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“La Chine que j'ai vu” (Publication, 1955)

Year

1955

Text

Sartre, Jean-Paul. La Chine que j'ai vu. In : France Observateur ; année 6, no 290-201, 1.12.1955, 8.12.1955. (Sar119)

Type

Publication

Contributors (1)

Sartre, Jean-Paul  (Paris 1905-1980 Paris) : Schriftsteller, Philosoph, Dramatiker, Publizist
[Biographische Einträge siehe unter Literatur]

Subjects

Economics and Trade / History : China / Literature : Occident : France : Prose / Periods : China : People's Republic (1949-) / References / Sources / Travel and Legation Accounts

Chronology Entries (1)

# Year Text Linked Data
1 1955 Sartre, Jean-Paul. La Chine que j'ai vu [ID D24362].
Un Soviétique m'a dit : « Ce pays me rappelle les premiers temps de notre Révolution ». Voilà, je le crains, de l'impressionisme. La révolution russe est née de la défaite. Pour la sauver, Lénine dut signer un traité de paix qu'il jugea lui-même 'humilitant' : c'était séparer l'idée nationale de la construction socialiste ; pour les réunir, il fallut l'isolement de L'U.R.S.S. et les fortes mains de Staline. Le gouvernement devait tout inventer, remédier à tout ; la révolution cahotait, s'enlisait, revenait en arrière, repartait ; sous la triple menace de la famine, de la guerre civile et de l'intervention étrangère, toutes les mesures étaient d'extrême urgense ; perpétuellement à court de temps, les bolcheviks faisaient la révolution contre la montre ; ils risquaient à tout moment d'être débordés par l'explosion des forces désintégratrices que l'effondrement du front russe avait libérées ; il fallait lutter contre le défaitisme, l'anarchie, les utopies 'gauchistes', contre un grouillement d'initiatives individuelles qui compromettaient la révolution et, tout à la fois, lui donnaient à nos yeux une profondeur et une richesse incomparables. Pendant sept ou huit ans, la révolution russe eut un air d'Apocalypse.
Si l'on allait chercher l'Apocalypse en Chine, on serait fort déçu. On discute, on critique mais sagement ; on invente sans folie. De Moukden à Canton, le voyageur rencontre des communistes opiniâtres et patients, dévoués corps et âme au régime, mais sans ce paroxysme et cette tension qui caractérisaient le bolchevik de 1920. Pour les innombrables délégations qui ont sillonné la Chine de 1955, un fait reste acquis : ce pays est en ordre. Les différents milieux, les différents classes ont des raisons différentes de faire confiance au gouvernement de Mao Tse Toung ; mais s'il fallait en donner une qui leur fût commune à tous, je dirais qu'il a gagné cette conficance en restaurant la stabilité sociale.

Une société en ordre
Pour la première fois depuis cent ans, la Chine est une société en ordre, pourvue d'institutions fixes et d'une monnaie stable ; le producteur chinois est protégé contre la concurrence étrangère, le travailleur est délivré des parasites qui le rançonnaient ; des fonctionnaires incorruptibles font respecter la loi.
Du haut en bas de l'échelle sociale, le Chinois vivait au jour le jour : il sait à présent que les prix ne monteront pas ; seuls les salries sont en hausse légère. Il peut établir son budget pour un an, pour deux ans peut-être, ou, comme ils disent là-bas 'planifier' sa vie familiale. Hier encore, les relations entre l'employeur et le salarié, entre le vendeur et l'acheteur étaient faussées par les intermédiaires-gangsters à la tête des syndicats, racketeers, landlords ; sans espoir ni statut le Chinois s'enfermait dans l'apathie, dans la solitude. Aujourd'hui, chacun se définit en face de tous par des pouvoirs et des obligations qui découlent de son office : les relations humaines redeviennent possibles. Paradoxalement la révolution chinoise a commencé par bannir de la Chine l'inflation, la misère et la hausse des prix, l'insécurité, l'anarchie et les despotismes locaux, bref, le cortège des maux qui, aux yeux des conservateurs, accompagnent précisément les révolutions.
C'est qu'elle est née de la victoire. Forgée dans des combats épuisants, parfois désespérés, l'armée rouge est devenue en moins de vingt ans cet extraordinaire appareil militaire et politique qui sut à la fois conquérir, administrer et réformer. Quand elle marcha contre Tchang Kaï Chek, après la trève de 45, l'ordre s'enfonça dans le désordre comme un couteau dans du beurre. Le but des communistes n'était pas seulement d'occuper du terrin mais de réorganiser les groupes sociaux en profondeur. Chaque combattant se transformait en propagandiste et les cultivateurs l'écoutaient volotiers : il connaissait leur soucis, parlait leur langage et prenait part à leurs travaux.
En 18, il arrivait parfois dans les villages russes qu'on étripât les délégués de Moscou : c'étaient des ouvriers, des envoyés de la ville. En Chine, rien de tel : les civils, paysans armés, fraternisaient avec les soldats, paysans en uniforme.
Toutes les terreurs révolutionnaires ont eu pour cause la faiblesse du pouvoir central : si la Terreur est un mot inconnu en Chine, si le gouvernement de Mao Tse Toung a pu montrer l'admirable modération dont j'ai vu tant de preuves, c'est que son armée victorieuse en s'enracinant dans le peuple, lui a donné ce qu'aucun gouvernement révolutionnaire n'a jamais possédé du premier coup : le calme de la toute-puissance. De la révolution russe, on a dit qu'elle était la dernière du siècle passé : c'est possible ; mais elle est bien de notre siècle, cette révolution de Chine, si prudente et si sage – presque trop sage – entièrement dominée par des problèmes d'organisation, de technique et de cadres, qui, avant de révéler les profonds bouleversements qu'elle prépare, se présente aux yeux du voyageur, modestement, comme une Restauration.

Ils détestaient les soldats
Cent fois ravagé par des guerres civiles ou des invasions, ce pays est antimilitariste par tradition ; l'étonnement des Chinois est sans bornes quand ils s'aperçoivent qu'ils aiment leur armée. J'en ai vu qui s'excusaient : « J'ai toujours détesté les soldats ; mais, que voulez-vous, ceux-ci ne sont pas comme les autres ».
Et c'est vrai qu'ils ne sont pas comme les autres : timides, rieurs, serviables et discrets, ils se perdent dans la foule et, plus qu'à des militaires, ressemblent à des étudiants en uniforme. Mais il ne faudrait tout de même pas croire que leur popularité tient uniquement à la douceur de leurs moeurs. Les Chinois d'aujourd'hui aiment l'armée populaire parce qu'elle est à leurs yeux le symbole de l'indépendance nationale. Les Russes qui se battaient contre Wrangel et Denikine, ils défendaient la révolution naissante ; contre les armées allemandes, ils avaient refusé de défendre la Russie des tsars.
Et, certes, la 8e armée chinoise était révolutionnaire d'abord : elle soutenait les revendications de la classe paysanne en les radicalisant, dressait les villageois contre les landlords, vivait en symbiose avec les masses révoltées et tirait de leur appui le plus clair de sa force. Mais cette activité sociale devait l'amener combattre dix ans les Japonais. Tout le monde sait, en Chine, que Tchang Kai Chek faisait une guerre de politesse au Mikado et que les communistes s'épuisaient à lutter contre les troupes étrangères quand ils n'avaient rien à défendre excepté la nation.
Depuis vingt ans, nationalisme et révolution sont inséparablement liés dans l'esprit des Chinois parce que la seule armée vraiment nationale se trouvait être celle des révolutionnaires : et j'ai rencontré beaucoup d'intellectuels qui, politiquement neutres ou même hostiles au communisme, sont passés dans la zone rouge aux environs de 1937, parce qu'on s'y battait pour de bon. Ainsi les circonstances ont conduit une armée forgée pour la guerre civile à soutenir une guerre d'indépendance ; mais, inversement – et à la différence des Soviétiques qui sont venus au nationalisme par la révolution – la plupart des Chinois sont venus à la révolution par le nationalisme. Encore faut-il s'entendre sur le sens de ce mot.

Du nationalisme à la révolution
Entre les deux guerres mondiales, la Chine, exploitée par le capitalisme étranger, écrasée par une féodalité imbécile, ravagée par l'invasion japonaise, avait perdu confiance en elle-même. Il faut avoir été là-bas pour deviner l'amertume qui se cache sous l'objectivité de cette phrase célèbre : « Nous sommes économiquement et intellectuellement arriérés [Mao Zedong] ». Entre 14 et 18, pendant que les Occidentaux s'occupaient à d'autres jeux, le capitalisme chinois avait relevé la tête, ressuscitant le nationalisme ; ce fut le mouvement du 4 mai. Il venait trop tard : quand les Occidentaux eurent réglé leurs querelles, il ne leur fallut pas quatre ans pour lui briser les reins. Cet échec découragea. Les Chinois eux-mêmes vous tiraient par la manche : « N'achetez donc pas cet article : c'est nous qui le fabriquons ». L'industrie nationale tomba dans le discrédit.
Cependant, des enfants de dix ans travaillaient dans les filatures étrangères, les ouvriers s'endettaient pour acheter de la poussière d'opium, on ramassait, bon an mal an, vingt mille morts de faim dans les rues de Shanghai. La honte et la résignation frappèrent les meilleurs aux sources de la vie. Au Japon, Lou Sin assistait, avec quelques compatriotes, à la projection d'un film japonais qui retraçait complaisamment le supplice d'un 'espion' chinois. Parmi les specteteurs, personne ne réagit. Après la projection, on se disperse sans commentaires. Frappé par cette apathie, Lou Sin décida d'écrire ; je ne connais rien de plus noir que ses contes : ils montrent la misère résignée.
Beaucoup s'expatrièrent : simplement pour fuir la honte. Ils la retrouvaient partout parce qu'ils l'emportèrent avec eux. « J'ai quitté la France en 37, m'a dit un intellectuel, parce que je ne pouvais plus supporter les commentaires ironiques de vos journaux sur nos premières défaites. Et il y avait aussi ces gâteaux, vous savez, ces flans qu'on appelait Chinois parce qu'ils tremblaient ». Bien sûr, il se trompait : nous n'avions guère de sympathie, à l'époque, pour le militarisme japonais ; quant à ce tremblotin baptisé Chinois, personne, à ma connaissance, n'en a jamais entendu parler. Mais quand j'ai imaginé cet étranger perdu parmi nous, sans secours, remâchant sa honte, aveuglé de solitude, ses propos ne m'ont pas fait sourire. En ce temps, les paysans et les pauvres de la ville répétaient à tout propos : « Mai yo banfa ! (Rien à faire ! » et toute la fameuse sagesse chinoise tenait en ces trois mots.
C'est dans ce climat que s'est formée l'armée populaire : dès cette époque, le patriotisme et le communisme n'étaient que les deux aspects complémentaires d'une même révolte : plutôt faire sauter le régime que désespérer du pays. La longue marche puis les victoires des partisans provoquèrent un 'choc psychologique' ; la huitième armée a rendu aux Chinois leur fierté nationale parce qu'elle leur a permis de faire confiance à leur pays. Quand Mao Tse Toung fit son entrée à Pékin, il incarnait déjà la Chine et ceux qui parlent aujourd'hui de cette période ne la nomment pas 'Révolution' comme on fait en U.R.S.S. pour les journées d'Octobre, mais simplement 'Libération'. Ce patriotisme neuf et passionné que le voyageur lit sur tous les visages, on aurait tort de le prendre pour un impérialisme ou pour un chauvinisme agressif ; c'est l'orgueil modeste d'hommes qui ont retrouvé leur dignité quand leur pays a reconquis son indépendance.

Le rôle des communistes
J'ai surtout insisté sur cette fierté nouvelle parce que c'est le nationalisme qui sert de médiation dans l'esprit des Chinois entre l'ordre social et le mouvement révolutionnaire. On ne peut douter que la grande majorité des citoyens soient entièrement favorables au régime actuel, pourtant la plupart d'entre eux ne sont pas communistes. Mais il ne faudrait pas croire qu'ils se rallient au gouvernement malgré sa politique intérieure ni que les victoires de Corée, si populaires, soient une dorure de la pilule communiste. Dans la Chine d'aujourd'hui le contenu réel de l'idée nationale, c'est le mouvement de la Révolution.
Dès qu'il sagit du marxisme, nous autres, gens de l'Ouest, nous avons nos idées faites : un gouvernement communiste, où qu'il soit, quel qu'il soit, se définit par une série de mesures prévisibles qu'il impose en vertu d'une doctrine sclérosée. Du président Mao, on dira qu'il veut doter son pays d'une industrie lourde ou qu'il pousse à la collectivisation agraire parce qu'il est marxiste comme on dit d'un malade qu'il se prend pour Jeanne d'Arc ou qu'il gravit l'escalier à reculons parce qu'il est fou. Mais il ne faut pas rester longtemps chez les Chinois pour comprendre que cette manière de voir leur est étrangère. D'abord, ils vous diront que leur gouvernement n'est pas communiste : il est dirigé par des communistes, voilà tout. J'en sais qui vont hausser les épaules ; ils auront tort : là-bas, cette distinction est capitale : il y a des partis associés. Certes, leur importance est secondaire, leur marge d'action limitée, et l'on chercherait vainement à Pékin le régime parlementaire de Londres. Il reste que ces partis minoritaires – parce qu'ils réprésentent des milieux et des classes plutôt qu'une opinion et des intérêts plutôt qu'un programme – exercent, tels qu'ils sont, une influence réelle sur les dirigeants : on tient compte de leurs réserves, on fait cas de leurs avis ; leurs interventions répétées n'ont pas peu contribué à sauver le petit commerce que les magasins d'Etat et les coopératives de vente allaient ruiner. Grâce à eux, la Chine populaire possède un gouvernement d'union nationale et les réformes adoptées en commun paraissent plus nationales que communistes.
Et puis, les Chinois ont voté. Ces élections – est-ce un si grand mal ? – ne ressemblaient pas aux nôtres ; dans beaucoup de cas, mais non pas dans tous, les suffrages étaient acquis d'avance ; n'importe : pour la première fois dans l'histoire de Chine – ce pays dont les chefs se cachaient dans les nuées, où l'autorité se fondait sur la force ou sur l'héritage – des dirigeants se sont présentés devant le peuple, lui ont dévoilé leurs projets, l'ont invité à partager leurs responsabilités, ont sollicité son investiture ; les Chinois ne mentent pas, ils ne sont point dupes quand ils prétendent posséder, après trois mille ans d'autocratie, un gouvernement de consentement populaire.
Peut-être n'a-t-on pas encore le droit de dire que le pouvoir émane du peuple : ce qui est vrai, en tout cas, c'est que le peuple est associé au pouvoir. De Paris, on a beau s'imaginer les fils de Han aux mains d'un parti de terroristes abstraits promulguant partout les mêmes décrets sur la foi d'un catéchisme périmé ; en Chine, le citoyen est embarqué avec ses chefs dans une aventure sans pareille ; il tente de la déchiffrer, il comprend que la stabilité présente ne peut être conservée qu'au prix d'une transformation progressiste de toutes les institutions ; il cherche, guidé par ses ministres, les conditions concrètes de l'indépendance nationale.

Qand les Anglais coupaient le courant
Or, tout Chinois sait, pourvu qu'il ait appris à lire, que l'industrialisation seule peut sauver le pays. En 40, la quantité d'énergie dépensée en Chine par jour et par tête, était de 0,5 CV. contre 37,6 aux Etats-Unis ; la longueur des voies ferrées (pour une superficie de 1.000 miles carrés) de 3 miles contre 80, le nombre de véhicules motorisés pour 1.000 habitants de 0,2 contre 250 ; la production d'électricité ne dépassait pas les trois centièmes de la production mondiale. La rareté des capitaux mettait le pays à la mercie des puissances impérialistes : les investissements chinois représentaient le quart du capital investi ; pour les deux tiers des investissements étrangers, l'apport du capital entraînait la gestion des affaires. On s'était bien gardé, naturellement, de donner à la Chine un équipement industriel : comme toutes les nations coloniales, elle exportait des matières brutes et des denrées alimentaires pour pouvoir importer des machines et des produits finis. En 49, quand les derniers techniciens étrangers eurent abandonné Shanghaï, on s'aperçut que les Chinois n'avaient jamais construit d'appareils téléphoniques et qu'ils ne savaient pas même les réparer.
Ce petit fait résumera tout : une fois, entre les deux guerres, les fabricants chinois de Shanghaï s'avisèrent de soutenir les revendications des ouvriers : pour les mettre à genoux, les Anglo-Saxons n'eurent qu'un geste à faire : ils coupèrent le courant électrique.
Cela, tout le monde se le rappelle en Chine, et tout le monde a conclu depuis longtemps, en dehors de toute idéologie, qu'il faut doter le pays d'une industrie lourde. L'U.R.S.S. n'a jamais été un pays colonial : elle s'est industrialisée pour défendre la Révolution. Mais la Chine a subi la colonisation ; demain, elle peut la subir encore : elle s'industrialise en tout état de cause, parce que c'est son unique défense contre le colonialisme. Sur ce point, l'accord est universel, je dirai même qu'il est vital : Quand Mao Tsé Toung construit des hauts fourneaux, à Anshan, il a tout son peuple derrière lui.
C'est ce que manifeste bien l'extraordinaire engouement des Chinois pour les techniques et ces queues interminables qui se pressent tous les jours devant les guichets des expositions industrielles. Mais l'autre aspect de l'industrialisation, c'est le socialisme d'Etat, puisque l'Etat seul, dans un pays presque exclusivement agricole, possède les capitaux à investir. Et de nouveau, l'accord est unanime, en dehors de toute idéologie, simplement parce que la conséquence découle du principe. En un mot, le nationalisme, en Chine, exige la mort du capitalisme.
Peu importe qu'il reste aujourd'hui de nombreuses entreprises privées : en possédant les industries clés, l'Etat se met dans l'obligation de contrôler toute la production. Est-ce le réveil national qui pousse la Chine au socialisme ? Est-ce l'expérience socialiste qui doit revêtir l'apparence d'un nationalisme ? La question n'a pas de sens. En Chine, tout communiste est, avant tout, nationaliste et tout nationaliste doit exiger du gouvernement qu'il prenne des mesures communistes.

La socialisation agraire
Reste la dernière conséquence : la socialisation agraire. On a voulu, à ce propos, souligner une prétendue contradiction entre les néceessités nationales et les revendications sociales. Les masses paysannes auraient soutenu l'armée rouge dans l'espoir d'obtenir une amélioration immédiate de leur condition. Mais le manque d'outillage aurait limité la portée de la réforme agraire. La rareté des capitaux et les nécessités de l'industrialisation auraient contraint le gouvernement à sacrifier la production d'engins agricoles tout en exigeant du cultivateur qu'il élève le rendement de sa terre pour nourrir le pays et payer les importations ; il aurait eu recours à la socialisation forcée pour utiliser aux mieux le stock de machines agricoles et pour accroître la productivité ; il aurait accéléré le mouvement de socialisation pour éviter de tomber sous la dépendance des paysans riches. Ces mesures auraient mécontenté l'ensemble des cultivateurs et provoqué la résistance passive des paysans aisés. Rien de tout cela n'est vrai.
Il va de soi que le gouvernement chinois, s'il veut se donner une industrie lourde, doit exiger un accroissement de la productivité agricole. Et après ? La réforme agraire – qui fut tout simplement un partage des terres – a eu pour résultat l'intensification du travail. Mais l'accroissement de la production s'est accompagné d'une élévation considérable du niveau de vie. Puisque le cultivateur, délivré de ses dettes, et propriétaire, travaillait mieux en gagnant davantage, les revendiations sociales et les exigences nationales se trouvaient satisfaites en même temps. La Chine importait une partie de sa nourriture ; en 1955, elle se suffit. Nul doute que la redistribution des terres est à l'origine de l'immense prestige dont jouit Mao Tsé Toung dans les campagnes.
Pour constituter des stocks, pour exporter, il ne suffit pas d'intensifier le travail : on recourt à la collectivisation pour tenter de le rationaliser. Lèse-t-on les paysans ? Observons d'abord que le discours de Mao Tsé Toung (juillet 55) et la résolution du P.C. (octobre 1955) n'annonçent pas un tournant de la politique chinoise ni le commencement d'une seconde révolution. En septembre, quand j'étais en Chine, on comptait déjà que 25 % des familles paysannes étaient groupées en coopératives. Le rapport de Li Fu Chun (antérieur au discours de Mao) prévoit qu'il y en aura 33 % en 1957, c'est-à-dire à la fin du premier plan quinquennal. A ce rythme, il aurait fallu dix ou quinze ans pour achever l'opération. Le président Mao veut qu'elle soit terminée en 1960 : il faut avouer que l'accélération est brusque ; ce n'est pourtant pas un bouleversement, d'autant que la date limite peut changer plusieurs fois. Remarquons, en outre, que les textes cités insistent à plusieurs reprises sur la nécessité de ne pas user de contrainte : le paysan doit se décider librement ; aux coopératives de prouver par les faits qu'il est avantageux de s'y inscrire.

J'ai interrogé les paysans.
J'ai visité plusieurs villages, interrogé des paysans et je n'ai jamais trouvé trace d'un conflit entre les 'collectifs' et les 'individuels'. Les discussions sont amicales et ne se réfèrent jamais à des principes, même quand le chef de la coopérative est un communiste incrit : chacun cherche son intérêt, c'est tout. La coopérative énumère ses avantages : on peu récupérer des terres improductives (par example les bandes de terrain qui séparent les propriétés privées), pousser la division du travail, répartir les tâches selon les possibilités de chacun, réaliser des économies de personnel, traiter chaque sol suivant sa nature en y semant des graines qu'il nourrira le miexu, constituter des fonds de réserves qui permettront d'acheter des instruments, de bâtir ou de remédier aux sinistres et aux intempéries. Tout cela se traduit naturellement par une élévation du pourvoir d'achat. Pour citer un example entre cent : dans une coopérative de thé, près d'Hangtchéou, la totalité des travilleurs a gagné 19.000 yens en 53 et 26.000 en 54. Quant aux 'individuels', ils n'ont pas d'hostilité de principe contre la coopérative : ils y entrent quand il est de leur intérêt d'en faire partie ; ils en sortent quand ils jugent plus avantageaux de travailler seuls. S'il a trois grands fils en âge de labourer, un cultivateur ne voit pas de raison pour renoncer à son bien ; qu'un des trois se casse la jambe et qu'un autre soit appelé aux armées, le père trouvera préférable de retourner dans la communauté.
J'en ai vu qui sont entrés et sortis quatre fois. Beaucoup ne sont convertis lors des inondations de 54, parce que la coopérative tenait mieux le coup que les propriétaires isolés. D'autres reprochent aux entreprises socialisées de distribuer les rémunérations à date fixe : ils aiment mieux qu'on les paie comptant. Certains sont dégoûtés du travail en commun parce que le comptable – qui est souvent un jeune paysan du village, formé hâtivement - s'embrouille dans ses comptes et se trompe dans les distributions. En un mot, ils se soucient de leur niveau de vie et de leurs commodités plus que de leur propriété.
Bien que le gouvernement leur reproche quelquefois de 'tendre naturellement vers le captialisme', ils n'ont pas l'aveugle instinct de possession qui caractérise nos ruraux. C'est qu'on n'était jamais riche longtemps dans la Chine d'autrefois : la sécheresse, les inondations, les sauterelles, la guerre, les dettes se chargeaient périodiquement de redistribuer les richesses ; et puis beaucoup des riches d'aujourd'hui ont été créées par le régime. A la veille de la réforme ils travaillaient dans le 'foncier' ; mais si leur famille est nombreuse (le gouvernement donnait un lot de terre par personne quel que soit l'âge ou le sexe), ils sont passés brusquement de la misère à la prospérité. Ces nouveaux riches ne sont pas de vrais propriétaires. De toute façon, le travailleur 'individuel' sait qu'il finira par entrer dans le régime communautaire ; il y est résigné mais rien ne le presse : il attendra d'avoir la main forcée.
Pendant ce temps la production et le pouvoir d'achat ne cessent de s'accroître dans les entreprises collectivisées. le plafond est loin d'être atteint : certes la productivié reste très basse ; il faudrait des outils, des bêtes de sommes, des engrais. Mais une invention ingénieuse, un aménagement peuvent l'élever assez haut.
Le niveau de vie du paysan aisé (ce qu'ils appellent la couche supérieure de la classe moyenne), est déjà rattrappé ; avant 1960 il sera dépassé. (Une remarquable nouveauté, depuis octobre 55, c'est la coopérative planifiée. Chaque coopérative calcule ses recettes futures et décide sur plusieurs années de ses investissement. Celle que je citais plus haut a décidé d'électrifier le village dans les 3 ans qui viennent. Cette décision leur gagnera des adhérents : un paysan 'individuel' même aisé ne jouit pas d'éclairage électrique).
Restent les Koulaks – 10 % de la population agricoles. Résisteront-ils ? Déjà de bonnes âmes craignent les effusions de sang. Elles seraient rassurées si elles avaient pris soin de lire les textes : loin de vouloir forcer leur adhésion, on recommande aux responsables de ne l'accepter qu'avec la plus grande prudence : « Scrutez leurs intentions, fouillez leur passé ; trop souvent ils n'entrent dans les coopératives que pour les escamoter à leur profit. » Le rapport du P.C. est formel : on veut le moins possible de ces brebis galeuses. Leur tour viendra tout de même mais en dernier. Aux environs de 1960, peut-être, ou plus tard quand l'apparition des premiers tracteurs viendra simplifier le problème. De toute façon l'intérêt national et l'intérêt social, ici encore, coïncident : aujourd'hui les coopératives pullulent mais chacune d'elle ne groupe qu'un petit nombre de familles. Demain – disent les Chinois, après Engels – la quantité produira la qualité et ces collectivités agrandies pourront recevoir les tracteurs.

J'espère que ces quelques exemples auront fait pressentir la relation des Chinois avec leur gouvernement. C'est une relation de mouvement : on participe à la même entreprise. L'un guidant, l'autre suivant (ce qui n'exclut nullement, bien au contraire, les initiatives du gouverné). C'est une relation en mouvement, au cours de l'entreprise, les rapports de l'un à l'autre se transforment.
L'entreprise est toujours singulière et concrète : il s'agit de tuer les mouches, de rebâtir une usine brûlée par les Japonais, d'assainir un quartier déboucher un fossé putride de diriger un hôpital. Mais chaque entreprise met en jeu symboliquement l'avenir du régime tout entier ; en chacune d'elle, la Chine entière se reflète avec ses changements irréversibles. Pour les membres du P.C., tout est clair : ils contribuent à leur poste et dans la mesure de leurs forces à hâter l'avènement du communisme. Pour les autres - c'est-à-dire pour l'immense majorité de la population – il ne s'agit ni d'obéir à contrecoeur ni d'adhérer dans l'enthousiasme au marxisme mais de faire, au cours d'un travail particulier, l'expérience de la nécessité qui lie inéluctablement leur sort peronnel à celui de leur patrie et la grandeur de leur patrie à la socialisation des moyens de production. Ce peuple d'agriculteurs doit s'industrialiser ou mourir : il n'est pas un instant de sa vie, pas un détail de sa gesogne qui ne rappelle à chaque Chinois cette vérité élémentaire. Et chacun voit dans la particularité de son action le reflet d'une aventure collective mais également particulière. « Dans cinquante ans, a dit le président Mao, nous aurons rejoint le niveau des nations les plus industrialisées ».

La socialisation est un moyen inéluctable
Qu'il pioche ou qu'il rabote, le Chinois d'aujourd'hui se sent l'homme de cette aventure. Son destin personnel, c'est de vivre quelques-unes de ces cinquante années, embarqué avec tous ses compatriotes et d'être obscurément ou glorieusement un des pionniers de l'industrialisation chinoise. Pour lui, la socialisation n'est pas une fin en soi, c'est un moyen inéluctable, ce n'est pas qu'il s'y résigne ou qu'il la déplore : c'est son chemin et il n'y en a pas d'autres. Et l'expérience qu'il fait, à la fois mouvement vers l'avenir et trame de sa vie quotidienne, ne diffère en rien de celle que fait au même moment son voisin communiste : il voit les mêmes problèmes et leur invente des solutions, il perçoit les mêmes faits et constate leurs liaisons. Simplement il ne les met pas en perspective, le responsable communiste lui, sait comment les éclairer.
Ainsi le marxisme est, en Chine, le déroulement même de la nécessité et, en même temps, on peut n'y voir qu'une interprétation privilégiée du fait chinois. Cette expérience du mouvement historique, elle est si universelle en Chine, que le voyageur lui-même ne peut s'y dérober. Mais comme il ne collabore pas à l'oeuvre chinoise, il reste séparé de l'histoire ; il la contemple et découvre parfois, dans les faits, une sorte d'intelligence qui n'est pas humaine et qui ne trouve son expression dans aucune conscience. C'est seulement que le départ est bien pris : à partir de là il y a un bonheur de toutes les entreprises. Je ne citerai qu'un exemple de ces extraordinaires circonstances où, quoi qu'on fasse, tout tourne en faveur du régime. On a coutume de montrer aux touriestes, prinsipalement à Shanghai, une certaine espèce d'homme que les malveillants nomment « le capitaliste heuruex ».

Le capitaliste heureux a gagné la sécurité
Le capitaliste reçoit dans une riche maison, parle d'un air détendu, assure que tout va bien pour lui. Mais à peine a-t-on quitté cette étrange créature, on se prend à rêver sur son sort.
Il n'accepte pas de gaïté de coeur que l'Etat devienne le plus gros actionnaire de son entreprise et réclame en retour un droit de regard sur sa gestion. Pourtant, il fait partie de la bourgeoisie nationaliste, celle que l'impérialisme étranger a écrasée ; il souhaitait qu'on protégeât sa fabrique : il a vu en tremblant des fortunes s'écrouler, minées par le dumping japonais. Il est convaincu certeinement qu'un Etat fort a ses avantages : le capitaliste heureux a perdu son indépendance, mais il a gagné la sécurité. Pourtant, il n'ignore pas qu'on veut détruire sa classe. Du reste, n'est-elle pas déjà détruite. Il reste des capitalistes, mais qui communiquent entre eux par l'intermédiaire de l'Etat : de l'un à l'autre, rien ne peut advenir, ni solidarité, ni cartel, ni concurrence. Est-il même capitaliste ? L'Etat lui conserve une existence artificielle.
Pourtant, il investit des capitaux dans son entreprise et il en retire des bénéfices. Ces bénéfices, il est vrai, ont été rognés par la loi : mais comme les investissements d'Etat ont gonflé le volume de ses affaires il « s'y retrouve ». Il n'ignore pas qu'un jour doit venir où sa propre fabrique sera socialisée. Mais il sait aussi que les cadres techniques sont longs à former. On le garde parce qu'il connaît son métier. Le sous-directeur, qui est communiste et représente l'Etat, lui est très inférieur en connaissances et en pratique. L'autonomie que notre capitaliste avait théoriquement perdue, voici qu'il la regagne grâce à ses lumières. Finalement, tout se compense. Et sa situation reste fort enviable. Mais il a beau acheter, fabriquer et vendre, il ne sait plus très bien s'il existe pour de vrai. Et voilà la marque de cette intelligence surhumaine dont je parlais tout à l'heure : subjectivement, cet homme un peu diminué n'est sans doute pas très favorable au communiste : au mieux, disons qu'il n'est ni pour ni contre.
Mais tout ce qu'il fait sert obejctivement à la construction socialiste quand il s'efforce, en bon capitaliste, d'augmenter ses bénéfices, il accroït d'autant ceux de l'Etat qui les réinvestit dans l'industrie lourde. Qui, c'est là ce qu'on ne peut voir qu'en Chine : un capitaliste qui est artificiellement conservé par le processus même qui doit le « suprimer », un capitaliste qui, en poursuivant sans défaillance ses activités de capitaliste, contribue volontairement à édifier le régime qui le détruira.
La présence de cette nécessité de fer qui lie chacun à tous et de chaque événement fait le signe de tous les autres, le déroulement calme et implacable d'une histoire orientée où les actes se comprennent à partir de leurs répercussions futures, tout contribue à nous faire faire une découverte singulière : la réalité présente de la Chine, c'est son avenir.

Une perspective de cinquante années
Avenir étrange, rigoureusement fini, qui s'étend sur cinquante ans, pas plus. Dans cinquante ans, Mao Tsé Toung promet l'épanouissement d'une civilisation nouvelle. Au-delà, tous les problèmes seront neufs, nous ne pouvons même pas les concevoir.
Cinquante ans, c'est la mesure exacte de l'entreprise, c'est le temps de la lutte et de l'effort. Plus près de nous une autre date : dans vingtcinq ans, dans vingt ans, la phonétisation de l'écriture sera chose faire. Plus près encore : dans qinze ans, le cours du fleuve Jaune sera partiellement normalisé. 1960 : fin du combat pour la collectivisation agricole ; l'ère des tracteurs commence. 1957 : le second plan quinquennal ; l'immense fabrique mandchoue sort sa première auto. Et demain, en 1956, l'usine que j'ai visitée à Moukden produira sa première machine-outil. Ce demi-siècle futur est jalonné de victoires ; il est glorieux comme un passé. Direz-vous que c'est un rêve ? Pas du tout.
Bien sûr, il y a des dates incertaines ; une inondation suffit à tout retarder. Mais il s'agit dans tous les cas de travaux commencés ; ces dates – on en pourrait citer mille autres – marquent les étapes nécessaires d'un développement objectif. On ne les rêve pas : on les calcule. Prenons l'écriture : elle fait obstacle à la culture, à la science ; il faut la phonétiser. D'autre part, c'est l'unique lien entre des populations qui ne se comprennent pas ; si ce lien se brise, les provinces d'éparpillent. Qu'à cela ne tienne : on commencera par unifier les prononciations. Ce n'est pas une petite affaire : il faudra former partout, de Moukden à Canton, des instituteurs qui puissent enseigner la prononciation-type, le « mandarin » à leurs élèves. On sait le temps qu'il faut : qinze ans ; les responsables de l'Enseignement se sont déjà mis à l'ouvrage : le jour de mon départ, des projets ont été discutés, des décisions prises.
Pendant cette décade et ce lustre des spécialistes étudieront les problèmes de l'alphabet. Ils sont tranquilles, l'histoire les pousse : en resserrant les liens économiques, de province à province, en brassant le Sud et le Nord, l'Est et l'Ouest dans les casernes de l'armée populaire, la Chine tout entière, sans même y prendre garde, travaille à l'unification de la langue ; l'histoire les porte s'ils ne se pressent pas, elle les dépassera : en forgeant son unité nationale, ce pays conquiert nécessairement l'unité culturelle. Ils le savent, les professeurs qui travaillent à la réforme de la langue : ils savent que, durant leurs travaux, la longueur des voies ferrées va doubler, tripler, et c'est ce qui leur donne confiance : l'avenir de leur entreprise est garanti par celui de toutes les autres, au sein du mouvement général.
C'est pour nous montrer l'avenir qu'on nous a invités en Chine et nous l'avons vu partout : dans tous les yeux, sur toutes les bouches. Tout le monde y croit, tout le monde en parle. A Fushen, la ville est bâtie sur un gisement de charbon ; un directeur d'usine m'a dit d'un air satisfait : « Cela n'est rien, nous déplacerons la ville ». Ils la déplaceront, j'en suis sûr, mais pas tout de suite ; il faudra plus d'un siècle pour épuiser la mine ouverte.
N'importe : ce technicien se plaisait à découvrir une instabilité secrète dans les lourds immeubles mandchous ; un jour, ils s'envoleraient. L'homme vivra plus longtemps que les ouvrages de ses mains. Parfois, notre goût pour le passé se heurtait à l'intransigeance futuriste de notre jeune interprète. « Elle est jolie, cette rue, disions-nous non sans timidité ». Il répondait farouchement : « Nous la détruirons ». C'est que le future de la Chine est aussi le sien, celui de sa vie privée ; dans un an, sa femme, qui est étudiante dans une ville lointaine, pourra choisir l'Université où elle terminera ses études ; il économise pour le moment où ils vivront ensemble, il a déjà décidé en qulle année naîtra son premier enfant. Pour ce mari célibataire (ils sont fort nombreux dans ce cas) tout son mariage est devant lui et les dates de sa vie de famille se mêlent à celles des étapes de la construction.

Un demi-siècle posé sur la grande pleine
Quelquefois, ce demi-siècle posé sur la grande plaine nous gênait personnellement ; entre les Chinois qui nous accueillaient, il créait une connivence dont nous étions exclus. L'un de nous disait : « En Chine, on se sent déjà mort ». C'est souvent vrai : parce que la réalité la plus tangible, c'est un avenir que verront les jeunes, et que nous ne verrons certainement pas. Un hôpital bien neuf, bien ripoliné, bien moderne, mais qui attend encore une partie de son équipement et la totalité de ses malades, une fabrique aussi grande qu'une ville, mais vide encore, toutes ces ruines de l'avenir incitent beaucoup plus que la Colisée à méditer sur la mort.
Ou plutôt, nous, Européens, nous pensons à notre mort à côté du premier poumon d'acier chinois, parce que, quelle que soit notre sympathie de coeur pour la Chine, nous savons bien que nous n'appartenons pas à son histoire et que nous ne l'aidons pas dans son entreprise. Mais les Chinois de mon âge – qui me parlent avec passion de la phonétisation de l'écriture, ils la décident, cette réforme, et puis ils commencent à l'appliquer ; peu leur importe que d'autres la terminent puisqu'ils l'ont amorcée : elle se choisira ses hommes ; peut-être ils se sont trompés, peut-être sont-ils mal partis : mais leurs erreurs se corrigeront en cours de route, par leurs mains ou par d'autres mains. L'essentiel c'est qu'ils ont une perception visionnaire de cette oeuvre collective. Et je ne parle pas seulement de cette nuée d'enfants qui verront de leurs yeux l'épanouissement de la civilisation chinoise. Je parle de tous : tout Chinois, aujourd'hui, quel que soit son âge, a cinquante ans à vivre.

Cited by (1)

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1 2007- Worldcat/OCLC Web / WC