Laffitte, Pierre. Considérations générales sur l’ensemble de la civilisation chinoise et sur les relations de l’Occident avec la Chine [ID D20371].
Le mouvement révolutionnaire proprement dit a largement développé ces profonds inconvénients moraux de la rupture de la continuité sociale. Que peut devenir le respect filial dans une société où chaque génération méprise et maudit celle qui l'a immédiatement précédée. Aussi en Occident, l'inévitable réaction de l'état révolutionnaire détruit et ébranle cette base sacrée de la famille, que l'évolution continue de la civilisation chinoise consolide et fortifie. Malgré les stupides dédains des révolutionnaires chrétiens, déistes ou athées, la famille est en Chine, quant aux relations filiales et fraternelles bien plus près de l'état normal que la famille occidentale, et elle est sous ce rapport, digne d'imitation et de respect.
L'infériorité relative de la famille chinoise se manifeste dans les relations conjugales. L'état monogame, n'a été atteint en Chine que d'une manière imparfaite. La loi ne permet qu'une seule femme légitime, mais elle sanctionne un concubinat régulier. Néanmoins il faut observer que ce concubinat légal est strictement restreint en fait aux classes riches ou d'une réelle aisance ; et que même, dans ce cas, il est bien loin d'avoir l'extension que la législation permet. Du reste, en Occident, surtout dans les grands centres d'activité, on ne voit que trop souvent un concubinat irrégulier, et qui n'astreint à aucun devoir quelconque, remplacer le concubinat réglé par la législation chinoise. Néanmoins lorsque l'Occident régénéré pourra avoir avec la Chine d'autres contacts que ceux déterminés par une rapacité sans frein, il est certain que c'est dans l'amélioration des relations conjugales, dans les classes aisées, que se fera sentir son action, bienfaisante. Sous ce rapport la famille occidentale, surtout régénérée par la foi démontrable, présente une véritable supériorité, comme elle est incontestablement inférieure, surtout de nos jours, quant aux relations filiales et fraternelles. Et certes les Chinois peuvent plus, pour l'amélioration morale de l'Occident, par le spectacle qu'ils nous offrent d'une société réglée, que nous ne pouvons pour leur progrès intellectuel et matériel, par l'équivoque bienfait de nos progrès industriels, surtout lorsque de tels progrès se développent chaque jour davantage en dehors de toute préoccupation morale ; ce qui tend incontestablement à produire, quoiqu'on disent les emphatiques déclamations d'un libéralisme absurde, pour type de l'homme civilisé, une sorte de brute matériellement très-puissante. Du reste, les conséquences de ce dévergondage industriel pour les classes laborieuses, là où ce développement se produit avec le plus d'intensité, n'est guère propre à engager la Chine à une activc imitation.
Apprécions maintenant la société proprement dite, et d'abord son culte.
L'adoration fétichique systématisée par l'astrolâtrie, tel est, comme je l'ai déjà établi, le culte officiel de la Chine. Mais ce culte officiel est complété par celui des grands, hommes, ou plutôt par le culte systématique de tous ceux, hommes ou femmes, qui ont rendu à la société des services quelconques, intellectuels, industriels ou moraux. Ce culte des nobles natures est dominé par celui de Confucius.
Confucius est l'objet du culte le plus important, après le Ciel et la Terre ; il est pour la Chine le philosophe par excellence ; et notre appréciation systématique de ce philosophe prouvera qu'un tel culte est bien mérité. Ainsi le culte des grandes et nobles natures, complétant un culte féticho-astrolâtrique, tel est le culte ofîiciel de la Chine, celui qui représente le véritable esprit de cette grande civilisation, et qui par ses manifestations régulières consolide un tel esprit. Il est évident que le culte régulier des grandes natures devait surgir d'une population où la constitution de la famille avait conduit au culte régulier des ancêtres. On a étendu aux ancêtres sociaux le culte rendu aux ancêtres de la famille. Ce respect systématique du passé, caractère d'une civilisation vraiment organique, a conservé et développé le respect de la vieillesse qu'institua le fétichisme, et que l'anarchie occidentale compromet de plus en plus avec les autres bases essentielles de toute sociabilité. Le culte officiel de la Chine nous présente ainsi une série homogène qui lie l'adoration et le culte des principaux êtres extérieurs (ciel, terre, fleuves) à l'adoration ou au culte des principaux représentants de la société, depuis les plus grands philosophes, jusqu'aux ancêtres directs de chaque famille.
Des provinces remarquables par des productions particulières ont des temples spéciaux. Ainsi la province de Tché-kiang a un temple dédié aux premiers vers à soie, parce que de temps immémorial cette province a développé cette culture.
Les mandarins sont les prêtres du culte officiel ; quant aux sacrifices solennels au Ciel ils sont célébrés par l'empereur lui-même.
Mais à côté du culte officiel, et simultanément avec lui, le Chinois se sert de pratiques religieuses empruntées à la religion des Tao-sse, ou à celle des Bouddhistes, ou à d'autres croyances plus ou moins superstitieuses. Même un grand nombre de mandarins ne restent pas exclusivement fidèles au culte officiel fondamental : ils combinent avec lui des pratiques bouddhistes ou Tao-sse ; mais ces pratiques n'altèrent nullement ni ne doivent entrer dans le culte officiel de la Chine ; et elles sont au fond méprisées souvent par ceux mêmes qui s'en servent. Du reste le respect du culte de Bouddha est nécessaire à un gouvernement qui a parmi ses tributaires d'immenses populations bouddhiques. Mais les vrais hommes d'État de la Chine savent nettement et judicieusement apprécier la supériorité du culte officiel sur les cultes théologiques qui coexistent à côté de lui. Je vais donner à cet égard quelques citations décisives. L'empereur Khang-hi a publié, sous le nom de Sainte Instruction un certain nombre de maximes morales, qui ont été commentées par son successeur Young-tching. Un mandarin, surintendant des salines du Chen-si, nommé Wang-yeou-po, a fait là-dessus une paraphrase qui a cours dans l'empire, et qui contient sur le sujet qui nous occupe des explications vraiment caractéristiques.
L'un des points sur lesquels le prince commentateur insiste avec le plus de force, c'est l'éloignement pour les fausses sectes ; et celle de Fo qui est étrangère à la Chine est surtout l'objet de son improbation. Il parle avec mépris des dogmes sur lesquels elle repose ; il en tourne les pratiques en dérision. Les Bouddhistes, comme les autres partisans des sectes indiennes, attachent beaucoup d'importance à certains mots ou à certaines syllabes consacrées, qu'ils répètent perpétuellement, croyant se purifier de tous leurs péchés, par l'articulation seule de ces saintes syllabes, et faire leur salut par cette dévotion aisée. Le lettré raille assez plaisamment cet usage. « Supposez que vous ayez violé les lois en quelque point, et que vous soyez conduit dans la salle du jugement pour y être puni : si vous vous mettez à crier à tue-tête, plusieurs milliers de fois : Votre Excellence ! Croyez-vous que, pour cela, le magistrat vous épargnera ? » (Abel Remusat, Mélanges asiatiques.)
Le lettré apprécie ensuite avec une grande sagacité l'infériorité propre à tout culte théologique :
« Si vous ne brûlez pas du papier en l'honneur de Fo, et si vous ne déposez pas des offrandes sur ses autels, il sera mécontent de vous et fera tomber son jugement sur vos tètes. Votre dieu Fo est donc un misérable ; prenons pour exemple le magistrat de votre district : quand vous n'iriez jamais le complimenter et lui faire la cour, si vous étés honnêtes gens et appliqués à votre devoir, il n'en fera pas moins d'attention à vous ; mais si vous transgressez la loi, si vous commettez des violences, et si vous usurpez les droits des autres, vous aurez beau prendre mille voies pour le flatter, il sera toujours mécontent de vous. »
Le même lettré développant les pensées de l'empereur Young-tchin apprécie de la manière suivante la religion catholique et son rôle en Chine.
« La secte du Seigneur du ciel elle-même (catholicisme) cette secte qui parle sans cesse du ciel, de la terre, et d'êtres sans ombre et sans substance, cette religion est aussi corrompue et pervertie. Mais, parce que les Européens qui l'enseignent savent l'astronomie et les mathématiques, le gouvernement les emploie pour corriger le calendrier ; cela ne veut pas dire que leur religion soit bonne, et vous ne devez nullement croire à ce qu'ils vous disent. »
Tel est le point de vue systématique d'après lequel les vrais lettrés jugent toutes les religions théologiques quelconques.
Après avoir apprécié le culte, il nous faut maintenant rapidement indiquer l'organisation de ce vaste empire.
Le gouvernement est concentré dans les mains de l'empereur. Il a la souveraine puissance ; mais quoiqu'en dernier ressort toute décision émane de lui, comme tout pouvoir, cette puissance est limitée par l'ensemble des opinions et de règles établies de temps immémorial, et dont l'ensemble ne serait pas violé longtemps impunément par une dynastie. D'un côté, comme je l'ai longuement développé, le type impérial étant emprunté à la famille, l'empereur est conçu, et se conçoit lui-même, comme le père de ses sujets, assujetti par suite aux devoirs d'une telle fonction, et non pas comme une sorte de divinité, agissant d'après des caprices arbitraires, suivant le type théologique. C'est donc sous le poids continu d'une telle conception que s'exerce et est acceptée la puissance suprême. En outre un ensemble de pratiques et de préceptes longuement créé par la suite des antécédents sociaux, règle l'exercice de cette puissance.
L'empereur choisit son successeur parmi ses enfants, en s'éloignant autant que possible de l'hérédité théocratique.
Il n'y a pas d'aristocratie héréditaire. J'ai donné dans la précédente séance la théorie de ce grand phénomène sociologique. La classe gouvernante se recrute, par des examens convenablement gradués, dans toutes les classes de la population. Il y a trois examens successifs conférant des titres analogues à ceux de bachelier, licencié, docteur. Tout le monde peut, après avoir subi des examens régulierement institués, obtenir le titre de bachelier. Les licenciés à leur tour sont choisis, d'après certains examens, parmi les bacheliers, et les docteurs, toujours d'après le même mode, sont pris parmi les licenciés. Les employés, même pour les plus hautes fonctions, sont choisis parmi les licenciés et les docteurs. De telle sorte que la Chine est administrée et gouvernée par une classe non héréditaire, émanée de la masse de la population par un système régulier d'épreuves qui fait autant que possible la part au mérite. Il est certain que dans la pratique de nombreux abus peuvent être, et sont commis, dans l'obtention des titres ; mais pris dans son ensemble une telle organisation gouverne et administre une population de 400 millions d'hommes, de manière à assurer l'existence matérielle et morale du plus grand nombre, aussi bien certainement que pour aucune autre population de la planète.
Voilà donc, messieurs, la classe gouvernante ainsi constituée, et ainsi recrutée dans tout l'empire. Voyons actuellement comment elle se répartit régulièrement les diverses fonctions spéciales :
Au sommet de la hiérarchie sont placés deux conseils, le Conseil des minisires, et le Conseil privé, dont les fonctions sont de veiller à l'ensemble de la machine gouvernementale.
Après ces deux grands conseils viennent six ministères, ou plutôt six conseils siégeant à Pé-kin, et qui se répartissent toute la direction spéciale de l'empire :
1. Le ministère des fonctionnaires civils, ou conseil chargé du choix des fonctionnaires, c'est-à-dire l'analogue de notre ministère de l'intérieur ;
2. Le ministère des finances ou conseil chargé de tout ce qui est relatif aux revenus de l'empire.
3. Le ministère des rites, ou conseil qui a l'inspection surtout ce qui concerne les rites, le culte des ancêtres de la dynastie régnante, les grandes solennités civiles ou religieuses ;
4. Le ministère de la guerre ;
5. le ministère de la justice ;
6. le ministère des travaux publics.
Seulement ces ministères sont dirigés par un conseil dont le président a moins d'autorité que nos ministres, puisque il doit consulter ses collègues.
Chacun de ces ministères est partagé en sections, ou divisions. Ainsi le ministère des finances est partagé en 14 directions, celui des rites en 4 directions.
Voyons maintenant, messieurs, la décomposition générale de l'empire ; l'empire chinois proprement dit est partagé en 18 provinces, un gouverneur est placé à la tête de chacune de ces provinces, ou quelquefois en a deux sous sa direction. J'ai donné ci-dessus la population de chacune d'elles, telle qu'elle résulte des recensements de 1812 et de 1852. Quelques-unes sont aussi peuplées que la France. Chaque province est partagée en préfectures, les préfectures en arrondissements, les arrondissements en cantons, et les cantons en villages ou communes. Un certain nombre de ces arrondissements ressortent directement de Pé-kin au lieu de dépendre hiérarchiquement du gouverneur de la province. Les gouverneurs de provinces, outre les préfets, ont sous leur direction générale des receveurs généraux de finances, grands juges criminels, ingénieurs en chef et inspecteurs généraux des ponts et chaussées. — Les préfets ont sous leur direction, des sous-préfets et mandarins subordonnés, et finalement les communes sont dirigées par des maires et conseils municipaux élus par la population.
Je ne puis entrer dans tout le détail de ce vaste système d'administration, de cette organisation de travaux publics, de cette constitution régulière de greniers publics destinés à remédier aux malheurs des années disetteuses, enfin de ces hospices pour les vieillards et les enfants trouvés, formés par le concours du gouvernement et des libres cotisations des particuliers. Ce qui, il faut le dire en passant, répond suffisamment aux ignobles calomnies sur une prétendue organisation systématique de l'infanticide ; calomnies d'après lesquelles on exploite la sotte suffisance de l'Occident.
En résumé donc, messieurs, nous voyons à l'extrême Orient une immense population, essentiellement industrielle et pacifique, gouvernée, sous la prépondérance d'un chef unique, par une classe régulièrement émanée de la masse de la population au moyen d'un système bien organisé d'examens ; par conséquent sans aristocratie héréditaire. Cette classe des lettrés a graduellement établi un vaste système d'administration sous la direction de laquelle vit une population de 400 millions d'hommes. Enfin cette société, après de longs efforts, s'est finalement agrégé les populations environnantes, moins avancées, qui avaient été jusque-là pour elle une cause continuelle de troubles, de manière à réduire finalement l'armée à sa fonction normale de gendarmerie.
C'est cette immense société que les contacts anarchiques de l'Occident tendent à troubler et à opprimer. Mais avant d'établir la politique vraiment rationnelle qui doit finalement prévaloir en Occident à cet égard, j'apprécierai Confucius, le type le plus systématique de cette grande civilisation.
TROISIEME LECON (et la seizième du cours). Vendredi 20 Homère 72-17 Février 1860.
APPRECIATION ABSTRAITE DE CONFUCIUS ET DE SON INFLUENCE SUR L’ENSEMBLE DE LA CIVILISATION CHINOISE.
Considérations générales sur l'évolution intellectuelle de la Chine, et sur la situation générale au milieu de laquelle surgit Confucius.
Dans les deux dernières séances, nous avons apprécié sommairement, d'abord l'esprit fondamental de la civilisation chinoise, ensuite l'histoire générale de son développement concret, de manière à ce que la situation actuelle actuelle de grand empire fût déterminée et éclairée par cette double élaboration. Nous avons vu ainsi l'empire chinois se constituer graduellement d'après une évolution dont nous avons exposé les lois générales. — Dans cette théorie philosophique de la civilisation chinoise, j'ai indiqué sommairement le rôle spécial de son philosophe le plus éminent, de celui qui a posé les bases essentielles d'après lesquelles s'est constitué l'élément modificateur de la civilisation correspondante. J'ai démontré, en effet, que deux éléments fondamentaux se rencontraient dans cette évolution : une famille impériale, d'où émane un gouvernement monocratique, susceptible d'être remplacée quand l'exige d'impérieuses nécessités, et une classe éclairée, lettrée, qui représente l'élément à la fois modificateur et régulateur.
L'homme qui a posé les bases de la coordination systématique de cette grande classe, c'est Confucius. Il était donc nécessaire de consacrer une appréciation spéciale à ce philosophe ; mais ce travail est utile aussi à un autre titre, il développera en nous ce juste sentiment de respect qui nous permettra de concentrer dans ce grand type la représentation concrète de cette civilisation. — C'est pour cela que nous allons consacrer la première partie de cette séance à l'appréciation spéciale de l'oevre de Confucius.
Je dois d'abord déterminer la situation générale au milieu de laquelle surgit Coufucius. Nous verrons ainsi sous le poids de quels antécédents il a agi, et comment il a été l'organe des nécessités fondamentales d'une situation créée par le passé ; nous comprendrons mieux alors la puissance énorme de son action en voyant combien elle était convenablement adaptée à l'esprit de la civilisation correspondante. Confucius est en effet l'un des hommes qui ont le plus profondement influé sur leur milieu social.
Il faut d'abord expliquer comment les efforts de Confucius et de son école ont du porter essentiellement sur la morale, surtout pratique, et sur des travaux d'érudition ou de sociologie concrète.
La civilisation chinoise est, comme nous l'avons établi, essentiellement fétichique, et c'est dans ce sens qu'elle s'est développée. Il en est résulté que la Chine a été privée de l'institution sociale de l'abstraction. L'institution de l'abstraction est une des plus grandes créations de l'Humanité, et c'est elle qui domine l'évolution mentale des populations avancées. Toutes les hautes intelligences ont travaillé en Occident sous l'impulsion de cette grande institution, qu'elles ont subie néanmoins sans s'en rendre compte, puisque c'est à Auguste Comte qu'est due la découverte comme la systématisation de ce grand phénomène sociologique par sa distinction dogmatique et historique entre l'abstrait et le concret. Car les influences sociales, comme les influences cosmologiques, sont subies bien longtemps avant que les hautes intelligences en découvrent les lois.
Le théologisine établit l'abstraction par la représentation spéciale des divers phénomènes distincts au moyen des dieux correspondants. Or, en Chine, le théologisine n'ayant pu spontanément surgir, l'abstraction n'a pu être instituée d'une manière à la fois profonde et familière. Or l'abstraction est la condition nécessaire des grandes élaborations scientifiques, comme de tout développement esthétique élevé.
Pour la science, c'est évident. Il n'y a de véritable science que la science abstraite. Ce n'est qu'en étudiant les divers phénomènes distincts qu'on peut arriver à en constater les lois. C'est ainsi que ce sont graduellement développées en Occident la mathématique, la physique, la chimie, la biologie, et finalement la sociologie par la grande création d'Auguste Comte. Dès lors la Chine essentiellement fétichique n'a pu présenter le grand mouvement scientifique propre à l'Occident ni même rien d'analogue à celui de l'Inde.
Il en est de même pour les grandes créations esthétiques. L'abstraction est la base essentielle de l'idéalisation. L'idéalisation est la condition d'un art vraiment éminent. Or l'abstraction idéalise, d'un côté par l'élimination de certaines propriétés, et d'un autre côté parce que permettant de considérer les propriétés séparément des êtres, il est possible de concevoir alors des limites extrêmes de variation en plus comme en moins. La Chine, fertile en créations esthétiques, secondaires en tant que représentations trop exactes de la réalité, devait donc rester étrangère aux grandes créations esthétiques, poétiques ou plastiques.
La Chine étrangère ainsi au théologisme, et par suite à l'institution de l'abstraction, a présenté un milieu social réfractaire aux pures élaborâtions scientifiques, comme aux grandes créations esthétiques.
Ainsi s'explique l'étrange phénomène, souvent signalé, d'une vaste population ayant produit d'immenses travaux de morale et d'érudition, sans que jamais aient pu surgir directement la science proprement dite, ni l'art vraiment élevé.
Voilà donc une situation générale qui éloigne les grandes intelligences, les natures théoriques, des spéculations purement abstraites, ou des grandes élaborations esthétiques.
C'est là un premier fait général qui domine l'évolution mentale de cette civilisation.
Mais la situation sociale proprement dite y agit dans le même sens que la situation intellectuelle, en poussant vers les spéculations morales, et surtout de morale pratique, les intelligences théoriques que celle-ci éloigne des travaux de science pure.
Nous avons établi qu'un des caractères fondamentaux de la civilisation chinoise était l'absence de castes, par suite aussi absence de caste sacerdotale, ou de classe purement théorique, qui ne peut exister au début, que par une sanction théologique. Il en résulte que la classe riche et éclairée, applique son activité à l'administration et au gouvernement proprement dit de la société. D'après cette situation sociale, les esprits purement théoriques sont poussés à diriger leur activité mentale vers les spéculations morales directement liées au gouvernement de la société — aussi sous cette double influence, les penseurs se sont essentiellement occupé de morale ; — on peut remarquer d'ailleurs que la nature même de la morale est parfaitement adaptée à cela. La Morale constitue pour la classe théorique, le passage entre la théorie et la pratique ; elle est à la fois art et science. Par sa base elle touche aux plus hautes théories, car elle repose nécessairement sur la connaissance de la nature humaine, qui finalement repose sur toutes les conceptions scientifiques réelles ; par son couronnement elle devient directement pratique, car elle institue le gouvernement de la nature humaine. La morale est théorique quant à sa base, pratique quant à son immédiate destination. Il est clair que sous tous les rapports les intelligences fortes trouvaient à satisfaire dans une pareille étude leurs véritables aptitudes mentales, tout en poursuivant une réelle destination pratique, conformément à l'influence de leur milieu,
Il résultait donc de là une situation fondamentale qui préparait et provoquait la grande opération de Confucius ; opération qui a admirablement réussi, malgré les immenses perturbations des Tao-sse et des bouddhistes. Cette construction n'a été grandement efficace que parce qu'elle se trouvait précisément dans le vrai sens d'évolution de la civilisation au milieu de laquelle elle se produisait ; car la coordination de Confucius est une coordination morale et politique, et c'était le genre de théorie qu'imposait aux vrais penseurs une telle situatipn.
Du reste l'état spécial de la Chine au moment où apparut Confucius, donnait une haute destination immédiate à son élaboration philosophique.
Au moment où surgit Confucius, nous voyons une civilisation, dont j'ai indiqué les principaux caractères, existant simultanément dans plusieurs petits royaumes placés essentiellement sur le parcours du fleuve Jaune, et dans quelques pays adjacents, comme le Chan-toung.
L’origine commune de la civilisation propre à ces divers petits Etats se manifeste par l'admission d'une sorte de subordination, plus apparente que réelle, à la dynastie des Théou, qui continuait avec des changements inévitables, la famille installatrice de la civilisation chinoise. Enfin des luttes militaires extrêmement actives existaient entre ces divers petits royaumes. — On aperçoit donc là un double fait : une réelle similitude de civilisation combinée avec une décomposition politique, ou, en d'autres termes, un même état de société coexistant dans plusieurs pays voisins, plus ou moins indépendants et continuellement en lutte. Il est clair qu'une telle situation devait pousser les grandes natures à tenter de faire cesser un pareil désordre, et de ramener l'unité et l'ordre parmi des populations ayant des habitudes et des idées analogues, et cependant entraînées à de continuelles perturbations. Cette entreprise pouvait être plus ou moins bien effectuée, cela dépendait de la nature de l'organe qui surgirait pour remplir la fonction, mais il y avait une situation qui sollicitait un pareil effort ; c'est'à cette grande fonction que s'est consacré Confucius. Il a cherché en effet, à agir sur les chefs, les ministres de ces divers gouvernements, au nom d'une doctrine morale qui ne fut rien autre chose que la systématisation plus ou moins abstraite de l'ensemble des antécédents de la civilisation chinoise. C'est là le grand problème qu'il a voulu résoudre et qu'il a résolu. Il a cherché ensuite par une active prédication de sa doctrine morale et politique, a amener les chefs à faire cesser l'anarchie permanente de leurs lûtes militaires, et les désordres de leur insuffisante administration intérieure ; il tendait ainsi à faire prévaloir de plus en plus une civilisation pacifique et industrielle, en rapport avec les antécédents communs de ces diverses populations.
Après avoir indiqué, Messieurs, quelle était la nature de cette grande opération, comment la situation l'exigeait, comment l'ensemble des antécédents la préparait, en un mot la partie nécessaire de cette opération étant déterminée, il nous faut voir comment l'accomplit l'organe chargé d'une telle fonction par l'ensemble des destinées sociales de son pays.
Appréciation de l'oeuvre et de la vie de Confucius.
Khoung-Fou-tseu (Confucius) naquit 551 ans avant J.Ch. dans le petit royaume de Lou, qui était une partie de la province actuelle de Chan-toung. Il mourut dans son pays natal 479 ans avant J.Ch. et à la soixante-treizième année de son âge. Son père était gouverneur de Tseou, ville du troisième ordre, aujourd'hui Tseou-hien, dans la province de Chan-toung. Il perdit son père de très-bonne heure, et fut élevé sous la direction intelligente et dévouée de sa mère. Élevé avec beaucoup de soin, il montra dès son jeune âge cette combinaison d'intelligence, de vénération et de dévouement qui caractérise cette noble nature. A l'âge de dix-sept ans il accepta, sur l'invitation de sa mère, un mandarinat subalterne qui consistait à inspecter la vente des grains et des diverses substances alimentaires. Il montra dans ces modestes et utiles fonctions une grande fermeté, et cette constante préoccupation de l'intérêt public qui dirigea toute son existence. Il se maria à l'âge de dix-neuf ans, sur l'invitation de sa mère, et bientôt après (à l'âge de vingt et un ans) il obtint dans l'administration publique une plus haute fonction ; il fut chargé de l'inspection générale des campagnes et des troupeaux avec les pouvoirs nécessaires pour opérer sous ce rapport toutes les réformes qu'il jugerait utiles. A l'âge de vingt-quatre ans, au moment du plein développement de sa carrière administrative, il perdit sa mère. Conformément aux usages antiques, trop négligés alors, mais dont il voulait déjà reprendre et développer l'influence, il abandonna tout emploi public, et consacra trois années à une retraite qu'il sut noblement utiliser. C'est alors qu'il conçut définitivement son grand projet de réformation. Dans cette féconde retraite il en arrêta le plan, et se livra sur l'antiquité chinoise, et sur diverses questions de morale et de politique, aux fortes études, et aux méditations indispensables à l'accomplissement de sa grande mission. Son deuil terminé, il compléta ses longues études par des voyages dans les divers royaumes de la Chine situés dans le bassin du fleuve Jaune ; il apprécia, par une observation attentive, ces divers pays qu'il voulait convertir à sa doctrine, qui n'était rien autre que la systématisation philosophique des traditions et des tendances de la civilisation chinoise. Nous le voyons alors pendant vingt ans parcourir ces petits royaumes, formant des disciples, consulté par les rois et leurs ministres, et agissant continuellement sur eux pour les amener à une direction paternelle, morale et pacifique des populations qui leur étaient soumises. D'après l'observation du père Amiot, on peut constater que l'action de Confucius s'étendit exclusivement dans une portion du bassin du fleuve Jaune, autour duquel s'est constituée, et d'où s'est ensuite graduellement propagée la civilisation chinoise. «Du côté du nord il n'alla pas plus loin que la frontière du Pe-tchi-li ; il ne passa pas le fleuve Kiang, du côté du midi ; la province du Chan-toung fut sa limite du côté de l'orient, et la province du Chen-si fut ce qu'il vit de plus reculé du côté de l'occident.» (G. Pauthier, De la Chine).
Revenu dans son pays, il accepta, sur l'invitation du roi de Lou, de rentrer dans l'administration et fut à l'âge de cinquante ans promu aux fonctions de chef de la magistrature civile et criminelle ; montrant ainsi cette combinaison de vie politique, et d'études théoriques de morale et d'histoire, qui devait caractériser son école, et qui n'est au fond qu'une systématisation nécessaire de l'élément modificateur de la civilisation chinoise. Il montra dès le début, dans ses hautes fonctions, cette énergique fermeté, qui en constitue la condition nécessaire. Il commença en effet par exiger la mort du principal fonctionnaire politique de l'administrât précédente, de manière à condenser sur le principal coupable un indispendable châtiment, et à prouver en même temps son irrévocable décision d'empêcher de nouvelles prévarications. Il apporta dans ces hautes fonctions cette bonté active et dévouée à la chose publique, qui se liait chez lui à l'énergie, sans laquelle elle avorte essentiellement. Les historiens chinois ont raconté avec soin les détails dé cette administration. Nous voyons, dû reste, en même temps, plusieurs disciples de Confucius arriver dans les divers royaumes de la Chine à de hautes positions administratives et politique, pendant que d'autres continuent la propagande philosophique et inorale de leur maître. A la mort du roi de Lou, son protecteur, il abandonna les affaires publiques, et bientôt son pays natal, et continua, accompagné d'un certain nombre de ses disciples, ses périgrinations philosophiques et sociales dans les divers autres petits royaumes de la Chine. Rentré enfin dans son pays natal, après quatorze ans d'absence, il consacra entièrement les dernières années de sa vie à l'élaboration définitive de sa doctrine, et à la formation des disciples qui devaient la continuer après lui. Le nombre de ses disciples avait considérablement augmenté, et ils étaient répandus dans les diverses principautés qui formaient alors la Chine proprement dite. Vers l'âge de soixante-six ans, il perdit sa femme, bientôt après son fils et enfin son disciple bien-aimé Yen-hoei, celui en qui il mettait sa prédilection, parce qu'il voyait en lui l'humanité, la vertu par excellence. Ainsi furent attristées les dernières années de ce grand rénovateur. Quelques temps avant sa mort il réunit ses principaux disciples, et leur donna ses dernières recommandations sur l'esprit de sa doctrine et sur les conditions de son application. « L'herbe sans suc, disait-il, est entièrement desséchée, je n'ai plus où m'asseoir pour me reposer ; la saine doctrine avait entièrement disparu, elle était entièrement oubliée, j'ai tâché de la rappeler et de rétablir son empire. Je n'ai pas pu réussir : se trouvera-t-il après ma mort quelqu'un qui veuille prendre sur soi cette pénible lâche ? »
Ses funérailles furent organisées par ses disciples avec un soin pieux ; et ils instituèrent l'usage d'un pèlerinage annuel à la tombe du grand rénovateur.
Son école grandit, son influencé s'accrut et des honneurs graduellement croissants furent accordés à la mémoire d'une des plus nobles natures dont l'humanité puisse s'honorer, de l'homme qui a le plus fortement influé sur la civilisation chinoise, c'est-à-dire sur les destinées de plusieurs centaines de millions d'hommes. Le vrai culte de Confucius commença surtout sous le fondateur de la dynastie des Han qui fut une dynastie réparatrice et progressive. Bientôt des temples furent élevés à Confucius dans les principales villes de la Chine. Ce fut surtout sous Tchen-thsoung, troisième empereur de la dynastie des Soung (998 avant J.-Ch.) que le culte de Confucius se constitua définitivement « sous la dynastie des Han, on le nomma Koung ou duc ; la dynastie des Thang le nomma le premier saint; il fut ensuite désigné sous le titre de Prédicateur royal ; sa statue fut revêtue d'une robe également royale et une couronne fut posée sur sa tête. Sous la dynastie des Ming, il fut nommé le plus saint, le plus sage et le plus vertueux des instituteurs des hommes. »
Enfin ses descendants directs, par une exception unique, possédèrent le titre de nobles héréditaires, dont ils jouissent encore. Tels sont les principaux traits de la vie de ce grand homme [On doit au P. Amiol une biographe détaillée et intéressante de Confucius] ; il nous faut apprécier maintenant l'ensemble de son œuvre.
Il n'y a pas à proprement parler, d'ouvrages de Confucius ; outre la compilation des anciens monuments de la Chine, compilation qui constitue les livres sacrés proprement dits, on a sous le nom de Confucius quelques ouvrages rédigés par ses disciples immédiats, et qui contiennent non-seulement ses théories, mais aussi souvent ses paroles mêmes.
Les quatre principaux ouvrages qui portent le nom de Confucius.sont le Hiao-king ou livre de l'Obéissance filiale, le Ta-hio ou la Grande étude, le Tchoung-young ou l’Invariabilité dans le milieu, et le Lun-yu ou les Entretiens philosophiques. Les deux premiers ouvrages, le Hiao-king et le Ta-hio ont été rédigés par un disciple immédiat de Confucius, Theng-tseu. Theng-tseu était né, comme son maître, dans le royaume de Lou (province actuelle du Chan-toung), dans la ville de Wou la méridionale ; il avait quarante-six ans de moins que Confucius ; il était né par conséquent en 505 avant J.-Ch.
Le Tchoung-young ou l'Invariabilité dans le milieu a été rédigé par Tseu-sse petit-fils de Confucius et par qui s'est continuée la ligne directe de cette grande famille. Tseu-sse avait trente-sept ans lorsqu'il perdit son aïeul. Enfin, le Lun-yu ou Entretiens philosophiques, ont été recueillis par quelques disciples de Confucius.
Je vais donner quelques citations de ces divers ouvrages (le Ta-hio, le Tchoung-young, et le Lun-yu), afin de faire mieux saisir l'esprit général de la systématisation philosophique et morale du grand sage de la Chine [J'emprunte ces citations à la traduction de ces divers ouvrages faite par M. G. Pauthier].
Le Ta-hio ou la Grande étude se compose d'un argument attribué à Confucius, et d'une explication due a Theng-tseu disciple de ce philosophe. Ce très-court ouvrage a été, de la part des philosophes chinois, l'objet de nombreux commentaires. Le plus remarquable, et qui l'accompagne très-souvent, est dû à Tchou-hi, qui vivait vers la fin du XIIe siècle de l'ère chrétienne. — Confucius pose nettement, dans le Ta-hio, le problème fondamental du perfectionnement moral.
« La loi de la grande étude, ou de la philosophie pratique, consiste à développer et remettre en lumière le principe lumineux de la raison que nous avons reçu du ciel, à renouveler les hommes et à placer sa destinée définitive, dans la perfection ou le souverain bien. »
« Depuis l'homme le plus élevé en dignité, jusqu'au plus humble et au plus obscur, devoir égal pour tous ; corriger et améliorer sa personne, ou le perfectionnement de soi-même, est la base fondamentale de tout progrès et de tout développement. »
Voilà nettement posé en termes précis, le problème suprême : perfectionnement moral de chacun, tel est la destinée finale. Le but de la philosophie morale est d'arriver à construire et constituer ce perfectionnement. — Confucius conçoit aussi, d'une manière générale, les conditions mentales de la solution de ce problème :
« Les êtres de la nature ont une cause et des effets ; les actions humaines ont un principe et des conséquences : connaître les causes et les effets, les principes et les concequences, c'est approcher de très-près de la méthode rationnelle avec laquelle on parvient à la perfection.
Il faut d'abord connaître le but auquel on doit tendre ou sa destination définitive, et prendre ensuite une détermination ; la détermination étant prise, on peut ensuite avoir l'esprit tranquille et calme ; l'esprit étant tranquille et calme, on peut ensuite jouir de ce repos inaltérable que rien ne peut troubler, on peut ensuite médier et se former un jugement sur l'essence des choses ; ayant médité et formé un jugement sur l'essence des choses, on peut ensuite atteindre à l'état de perfectionnement désiré. »
Confucius pose donc d'une manière nette et précise, sans aucune sortte de préoccupation surnaturelle, le problème définitif de la destinée humaine : atteindre par le perfectionnement moral l'état de pleine unité, en employant l'intelligence à découvrir les conditions et les moyens de solution. Le commentaire de son disciple Theng-tseu est destiné à développer ces notions fondamentales en les rattachant à l'histoire primitive, et aux plus anciennes traditions de la Chine, de manière à maintenir et consolider la continuité sociale au lieu de la rompre révolutionnairement, comme l'ont fait jusqu'ici les autres rénovateurs.
« Que là vertu de Wou-Wang, dit Theng-tseu dans son commentaire, était vaste et profonde ; comme prince il plaçait sa destination dans la pratique de l'Humanité ou de la bienveillance universelle pour les hommes, comme sujet il plaçait sa destination dans les égards dus au souverain ; comme fils il plaçait sa desination dans la pratique de la piété filiale ; comme père il plaçait sa destination dans la tendresse paternelle ; comme entretenant des relations ou contractant des engagement avec les hommes, il plaçait sa destination dans la pratique de la sincérité et de la fidélité. »
On voit là indiqué en quoi consiste ce perfectionnement moral, but suprême de l'existence : faire dominer les diverses relations naturelles par l'Humanité, la sincérité, et la piété filiale, la tendresse paternelle, la sincérité et la fidélité.
La conception précise de 1'état de perfection que conçoit Confucius est exposée nettement et avec précision surtout dans le Tchoung-young ou l'Invariabilité dans le milieu, dû, comme je l'ai déjà dit, à son petit fils Tseu-sse.
Dans cet ouvrage, le plus systématique qui soit émané directement de Confucius, Tseu-sse développe les conditions mentales et expose la coordination morale d'où résulte le type de perfection dont il faut, dans chaque situation, poursuivre la réalisation, mais qu'atteignent seuls les hommes exceptionnels destinés au gouvernement moral ou politique des sociétés.
Voyons d'abord comment Confucius conçoit le type du philosophe ou de l'homme ayant réalisé l'idéal de perfection. — J'extrais textuellement du Tchoung-young.
« Il n’y a dans le monde que les hommes souverainement parfaits qui puissent connaître à fond leur propre nature, la loi de leur être, et les devoirs qui en dérivent ; pouvant connaître à fond leur propre nature et les devoirs qui en dérivent, ils peuvent par cela même connaître à fond la nature des autres hommes, la loi de leur être, et leur enseigner tous les devoirs qu'ils ont à observer pour accomblir le mandat du ciel ; pouvant connaître à fond la nature des autres hommes, la loi de leur être et leur enseigner les devoirs qu'ils ont à observer pour accomplir le mandat du ciel, ils peuvent par cela même connaître à fond la nature des autres êtres vivants et végétaux, et leur faire accomplir leur loi de vitalité selon leur propre nature ; pouvant connaître à fond la nature des êtres vivants et végétaux, et leur faire accomplir leur loi de vitalité selon leur propre nature, ils peuvent par cela même, au moyeu de leurs facultés intelligentes supérieures, aider le ciel et la terre dans transformation et l'entretien des êtres, pour qu'ils prennent leur complet développement ; pouvant aider le ciel et la terre dans les transformations et l'entretien ; des êtres, ils peuvent par cela même constituer un troisième pouvoir entre le ciel et la terre. »
« Ceux qui viennent immédiatement après ces hommes souverainement parfaits par leur propre nature, sont ceux qui font tous leurs efforts pour rectifier leurs penchants detournés du bien. »
L'homme parfait est donc celui qui, dominé par les penchants moraux, arrive par la connaissance des lois naturelles des corps vivants et inorganiques, à les modifier régulièrement, de manière à perfectionner, par une intervention systématique, l'ordre naturel. Confucius construit ainsi le noble type de la puissance modificatrice qui constitue, suivant sa belle expression un troisième pouvoir intermédiaire entre le ciel et la terre. Il y a là comme un profond presentiment de l'ordre normal, caractérisé en effet par l'actif perfectionnement de l'ordre naturel, sous l'impulsion d'une sociabilité prépondérante. Confucius reconnaît les lois générales de l'activité du ciel et de la terre comme base d'une sage modificabilité de l'ordre spontané.
Nous voyons Confucius, perfectionnant la civilisation fétichique et astrolâtrique d'où il émane, emprunter pour sa systématisation politique et morale, aux lois du ciel et de la terre, un type d'ordre et de régularité, qu'il cherche à réaliser dans la vie humaine par la prépondérance habituelle de la sociabilité sur la personnalité, qui seule peut réaliser dans l'ordre humain le type de régularité fourni par l'observation du monde extérieur. Une citation caractéristique va nous montrer effectivement que c'est bien sous l'impulsion fétichique de l'observation des lois naturelles du monde, que Confucius construit son type d'ordre.
« Le philosophe Confucius, dit Tseu-sse, rappelait avec vénération les temps des anciens empereurs Yao, et Chun ; mais il se réglait principalement sur la conduite des souverains plus récents Wen et Wou. Prenant pour exemple de ses actions les lois naturelles et immuables qui régisent les corps célestes au-dessus de nos têtes, il imitait la succession régulière des saisons qui s'opère dans le ciel ; à nos pieds, il se conformait aux lois de la terre et de l'eau fixes ou mobiles. »
« On peut le comparer (Confucius) au ciel et à la terre qui contiennent et alimentent tout, qui couvrent et enveloppent tout ; on peut le comparer aux quatre saisons qui se succèdent continuellement sans interruption ; on peut le comparer au soleil et à la lune qui éclairent alternativement le monde. »
« Tous les êtres de la nature vivent ensemble de la vie universelle, et ne se nuisent pas les uns aux autres ; toutes les lois qui règlent les saisons et les corps célestes s'accomplissent en même temps sans se contrarier entre elles. L'une des facultés partielles de la nature est de faire couler un ruisseau, mais les grandes énergies, les grandes et souveraines facultés produisent et transforment tous les êtres. Voilà eu effet ce qui rend grand le ciel et la terre. »
L'ordre extérieur fournit ainsi à la fois le type de toute régularité, et le point de départ et la condition nécessaire de toute modificabilité. Mais cette réaction ne peut et ne doit être opérée que sous la direction d'une véritable systématisation morale, Voyons avec plus de précision les caractères généraux de cette systématisation, dont j'ai seulement indiqué le principe fondamental : prépondérance de la sociabilité sur la personnalité.
« Les devoirs les plus universels pour le genre humain sont au nombre de cinq, et l'homme possède trois facultés naturelles pour les pratiquer. Les cinq devoirs sont : les relations qui doivent exister entre le prince et les ministres, le père et ses enfants, le mari et la femme, les frères aînés et les frères cadets, et l'union des amis entre eux ; lesquelles cinq relations constituent la loi naturelle du devoir la plus universelle pour les hommes. La conscience, qui est la lumière de l'intelligence pour distinguer le bien du mal ; l'humanité qui est l'équité du cœur ; le courage moral, qui est la force d'âme, sont les trois grandes et universelles facultés morales de l'homme ; mais ce dont on doit se servir pour pratiquer les cinq grands devoirs se réduit à une seule et unique condition. »
Suivant le commentateur Tchou-hi (XIIe siècle de l'ère chrétienne) résulte du Tchoung-young que la prudence éclairée, l'humanité ou la bienveillence universelle pour les hommes, la foce d'âme sont les trois vertus universelles ou capitales, ou la porte par où l'on entre dans la voie droite que doivent suivre les hommes. Ainsi d'aprècs Confucius, les facultés essentielles pour atteindre cet état de perfection morale qui permet de se dévouer au service de tous les hommes sont : la prudence, l'humanité, le courage. D'après une telle conception Confucius construit le type de l'homme d'Etat voué au service continu de la société.
« Tous ceux qui gouvernent les empires et les royaumes ont neuf règles invariables à suivre, à savoir : se régler ou se perfectionner soi-même, révérer les sages, aimer ses parents, honorer les premiers fonctionnaires de l'Etat ou les ministres, être en parfaite harmonie avec les les autres fonctionnaires et magistrats, traiter et chérir le peuple comme un fils, attirer près de soi tous les savants et les artistes, accueillir agréablement les hommes qui viennent de loin, les étrangers, et traiter avec amitié tous les grands vassaux. »
« Dès l'instant que le prince aura bien réglé et amélioré sa personne, aussitôt les devoirs universels seront accomplis envers lui-même, etc., etc. (Tchoung-young).
Outre une telle systématisation morale, Confucius, en harmonie avec ce grand but de son existence, recueillit les anciens monuments de la civilisation chinoise, d'où sont résultés, avec des remaniements littéraires, (essentiellement sous la dynastie des Han de 202 avant J.Ch. à 263 ans après J.Ch.) les livres sacrés de la Chine. Ces livres sacrés sont l'Yi-king ou livre des transformations, le Chou-king ou livre des annales, le Chi-king ou livre des vers, et le Li-ki ou livre des rites.
Le Chi-king ou livre des vers est un recuiel des plus anciennes poésies chinoises ; et qui remontent aux époques les plus reculées de cette civilisation ; — le Li-ki ou livres des rites, est un recueil des rites d'après lesquels se règlent les diverses relations humaines. Ce livre qui contient de très-anciens documents, n'a été constituté sous sa forme actuelle que sous la dynastie des Han.
L'Y-king [Voir la Notice sur l'Y-king, par le père Visdelou, à la fin de la traduction du Chou-king du P. Gaubil, publiée par de Guignes] ou livre des transformations est un des monuments les plus antiques de la civilisation chinoise.
Voici quelle est la composition fondamental du livre.
Le premier élément de ce livre consiste en vingt-quatre traits, ou petites lignes, dont douze entières, et douze entre coupées, ou séparées par un petit intervalle. Ce sont là les huit trigrammes de Fo-hi, à qui la tradition attribue la fondation de la civilisation chinoise (3000 avant J.-Ch.). - 1200 ans à peu près avant J.-Ch., Wen-vang, fondateur de la dynastie des Tcheou, accompagna ces trigrammes de Fo-hi d'un commentaire donnant à ces vingt-quatre traits une certaine signification, et probablement d'après des traditions plus antiques dont nous n'avons pas conservé la trace. Le fils de Wen-vang, Tcheou-koug augmenta ce commentaire d'un nouveau plus explicite ; c'est ce fond primitif que Confucius développa par un commentaire plus ample encore. C'est ainsi que s'est formé l'Y-king. Cet ouvrage ainsi constitué a été, depuis l'origine jusqu'à nos jours, l'objet d'une suite ininterrompue de commentaires ; de nombreux esprits se sont exercés en Chine sur ce sujet, qui offrait un attrait particulier par son caractère même d'indétermination primitive. On voit dans l'Y-king l'emploi des nombres comme moyen d'explication et de règlement, suivant une tendance spontanée que nous retrouvons dans toutes les civilisations. La numération, établie sous le régime fétichique, constitue la première institution scientifique de l'Humanité. On tend naturellement à ramener à ces premières notions positives toutes les autres. De là cette théorie philosophique des nombres, qu'on voit surgir partout et qui, malgré d'inévitables exagérations, contient un fond de vérité et une importance sociale et mentale, beaucoup plus grande qu'on ne l'a supposé de nos jours.
Enfin le livre sacré les plus important, recueilli par Confucius, est le Chou-king, ou livres des annales, qui contient des notions historiques du plus haut intérêt sur les anciennes dynasties de la Chine. La période, embrassée par cet ouvrage, s'étend depuis les empereurs Yao et Chun (2357 avant J.-Ch. jusqu'à l'an 790 avant J.-Ch.). L'histoire authentique de la Chine ne remonte pas, d'après les critiques, plus haut que l'an 2357 avant J.-Ch., au delà on entre dans les périodes fabuleuses ou semi-fabuleuses. Ainsi Confucius, outre l'oeuvre directe de sa systématisation morale, a recueilli les traditions fondamentales de la civilisation chinoise, dont il se présentait avec raison comme un continuateur ; car, en effet, son œuvre continuait la tradition, en la perfectionnant, au lieu de la maudire.
En définitive, nous pouvons résumer sommairement l'oeuvre de Confucius, et l'appréciation de son caractère et de son rôle.
Nous voyons d'abord un grand philosophe s'appuyant, pour produire une immense évolution morale et sociale, sur l'ensemble des antécédents et des traditions, et s'y appuyant réellement ; il ne s'agit pas ici de ces hypothèses arbitraires par lesquelles le christianisme s'est construit une tradition artificielle, faute de pouvoir représenter réellement, par une théorie vraiment scientifique, les antécédents d'où il est vraiment émané. Ici c'est un philosophe qui s appuie réellement et sincèrement sur la série des antécédents, de la civilisation chinoise, et qui poursuit le développement systématique de cette civilisation. C'est là un type vraiment normal, et tout à fait conforme au véritable esprit scientifique, qui appuie toujours ses constructions actuelles sur les constructions antérieures. Sous l'impulsion chrétienne et révolutionnaire, les Occidentaux, dans les spéculations morales et sociales, ont développé au contraire une disposition à la fois irrationnelle et immorale à méconnaître complètement la continuité sociale.
Confucius prend son point de départ dans le fétichisme astrolâtrique, base de la civilisation chinoise. Tout en acceptant le fétichisme astrolâtrique, et respectant profondément le culte construit sur cette base, il commence à opérer dans ce fétichisme une transformation, qui se réalisera pleinement parmi les plus distingués de ses successeurs. Il commence à opérer en effet la distinction entre l'activité et la vie. Le fétichisme considère tous les êtres non-seulement comme actifs (ce qui est parfaitement scientifique), mais aussi comme vivants, ce qui n'est vrai que pour un certain nombre d'entre eux.
Chez Confucius on voit déjà nettement apparaître qu'il s'agit bien plus des lois du ciel et de la terre, que des volontés de ces deux êtres prépondérants, de telle sorte que, quoique le commandement soit conçu comme un mandat du ciel, ce mandat tend à représenter, au lieu de la volonté céleste, la fatalité qui résulte de lois régulières ; cette conception de Confucius a d'autant plus d'importance qu'il lui donne plus de généralité, en concevant essentiellement tous les phénomènes sociaux comme réglés par les lois des phénomènes célestes ; ce qui est vrai à un certain degré. Les phénomènes astronomiques dominent les phénomènes sociologiques ; mais non dans le degré de précision où on a dû le supposer au début. Ainsi on voit les esprits éminents de l'école de Confucius tendre spontanément vers l'état scientifique, en concevant tous les corps comme actifs, mais non comme vivants, de manière à présenter un état mental supérieur en rationalité à l'état théologico-métaphysique.
Sur la base fournie par le régime astrolâtrique, Coufucius construisit sa systématisation morale, en empruntant au fétichisme astrolâtrique les notions d'ordre et de soumission qui résultent nécessairement du type des phénomènes célestes. Là-dessus il coordonna la morale avec le plein sentiment d'une grande destination politique et sociale. Il s'agit ici d'une morale vraiment pratique, où les devoirs propres aux diverses relations de la vie humaine sont nettement formulés, en concevant toujours que le but final est l'état de pleine unité caractérisé par la prépondérance de la sociabilité sur la personnalité. Comme condition de la solution d'un tel problème, il systématisa la prépondérance de la famille, établie à la fois sur la soumission filiale et le dévouement paternel.
Tel est l'ensemble très-général de cette construction morale. Elle est, comme on voit, complètement dégagée de toute préoccupation surnaturelle, Et j'ai déjà expliqué dans ma première leçon comment cela tenait à l'absence d'esprit théologique, et à la prépondérance continue du régime féticho-astrolâtrique.
A propos de cette absence complète de croyances surnaturelles, un esprit vraiment distingué, M. Abel Rémusat, affirme que la morale de Confucius manque de sanction. Qn s'explique difficilement comment un tel esprit a pu dominer par les préjugés théologico-métaphygiques, au point de ne pas comprendre que cette prétendue absence de sanction constitue à la fois la réalité et la noblesse de la morale de Confucius. Car le manque de de sanction surnaturelle, qui est toujours essentiellement personnelle, fait ressortir chez Confucius l'admission formelle de l'existence spontanés des sentiments bienveillants. Confucius reconnaît la moralité spontanée de la nature humaine. La sanction est précisément dans le bonheur de faire le bien, dans cet état enfin de pleine unité que poursuit comme idéal le véritable sage, sous l'impulsion d'une ardente sociabilité, éclairée par une haute raison. - Les conceptions théologico-métaphysiques ont tendu à dégrader sous ce rapport la vraie notion de la nature humaine, depuis surtout que les inconvénients de la doctrine ne sont plus contre-balancés par la sagesse du sacerdoce.
Enfin, politiquement, le développement graduel de la réformation de Coufucius, a eu pour résultat de donner à la classe modificatrice de la civilisation chinoise une solide constitution, qui a assuré et perfectionné son action, dont l'influence dure encore, et a été constamment croissante, sur la société correspondante.
Tel est l'ensemble de cette grande existence, systématiquement et activement vouée à la réalisation d'une noble réformation sociale.
Certes, la civilisation occidentale nous présente des types supérieurs, comme intelligence ou comme activité, à celui du philosophe chinois. Aristote et Archimède étaient des intelligences d'un ordre plus élevé, César était un homme d'État d'une bien autre puissance. Mais on peut le dire, l'Occident ne fournit pas de type qui réalise, au même degré que Confucius, cette alliance de bon sens et de moralité, en même temps que d'une activité longuement dévouée à ramélioration générale de la société correspondante. Voilà un philosophe qui, sans appuyer sa rénovation sur aucune superstition, proclamant le perfectionnement moral comme le but suprême, et le plaçant dans un dévouement continu à la société, dont il améliore les bases essentielles, ne rompt en aucune manière avec les traditions de la civilisation qu'il veut améliorer, et donne pour sanction définitive à une telle vie, le profond sentiment d'avoir accompli son devoir. — Certes, les Occidentaux peuvent s'instruire dans la contemplation d'un pareil type, ils peuvent apprendre, à l'encontre de l'irrationnelle ingratitude chrétienne et révolutionnaire, qu'on peut poursuivre l'évolution sociale sans rompre avec les prédécesseurs, et qu'on modifie d'autant plus dignement une société qu'on s'appuie sciemment sur ceux qui nous ont précédés, en rendant pleine justice à leur action.
Aussi, l'Occident éclairé et régénéré, mettra de plus plus parmi les objets de son intime vénération, l'illustre philosophe qu'un immense empire proclame comme le plus éminent de ses rénovateurs.
Considérons actuellement la systématisation de Confucius en elle-même, et par rapport à la coordination définitive de la science humaine.
La théorie de Confucius constitue, au fond, une coordination empirique de la morale, ayant pour destination précise la direction effective de la nature humaine. Or l'immense lacune d'une telle coordination est précisément la lacune même de la civilisation chinoise, c'est-à-dire l'absence d'un convenable développement de la science abstraite, qui puisse donner une base systématique à la morale, et qui permette une modification suffisante, soit du monde extérieur, soit de l'homme. Car la modificabilité repose tout entière sur l'établissement des lois abstraites. C'est la connaissance des lois abstraites des divers phénomènes, qui permet seule d'instituer une modificabilité, à la fois puissante et régulière. Pour préciser une telle appréciation, je vais la rattacher à la série encyclopédique dans laquelle Auguste Comte a condensé hiérarchiquement l'ensemble de la science abstraite. La hiérarchie encyclopédique nous offre les sciences abstraites dans l'ordre suivant ;
Mathématique, astronomie, physique, chimie, biologie, sociologie, morale. La morale, aboutissant de cette longue évolution mentale, se compose de deux parties essentielles :
1. morale théorique, instituant la connaissance de la nature humaine, 2. morale pratique, instituant le gouvernement de la nature humaine. C'est par cçtte deuxième partie que s'opère le passage de la théorie à la pratique ; ce qui a permis d'admettre qu'il n'y a normalement au fond que des praticiens, agissant les uns sur les choses, les autres sur les hommes. Mais la nature, nécessairement systématique, du second mode d'action, a fait donner à la classe qui s'en occupe le nom de classe théorique. On saisit d'après cela nettement la lacune profonde que la nature même de la civilisation chinoise, a imposé à la systématisation de Coufucius. Il lui manque la longue élaboration abstraite qui va de la mathématique à la morale, et sans laquelle on ne peut établir une véritable théorie, suffisamment profonde, de la nature humaine. Mais cette même lacune théorique est, pour le gouvernement de la nature humaine, une cause de grande insuffisance ; car l'homme social ne peut être ainsi suffisamment dirigé, faute d'une connaissance approfondie des lois abstraites des divers phénomènes qui le dominent, depuis les phénomènes mathématiques jusqu'aux phénomènes sociaux. Or l'évolution ultérieure de la Chine n'a pu combler une telle lacune ; la nature même de la civilisation chinoise étant antipathique à l'institution spontanée de l'abstraction ; et par suite elle était impropre aux élaborations scientifiques nécessaires. Le travail philosophique, propre à l'école de Confucius, s'est réduit essentiellement à quelques développements, et à des commentaires.
L'analyse que nous venons d'effectuer montre la profonde insuffisance mentale et sociale de cette belle systématisation empirique de Confucius, mais elle montre en même temps de quelle manière l'Occident pourra agir, par ses organes les plus éminents, sur une telle civilisation. La science occidentale acceptant, comme Confucius, la suprématie de la morale, arrivera bientôt à faire comprendre aux esprits directeurs de cette civilisation, la nécessité de lui donner une base qui la consolide et la fortifie, et qui lui permette enfin d'instituer un convenable gouvernement de la nature humaine. D'un autre côté, les contacts de plus en plus développés de l'Occident et de la Chine, feront comprendre aux esprits philosophiques de ce grand empire, la nécessité d'une science sociale qui sache apprécier des états sociaux aussi différents que ceux de la Chine et de l'Occident ; la nécessité de la sociologie amènera graduellement par une série incontestable la nécessité successive de la biologie, de la chimie, de la physique, de l'astronomie et de la mathématique, d'après les dépendances qui lient entre eux les divers ordres irréductibles de phénomènes ; d'où résultera, en résumé, la nécessité, pour les philosophes chinois, d'une étude systématique de la grande hiérarchie abstraite, base essentielle de l'état mental définitif de l'espèce humaine. Le Positivisme, respectant l'évolution spontanée de la Chine, opérera ainsi la rénovation totale de son état mental, et cela d'autant mieux que, s'incorporant le Fétichisme, il adoptera essentiellement son culte officiel.
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