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1861.6

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Laffitte, Pierre. Considérations générales sur l'ensemble de la civilisation chinoise et sur les relations de l'Occident avec la Chine [ID D20371].
Des principes généraux d'après lesquels doivent être réglées les relations de l'Occident avec la Chine.
Il faut maintenant, Messieurs, indiquer rapidement quels sont les principes fondamentaux d'après lesquels doivent être réglées les relations entre l'Occident et le reste de la planète, et il faudra préciser l'application de ces considérations au cas spécial de la Chine.
Le passé a développé en Occident les forces humaines sous tous leurs divers aspects. Cette longue et laborieuse préparation est maintenant terminée. L'état normal doit régler les forces que le passé a développé. C'est ce règlement qu'institué la religion démontrée. Pour tous les vrais régénérés ce règlement doit commencer dès à présent pour tous les divers aspects de la vie privée et publique. Mais au point de vue social, les relations les plus générales, c'est-à-dire celles de peuple à peuple, ayant été les premières troublées, doivent être les premières réglées, au moins dans leur ensemble. Ces relations générales troublées dès le début du XIVe siècle, sont celles sur lesquelles nous pouvons le plus, surtout les relations extra-occidentales, parce qu'elles sont liées à des habitudes à la fois moins intenses et moins nombreuses. C'est dans le règlement de ces relations que le positivisme pourra montrer dès l'abord sa supériorité; parce que seul il peut les concevoir à l'abri à la fois d'un dénigrement et d'une admiration systématiques, et parce qu'il vient enfin les régler moralement en déhors de tout arbitraire, d'après des principes fondés sur l'ensemble même de nos connaissances abstraites.
La religion universelle, dont le problème final est de faire prévaloir la sociabilité sur la personnalité dans tous les aspects quelconques de notre existence, a finalement posé les principes de ce règlement. Mais il s'agit d'examiner d'abord quelles sont en Occident les forces sur lesquelles peut surtout s'appuyer le Positivisme pour constituer enfin cette opinion publique qui fera prévaloir les principes généraux de la morale démontrée, contre les forces perturbatrices que favorise l'état révolutionnaire. — Les forces auxquelles le Positivisme peut et doit faire appel, pour appuyer de leur libre opinion, les prescriptions de la morale démontrée, ce sont essentiellement les femmes et les prolétaires.
Positivisme pose en principe que la morale est une, et que sess prescriptions doivent s'appliquer à toutes les relations quelconques, même à celles entre l'homme et les animaux ; ce que de reste l'instinct pratique a fait spontanément admettre en Occident. — Deux classes sont naturellement disposées, en dehors de toute conviction dogmatique, en vertu de leur nature et de leur situation, à admettre et a sanctionner ce grand principe ; ce sont les femmes et les prolétaires, ces deux classes souffrent nécessairement du dérèglement des forces humaines, dérèglement qui émane toujours soit des théoriciens, soit des praticiens, qui par cela seul qu'ils constituent les forces dirigeantes tendent toujours nécessairement à abuser. Le caractère même de toute véritable force est de pouvoir abuser.
Les femmes tendent spontanément à appuyer tout règlement moral, par une disposition noble et pure, qui tient à leur supériorité morale; c'est donc en vertu de leur meilleure nature intrinsèque, bien plus que de leur situation, qu'elles sont naturellement disposées à sanctionner toutes les véritables prescriptions morales. Ainsi, en Angleterre, où les relations extra-occidentales ont recule plus anarchique développement, on a vu les dames anglaises donner l'appui efficace de leur opinion à l'abolition de l'esclavage des noirs dans les colonies. Cet exemple admirable montre ce que peut acquérir de puissance ce noble soutien spontané de tout règlement moral.
De la part du prolétariat l'appui sera moins spontané, et plus systématique, parce qu'il tient davantage à la situation des individus qu'à leur nature même. Toute perturbation dans l'action des forces sociales réagit nécessairement, et surtout, sur l'immense masse prolétaire qui constitue la base même de nos sociétés. Or il y a une intime solidarité entre tous les règlements quelconques ; et ceux qui demandent le règlement moral des relations entre les entrepreneurs et les travailleurs, ne peuvent sanctionner 1'anarchique domination de la force dans les relations de l'Occident avec le reste de la planète, et réciproquement ceux qui, dans un but de lucre et de cupidité ou d'orgueil et de vanité, sanctionnent l'oppressive domination de l'Occident sont-ils donc bien venus à demander à leurs chefs une meilleure administration des forces sociales, puissance ou richesse? C'est donc à ces deux grandes classes que le Positivisme vient faire appel, même en dehors de toute conviction dogmatique, pour sanctionner activement les prescriptions de la morale universelle, dans ses applications aux relations les plus générales de l'Humanité. C'est aux femmes et aux prolétaires, guidés par les plus irrécusables démonstrations de la religion positive, à former enfin en Occident une opinion prépondérante qui mette un frein aux forces perturbatrices, qui profitent de l'interrègne révolutionnaire pour employer la force publique au service de la cupidité privée.
C'est ainsi que nous constituerons graduellement le courant d'opinion qui doit modifier les éléments perturbateurs, essentiellement émanés de la bourgeoisie, qui produisent trop souvent le trouble et l'oppression des autres populations planétaires. Mais il est certain aussi que cette opinion devra trouver finalement un point d'appui efficace dans les gouvernements proprement dits, surtout dictatoriaux.
Car cette action désordonnée des populations avancées sur l'Orient, tend à développer en Occident la notion anarchique de progrès, qui sert de justification anticipée à toute perturbation quelconque. La notion de progrès ne représente plus en Occident qu'un développement matériel sans frein et sans limites. Il s'agit maintenant de produire beaucoup, et de consommer davantage ; voilà l'essentiel. Qu'il surgisse une modification quelconque, surtout matérielle, et profondément perturbatrice, elle est immédiatement justifiée ; c'est le progrès ! La notion de progrès est actuellement une sorte de justification automatique et stupide de tout événement quelconque, pourvu qu'il trouble une situation existante. Si vous voulez conserver un état de choses existant, en science, en industrie, en politique, vous êtes rétrograde ; mais si vous voulez troubler un ordre déterminé, vous êtes progressif. La prépondérance croissante d'une telle notion devient de plus en plus dangereuse. C'est au nom d'un tel principe que les tentatives les plus anarchiques en science, en morale, en politique sont continuellement tentées, ou du moins conçues. Qu'un esprit incompétent, sans remplir aucune sorte de condition préliminaire, vienne attaquer les principes les plus incontestables de la science, au lieu du juste mépris que méritent de tels efforts, émanés toujours d'une indisciplinable vanité, jointe habituellement à une profonde débilité mentale, un public encore plus incompétent applaudit au nom du progrès. Ce mot constitue désormais une sorte d'explication mystique qui dispense de toute réflexion. Passé, présent, avenir, ce mot merveilleux explique tout. Et c'est ainsi que s'est établi un dogmatisme banal aussi immoral qu'il est absurde.
Il est grand temps de réagir contre cette dangereuse notion, qui tend à compromettre l'existence de tout ordre quelconque. — Le progrès n'est que le développement de l'ordre, le progrès moral est plus important que le progrès matériel et que le progrès intellectuel : Tels sont les deux grands principes posés par Auguste Comte, et d'après lesquels les intelligences occidentales peuvent être ramenées enfin à la situation normale dont elles tendent de plus en plus à s'écarter. Il faut subordonner le progrès à l'ordre, et proclamer enfin la suprématie du progrès moral : telles sont deux des conclusions essentielles résultées de l'immense élaboration mentale qui caractérise le Positivisme ; mais le bon sens universel sanctionnera de plus en plus ces principes, dont rétablissement systématique a exigé les plus puissantes méditations. Les femmes et les prolétaires sentiront le profond danger du progrès conçu indépendamment de l'ordre, et les immenses inconvénients de la suprématie du progrès matériel sur tous les autres.
Aussi on peut espérer que les gouvernements occidentaux, que doit absorber le maintien de l'ordre matériel, de plus en plus difficile au milieu d'une anarchie mentale et morale croissantes, comprendront enfin la solidarité qui lie l'ordre matériel à l'ordre moral. Ils comprendront bientôt l'immense danger qu'il y a à développer, par une action perturbatrice sur l'Orient, la notion perturbatrice de progrès propre à l'Occident. Et quand même il serait vrai que notre intervention extérieure fût vraiment utile à l'Orient, la démoralisation qui en résulte incontestablement pour les Occidentaux devrait nous en éloigner, en nous tenant aux simples relations commerciales librement voulues des deux côtés, librement acceptées.
Il faudra enfin que la force publique se conçoive comme destinée à régler, et souvent à réfréner, au lieu de les favoriser aveuglément, les relations de l'Occident avec l'Orient. C'est dans ce sens que doivent changer les opinions des populations et des gouvernements.
Il faut le remarquer, c'est nécessairement de la bourgeoisie qu'émanent ces éléments de perturbation, et ce sont les gouvernements parlementaires, organes d'une telle classe, qui surtout favorisent et protègent une telle politique. Aussi c'est en Angleterre que cette politique extra-occidentale a son complet développement. Grâce au régime parlementaire, une portion de la bourgeoisie a fait servir une hautaine aristocratie à favoriser et diriger des expéditions militaires dans le but d'ouvrir, par toutes sortes de moyens, des débouchés commerciaux. Ce système politique provoque le dérèglement des forces industrielles, outre qu'il pousse à la démoralisation même du prolétariat en cherchant à le lier à une fructueuse exploitation du reste de la Planète. Cette politique a du reste eu toujours l'appui habituel du journalisme, qui n'est qu'un complément nécessaire du régime parlementaire. Nous avons vu les organes les plus accrédités du journalisme anglais pousser au massacre systématique des Indous, et inventer pour atteindre un tel but les plus monstrueuses calomnies. D'admirables protestations ont surgi en Angleterre contre ces sanguinaires manifestations [Voir l'Inde, par Richard Congrève, 1 vol. in-8, chez Dunod, quai des Augustins, 49. — Voir également à la fin de la notice de M. le docteur Robinet sur Auguste Comte, la traduction de la protestation publique de M. Richard Congrève, contre le Te Deum ordonné par le gouvernement britannique pour la terminaison de l'insurrection do l'Inde]. Mais l'ensemble du journalisme occidental n'a nullement protesté contre d'aussi blâmables excès.
C'est donc sur l'opinion publique, dont les gouvernements, surtout dictatoriaux, sauront se faire l'organe, que nous pourrons trouver en Occident un point d'appui énergique pour réagir contre une politique extra-occidentale vraiment nuisible.
Il faut d'abord dans le cas spécial qui nous occupe, que l'opinion publique change profondément son point de vue relativement à la civilisation chinoise. — Il faut qu'on admette qu'il y a là, malgré de stupides préjugés, une civlisation respectable dont il faut connaître les conditions d’'existence avant de chercher à la modifier ; il faut aussi reconnaître enfin que l'Occident doit tendre lui-même à sortir d'une situation profondément révolutionnaire, pour arriver à une situation vraiment normale, avant de chercher à modifier d'autres civilisations ; modifications qui, en vertu de leur caractère indéterminé, ne peuvent être que perturbatrices pour les populations sur lesquelles on agit, et démoralisatrices pour celles qui agissent.
La civilisation chinoise s'est développée graduellement, et constamment dans une direction déterminé, depuis quatre mille ans. Elle préside aux destinées de la moitié de l'espèce, qu'elle fait vivre convenablement, et dans une situation à beaucoup d'égards préférable à celle d'une grande parti du prolétariat occidental. Cette civilisation vraiment organique, solidement assise sur une constitution admirable de la famille, offre un spectacle où le superficiel orgueil révolutionnaire de l'Occident peut puiser d'utiles leçons. Placés à un point de vue normal, les Chinois conçoivent que tout développement social doit accepter la continuité, et que le présent né du passé, pour préparer l'avenir, doit d'abord le respecter et l'honorer, au lieu de le maudire et de le méconnaître d’après une ingratitude aussi immorale qu'absurde. Enfin ce grand empire a finalement subordonné, au siècle dernier, les populations Tartares, elle les a enfin liées à un noyau civilisateur ; la Chine remplit ainsi la fonction qu'une superficielle appréciation attribue a la Russie, et la remplit certainement mieux que celle-ci n'aurait pu le faire. — Cette grande civilisation fait donc vivre sous un régime pacifique la moitié de l'espèce humaine [Pour joindre mon propre témoignage à celui de M. Ellis, j'affirmerai que, durant notre voyage en Chine, je n'ai vu (excepté à Canton) que très-peu d'exemples d'une misère abjecte parmi les basses classes, ou d'un luxe extravagant parmi les classes élevées. (J.-F. Davis, ancien président de la compagnie des Indos on Chine.) J.-F. Davis cite ensuite les paroles caractéristiques d'un chinois, Tien-ki-chi, qui expose les raisons d'après lesquelles il se félicite d'être né en Chine. — J.-F. Davis ajoute à la suite de cette citation les réflexions suivantes : Assurément le pays dont les habitants s'expriment ainsi ne saurait passer pour mal gouverné. Un fait encore plus remarquable, c'est cette maxime populaire que les Chinois citent fréquemment : l'empereur et le sujet qui violent la loi sont aussi coupables l'un que l'autre. (De la Chine, par J.-F. Davis, ancien président de la compagnie des Indes en Chine)], sans opposer à une action rénovatrice d'autre résistance vraiment sérieuse que celle qui résulte d'une juste méfiance contre la forme, réellement anarchique, que présente la civilisation occidentale. Quoique l'Occident possède en lui un développement des forces sociales qui lui confère définitivement la suprême initiative, il n'en est pas moins vrai que ces forces non réglées constituent un état profondément anarchique, dont l'action sur la Chine serait nécessairement funeste. Que l'Occident résolve enfin le problème de son organisation normale ; jusque-là les directeurs de la civilisation chinoise ne pourront que contempler, avec plus de répulsion [« J'entretenais, il y a quelques années», des relations amicales et suivies avec un jeune lettré du nord de la Chine que le désir de voir l'Europe avait amené à Paris... Il admirait sans réserve nos découvertes scientifiques modernes, la photographie, le galvanisme, les merveilles de l'électricité. Mais il n'enviait guère en général que les résultats positifs de nos sciences, le côté moral de notre ensemble social était loin de l'impressionner favorablement. « II reconnaissait franchement la supériorité de notre initiative intellectuelle, sans être bien persuadé qu'il dût nous l'envier. « Les yeux de votre intelligence sont plus perçants que les nôtres, me disait-il, mais vous regardez si loin que vous ne voyez pas autour de vous. « Vous avez un esprit hardi qui doit vous faire réussir eu beaucoup de choses, mais vous n'avez pas assez de respect pour ce qui mérite d'être respecté. Cette agitation perpétuelle dans laquelle vous vivez, ce besoin constant de distraction, indiquent clairement que vous ne vous trouvez pas heureux. « Chez vous on est toujours comme un homme en voyage; chez nous on aime à se reposor. Quant à vos gouvernements, je veux croire qu'ils ont du bon, mais s'ils vous convenaient aussi bien que nous convient le nôtre, vous n'en changeriez pas si souvent. Je suis bien sur, moi, de retrouver dans mon pays les institutions que j'y ai laissées, et je vois que pas un d'entre vous ne me garantirait seulement pour doux ans, la solidité de son gouvernement d'aujourd'hui. » (La devant l'Europe, par lu marquis d'Hervey-Saint-Denys.)] que de sympathie, une agitation de plus en plus convulsive, et dont la réaction ne pourrait être que perturbatrice. Irons-nous transporter, notre mépris de toute autorité, notre famille en décomposition où le juste respect pour la puissance paternelle devient une exception, au milieu d'une civilisation fortement assise sur une admirable constitution organique de la famille ? On conçoit donc la juste répulsion de ce peuple contre des contacts plus intimes avec l'Occident ; l'analyse scientifique la plus exacte et la plus approfondie doit la sanctionner, en même temps qu'elle doit proclamer, au nom de la raison comme de la morale, la nécessité de restreindre au lieu d'étendre de tels contacts,
L'Occident régénéré aura sans doute à exercer plus tard une action pacifique, aussi salutaire que profonde, sur cette grande civilisation pour fonder l'état normal de l'espèce humaine sur notre planète. Il est donc utile d'indiquer les lacunes propres à cette civilisation, et que notre action graduelle fera cesser, pour constituer enfin l'Humanité.
La lacune capitale, et qui au point de vue mental domine toutes les autres, c'est l'absence de l'institution sociale de l'abstraction scientifique. L'observation et la science concrètes ont amplement surgi et se sont largement développées en Chine, mais non l'observation et la science abstraites. De là absence de généralité suffisante, et impossibilité d'une véritable systématisation mentale. La généralité comme la systématisation ne peuvent résulter que de l'abstraction scientifique.
Mais la constitution mentale de la Chine fournira, comme je l'ai déjà indiqué du reste, un point de départ admirable, pour y faire graduellement admettre par les intelligences directrices, la vaste construction abstraite gloire de l'Occident, et base de sa suprématie finale. Et cela ne peut avoir lieu que parce que la science coordonnée, trouve son aboutissant final dans la morale, d'après l'incomparable systématisation d'Auguste Comte. — Nous admettons, comme les penseurs chinois, que la morale doit dominer à la fois, l'évolution théorique, comme l'activité pratique. Mais d'après ce principe même on peut bientôt faire comprendre, qu'au point de vue théorique comme au point de vue pratique, une constitution efficace de la morale exige précisément une longue préparation abstraite qui va par des échelons successifs de la mathématique à la morale.
(Mathématique, astronomie, physique, chimie, biologie, sociologie, morale.)
Car la morale institue le gouvernement de la nature humaine d'après sa connaissance approfondie. Or la connaissance de la nature humaine repose nécessairement, pour être vraiment profonde, sur la connaissance des lois réelles des divers phénomènes qui influent sur elle. Comment connaître l'homme sans connaître les lois statiques et dynamiques des phénomènes sociaux, et ces phénomènes eux-mêmes comment les apprécier sans connaître les lois de la vie, qui dépendent à leur tour des phénomènes chimiques comme ceux-ci des phénomènes physiques, qui s'accomplissent sous l'influence des phénomènes astronomiques et finalement mathématiques. Mais si la connaissance abstraite des lois des divers phénomènes distincts est indispensable à une saine théorie scientifique de la nature humaine, elle l'est aussi à l'institution de son gouvernement. Car la modificabilité dépend, autant que la systématisation, de la connaissance des lois abstraites.
Ainsi donc la constitution mentale de la civilisation chinoise, malgré son immense lacune, présente néanmoins un point de départ suffisant pour que l'Occident régénéré puisse déterminer en elle des modifications aussi salutaires que profondes.
Au point de vue de la famille, l'Occident a, quant aux relations filiales et paternelles, plutôt à apprendre qu'à enseigner. En acceptant sous ce rapport, une constitution vraiment organique, nous n'aurons qu'à la systématiser. Quant aux relations conjugales, l'incomplet développement militaire propre à la Chine, les a maintenues dans un état imparfait, Mais, à cet égard, et au nom du perfectionnement universel admis par l'école de Confucius comme le but final de l'existence humaine, on pourra facilement faire admettre une pleine monogamie, monogamie étendue jusqu'au veuvage éternel. Du reste les respects universels dont le veuvage est l'objet en Chine faciliteront une telle transformation.
Au point de vue social, les Chinois sont arrivés plus pleinement que l'Occident à l'état vraiment normal, c'est-à-dire au régime industriel et pacifique, de telle sorte même que l'action militaire y est réduite à la pure fonction normale de la gendarmerie. Mais la division entre les entrepreneurs et les travailleurs, base nécessaire de toute systématisation industrielle, n'est développée en Chine que d'une manière radicalement insuffisante, surtout pour l'agriculture où domine presque exclusivement la très-petite propriété ; de sorte que la constitution normale de l'étât industriel et pacifique ne peut finalement surgir qu'en Occident. D'un autre côté l'absence de science abstraite n'a pas permis en Chine l'établissement de la grande industrie fondée finalement sur l'emploi des machines ; de telle sorte que la lacune mentale de cette civilisation a constitué une profonde lacune matérielle. Sous cet aspect encore la systématisation industrielle, qui repose nécessairement sur la division entre les entrepreneurs et les travailleurs et sur l'emploi connexe des machines, ne pouvait surgir qu'en Occident, sous l'impulsion de la science régénérée arrivée enfin à l'état religieux. Mais cette systématisation, une fois surgie, pourra graduellement être admise dans une civilisation qui reconnaît le principe fondamental de la prépondérance normale de la vie industrielle et pacifique. Jusque-là toute tentative prématurée de transporter en Chine, notre type occidental d'une vaste concentration de capitaux et d'un emploi développé des machines, n'aurait d'autre effet que de produire d'effroyables perturbations. [« Toutes les mesures capables de contribuer au maintien de l'ordre et de la tranquillité générale sont prises avec une sollicitude vraiment admirables. La vérité est qu'il existe chez les Chinois une activité infatigable qui les assimile d'une manière frappante aux nations les plus intelligentes de l'Occident, en même temps qu'elle les distingue éminemment aussi de tous les peuples asiatique ? On pourra trouver notre assertion assez étrange, mais nous ne craignons point de dire que, pour tout ce qui entre dans la composition des communautés industrielles et bien organisées, il y a infiniment moins de différence entre eux et les Anglais, les Français et les Américains, qu'entre ces peuples et les habitants de l'Espagne et du Portugal. Nous verrons avec quel art, quelle adresse les Chinois ont su tirer parti de la force des divers éléments ; ils ignorent, il est vrai, la puissance de la vapeur,... la première idée qui frappe un Chinois intelligent auquel on explique les effets de nos machines est celle des maux qui pourraient fondre sur son pays si ce système, dont il considérerait l'importation comme un véritable fléau, venait à y être inopinément introduit. » (De la Chine, par J. F. Davis, ancien président do la compagnie des Indes en Chine)].
Du reste le spectacle de notre anarchie industrielle ne peut beaucoup séduire les hommes d'État de la Chine pour les pousser à une introduction prématurée et fatale.
En résumé donc, respectons cette grande et noble civilisation. Comprenons enfin que si elle présente des lacunes incontestables on ne peut chercher à les remplir qu'en partant d'une connaissance approfondie de la société correspondante. Son état actuel, résultat de tout son passé, doit être pris pour point de départ d'une modification systématique et graduelle. Admettons désormais que l'Occident lui-même doit être sorti de son état d'anarchie, doit être enfin régénéré, parvenu, au moins dans l'ensemble, à l'étât normal, avant de tenter une action profonde sur la Chine. Comprenons enfin que nos efforts pour agir violemment sur ce grand peuple ne peuvent être que perturbateurs pour lui, et démoralisants pour nous. Respectons l'évolution spontanée de cette grande civilisation, et dans les libres contacts émanés des relations commerciales, sachons nous dégager de préjugés vraiment puérils, et comprendre les nobles côtés d'une organisation qui dirige convenablement la moitié de notre espèce. C'est en apportant ainsi dans nos appréciations une disposition rationnelle et morale, que les relations commerciales actuellement constituées pourront préparer spontanément, par une libre et volontaire adhésion, l'action que l'Occident régénéré pourra être alors digne d'exercer.

Sekundärliteratur
Quellen :
Abel-Rémusat, Jean-Pierre. [Texte].
Amiot, Jean-Joseph-Marie. [Texte].
Barthélemy-Saint-Hilaire, Jules. [Texte über Buddhismus].
Comte, Auguste. [Texte].
Congrève, Richard. L'Inde. (Paris : P. Jannet, 1858).
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Gaubil, Antoine. [Texte].
Gaubil, Antoine ; Guignes, Joseph de. Le Chou-king [ID D1856].
Grosier, Jean Baptiste Gabriel Alexandre. Description générale de la Chine [ID D1878].
Hervey de Saint-Denys, Léon. La Chine devant l'Europe [ID D2138].
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Milne, William Charles (2). Life in China [ID D2161]. [La vie réelle en Chine].
Pauthier, Guillaume. [Texte].
Pauthier, G[uillaume] ; Bazin, [Antoine]. Chine moderne [ID D5286].
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Robinet, Dr. Notice sur l'oeuvre et la vie d'Auguste Comte. (Paris : Dunod, 1860).

Georges-Marie Schmutz : Laffitte tenta d'appliquer l'intuition à la civilisation chinoise. Il dit que la relation entre famille et gouvernement caractérise la Chine. Son importance comme modèle d'organisation de la société cependant n'a rien d'extraordinaire en soi. Toutes les sociétés s'appuient sur la famille. Mais en Chine, fait unique, même le gouvernement suit le modèle familial. Cet ancrage sur la famille fonde la morale politique. L'empereur est le chef de famille du pepule, pas son dieu ; le concept de l'empereur comme père et mère du peuple aide à définir l'étendue de ses pouvoirs et de ses rsponsabilités. Les mandarins ont eux aussi un rôle qualifié de paternet et maternel, qui fonde, en théorie, leur éthique. Laffitte montre que l'empereur et le mandarinat ne s'imposaient pas sur une masse apatique et soumise, mais administraient plutôt une multitude active et indépendante de petits propriétaires engendrés par le système de la famille.
La croissance dans la continuité caractérise admirablement la Chine. Laffitte en voit la preuve dans l'histoire qu'il résume ainsi : après avoir été pendant des siècles 'un amas de Chine', la civilisation chinoise commença son unité sur une échelle très modeste. Depuis son origine, elle a continuellement progressé en développant les formes rudimentaires de son organisation primitive. La Chine offre le parfait exemple d'une civilisation progressant sans négliger la continuité, signe pour les positivistes de la socialibilité suprême.

Frédéric Keck : Auguste Comte confia à son disciple Pierre Laffitte la rédaction des Considérations sur l’ensemble de la civilisation chinoise pour confirmer ses vues selon lesquelles la "race jaune" monothéiste, où s’étaient particulièrement développées les fonctions actives, pouvait servir de transition entre les "races noires" fétichistes, où les fonctions affectives étaient prépondérantes, et la "race blanche" récemment passée au stade positiviste, en notant le rôle de la conception confucianiste du "Ciel" dans la régulation du consensus social.

Mentioned People (1)

Laffitte, Pierre  (Beguey, Gironde 1823-1903 Paris) : Philosoph, Positivist, Professeur d'histoire générale des sciences, Collège de France

Subjects

History : China : General / Philosophy : Europe : France

Documents (3)

# Year Bibliographical Data Type / Abbreviation Linked Data
1 1861 Laffitte, Pierre. Considérations générales sur l'ensemble de la civilisation chinoise et sur les relations de l'Occident avec la Chine. (Paris : Dunod, 1861). [Leçons professé en 1859 en 1860 sur l'histoire générale de l'humanité].
http://catalog.hathitrust.org/Record/001871525.
Publication / Laf1
2 1993 Schmutz, Georges-Marie. La sociologie de la China : matériaux pour une histoire 1748-1989. (Berne : P. Lang, 1993). (Schweizer Asiatische Studien ; Bd. 14). S. 71, 79-80. Publication / Schmu1
  • Cited by: Asien-Orient-Institut Universität Zürich (AOI, Organisation)
3 2009 Keck, Frédéric. Penser en Chine. http://www.lacanchine.com/Keck_01_files/Keck-Penser%20en%20Chine.pdf. Web / Keck1