Malraux, André. La métamorphose des dieux [ID D23480].
Godard, Henri. Les arts d'Extrême-Orient dans La métamorphose des dieux.
Malraux avait été initié au monde de l'art autant par des visites au Musée des arts asiatiques [Musée Guimet]. Ces visites ne font pas de lui un spécialiste des arts d'Extrême-Orient, pas plus d'ailleurs que des religions de cette partie du monde. Guidé par sa convicton fondatrice que tout art plastique est la traduction dans le domaine des formes d'une vision du monde, il trouve dans le parallèle des arts orientaux et occidentaux des confirmations et des illustrations spectaculaires de cette conception. Sans négliger pour autant aucun des autres arts du monde, il perçoit dans chacun de ces deux arts-là une révélation réciproque des fondements de l'autre et trouve dans leur confrontation une possibilité privilégiée de poser les questions de la nature et de la finalité de l'art lui-même.
De la sculpture, Malraux cinsidère surtout les effigies bouddhiques datant des époques antérieures à l'inflexion du bouddhisme vers une religion de la compassion. Selon une démarche qui lui est familière, il oppose à deux reprises des photographies de têtes de Boddhisattva, l'une de l'époque Wei, l'autre plus tardive, et deux têtes gothiques provenant l'une de la cathédrale de Chartres, l'autre celle de Beauvais. Le commentaire qu'il en fait : « Il y a dans l'oeuvre chrétienne un bosselage des plans qui semble vouloir faire éclater le visage, alors que ceux de la tête bouddhique se conjuguent en idéogramme. La bouche chinoise, ce sont des lèvres ; la chrétienne, une blessure. Dans les deux, l'oeil est figuré par un cerne continu des paupières. L'inférieure est presque la même : la supérieure devient à Chartres un arc tendu vers la puissante arcade sourcilière, qui rejoint le nez en cernant une joue dévastée ; alors que la même courbe atteint la commissure des lèvres du Boddhisattva par une succession de plans adoucis. »
Pour la peinture, l'attention de Malraux se concentre sur les lavis de paysages ou de fleurs, oiseaux et autres êtres animés. Le fait majeur dans ce domaine est que, alors que d'innombrables régions du monde nous ont légué des chefs-d'oeuvres sculptés, l'Extrême-Orient est le seul à posséder, avec l'Occident, « ce que nous appelons 'une peinture' » séculaire qui forme tradition, c'est-à-dire qu'à toute époque chaque peintre nouveau se situe par rapport à ses devanciers, tantôt immédiats, tantôt lointains. Par la longueur et la continuité de cette tradition, les deux peintures, occidentale et extrême-orientale, sont déjà en situation de face à face. Dans l'une et dans l'autre, la tradition des oeuvres elles-mêmes se double qui plus est et s'enrichit d'une tradition de commentaires, souvent dus aux peintres eux-mêmes. Cette ressemblance n'a pas échappé à Malraux, qui, de même qu'il cite très souvent les propos de peintres européens, se réfère par deux fois dans ces chapitres à une phase de Tche-Tao (Shi-tao) dans laquelle il voit à juste titre une quintessence de l'esprit de la peinture chinoise. Il s'y ajoute enfin un très remarquable sentiment de l'unité de toute la peinture chinoise. Il est attiré par tout ce qui s'écarte des peintres de l'Académie des Song et de son raffinement, il ne manque jamais, quand il parle de ce sujet, de souligner tout ce que cette peinture dite 'excentrique' a en commun avec les maîtres par rapport auxquels elle prend une distance. Par deux fois, il reproduit en vis-à-vis, sur le même sujet, une peinture Song et un lavis de Tchou-Ta, moins pour mettre en évidence les différences qui les séparent aux yeux d'un Occidental que pour finalement les minimiser. « La peinture chinoise – et même extrême-orientale - n'est pas l'équivalent de celle d'une école d'Europe, mais de la peinture européenne. »
Parmi les questions de technique et de représentation, Malraux met l'accent sur deux points d'opposition : le traitement de l'espace et le refus par l'une des deux peintures, l'extrême-orientale, de ce dont l'autre tire ses effets décisifs : la couleur.
La peinture extrême-orientale s'est édifiée sur un choix opposé de la peinture d'Europe : le refus d'une perspective focalisée, unifiée et cohérente qui situerait les divers éléments représentés dans un même espace, et donc, puisque les deux formes a priori de notre sensibilité sont inséparables, également hors du temps. Dans cette peinture, même lorsque, à la différence des lavis, elle représente des êtres animés, et même en mouvement, 'rien ne se passe'. Ce traitement de l'espace est rendu plus sensible encore lorsque le lavis se présente sous cette forme inconnue de la peinture occidentale : le rouleau horizontal portatif, dans lequel le spectateur ne vois jamais, grâce à un déroulement progressif, qu'une partie du paysage représenté. La peinture extrême-orientale ne l'ignore pas, comme en témoignent les pages d'album et les rouleaux verticaux quand ils sont complètement déroulés, mais, au contraire de la peinture occidentale, elle ne lui a pas accordé de monopole.
Comme pour la sculpture, l'analyse des formes et des techniques va de pair chez Malraux avec une attention toujours en éveil au fond de spiritualité dont elles lui paraissent procéder. Il s'agit ici non plus de bouddhisme mais du taoisme. Les commentateurs occidentaux n'entrent guère, en général, dans l'interprétation des lavis en fonction de la cosmologie taoïste et du rôle qu'elle attribue au Vide, aux Souffles vitaux, à la Voie de la transformation, ou à la complémentarité du ying et du yang. Malraux va au contraire aussi loin que possible dans ce sens, toujours en prolongeant par l'intuition les connaissances qu'il possède dans ce domaine.
Il est révélateur de la démarche essentiellement comparative de Malraux qu'il oppose semblablement la sculpture d'inspiration bouddhique et la peintrue d'inspiration taoïste à leurs correspondants occidentaux. Les spiritualité bouddhist et taoïste diffèrent entre elles sur des point importants, la pemière plaçant la vérité ultime du monde dans une notion de Néant, alors que la seconde conçoit ce même monde comme un processus sans fin de transformation auquel il ne tien qu'à l'homme de participer, par sa sagesse, pour son grand bonheur.
Dans la peinture extrême-orientale, Malraux trouve à la fois une confirmation de l'intuition qui lui fait voir dans tout grand art la figuration plastique d'un sentiment existentiel, et un sentiment existentiel qui est l'exact opposé de celui que traduit l'art occidenta. C'est l'une de ses plus belles idées, formulée dans l’Introduction, que les civilisations, si étrangères qu'elles puissent paraître les unes aux autres, sont autant de 'possibles' de l'humanité.
Literature : Occident : France