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1975

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Michaux, Henri. Idéogrammes en Chine [ID D22340].
Jean-Gérard Lapacherie : De l'écriture chinoise, Michaux à une conception originale, qui s'écarte à la fois des interprétations figuristes et des interprétations algébristes. Il ramène l'écriture chinoise à la calligraphie; et de celle-ci, il fait, à la suite de plusieurs réductions, une peinture abstraite.Michaux, dans Idéogrammes en Chine, commente une écriture que, apparemment, il ne lit pas, il sait qu'il s'agit d'une écriture, non d'une symbolique. Il le précise dans une note: «[Les idéogrammes] continue[nt] de porter, inchangée, toujours lisible, compréhensible, efficace, la langue chinoise, la plus vieille langue vivante du monde». Pourtant, ce ne sont pas les relations entre les idéogrammes et la langue chinoise que Michaux cherche à comprendre. Il connaît les thèses figuristes et il les présente comme des interprétations de lettrés: «Disparus [...], les caractères d'autrefois, soigneusement réunis, recopiés, furent interprétés par les lettrés. [...] A cette lumière, toute page écrite, toute surface recouverte de caractères, devient grouillante et regorgeante... pleine de choses, de vies, de tout ce qu'il y a au monde... au monde de la Chine».
Au total, dix pages d'idéogrammes imprimés avec une belle encre rouge lumineuse et choisis avec beaucoup de soin dans tous les styles d'écriture : écritures sigillaires ; inscriptions archaïques sur des fragments d'os ou de carapaces de tortue; écritures anciennes (ta-tchouan) ; écritures officielles, dites de fonctionnaires ; et surtout, la fameuse cursive «cao shu» ou, dans l'ancienne transcription «ts'ao-tseu», dite aussi «écriture d'herbe».
Même si Michaux privilégie, dans l'écriture chinoise, la calligraphie, il analyse aussi les signes de cette écriture, comme l'indique explicitement le titre de l'ouvrage Idéogrammes en Chine. Le point de vue qu'il adopte n'est
pas linguistique. Les idéogrammes ne valent pas, selon lui, pour des unités de la langue; ce sont des tracés qui ne représentent rien. «Des griffures, des brisures, des débuts paraissant avoir été arrêtés soudain».
Beaucoup d'idéogrammes étaient à l'origine des images d'objets: «ils [les signes chinois] sont actuellement, éloignés de leur mimétisme d'autrefois [...]». Michaux ne retrace pas une histoire, mais il résume une évolution
qui conduit du «mimétisme» (d'autrefois) à la cursivité actuelle qu'il réduit à l'abstraction. «Il y eut pourtant une époque, où les signes étaient encore parlants, ou presque, allusifs déjà, montrant plutôt que choses, corps ou matières, montrant des groupes, des ensembles, exposant des situations ». Chaque époque, dans l'histoire de la Chine archaïque, «se mit, brouillant les pistes, à manipuler les caractères de façon à les éloigner encore d'une nouvelle manière de la lisibilité primitive». La figuration a disparu lentement, en plusieurs étapes; surtoutrce à des «inventeurs (qui) apprirent à détacher le signe de son modèle».
En dépit de l'origine iconique qui y est assignée et de l'interprétation figurative qui en est proposée, les idéogrammes modernes sont, pour Michaux, des tracés abstraits. Ce qui en fait la beauté, ce pour quoi ils le fascinent, c'est qu'ils sont abstraits et qu'ils n'évoquent rient. «Le plaisir d'abstraire l'a emporté». Ou encore : «Les Chinois étaient appelés à un autre destin [que celui de mimer le monde].! Abstraire, c'est se libérer, se désenliser.! Le destin du chinois dans l'écriture était l'absolue non-pesanteur.
Se démarquant des historiens de l'écriture, Michaux interprète cette évolution comme une invention: elle a été le fait de créateurs audacieux: «Emportés par l'entraînante impudence de la recherche, les inventeurs [...] apprirent à détacher le signe de son modèle (à tâtons, le défoonant, sans oser encore carrément couper ce qui lie la forme à l'êtte, le cordon ombilical de la ressemblance) et ainsi se détachèrent eux-mêmes, ayant rejeté le sacré de la première relation "écrit-objet"».
Pour Michaux, ce qui caractérise l'écriture chinoise, ce sont les traits, les tracés, les accents, les griffures, les boucles : autrement dit, le travail du calligraphe ; et qui dit tracés, dit aussi gestes qui tracent. L'important est la gestualité. Ecrire en Chine, c'est d'abord faire des gestes, rapides, vifs, inattendus, «d'un coup», immédiats, spontanés. L'écriture est ramenée à ces seuls gestes et aussi à la façon dont les geStes se préparent, presque religieusement. Il faut de la concentration, de la méditation, un repliement sur soi. Tout se passe comme si les gestes n'étaient pas des automatismes maîtrisés, que l'on fait sans même y penser, mais prenaient naissance au plus profond de l’être. « Le calligraphe doit d’abord se recueillir, se charger d’énergie, pour s’en déliver ensuite, s’en décharger. D’un coup. »
Tout ce qui se rapporte à la technique des calligraphes chinois, à la maîtrise des gestes, à la préparation des instruments et à l'apprentissage très long que cet art exige auprès d'un maître, est occulté ou suspendu. Les idéogrammes sont «des traits dans toutes les directions» ; «des griffures, des brisures».
La calligraphie est spontanéité. «Dans cette calligraphie, [...] ce qui suscite l'admiration c'est la spontanéité, qui peut aller jusqu'à l'éclatement» ; et, puisqu'ils sont faits de traits sans formes, les caractères «conviennent mieux à la vitesse, à l'agilité, à la vive gestualité » : c'est-à-dire ce qui caractérise, dans la peinture des années 1950, l'abstraction dite «lyrique» ou «informelle».
Michaux remarque que la «méditation» du calligraphe «devant un paysage» peut durer longtemps, «jusqu'à vingt heures» d'affilée; alors que la «peinture» proprement dite du paysage «quelques dizaines de minutes seulement». Le calligraphe travaille comme un peintre de l'abstraction lyrique: « Il doit d'abord se recueillir, se charger d'énergie pour s'en délivrer ensuite, s'en décharger. D'un coup.
Michaux ramène l'écriture chinoise à la calligraphie ; la calligraphie à l'abstraction ; l'abstraction aux seuls gestes spontanés.

Liu Yang : Henri Michaux trouve que la calligraphie est aussi raisonnable « tel un acteur chinois entrant en scène, qui dit son nom, son lieu d'origine, ce qui lui est arrivé et ce qu'il vient faire ». Henri Michaux a lu le poème de Li Bai comme s'il avait regardé des tableaux. Selon lui, ces quatre vers contiennent une trentaine de scènes, un bazar, un cinéma, un grand tableau. Dans Idéogrammes en Chine, Henri Michaux a beaucoup apprécié la langue chinoise, disant qu'aucune langue n'a plus de beauté que la langue chinoise, car elle « donne occasion à l'originalité », « Chaque caractère fournit une tentation. » « La calligraphie l'exalte. Elle parfait la poésie ; elle est l'expression qui rend le poème valable, qui avalise le poète. » Henri Michaux a saisi les traits caractéristiques de l'écriture, du tableau et des poèmes chinois ainsi que leur lien. Henri Michaux a dit : Après tout, que contiennent ces quatre vers de Li Po en français ? Une scène. Mais en chinois, ils en contiennent une trentaine ; c'est un bazar, c'est un cinéma, c'est un grand tableau. Chaque mot est un paysage, un ensemble de signes dont les éléments, même dans le poème chinois le plus bref, concourent à des allusions sans fin. Un poème chinois est toujours trop long, tant il est surabondant, véritablement chatouillant et chevelu de comparaisons. Li Bai exploite pleinement la spécificité de la langue et de l'esprit chinois. Le poète, par des procédés d'ellipse et d'allusion, par l'abandon au jeu des métaphores qui suscite la résonance du non-dit, faire vivre une expérience de vacuité, cela aussi bien ai niveau des signes qu'à celui de sa conscience et, au travers de cette expérience, entre en intime communion avec les éléments de l'univers vivant. Les caractéristiques de l'art chinois sont inséparables d'avec l'écriture typique chinoise. Le caractère chinois a connu une évolution du dessin au signe, de la réalité au symbole, c'est ce que signifie « se délivrer de la ressemblance de forme ». Henri Michaux a observé que l'écriture chinoise a pour symbole la « simplicité », » une seule syllabe », a un goût de « prendre un détail pour signifier l'ensemble », « Chaque mot est un paysage, un ensemble de signes dont les éléments, même dans le poème le plus bref, concourent à des allusions sans fin. » « La langue chinoise en était capable. Partout elle donne des occasions à l'originalité ? Chaque caractère fournit une tentation. »

Zao Wou-ki : « Henri Michaux connaissait bien la Chine - il y avait voyagé - et connaissait sa culture. A-t-il pensé au lien qui unit, pour un Chinois, peinture et poésie ? Sur le moment, je n'y ai pas songé et je n'ai jamais osé plus tard lui poser la question. Je crois qu'il avait perçu, très tôt, ce lien : sa peinture ressemble souvent à des idéogrammes, une espèce d’écriture qui évoque aussi le mouvement de la vie qui va naître. »

Mentioned People (1)

Michaux, Henri  (Namur 1899-1984 Paris) : Dichter, Maler

Subjects

Literature : Occident : Belgium

Documents (2)

# Year Bibliographical Data Type / Abbreviation Linked Data
1 1990 Lapacherie, Jean-Gérard. Henri Michaux et les idéogrammes. In : Textyles ; no 7 (1990).
http://www.textyles.be/textyles/pdf/7/7-Lapacherie.pdf.
Publication / MichH6
  • Cited by: Asien-Orient-Institut Universität Zürich (AOI, Organisation)
2 2006 Liu, Yang. Henri Michaux et la Chine. (Paris : Ed. Le manuscrit, 2006). (Diss.) S. 69, 171-172. Publication / MichH1
  • Source: Cheng, Baoyi [Cheng, François]. Faguo dang dai shi ren heng li Mixiu. In : Wai guo wen xue yan jiu ; no 4 (1982). [Henri Michaux, poète français contemporain. Enthält ein Interview von Cheng mit Michaux und die Übersetzung von sechs Gedichten].
    法国当代诗人亨利•米修 (MichH9, Publication)
  • Cited by: Asien-Orient-Institut Universität Zürich (AOI, Organisation)
  • Person: Liu, Yang
  • Person: Michaux, Henri