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1948.5

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Claudel, Paul. Sous le signe du dragon [ID D3550]. (5)
CHAPITRE VI
LE COMMERCE ET L'INDUSTRIE
Les indications éparses au cours des chapitres précédents, ont déjà donné l'idée de ce que peut être le commerce intérieur ou extérieur de la Chine.
A l'intérieur, comme il faut s'y attendre dans ce pays de production homogène, on ne peut constater de grands coulants d'échanges, aucune province ne dépend absolument d'une autre pour les articles de première nécessité. Le seul exemple qu'on ait pu citer longtemps de ces compensations régulières est celui des sucres de la région de Swatow qui étaient envoyés en Mandchourie, d'où leurs vendeurs importaient des tourteaux de fèves destinés à l'engrais des champs de cannes. Ce trafic a servi longtemps de soutien principal à la navigation côtière. Aujourd'hui il est gravement menacé, sinon complètement interrompu. D'une part les sucres du Kwang-tung ne peuvent plus lutter avec ceux que raffinent à Hong-Kong les grandes usines de Butterfield; d'autre part les tourteaux de fèves, dont les vertus fécondantes viennent d'être révélées à l'Europe, sont achetés maintenant en grande quantité par les Japonais et la clientèle étrangère. Il faut mentionner aussi le commerce du riz. Certaines parties du Sud et de la Chine (Kwantung et Fo Kien) se trouvent en déficit alimentaire chronique et sont obligées de faire venir le surplus de céréales dont elles ont besoin du Yang tze, spécialement de la région du Wuhu. Cette nécessité économique, beaucoup moins grande aujourd'hui, depuis que les relations sont si faciles avec la Cochinchine et le Siam, sert à expliquer la dépendance politique par rapport au reste de l'Empire de ces provinces qui en sont séparées par la nature et par les tendances de leurs habitants. En dehors de ces exceptions et de quelques autres, le trafic intérieur de la Chine se limite à des articles de pacotille, ce que les statistiques de la douane appellent des « Sundries », faïences, papiers, médicaments, quincaillerie, fruits secs, etc. et au transport des marchandises étrangères entre les ports ouverts et les différents centres intérieurs.
Avant de passer à l'examen du commerce extérieur une question préliminaire se pose : c'est l'évaluation du dommage que la concurrence étrangère a pu infliger à l'ertreprise locale. Sur un point au moins ce dommage paraît certain, comme d'ailleurs il était inévitable : c'est dans la substitution aux anciennes jonques et lorchas à voiles des bateaux à vapeur européens. Les vieux bâtiments, favorisés par le régime régulier des vents sur la côte de Chine, (brise du nord en hiver et mousson du sud en été) ont longtemps lutté : aujourd'hui leur sort est misérable et leur nombre diminue, au grand dommage du pittoresque. La sécurité des transports, la ponctualité des arrivages sont des avantages tels que la clientèle chinoise devait finir par leur faire le sacrifice de tous les menus tripotages que permettait la lente navigation indigène. [Part des différents pavillons dans la navigation de cabotage sur les côtes de Chine (1909). Importation de marchandises indigènes. Chiffre total 376.945.943 HK.T. Pavillon chinois (bateaux à vapeur) 136.176.552. Pavillon britannique 146.826.659. Pavillon japonais 47.563.029. Pavillon allemand 28.106.451. Pavillon français 7.066.492. Pavillon norvégien 8.563.543. Le chiffre des importations par jonques n'est pas donné.] Non seulement la marine locale a souffert mais le dommage s'est étendu à l'industrie des transports intérieurs : et certaines voies telles que la route historique de Canton à Pékin par le col de Meî Lin, le Yang Tze et le Grand Canal ont été peu à peu désertées. (Voir sur cette route la relation du voyage de l'ambassadeur Macartney.) Partout ailleurs l'ingérence de l'Europe a eu moins pour résultat de supplanter une ancienne branche de l'industrie locale, que de créer dans le peuple des besoins nouveaux à satisfaire. Nous avons cité l'exemple du tabac et de l'opium : nous pourrions aussi bien faire mention des allumettes, du pétrole et des appareils d'éclairage, du savon et de l'argent monnayé.
Nous arrivons ainsi au caractère principal du commerce que la Chine entretient avec les nations extérieures : c'est que ce commerce, si important qu'il soit, ne porte pas sur des articles de première nécessité. Les relations du pays avec les nations étrangères pourraient être suspendues, sans que la vie économique du pays fût gravement compromise. A part les machines et le matériel de chemin de fer, la Chine n'importe aucun article dont elle ne puisse se passer ou fournir l'équivalent. C'est d'ailleurs ce qui se produit dès que le change devient trop élevé ou que les prix dépassent les facultés des acheteurs.
La réciproque est d'ailleurs vraie. Si l'on parcourt la liste, d'ailleurs assez courte, des produits chinois qui font l'objet de la part de l'étranger d'une demande régulière, on voit en tête deux articles qui sont proprement des articles de luxe et dont les analogues sont fournis en quantités de plus en plus grandes par d'autres pays : la soie et le thé. Viennent ensuite les fèves de Mandchourie (soya bcans) qui n'ont pris que tout récemment place sur les statistiques, puis une série de matières premières qui n'ont rien de spécialement chinois et dont l'exportation prouve le peu d'avancement industriel du pays, peaux de toute espèce, laines, soies de porc, etc. dont le chiffre total, bien que sans cesse en accroissement, est encore bien insignifiant si l'on songe que la Chine est un des pays les plus riches en minéraux du monde entier. [La Chine avec ses champs de charbon qui couvrent des districts entiers n'en exporte pas une tonne et en importe au contraire (1909) 1.516.629 tonnes (8.377.186 HK. T.).]
Si l'on se rappelle les observations faites au cours du chapitre précédent sur la manière dont s'exerce le commerce européen, sur son absence totale de contact avec les marchés intérieurs, si l'on songe qu'encore aujourd'hui les marchands européens sont comme isolés sur quelques pontons mal accrochés à la terre ferme, on verra que la prise économique de l'Europe sur la Chine et la pénétration par ce canal des deux civilisations est beaucoup moins intime qu'on ne l'imagine généralement. On peut même dire, en jetant un coup d'œil d'ensemble sur les cinquante années qui se sont écoulées depuis les traités de Tientsin, qu'il y a sur certains points régression. Les Européens ont été aujourd'hui presque entièrement évincés des petits ports où tout le commerce des marchandises étrangères est dans les mains des firmes indigènes. Toute la puissance économique étrangère s'est concentrée dans deux grands centres de distribution : Hong-Kong et Shanghaï; et dans trois centres d'exportation : Tientsin, Han-kéou et Canton. En réalité pour ses achats à l'étranger, le Chinois n'a besoin de l'Européen que par suite du mauvais état de son crédit et pour avaliser sa signature.
Ces considérations générales épuisées, il nous reste à entrer dans quelques détails.

IMPORTATIONS.
Comme nous l'avons indiqué plus haut, les objets d'alimentation figurent sur les statistiques pour une somme relativement peu importante. C'est ainsi que sur un chiffre total d'importations étrangères (1909) de 418.158.057 HK. T. nous voyons figurer le riz pour 15 1/2 (millions de taëls), - je ne donne que les chiffres ronds, - la farine de froment pour 21/2, les poissons secs et divers pour 15, le sucre pour 25 (provenant de Java et des grandes raffineries de Hong-Kong : propriétés des deux principales firmes anglaises Butterfield et Jardine, qui assurent le fret des lignes de navigation qui battent leur fanion), les vins et liqueurs pour 3, les fruits secs pour 700.000 taëls. Rien pour la viande abattue ou sur pied : la Chine au contraire en a exporté pour près de 5 millions de taëls.
La Chine, ayant une industrie très peu développée, importe fort peu de matières premières. Les métaux qu'elle achète, pour une valeur bien minime (17 millions de taëls en tout) sont ou des ferrailles, ou des articles soit complètement fabriqués soit ayant subi déjà une première main-d'œuvre.
En raison de l'énorme consommation qu'elle en fait, pour sa batellerie, pour ses constructions de toute sorte, dont le bois est avec la terre comprimée et la brique l'unique élément, pour les cercueils, en raison aussi de la dévastation de ses réserves, la Chine est obligée de faire venir le bois de l'étranger en quantités de plus en plus considérables (près de 4 millions de taëls). Enfin comme elle apprécie de plus en plus les avantages du pétrole, elle en achète en Amérique, en Russie, à Bornéo, à Sumatra, des quantités toujours
croissantes.
Sous ces réserves on peut dire que la presque totalité des importations étrangères en Chine, consiste en articles fabriqués.
Au premier rang de ces articles se présentait autrefois l'opium. Il ne figure plus aujourd'hui sur les statistiques que pour 35.000.000 de taëls et doit en disparaître totalement d'ici cinq ou six ans, quand la convention avec l'Angleterre aura reçu sa pleine application. Disons à ce sujet que. les vendeurs indiens n'ont subi jusqu'ici du fait de la prohibition éventuelle de l'opium aucun dommage : bien au contraire. La restriction de la vente et l'interdiction de la culture de l'opium indigène ont eu pour principal résultat de faire énormément monter le prix de la drogue. Le tabac représente 4 millions 1/2 de taëls.
La place ainsi laissée vacante est occupée aujourd'hui par les filés et tissus qui représentent 145 millions de taëls sur le chiffre total de 418, soit plus du quart. Dans ce chiffre les filés et tissus de coton figurent pour 137, le reste étant la part des lainages et mélangés et des soieries. En 1867 l'importation des manufactures de coton était de T. 14.617.268. (Il est vrai que le taël valait à cette époque de 7 à 8 francs.)
Comme le remarque M. Morse, déduction faite des tissus fins, blancs ou teintés, dont l'importation représente 17 % du chiffre total des cotonnades, tout le reste est composé de produits demi-achevés qui reçoivent dans le pays même leur complément de main-d'œuvre, la teinture par exemple pour les tissus. Pour les filés (en y comprenant le produit des filatures à vapeur de Shanghaï). M. Morse estime qu'ils représentent aujourd'hui la moitié de l'importation des cotonnades étrangères. « Ces filés, dit-il, sont importés pour fournir une forte trame sur laquelle les gens du peuple dans leurs foyers tissent une toile grossière et solide employant pour chaîne le coton chinois filé à la main. Ils pénètrent dans tous les coins de l'Empire, et dans toutes les rues des villages on peut voir les longs écheveaux blancs dévidés et tendus par les femmes en attendant le travail du métier.
Dans les pays occidentaux le bon marché des filés à la machine a évincé les bobines de nos grands-mères. En Chine la machine a supplanté le rouet, mais non pas encore Je métier à bras ».
Sur la liste des divers (sundries) qui s'allonge d'année en année et qui témoigne du goût croissant des indigènes pour les commodités européennes, il y a peu de gros chiffres à relever. Les plus forts se rapportent au matériel de chemins de fer (13 millions de taëls), aux teintures naturelles ou artificielles (9), aux machines (5 1/2), aux allumettes (5 1/2), aux papiers (4), aux sacs de jute (4), aux ci gardes (3 1/2), aux médicaments (2 1/2), au matériel électrique (1 1/2), au ciment (1 1/2), aux verres à vitre et véneries (1), au savon (1), aux bougies (1).
Cet aperçu sommaire que nous venons de donner du commerce d'importation [Il faudrait ajouter les armes et munitions de guerre, importées pour le compte du gouvernement, et qui représentent une somme importante, quoique ne figurant pas au tarif.] de la Chine permet les réflexions suivantes : il est certain que les entrées de cotonnades (filés et tissus), ayant le caractère de demi-matière première, sont appelées à se restreindre notablement à mesure que la production mécanique du pays se développera. Il en ira de même sans doute pour tous les articles simples et grossiers que la Chine un jour ou l'autre sera sans doute en état de produire elle-même. En revanche, à mesure que la « civilisation » se. développer a, à supposer que les ressources du pays subissent un accroissement correspondant, la Chine verra s'accroître le nombre et l'importance de besoins que l'industrie étrangère seule sera en état de satisfaire.

EXPORTATIONS.
Nous n'avons ici qu'à ajouter quelques détails aux traits généraux indiqués plus haut.
Remarquons tout d'abord que, tandis que tous les pays du monde s'efforcent de favoriser la vente au dehors de leurs produits, non seulement par une totale exemption de droits, mais par des rabais sur les tarifs de transport et par des primes, les marchandises exportées de Chine à l'étranger sont traitées peut-être plus sévèrement que les importations. Non seulement elles ont à payer des droits équivalents quand elles quittent le territoire chinois, mais elles ont moins de moyen d'échapper à l'avidité des mandarins et de profiter du secours précaire des « passes de transit ».
Pour les articles qui forment encore aujourd'hui le gros de l'exportation chinoise, les producteurs indigènes jouissaient autrefois d'un véritable monopole. Mais tandis qu'ils s'attardaient dans la routine des vieux procédés et que des charges fiscales devenaient de plus en plus gênantes, leurs rivaux, bientôt suscités, à l'étranger, connaissant mieux les goûts de la clientèle européenne et sachant mieux s'y plier, arrivaient à les supplanter. Il en a été ainsi partiellement pour la soie qui figure en tête de la liste des articles d'exportation. Bien que le cocon chinois donne le fil qui est le meilleur du monde (surtout celui de la marque célèbre Gold Kiling) le Japon en fournit aujourd'hui plus que lui aux acheteurs étrangers. Les cultivateurs, malgré tous les avis, n'ont pris aucune précaution pour obtenir de meilleures sélections et pour combattre les ravages de la pébrine : leurs faibles ressources ne leur permettent aucun effort individuel et les avantages d'un effort général et concerté sont au-dessus de ce que peut concevoir leur cerveau. Même observation pour le thé, où l'Inde et Ceylan font aujourd'hui à la Chine la part congrue. Évidemment si les envois de ces deux premiers pays ont pris un aussi prodigieux développement, ils le doivent en partie à leur qualité naturelle de fournir à prix égal une décoction plus forte et à l'avantage d'une distance moindre des marchés de consommation. Mais ils le doivent aussi à la manière excellente dont leur exportation a été administrée : franchise d'impôts de circulation, publicité intensive, entente des producteurs, absence de fraudes, etc. Pour un autre article, les tresses de paille employées par les modistes et chapeliers, les Chinois avaient également autrefois un privilège de production exclusive. Mais les paysans du Shantung ne fabriquent qu'un article assez grossier; on essaya de leur faire faire autre chose : ce fut peine perdue. Les Japonais au contraire fournirent tout ce qu'on leur demandait. Aujourd'hui le seul article pour lequel la Chine jouisse encore d'un monopole est la fève de Mandchourie (soya bean), dont la vente a pris en quelques années un énorme développement et dont l'exportation sous toutes ses formes représente aujourd'hui un chiffre de près de 52 millions de taëls. [« Avec le soya bean lui-même comestible, on peut faire une espèce de café, une espèce de lait et une espèce de fromage : L'huile qu'on en tire peut servir à la cuisine et à la fabrication du savon. Les tourteaux sont excellents pour l'engrais et la nourriture du bétail. » Returns of Trade, etc. Rapport de M. Chaloner.] Mais il est probable que dans cette culture aussi la Chine trouvera bientôt des concurrents. Il faut noter aussi, comme produits spécialement chinois la cire végétale et le « woodoil » provenant du fruit de l'elococcus, très employé aujourd'hui pour les huiles et vernis. Le reste de l'exportation consiste surtout dans le surplus de matières premières que le pays est incapable d'utiliser, graines oléagineuses, surtout le sésame, laines de moutons et de chameaux, cuirs, peaux de pelleteries, soies de porc, etc. Nous avons noté tout à l'heure le faible chiffre d'exportation des minéraux, en dépit de l'étendue et de la situation exceptionnelle de certains gisements où les filons de charbon et de fer sont superposés. Pour profiter de ces avantages extraordinaires, la Compagnie européenne du Shansi avait autrefois projeté de procéder sur place à la fabrication d'un produit demi-manufacture, la fonte, qui aurait mieux supporté les frais d'un long transport. L'avenir montrera si, dans des conditions politiques meilleures, une idée de ce genre ne pourrait être reprise. Un fait universel en Chine tend à entraver le développement des exportations, c'est la pratique de la fraude et de l'adultération des denrées dont tous les négociants se plaignent amèrement. M. Bard, chef de la maison Olivier de Langenhagen, donne à ce sujet des détails intéressants. Les laines sont volontairement mouillées ou chargées de terre et d'ordures de toute espèce pour en augmenter le poids. Le thé est mélangé de feuilles de saule. Le musc est remplacé par de la farine saturée de parfum. Les fourrures sont teintes et rapiécées. Enfin on va jusqu'à ouvrir les cocons un par un et à y coudre des grains de plomb! La fraude poussée à ce degré acquiert la dignité imbécile de l'art pour l'art. Un obstacle plus puissant encore au développement des échanger et de la circulation vitale en Chine est l'établissement des likins ou douanes intérieures dont nous avons déjà dit quelques mots. Le premier essai en fut tenté de 1812 à 1858 dans la région des deux Hon, au début de la grande Sédition. De là leur usage s'étendit rapidement aux autres provinces, la Mandchourie exceptée (jusqu'à ces derniers temps). Il faut surtout attribuer le rapide développement des likins au fait qu'à partir du moment où l'administration des douanes maritimes fut confiée à des mains européennes, l'argent par elle recueilli fut versé intégralement à Pékin et les autorités locales furent mises hors d'état de faire sur ces fonds aucun prélèvement. Les chiffres que nous avons donnés pour le Hoppo font comprendre de quelle importante source de profits elles se virent ainsi privées. En même temps la rébellion de Taipings qui ravagea la partie la plus riche du pays réduisit notablement le produit de l'impôt foncier. Enfin l'Empire entraîné dans la voie des armements rejetait sur les provinces une bonne partie des charges nouvelles qui le grevaient : il obligeait, par exemple, l'une des plus pauvres, le Fo Kien, à construire à elle seule un arsenal et une flotte. Les négociants des ports ouverts, les Consuls et les Ministres, ne cessèrent pendant de longues années de protester contre les likins, mais leurs réclamations restèrent vaines. Bien mieux, pour couvrir les emprunts que la Chine en 1895 commença à faire au-dehors, elle fut amenée, dès que le revenu des douanes se trouva complètement engagé, à proposer une partie de ses likins comme garantie supplémentaire, et l'Angleterre fut la première à accepter un nantissement de cette nature. Le traité Mackay contient bien un article VIII qui prévoit la suppression des likins, mais cet instrument diplomatique est sans doute destiné à rester longtemps encore lettre morte.
Les chiffres que nous avons donnés ci-dessus font ressortir la disproportion qui existe entre le chiffre des importations chinoises et celui des exportations, au détriment de ces dernières. Cette situation existe depuis de longues années déjà. Voici le tableau des chiffres afférents à la dernière décade :
Années Importations Exportations Différence
1900 211.070.422 158.996.732 52.073.690
1901 268.302.918 169.636.757 98.666.161
1902 315.363.003 214.181.584 101.181.419
1903 326.7397133 214.352.407 112.386.726
1904 344.060.608 239.480.083 104.580.525
1905 441.400.791 267.888.197 213.512.694
1906 410.270.082 236.456.739 173.813.343
1907 416.401.369 264.380.697 152.020.672
1908 394.505.478 276.666.403 117.839.075
1909 418.156.067 338.992.614 79.154.453
On voit par ce tableau que, depuis de longues années la Chine n'est pas en état de payer avec ses propres produits les achats qu'elle fait à l'étranger. Elle est donc obligée de les solder, pour la plus grosse part, sur son capital, et par là elle est en voie de continuel appauvrissement. Maints détails confirment d'ailleurs cette observation : absence de véritable luxe, absence de grandes fortunes comme celles que nous citions à propos du Hoppo et du Co-hong, exportations de métaux et objets précieux, curios, etc. Les importations sont appelées par la force des choses et de besoins sans cesse accrus à toujours augmenter. Les exportations au contraire, si la Chine ne change pas tout son régime économique, fiscal et monétaire, sont condamnées à souffrir de plus en plus du handicap que leur imposent la concurrence et la distance.
Il est juste de mentionner que les chiffres donnés ci-dessus doivent être corrigés par un essai d'évaluation de l'actif et du passif invisibles. J'en donne ci-dessous le tableau complet pour 1909 d'après M. Chaloner, secrétaire-statisticien des douanes maritimes :
PASSIF.
A. Valeur des marchandises importées dans les ports à traités de la Chine en 1909 au moment du débarquement. HK.T 418.058.067
B. Valeur des métaux précieux et monnaies importés. HK.T 81.889.376
C. Principal et intérêts des emprunts et indemnités. HK.T 53.700.000
D. Dépenses des légations et Consulats de Chine à l'étranger. HK.T 2.000.000
E. Dépenses des étudiants et voyageurs chinois au-dehors. HK.T 3.000.000
F. Profits nets des étrangers envoyés chez eux. HK.T 19.600.000
G. Frets et primes d'assurances. HK.T 6.750.000
H. Armes et munitions de guerre. HK.T 2.000.000 [Ce chiffre me paraît inférieur à la réalité et ne peut servir de moyenne.]
Total HT 586.997.443
ACTIF.
A. Valeur des marchandises exportées. HK.T 338.992.395
B. Valeur des métaux précieux et monnaies exportés. HK.T 21.840.459
C. Excès des exportations sur les importations dans le commerce non évalué par les frontières de terre. HK.T 2.600.000 (?)
D. Dépenses pour les mines, chemins de fer, etc. HK.T 16.000.000
E. Dépenses pour les légations et Consulats étrangers en Chine. HK.T 5.300.000
F. Garnisons étrangères. HK.T 8.600.000
G. Dépenses des navires de guerre étrangers, y compris celles des équipages. HK.T 9.000.000
H. Dépenses des bateaux de commerce et équipages. HK.T 3.000.000
I. Réparations aux navires étrangers. HK.T 12.500.000
J. Dépenses des missions, écoles et hôpitaux. HK.T 10.500.000
K. Dépenses des voyageurs étrangers en Chine. HK.T 6.000.000
L. Envois d'argent des émigrants chinois du dehors. HK.T 77.000.000 (?)
Total HT 511.332.854
Ainsi, en mettant les choses au mieux et dans une période relativement très favorable, la Chine aurait contracté en une seule année au regard de l'étranger une dette de 25 millions de taëls environ, soit près de 80 millions de francs. Cette situation, que l'on peut considérer comme normale, ne laisse pas que de prêter à réflexion.

L'INDUSTRIE.
Les premières tentatives d'introduction des procédés de l'industrie moderne en Chine ont eu une origine gouvernementale. Elles sont dues à l'initiative du fameux Vice-Roi Chang Chih Tung, (lui-même cependant un lettré de la vieille école), qui, après la guerre de 1885 avec la France, comprit la nécessité de donner à son pays l'outillage qui lui faisait défaut. Jusqu'à ce moment l'Empire n'avait eu d'autres établissements industriels que quelques « arsenaux » fondés ça et là, au hasard des bonnes volontés mandarinales. Le plus considérable fut celui de Foutcheou, où notre compatriote Gicquel construisit une petite flotte, anéantie par nos soins en 1885; le plus absurde celui de Kwei Yang, construit au beau milieu du Kwei Tcheou, une des provinces les plus pauvres et les plus difficiles d'accès. Chang Chih Tung honnête homme, mais esprit brouillon et d'ailleurs parfaitement ignorant en dehors des classiques et de la routine du prétoire, éleva à Hanyang, avec l'aide de quelques ingénieurs belges et luxembourgeois (dont l'un, le directeur actuel, M. Rupert est un homme remarquable), une formidable usine métallurgique (hauts fourneaux et aciérie), qui, au moins pour l'argent dépensé, ne connaît point d'égale au monde. Cet établissement, plusieurs fois réinstallé, semble aujourd'hui (1910) marcher d'une manière assez satisfaisante. Il a fourni une grande partie des rails des nouveaux chemins de fer chinois (de médiocre qualité d'ailleurs, m'a affirmé M. Claude Kierfer) et il vend sa fonte jusque sur le marché de San Francisco. Évidemment il aura toujours à souffrir du mauvais choix de l'emplacement initial, perché à l'étroit au milieu de marécages qu'il a fallu remblayer à grands frais, plus avec des dollars que de la terre : éloigné au surplus de tous les centres de production des matières premières. C'est à Ping yang dans le Houpé, disent les experts, qu'on aurait dû le construire, sur un point où l'on aurait trouvé à la fois le minerai, le charbon et le calcaire. A côté de ses hauts fourneaux, Chang Chih Tung établit une fabrique de fusils et de l'autre côté du fleuve à Wuchang des filatures de soie et de coton qui coûtèrent les yeux de la tête et n'ont jamais rien rapporté.
Mais l'ouverture définitive de la Chine au mécanisme ne date que de 1895. Le traité de Shimonoseki, conclusion de la guerre sino-japonaise, contient dans son article VI,
§ 4, les dispositions suivantes :
« Les sujets japonais (et par suite tous les étrangers) seront libres de se livrer à toutes espèces d'industries dans toutes les villes et ports ouverts de Chine et seront libres d'importer en Chine toutes espèces de machines, moyennant le paiement des droits d'entrée stipulés.
« Toutes les marchandises manufacturées par les sujets japonais en Chine seront, sous le rapport des droits de transit et des taxes intérieures, ainsi que des droits et charges de toute nature, comme aussi sous le rapport des facilités d'entrepôt dans l'intérieur de la Chine, soumises au même traitement et jouiront des mêmes privilèges et exemptions que les marchandises importées par les sujets japonais en Chine. »
On s'attendait, au moment de la signature de ce traité, à voir la Chine, si favorisée par la nature et pourvue d'une abondante main-d'œuvre, devenir le théâtre d'un immense développement industriel. Les journaux du temps portent la trace des inquiétudes alors éveillées par le péril jaune et M. d'Estour-nelles de Constant en porta l'expression à la tribune de la Chambre. Cette attente ne s'est pas réalisée. Le développement des industries mécaniques en Chine, quoique réel, est lent et pénible et ne répond pas aux vastes espérances des premiers spéculateurs. Les grandes filatures de soie et de coton fondées à Shanghaï ont eu des années très pénibles à passer. A côté d'elles, des établissements gouvernementaux et des ateliers de réparation des navires, on ne peut citer que quelques minoteries, papeteries, fabriques de ciment, toutes fondations dont la vie est assez précaire. Nous allons essayer de déterminer les causes de cette situation qui, au premier abord, paraît assez surprenante :
1° II est vrai que la main-d'oeuvre en Chine est abondante et bon marché : mais il est non moins vrai que son rendement est inférieur en quantité et qualité à celui de l'ouvrier européen. Le Chinois manque de conscience et de soin; l'appât du travail aux pièces n'agit pas sur lui comme sur l'Européen. L'a peu près, le « chapouto » lui suffisent.
2° Le Chinois s'est montré jusqu'ici parfaitement incapable de la conduite d'une entreprise industrielle quelconque.
3° II est très difficile de trouver un bon directeur européen et un état-major blanc capable et solide.
4° Le vol et le coulage sont toujours énormes et très difficiles à réprimer. Les outils sont mal soignés et manœuvres sans intelligence.
5° Par suite de l'extrême bon marché de la main-d'œuvre courante, les machines souvent ne peuvent lutter contre le travail humain. C'est ainsi que les scieries mécaniques établies à Foutcheou n'ont jamais pu évincer les anciens scieurs de long et ont fini par leur acheter des planches.
6° Les industries naissantes ne sont pas favorisées en Chine comme dans les autres pays par des tarifs protecteurs. Au contraire celles qui sont établies dans les ports ouverts sont traitées comme étrangères.
7° L'industrie chinoise souvent n'est pas mieux placée que ses rivales au point de vue des approvisionnements. Il en est ainsi par exemple pour le coton qu'elle est obligée de faire venir en grande partie de l'Inde, de l'Amérique et de l'Egypte.
8° Les transformations incessantes nécessitées par le progrès du machinisme sont beaucoup plus difficiles à suivre pour des industries naissantes, de faible production et de maigre capital. Beaucoup d'installations manufacturières de Chine sont déjà arriérées.
L'avenir apprendra d'ailleurs si ces causes d'infériorité ne peuvent s'atténuer.

Mentioned People (1)

Claudel, Paul  (Villeneuve-sur-Fère-en-Tardenois 1868-1955 Paris) : Dichter, Dramatiker, Schriftsteller, Diplomat

Subjects

History : China : General / Literature : Occident : France

Documents (1)

# Year Bibliographical Data Type / Abbreviation Linked Data
1 1948 Claudel, Paul. Sous le signe du dragon. (Paris : Ed. La table ronde, 1948). [Datiert 1909-1911]. Publication / Clau4
  • Cited by: Internet (Wichtige Adressen werden separat aufgeführt) (Int, Web)