour le Malraux de 1965, la période communisante est déjà un passé lointain. On remarque que, dans les Antimémoires, Mao est décrit comme un « empereur de bronze », comme « le Vieux de la montagne », qui se plaint de sa solitude. Allusion possible à l'esprit démodé et au caractère tragique de Mao. Mais tout cela compte peu pour Malraux. Le plus important à ses yeux, c'est la puissance et les exploits d'un homme ; un homme qui, quand il a réussi à triompher de sa destinée avec une forte volonté de dominer, mérite d'être proclamé héros. On revient alors à notre sujet : malgré cette part considérable de la Chine dans son oeuvre, Malraux n'est pas un écrivain qui s'intéresse vraiment à l'histoire et la culture chinoises, qui s'intéresse vraiment à la vie, au destin des Chinois sur cette terre appelée la Chine. En d'autres termes, la Chine n'est pas objet de son émotion et de ses sentiments. Ce dont Malraux se préoccupe le plus, ce sont les grandes lois sur l'existence de l'Homme au sens le plus large, et les révoltes antidestin des Grands et des puissants, car seules ces choses-là sont étroitement liées à sa propre vie et leur description incarne sa propre volonté d'existence.

Mentioned People (1)

Malraux, André  (Paris 1901-1976 Créteil bei Paris) : Schriftsteller

Subjects

Literature : Occident : France

Documents (2)

# Year Bibliographical Data Type / Abbreviation Linked Data
1 1976 Lacouture, Jean. Malraux : une vie dans le siècle 1901-1976. (Paris : Ed. du Seuil, 1976). Publication / Mal5
2 2008 Malraux et la Chine : actes du colloque international de Pékin 18, 19 et 20 avril 2005 = Ma'erluo yu Zhongguo guo ji xue shu yan tao hui lun wen ji. Qin Haiying deng zhu. (Shanghai : Shanghai ren min chu ban she, 2008).
马尔罗与中国国际学术研讨会论文集
http://www.malraux.org/index.php/archives/archivesdusite/804-pam5-6.html.
Publication / MalA12