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Year

1772

Text

Diderot, Denis. Miscellanea philosophiques : Fragments politiques : Sur les Chinois [ID D20692].
Diderot schreibt :
Il est bon d'observer que les sciences et les beaux-arts n'ont fait aucun progrès à la Chine, et que cette nation n'a eu ni grand édifice, ni belle statue, ni poëme, ni musique, ni peinture, ni éloquence, au milieu d'un luxe auquel le luxe ancien des Asiatiques pourrait à peine se comparer, avec le secours de l'imprimerie et la communication exacte d'un lieu de l'empire à l'autre, c'est-à-dire avec tous les moyens généraux de l'instruction et de l'émulation. Quand je parle de l'état stationnaire des sciences à la Chine, je n'en exclus pas même les mathématiques ni ces branches de la connaissance humaine qu'un homme seul, isolé, méditatif pouvait dans cette contrée, ainsi qu'on le remarque ailleurs, porter par ses efforts à un grand point de perfection. C'est que partout où la population surabondera, l'utile sera la limite des travaux. Dans aucun siècle, en aucun endroit de la terre, on n'a vu l'enfant d'un homme opulent se faire peintre, poëte, philosophe, musicien, statuaire par état. Ces talents sortent des conditions subalternes, trop pauvres, trop malheureuses, trop occupées à la Chine à pourvoir aux premiers besoins de la vie. Il manque là l'intérêt et la considération, les deux aiguillons de la science et des beaux-arts, aiguillons également nécessaires pour se soutenir longtemps dans les contrées savantes. La richesse sans honneur, l'honneur sans richesse ne suffisent pas pour leur durée. Or, il y a plus d'honneur et de profit à l'invention d'un petit art utile chez une nation très-peuplée qu'à la plus sublime découverte qui ne montre que du génie. On y fait plus de cas de celui qui sait tirer parti des recoupes de la gaze, que de celui qui résout le problème des trois corps. C'est là surtout que se fait la question qu'on n'entend que trop fréquemment ici : A quoi cela sert-il ? Elle est dans tous les cas tacitement et universellement faite et répondue à Pékin. On n'élève des monuments éternels à l'honneur de l'esprit humain que quand on est bien pourvu de toutes les sortes de nécessaire ; car ces monuments sont la plus grande superfluité de toutes les superlluités de ce monde. Une nation telle que la chinoise, où le sol est couvert à peu près d'un tiers d'habitants de plus qu'il n'en peut nourrir dans les années médiocres, où les mœurs ne permettent pas les émigrations, où l'inconvénient de la population excessive va toujours en s' accroissant, est pleine d'activité, de mouvement, d'inquiétude. Il n'y a pas un brin de paille à négliger, pas un instant de temps qui n'ait sa valeur ; l'attente de la disette presse sans cesse. C'est le mobile secret de toutes les âmes, tandis que la culture de l'esprit demande une vie tranquille, oisive, retirée, immobile.
Il n'y a donc qu'une science vers laquelle les têtes pensives doivent se tourner à la Chine, c'est la morale, la police et la législation, dont l'importance est d'autant plus grande qu'une société est plus nombreuse. C'est là que l'on connaît le mieux la vertu et qu'on la pratique le moins ; c'est là qu'il y a plus de mensonges, plus de fraudes, plus de vols, moins d'honneur,
moins de procédés, de sentiments et de délicatesse. Tout l'empire est un marché général où il n'y a non plus de sûreté et de bonne foi que dans les nôtres. Les âmes y sont basses, l'esprit petit, intéressé, rétréci et mesquin. S'il y a un peuple au monde vide de tout enthousiasme, c'est le Chinois. Je le dis et je le prouve par un fait que je tiens du plus intelligent de nos supercargues : un Européen achète des étoiles à Canton, il est trompé sur la quantité, sur la qualité et le prix ; les marchandises sont déposées sur son bord. La friponnerie du marchand chinois avait été reconnue, lorsqu'il vint chercher son argent.
L'Européen lui dit : « Chinois, tu m'as trompé. » Le Chinois lui répondit à l'Européen, « cela se peut ; mais il faut payer. » L'Européen : « Tu m'as trompé sur la quantité, la qualité et le prix. » Le Chinois : « Cela se peut ; mais il faut payer. » L'Européen : « Mais tu es un fripon, un gueux, un misérable. » Le Chinois : « Européen, cela se peut ; mais il faut payer. » L'Européen paye ; le Chinois reçoit son argent, et dit en se séparant de sa dupe : « A quoi t'a servi ta colère ? qu'ont produit tes injures ? Rien. N'aurais-tu pas beaucoup mieux fait de payer tout de suite et de te taire ? » Partout où l'on garde ce sang-froid à l'insulte, partout où l'on rougit aussi peu de la friponnerie, l'empire peut être très-bien gouverné, mais les moeurs particulières sont détestables. Si les romans chinois sont une peinture un peu fidèle des caractères, il n'y a pas plus de justice à la Chine que de probité ; et les mandarins sont les plus grands fripons, les juges les plus iniques qu'il y ait au monde. Que penser de ces chefs de l'État qui portent publiquement, sans pudeur, sur leur petite bannière la marque de leur dégradation ? Si l'on interrogeait à la Chine un Français sur ce que c'est qu'un docteur de Sorbonne ici, il dirait : C'est un homme né d'une famille honnête communément aisée, sinon opulente, dont les premières années ont été consacrées à la lecture à l'écriture, à l'étude de sa langue et de deux ou trois langues anciennes qu'il possède lorsqu'il passe à des sciences plus relevées, telles que
la philosophie, la logique, la morale, la physique, les mathématiques, la théologie. Versé dans ces sciences, qui ont employé son temps jusqu'à l'âge de vingt-deux à vingt-trois ans, il subit une longue suite d'examens rigoureux, sur lesquels le titre de docteur lui est accordé ou refusé. le grand homme ! ô l'homme étonnant qu'un docteur de Sorbonne ! s'écrierait le Chinois.
Eh bien! le mandarin est un prodige tout semblable à Paris, à s'en rapporter au récit des historiens et des voyageurs. Et pour finir par où nous avons commencé, s'il est vrai que la lutte de l'homme contre la nature soit le premier motif, la raison première de la société, partout où la population surabonde, la nature est la plus forte : la société est dans une lutte continuelle avec elle; c'est un état où l'on dispute pour son existence, et où l'on n'a guère le temps de s'appliquer à autre chose. Un riche Chinois a des jardins somptueux : qu'est-ce que cela prouve pour le reste de la nation ? Pas plus que les parcs de nos grands seigneurs et les palais de nos financiers ne prouvent ici.

Song Shun-ching : En sujet brûlant abordé par Diderot est le développement des sciences et arts en Chine, point faible que même l'ardent sinophile n'arrive pas à défendre. Diderot juge que 'les sciences et les beaux-arts n'ont fait aucun progrès à la Chine', car elle ne possède 'ni poème, ni musique, ni peinture, et il explique 'l'état stationnaire des sciences à la Chine' comme une conséquence de la population surabondante : les habitants étant 'trop occupé à la Chine à pourvoir aux premiers besoins de la vie'.

Mentioned People (1)

Diderot, Denis  (Langres, Champagne-Ardenne 1713-1784 Paris) : Philosoph, Schrifsteller
[Diderot siehe unter Philosophie Frankreich].

Subjects

History : China : General / Philosophy : Europe : France

Documents (2)

# Year Bibliographical Data Type / Abbreviation Linked Data
1 1772 Diderot, Denis. Miscellanea philosophiques : Fragments politiques : Sur les Chinois. In : Diderot, Denis. Oeuvres inédites de Diderot. (Paris : J.L.J. Brière ; A. Belin, 1821).
http://visualiseur.bnf.fr/Visualiseur?Destination=Gallica&O=NUMM-23391&I=49&Y=Image
Publication / Did18
2 1989 Song, Shun-ching. Voltaire et la Chine. (Aix-en-Provence : Université de Provence, 1989). Diss. Univ. de Provence, 1987. S. 287. Publication / Song
  • Cited by: Asien-Orient-Institut Universität Zürich (AOI, Organisation)
  • Person: Song, Shun-ching
  • Person: Voltaire