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Year

1953

Text

Segalen, Yvon. Entretien avec Saint-John Perse (le 27 mars 1953) [ID D22560].
Segalen schreibt : "Je n'ai put tout écrire mais je crois avoir reproduit l'essentiel de l'entretien et respecté les mots mêmes de St-John Perse que je n'ai jamais revu."
Saint-John Perse erzählt über China :
J'y suis arrivé en 1916. Yuan Shikai régnait alors. Il est mort comme vous le savez et fut remplacé par un "Président de la République", du nom de Li Yuanhong. Au cours de l'automne 1917 il m'est arrivé l'aventure que voici : à Pékin, j'étais jeune, j'avais une santé de fer, et je menais une double vie. Dans la journée je travaillais à la légation, je dînais en ville comme tout le monde, je flirtais, montais à cheval et faisais l'amour comme tout le monde. Vers minuit je passais par une petite porte, prenais un tonneau qui m'attendait et filais dans la ville chinoise où j'avais une maison. J'y recevais des amis et amies chinoises et quelques Mandchous que les Chinois avaient épargnés en 1911. J'avais fait la connaissance d'une très curieuse fille qui s'appelait Fou-lin, ex-suivante de l'Impératrice Ci Xi, pure mandchoue, dont le père avait été ministre de Chine à Paris en 1900 au moment des Boxeurs. Ce ministre, homme lettré et très remarquable, avait fermé sa porte aux diplomates et aux politiciens lorsque la révolte des Boxeurs avait éclaté et il avait ouvert ses salons aux auteurs les plus en vue de l'époque. Judith Gauthier, aidée par le fils du ministre écrivit là ses romans chinoîsants. Les Concourt fréquentèrent les salons du ministre. C'est à son influence que l'on doit probablement le goût de la chinoiserie qui caractérise l'époque. Les filles pendant ce temps sont élevées au Couvent des Oiseaux. Lorsque vers 1904 le ministre, l'affaire des Boxeurs terminée, revient à la cour, l'impératrice Ci Xi demande à l'une d'entre elles de devenir sa première secrétaire, son chef du protocole pour Européens. Cette fille qui parlait sans accent le français, le russe et le chinois, faisait très bien son métier, métier épuisant d'ailleurs car l'Impératrice recevait à 4h du matin parfois, et il fallait se tenir debout pendant des heures, engoncée dans les soies épaisses, après avoir subi la complexité des coiffures.
Cette fille, pure mandchoue, fut sauvée en 1911 par un jeune général chinois, sorti de St-Cyr (promotion 1900), le général Dan Paochao. Ce général, à sa sortie de l'école à Paris en 1900, n'était donc qu'aspirant et lui — chinois — avait osé jeter les yeux sur une Mandchoue : sur la fille du ministre (qui avait alors 14 ou 15 ans). Rabroué, il avait dû filer au plus vite. En 1911, au moment de la révolution suivie du massacre des Mandchous, il retrouve sa belle, éplorée et tremblante. Il épargne le petit empereur (qui devait devenir le Pou Yi des Japonais en 1932) par la même occasion. Il épouse la fille qui veut bien se laisser sauver à la condition que ce serait un mariage blanc. Cette fille en 1917 était devenue Maîtresse de Cérémonie de Yuan Shikai et pouvait passer pour la plus délicieuse des Parisiennes, comme pour la plus authentique Mandchoue.
Un beau soir de juillet 1917, un général chinois, Tchang Hsiun [Zhang Xun], à la tête de trente mille hommes peu armés mais bien disciplinés, la plupart mandchous, envahit Pékin, arrête le président (chinois), sa femme, ses trois concubines et les enfants. La ville chinoise est investie. Je me trouve coupé du quartier diplomatique et le lendemain matin, le téléphone marchant encore, je téléphone à la Légation: "J'ai une grande nouvelle à vous annoncer: nous sommes de nouveau sous l'Empire." "Vous êtes fou" me répond-on . . . "Regardez donc les enveloppes des télégrammes que vous avez reçus ce matin, regardez quel en est le cachet". En effet, les postiers chinois avaient ressorti immédiatement les anciens cachets et les anciennes enveloppes "Postes Impériales". Stupeur! "Comment le savez-vous?"
Pardi, je le savais presque comme si j'avais assisté à la scène d'heure en heure; ma dame mandchoue me mettait au courant des événements et voici ce qui s'était passé: Le Général Tchang Hsiun, ancien palefrenier des écuries de l'Empereur (qui avait soigné les chevaux dans la Cité Interdite), après avoir arrêté le Président et sa famille, était allé réveiller le jeune Empereur qui pouvait avoir 11 ans, et après l'avoir fait habiller comme il convenait, l'avait poussé vers le trône. Immédiatement le sceau impérial avait été sorti de l'écrin dans lequel il dormait depuis six ans et les premiers décrets paraissaient, traitant uniquement du protocole. Un incident très curieux eut lieu ce matin là et me fut rapporté tout chaud : bien que l'entourage du jeune ex-Empereur l'ait élevé absolument dans l'ignorance de son haut rang, à peine fut-il juché sur le trône qu'il étendit la main vers l'assistance et ordonna d'une voix forte: "k'ho tow" et tous, le général Tchang Hsiun en tête, de faire à plat ventre le grand salut de cérémonie, tête frappée contre le sol. L'humeur instable et la méconnaissance totale de toute stratégie moderne causèrent la perte du général Tchang Hsiun, mais il dura quand même douze jours au cours desquels je fus bloqué dans la ville chinoise, ne courant aucun danger, mais causant à la Légation de vives inquiétudes et au Quai d'Orsay des débordements télégraphiques. Au bout de quelques jours le président Li Yuan-hong réussit à s'enfuir, laissant là sa femme, ses trois concubines et ses enfants.
Ma dame mandchoue me dit que bien que mandchoue, elle ne pouvait se faire à l'idée de voir ces pauvres femmes livrées à la soldatesque. Par sport plutôt qu'autre chose, j'essayai de faire quelque chose pour les sauver. Je les fis d'abord passer chez moi; ce fut facile, mais il fallait leur faire traverser les "lignes". J'eus l'idée de téléphoner à un des attachés de la Légation japonaise dont je savais la puissance. Rien à faire. Je monte à l'Ambassadeur du Japon, Yoshida, que j'avais eu l'occasion d'amuser. Je le flatte. Il ne dit pas "non". Deux jours après, deux officiers de Tchang Hsiun arrivent chez moi avec un laissez-passer pour la femme et les enfants seulement. Pleurs des concubines qui se roulent par terre. Les officiers, esclaves de la consigne, ne veulent rien savoir pour les emmener.
En fin de compte, j'avais deux officiers et deux laissez-passer. Cela faisait deux voitures — on enferme les concubines dans une chambre, on les fait taire. Puis on sert le thé, un repas, on amuse les officiers. Après un long moment les voitures sont enfin prêtes. Dans la première il y a tout juste la place d'entasser la femme et les enfants, dans la seconde les ballots, les paquets, les boys en grappe suspendus aux portières repoussent toute investigation—Je me hisse et me perche sur le plus haut ballot de la seconde. Les barrages s'ouvrent devant nous et je fais une rentrée triomphale au quartier des Légations, où le Ministre de France me reçoit fraîchement, surtout lorsque de dessous les ballots, on sort les trois concubines un peu repassées, mais heureuses d'avoir échappé au viol et au puits: "Comment, Monsieur, non content de vous absenter pendant quinze jours, vous oser vous immiscer dans les affaires intérieures d'un Etat ami? Grave incident diplomatique, nous allons en référer à Paris". Le Ministre de France n'ayant pas voulu héberger ces dames, je leur offris mon pavillon et j'allai coucher à l'hôtel des Wagons-Lits. Une semaine plus tard, les troupes républicaines commandées par un ancien colonel de Yuan Shikai, Tuan Che-joy, battirent les trente mille Mandchous du général Tchang Hsiun près du Temple du Ciel. On m'a rapporté le trait suivant du général : à un moment où ses troupes et son état-major commençaient à flancher, il songea lui-même à filer, mais craignant une débandade s'il les laissait en plan, il se fit apporter une robe de lettré, la revêtit et prenant un éventail et un pinceau, il commença à jeter quelques vers sur le papier brun. Puis paraissant plongé dans une rêverie poétique, il se dirigea vers un enclos dont il franchit la porte à pas lents et solennels. A peine la porte franchie, adieu robe, éventail et pinceau. Il eut vite fait de sauter le mur et de s'enfuir à bride abattue vers le quartier des Légations où il trouva asile à la Légation hollandaise—mais cette déroute remettait mon président à l'honneur. Il avait repris ses concubines, m'avait laissé sa femme et ses marmots qui transformaient mon pavillon en un foutoir, souillant de confiture mes tapis et mes soies. J'eus beaucoup de mal à m'en défaire. Fatigué par les protestations d'affection de mon chef dont les sentiments avaient suivi la courbe des événements, je décidai de me retirer dans le petit temple taoïste jque je possédais à une journée de cheval de Pékin et demandai quinze jours de congé qui me furent accordés à la condition que je rédigerais un rapport. Or, je n'avais aucune envie de rédiger ce rapport—c'était l'époque du style diplomatique dans toute sa beauté et je ne m'en sentais ni envie ni courage. Je venais de commencer "Anabase" qui n'a d'ailleurs rien à voir avec ces événements . . . Au bout de huit jours le Ministre impatient de ne rien voir venir, me dépêche un courrier à cheval, que je renvoie sans un mot. Le surlendemain, puis tous les jours, je reçois des mots de plus en plus pressants et je me sentais de moins en moins décidé à écrire ce rapport. Enfin, mon congé terminé, je reviens à la Légation . . .sans le rapport ! Colère du Ministre qui, excédé, me dit: "Eh bien, puisqu'il n'y a pas moyen d'obtenir de vous ce rapport, écrivez-moi une lettre dans laquelle vous me raconterez ce qui vous est arrivé". Je lui donnai rapidement satisfaction, et ma lettre lui plut tellement qu'il l'envoya telle quelle au Quai.
J'ai su depuis que j'avais failli me faire renvoyer du Quai d'Orsay, non pas que mon action ait été désapprouvée mais parce que ma lettre n'était pas rédigée conformément aux usages.
Ce rapport existe toujours, je ne l'ai plus. Il a été copié. Wladimir d'Ormesson en avait une copie, d'autres le font circuler. Curieux, n'cst-il pas vrai ?
[Rapport = Relation respectueuse. In : Oeuvres complètes, S. 814-819].

Mentioned People (1)

Saint-John Perse  (St-Léger-les-feuilles, Guadeloupe 1887-1975 Giens) : Dichter, Diplomat, Nobelpreisträger

Subjects

Literature : Occident : France

Documents (1)

# Year Bibliographical Data Type / Abbreviation Linked Data
1 2000- Asien-Orient-Institut Universität Zürich Organisation / AOI
  • Cited by: Huppertz, Josefine ; Köster, Hermann. Kleine China-Beiträge. (St. Augustin : Selbstverlag, 1979). [Hermann Köster zum 75. Geburtstag].

    [Enthält : Ostasieneise von Wilhelm Schmidt 1935 von Josefine Huppertz ; Konfuzianismus von Xunzi von Hermann Köster]. (Huppe1, Published)