1982
Web
# | Year | Text | Linked Data |
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1 | 1927-1928 | Ba Jin lebt zuerst in Paris und studiert Französisch an der Alliance française, dann in Château-Thierry am Collège Jean de la Fontaine. |
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2 | 1982 |
Ba, Jin. Au fil de ma plume [ID D21035]. Château-Thierry est une ville qui m'est familière, du fait que j'y suis resté plus longtemps (quatorze mois) que dans tout autre endroit en France. Cinquante ans durant, je n'ai cessé d'en rêver. Et les jours tranquilles que j'y ai passés me revenaient à l'esprit chaque fois que je me désolais de ne pouvoir trouver du calme pour expédier mes nombreuses tâches. C'est dans cette petite ville que j'ai achevé mon premier roman, et c'est dans son bureau de poste que je l'ai envoyé à l'éditeur. C'est là, aussi, qu'on a découvert mon premier cheveu blanc. Je me souviens encore qu'en me l'arrachant, le coiffeur du pays s'est écrié: « Tiens ! Tu as déjà un cheveu blanc, toi, encore un gosse! » Dans mes livres, j'ai dit que c'était un coiffeur âgé. En fait, il était à peine au milieu de l'âge. Mais comme j'étais alors très jeune, j'avais tendance à prendre pour des vieux tous les gens plus âgés que moi. J'étais logé dans le Lycée La Fontaine, la concierge, Madame Cousin, et son mari, le jardinier, étaient avec moi d'une gentillesse extrême. Le couple était déjà âgé. La vieille femme me remettait tous les jours, elle-même, mon volumineux courrier. La seconde année, j'ai passé mes grandes vacances avec deux de mes compatriotes, à l'école même. Nous prenions nos repas dans la loge. C'était, bien sûr, Madame Cousin qui nous faisait la cuisine, et qui prenait soin de nous. Tout le monde étant parti en voyage, nous vivions seuls avec les vieux époux. Le surveillant général, qui n'avait pas quitté la ville, ne venait jeter un coup d' œil dans le lycée qu'une fois tous les huit jours. Le temps, en fuyant, a effacé de ma mémoire les visages de mes nombreuses connaissances. Seule l'image des époux Cousin demeure en moi, aussi affable, -aussi bienveillante qu'à l'époque. Je croyais avoir une photo d'eux. Cependant, après avoir maintes fois fouillé en vain chez moi, j'ai réalisé que c'était une illusion. Cette photo, j'avais fini par y croire, tant je l'avais désirée ! Dans les derniers temps de mon séjour à Château-Thierry, sitôt après le dîner que je prenais toujours chez les Cousin, c'est-à-dire dans la loge, j'aimais me promener au bord d'une rivière, en compagnie de mes deux camarades. On marchait en causant jusqu'à la tombée de la nuit, au moment où, dans le ciel, les étoiles s'allumaient. En rentrant, nous trouvions la bonne vieille qui nous attendait, près de fa porte de l'école. Le bonsoir qu'elle nous adressait, toujours chaleureux, suffisait à nous assurer que nous étions là comme chez nous. Dans un récit de souvenirs que j'ai écrit en 1961, sur Château- Thierry, j'ai dit : « Cette voix chaude, maternelle, m'accompagnait tout le temps que j'ai travaillé à Néant. Elle est encore auprès de moi, alors que je rédige mes Mémoires par cette nuit calme et pure comme l'eau d'une fontaine. Que, dans ce cimetière, son âme, ainsi que celle de son mari - le petit bonhomme toujours en tablier - reposent en paix ! » Pendant les jours où j'ai été écarté de mon poste, alors que je ne semblais plus bon qu'à être couvert de critiques, ma pensée errait souvent dans le cimetière de cette vieille cité. A force d'avoir été partout méprisé, j'allais besoin d'un havre pour l'esprit. Que ma pensée se soit alors arrêtée sur un cimetière d'un pays étranger révèle dans quel abîme je me trouvais ! Le cimetière de Château-Thierry m'est familier. Le petit texte que j'ai écrit sur lui s'intitulait Le jardin-cimetière. Pour celui qui se faisait vilipender sans cesse, un cimetière, ça présentait autant d'attraits que le paradis ! Mais ce n'était pas à la mort que je pensais. Je rêvais seulement d'un lieu calme. A cer ains moments, en proie à un désespoir extrême, j'avais l'impression que dans ce vaste monde, entre ciel et terre, il n'y avait qu'un seul visage qui me souriait. Celui de Madame Cousin. "Je veux écrire pour exprimer mes sentiments d'amour et de haine ; sinon mon coeur de jeune homme sera flétri... C'est à Paris que j'ai appris à écrire des romans, grâce à Emile Zola et à Victor Hugo ; j'y ai appris la justice, l'amour et la haine... ". Ba Jin, en 1979, revient à Château-Thierry, dans le lycée qui l'a hébergé pendant 18 mois ... plus de cinquante ans auparavant : Mais tout cela est du passé. J'ai réussi à survivre à ces dix longues années d'épreuves. Je suis maintenant encore capable de prendre la plume. Et j'ai bien supporté les dix-sept heures de vol. Je me trouvai donc de nouveau à Château-Thierry, et au Lycée La Fontaine ! Vraiment, j'ai cru vivre un rêve quand je suis entré dans le réfectoire où je prenais mes repas, il y a cinquante ans. La vaste cantine, dont l'aspect extérieur n'avait pas changé, était maintenant mieux équipée. J'entrai dans la cuisine. C'était un endroit que j'avais traversé je ne sais combien de fois par jour pour gagner ma chambre, située au-dessus de la salle à manger. La cuisine avait fait peau neuve elle aussi. La longue table et le couteau à pain avaient disparu. Une fois, pendant les vacances, en coupant un objet dur avec ce couteau, je m'étais blessé au petit doigt. La cicatrice est toujours là, sur ma main gauche. La cuisine franchie, je montai au premier étage. Le couloir, éclairé par les fenêtres, n'avait changé en rien. Seulement ma chambre me parut plus petite. Autrefois, mon voisin était un étudiant en philosophie qui venait de Wuhan. Il occupe maintenant une chaire à l'Ecole Normale supérieure de Huazhong (Chine centrale). Il était au courant de mon voyage en France, mais comment aurait-il pu imaginer que je retournerais dans notre ancien dortoir du Lycée La Fontaine? Sa chambre et la mienne étaient vides toutes deux, elles semblaient avoir été repeintes. J'avais sur moi une photo prise il y a cinquante et un ans, qui représentait l'ancienne pièce, avec sur mon bureau, des livres amoncelés. Je demeurai un moment devant la porte, me reportant à ces jours calmes. Je me revoyais en train d'écrire à mon bureau ou de causer, debout, avec des amis. Je descendis et passai au jardin. A l'époque, j'avais l'habitude de me lever tôt et de me promener sous un châtaignier aux feuilles touffues. Alors, souvent une jeune cuisinière plantureuse passait la tête par les persiennes du bureau du directeur et m'adressait de charmants sourires. Je quittai le jardin et m'engageai dans le corridor à la porte vitrée. C'est dans ce corridor qu'autrefois, pendant les jours de congé ou de vacances, j'aimais lire en marchant. Chaque fois qu'il me croisait, le surveillant général -un petit bonhomme barbu- me regardait avec étonnement. Je montai ensuite dans un autre dortoir, lieu que j'avais beaucoup fréquenté, du fait qu'un de mes compatriotes y était logé. Les vacances ayant vidé l'école, je ne rencontrai personne tout au long de ma visite. J'en étais content, car je n'aime pas déranger les gens. Cette visite à Château-Thierry n'avait pas été prévue dans le plan de mon voyage. Et je n'avais pas insisté pour m'y rendre, bien que j'eusse rêvé tout le temps de revoir cette petite ville tranquille et de m'y attarder, ne fût-ce qu'une demi-heure ! Quand je fais un retour sur mon passé, je ne me sens pas le droit de faire perdre du temps à mes compagnons, en leur demandant de m'accompagner. . . Cependant, parmi mes hôtes qui étaient tous aimables et hospitaliers, il y en avait qui, ayant lu mes écrits, connaissaient mon attachement pour cette petite cité sur la Marne. Et ils avaient eu la gentillesse de me ménager cette visite. Me voilà donc à Château-Thierry ! Mon ami, le philosophe de Wuhan, en serait tout étonné On peut imaginer ma joie ! C'est à la mi-octobre 1928 que je quittai Paris pour retourner en Chine, via Marseille. Avant de m'embarquer, je me rendis, pour la dernière fois, à Château-Thierry où je devais faire valider ma carte d'identité par la police locale, pour obtenir mon visa de sortie. C'était une formalité indispensable que j'avais oubliée et dont je ne m'étais rappelé qu'à la dernière minute. J'avais pris un aller et retour. La hâte m'essoufflait, j'étais ennuyé… Cette fois, la voiture, qui filait sur l'autoroute, me porta en peu de temps à Château- Thierry, et me déposa directement dans la cour du Lycée La Fontaine. La directrice, encore jeune, nous attendait à la porte, sous une petite pluie fine. Elle était accompagnée du maire adjoint, un homme de grande taille et d'un de mes anciens camarades, maintenant écrivain et poète. L'école avait connu de grands changements. Mais je n'avais pas besoin d'explications pour tout comprendre, les lieux m'étant toujours familiers. Le châtaignier et les persiennes étaient pour moi d'anciens amis. Près d'eux, mes nouveaux amis qui causaient et riaient, me semblaient plus aimables, plus intimes encore. Jamais je n'avais confondu à ce point le passé et le présent, le souvenir et la réalité. L'amitié était sans borne, elle m'enivrait. J'allai jusqu'à oublier l'heure. Le maire adjoint me conduisit à la mairie, en m'abritant sous son parapluie. L'immeuble m'était inconnu. Là, une cérémonie d'accueil eut lieu sous la présidence de Monsieur le maire. Il prononça un discours plein d'une chaude amitié. Je me fis un plaisir de lever mon verre avec lui et avec tous les amis présents. Puis, de la main du maire, et de celle de son adjoint, je reçus l'emblème de la ville et le portrait de La Fontaine dont Château-Thierry s'honore d'être le lieu de naissance. Pour moi, il n'y avait pas de cadeau plus précieux. Avant cette visite, chaque fois que je pensais à Château- Thierry, je relisais mes récits Monsieur Robert, Le lion, La vieillesse, et Le jardin-cimetière. Désormais, j'aurais en outre ces deux cadeaux, et leur simple vue suffisait à me transporter dans cette aimable petite ville. J'emportais aussi les œuvres volumineuses de mon ancien camarade Albert Barbeaux. Ma visite fut plus que fructueuse. Et ceci parce qu'elle me permit de me faire de nombreux nouveaux amis. En remerciant Monsieur le maire de Château-Thierry, j'évoquai mon séjour d'autrefois dans cette ville, séjour rendu inoubliable par la voix chaude et maternelle de Madame Cousin. Nous quittâmes la ville aussitôt sortis de la mairie. Notre visite n'avait pris, au total, que quelque dizaines de minutes. Naturellement, n'ayant pas vu leurs tombes, je ne pus offrir de fleurs aux époux Cousin, si bien que j'atterris à Beijing avec, dans le cœur, une grande insatisfaction. Mes vœux nourris pendant si longtemps étaient restés inexaucés ! Puis, en réfléchissant, mes regrets se firent moins vifs. A l'issue de ce voyage, je comprenais profondément que l'amitié est une chose indestructible, éternelle ! Mon cœur qui aime l'amitié, restera intact même le jour où mes os seront réduits en cendres. Les tombes des Cousin demeurent et demeureront dans mon cœur. Là, les fleurs ne se flétrissent jamais. Mon présent voyage à Château-Thierry avait pour seul but de renouveler et d'élargir l'amitié…(cliquer sur le lien précédent pour voir la tombe des Cousin au cimetière de Château-Thierry. Sans visiter les châteaux anciens, ni partir à la recherche des traces de mes pas d'hier, sur le pont de la Marne, j'ai revécu, au cours de ma tournée, toutes les excursions de week-end que j'avais faites il y a cinquante et un et cinquante-deux ans. Ce qui fait qu'en atterrissant à Shanghai, en retrouvant ma vieille maison que j'avais abandonnée pendant quarante jours, et en classant les 1ivres, les albums de photos et de peintures rapportés de mon voyage, je me sentais dans toute la plénitude de mon âme. Plusieurs fois, j'allai à la fenêtre. Alors, regardant le ciel pur, illuminé par une lune resplendissante, je laissais vagabonder ma pensée auprès de mes amis français. A Shanghai, j'ai reçu une lettre du philosophe de Wuhan. Il me demande : «Est-ce qu'elle est toujours là, cette boutique de fleurs située près du pont de la Marne ? N'y es-tu pas allé acheter une gerbe ? … Installé plus tôt que moi dans cette belle ville ancienne, il ressent toujours pour elle ces sentiments d'amitié aussi profonds que les miens. Et il se souvient encore de la boutique de fleurs ! Autrefois, pour les anniversaires de la femme du directeur ou de leur fille, nous offrions à ces amis de très belles f leurs qui provenaient de cette boutique. Il y avait, dans la maison, une jeune vendeuse blonde nommée Marie. Elle nous saluait d'un gentil petit sourire chaque fois qu'elle nous rencontrait. Maintenant, elle doit avoir plus de soixante-dix ans, si elle est toujours de ce monde ! Là-bas, de ma voiture, j'ai regardé le pont. A travers la pluie fine, j'ai vu que la boutique était toujours là, mais elle n'avait plus son aspect d'autrefois. Je n'ai pas eu le temps de descendre de voiture, ce que j'ai vivement regretté un peu plus tard : j'aurais aimé m'attarder un jour ou deux dans cette ville pour avoir quelque idée de ce qu'étaient devenues mes connaissances ! Mais, faibles comme ils l'étaient, est-ce que mes souvenirs m'auraient permis de m'instruire sur tout ce que je désirais savoir ? Et puis, cinquante ans, ce n'est pas rien ! Il y a eu aussi cette hideuse guerre mondiale qui a tout détruit, y compris le registre scolaire du Lycée La Fontaine. Je n'y ai trouvé qu'un seul nom familier: Ba Enpo. Le nom du «philosophe» et le mien - Li Yaotang - ne figuraient nulle part. 12 juillet 1979 |
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