La Mothe le Vayer, François de. La vertu des payens [ID D1684].
Virgile Pinot : La Mothe le Vayer examine le problème du salut des infidèles dans un esprit tout nouveau, qui est le résultat de la découverte de l'Amérique et de la Chine. Si l'on doit accorder, dit-il, que les philosophes païens qui ont bien vécu, conformément à la loi naturelle, avant la loi de Moïse ont pu être sauvés, on doit accorder aussi que les sages des nations chez qui les apôtres n'ont pas prêché le christianisme peuvent être sauvés eux aussi. Mais le christianisme a-t-il été prêché à toute la terre dès le temps des Apôtres, comme le prétendent certains Pères de l'Église, et comme le dit Saint-Paul dans l'Épitre aux Romains, où il adapte à la parole de Dieu ce que David a dit de la parole des Cieux, qui a été entendue de toute la terre ? S'il en était ainsi, tous les Américains, tous les Chinois vertueux seraient damnés. Mais que veulent dire les Pères par cette expression : toute la terre ? Ils parlent du monde entier, mais tel qu'il était connu de leur temps. Or ils n'avaient jamais entendu parler de l'Amérique, de la Chine et des terres Australes. D'ailleurs les Japonais se sont plaint à Saint François-Xavier d'avoir été les derniers à recevoir la prédication de l'évangile. La Mothe le Vayer constate que la religion chinoise est plus pure que celle des Grecs, des Romains ou des Égyptiens, puisqu'elle n'est pas remplie de prodiges, et que 'les Chinois n'ont reconnu de temps immémorial qu'un seul Dieu qu'ils nomment le Roy du Ciel'. Or, parmi tous les Chinois de tous les temps, l'homme le plus célèbre est sans contredit Confucius, que l'on peut appeler le Socrate de la Chine. Comme Socrate en Grèce, et à peu près à la même époque, il a fait descendre la philosophie du ciel sur la terre. Alors que les Chinois s'adonnaient aux arts libéraux et à toutes les sciences 'qui ont eu cours à la Chine aussi bien que parmi nous, il leur montra la valeur de l’Éthique, si bien qu'on escrit que depuis luy il ne s'est plus fait de Bacheliers ny de Docteurs à la Chine qu'en les examinant sur la morale'. Et comme tous ces gradués qui ont été nourris dans la doctrine de Confucius occupent toutes les situations de l'État, on peut dire que c'est la doctrine même de Confucius qui gouverne la Chine : 'Certes ce n'est pas une petite gloire à Confucius d’avoir mis le sceptre entre les mains de la Philosophie et d’avoir fait que la force obéisse paisiblement à la raison'. Quant au principe de la morale de Confucius, c'est le principe même de la morale naturelle qui est 'de ne faire jamais à autruy ce que nous ne voudrions pas qui nous fût fait'. Donc Confucius, qui, d'une part, a cru à l'existence d'un Dieu unique, créateur de toutes choses, et qui a pris comme centre de son éthique le précepte essentiel de la loi de nature, peut être sauvé, 'Dieu luy conférant ceste grâce spéciale qu'il ne refuse jamais à ceus qui contribuent par son moyen tout ce qui est de leur possible pour l'obtenir'.
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