2008
Web
# | Year | Text | Linked Data |
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1 | 1748.1 |
Montesquieu, Charles de Secondat de. De l'esprit des loix [ID D1829]. Livre V : Que les lois que le législateur donne doivent être relatives au principe de gouvernement. Chapitre XIX : Nouvelles conséquences des principes des trois gouvernements. On sent bien qu'il ne faut point de censeurs dans les gouvernements despotiques. L'exemple de la Chine semble déroger à cette règle; mais nous verrons, dans la suite de cet ouvrage, les raisons singulières de cet établissement. Livre VI : Conséquences des principes des divers gouvernements par rapport à la simplicité des lois civiles et criminelles, la forme des jugements et l’établissement des peines. Chapitre IX : De la sévérité des peines dans les divers gouvernements. C'est une remarque perpétuelle des auteurs chinois que plus, dans leur empire, on voyait augmenter les supplices, plus la révolution était prochaine. C'est qu'on augmentait les supplices à mesure qu'on manquait de mœurs. Chapitre XVI : De la juste proportion des peines avec le crime. À la Chine, les voleurs cruels sont coupés en morceaux, les autres non: cette différence fait que l'on y vole, mais qu'on n'y assassine pas. Chapitre XX : De la punition des pères pour leurs enfants. On punit à la Chine les pères pour les fautes de leurs enfants. C'était l'usage du Pérou. Ceci est encore tiré des idées despotiques. On a beau dire qu'on punit à la Chine le père pour n'avoir fait usage de ce pouvoir paternel que la nature a établi, et que les lois même y ont augmenté; cela suppose toujours qu'il n'y a point d'honneur chez les Chinois. Parmi nous, les pères dont les enfants sont condamnés au supplice, et les enfants dont les pères ont subi le même sort, sont aussi punis par la honte, qu'ils le seraient à la Chine par la perte de la vie. Livre VII : Conséquences des différents principes des trois gouvernements, par rapport aux lois somptuaires, au luxe et à la condition des femmes. Chapitre VI : Du luxe à la Chine Des raisons particulières demandent des lois somptuaires dans quelques États. Le peuple, par la force du climat, peut devenir si nombreux, et d'un autre côté les moyens de le faire subsister peuvent être si incertains, qu'il est bon de l'appliquer tout entier à la culture des terres. Dans ces États, le luxe est dangereux, et les lois somptuaires y doivent être rigoureuses. Ainsi, pour savoir s'il faut encourager le luxe ou le proscrire, on doit d'abord jeter les yeux sur le rapport qu'il y a entre le nombre du peuple et la facilité de le faire vivre. En Angleterre, le sol produit beaucoup plus de grain qu'il ne faut pour nourrir ceux qui cultivent les terres, et ceux qui procurent les vêtements; il peut donc y avoir des arts frivoles, et par conséquent du luxe. En France, il croît assez de blé pour la nourriture des laboureurs et de ceux qui sont employés aux manufactures. De plus, le commerce avec les étrangers peut rendre pour des choses frivoles tant de choses nécessaires, qu'on n'y doit guère craindre le luxe. À la Chine, au contraire, les femmes sont si fécondes, et l'espèce humaine s'y multiplie à un tel point, que les terres, quelque cultivées qu'elles soient, suffisent à peine pour la nourriture des habitants. Le luxe y est donc pernicieux, et l'esprit de travail et d'économie y est aussi requis que dans quelque république que ce soit . Il faut qu'on s'attache aux arts nécessaires, et qu'on fuie ceux de la volupté. Voilà l'esprit des belles ordonnances des empereurs chinois. « Nos anciens, dit un empereur de la famille des Tang , tenaient pour maxime que, s'il y avait un homme qui ne labourât point, une femme qui ne s'occupât point à filer, quelqu'un souffrait le froid ou la faim dans l'empire... » Et sur ce principe, il fit détruire une infinité de monastères de bonzes. Le troisième empereur de la vingt-unième dynastie , à qui on apporta des pierres précieuses trouvées dans une mine, la fit fermer, ne voulant pas fatiguer son peuple à travailler pour une chose qui ne pouvait ni le nourrir ni le vêtir. « Notre luxe est si grand, dit Kiayventi , que le peuple orne de broderies les souliers des jeunes garçons et des filles, qu'il est obligé de vendre. » Tant d'hommes étant occupés à faire des habits pour un seul, le moyen qu'il n'y ait bien des gens qui manquent d'habits? Il y a dix hommes qui mangent le revenu des terres, contre un laboureur: le moyen qu'il n'y ait bien des gens qui manquent d'aliments? Chapitre VII : Fatale conséquence du luxe à la Chine. On voit dans l'histoire de la Chine qu'elle a eu vingt-deux dynasties qui se sont succédé; c'est-à-dire qu'elle a éprouvé vingt-deux révolutions générales, sans compter une infinité de particulières. Les trois premières dynasties durèrent assez longtemps, parce qu'elles furent sagement gouvernées, et que l'empire était moins étendu qu'il ne le fut depuis. Mais on peut dire en général que toutes ces dynasties commencèrent assez bien. La vertu, l'attention, la vigilance sont nécessaires à la Chine; elles y étaient dans le commencement des dynasties, et elles manquaient à la fin. En effet, il était naturel que des empereurs nourris dans les fatigues de la guerre, qui parvenaient à faire descendre du trône une famille noyée dans les délices, conservassent la vertu qu'ils avaient éprouvée si utile, et craignissent les voluptés qu'ils avaient vues si funestes. Mais, après ces trois ou quatre premiers princes, la corruption, le luxe, l'oisiveté, les délices, s'emparent des successeurs; ils s'enferment dans le palais, leur esprit s'affaiblit, leur vie s'accourcit, la famille décline; les grands s'élèvent, les eunuques s'accréditent, on ne met sur le trône que des enfants; le palais devient ennemi de l'empire; un peuple oisif qui l'habite ruine celui qui travaille; l'empereur est tué ou détruit par un usurpateur, qui fonde une famille, dont le troisième ou quatrième successeur va dans le même palais se renfermer encore. Livre VIII : De la corruption des principes des trois gouvernements. Chapitre VI : De la corruption du principe de la monarchie. «Ce qui perdit les dynasties de Tsin et de Souï, dit un auteur chinois, c'est qu'au lieu de se borner, comme les anciens, à une inspection générale, seule digne du souverain, les princes voulurent gouverner tout immédiatement par eux-mêmes .» L'auteur chinois nous donne ici la cause de la corruption de presque toutes les monarchies. Chapitre XXI : De l'empire de la Chine. Avant de finir ce livre, je répondrai à une objection qu'on peut faire sur tout ce que j'ai dit jusqu'ici. Nos missionnaires nous parlent du vaste empire de la Chine comme d'un gouvernement admirable, qui mêle ensemble dans son principe la crainte, l'honneur et la vertu. J'ai donc posé une distinction vaine, lorsque j'ai établi les principes des trois gouvernements. J'ignore ce que c'est que cet honneur dont on parle chez des peuples à qui on ne fait rien faire qu'à coups de bâton . De plus, il s'en faut beaucoup que nos commerçants nous donnent l'idée de cette vertu dont nous parlent nos missionnaires: on peut les consulter sur les brigandages des mandarins . Je prends encore à témoin le grand homme mylord Anson. D'ailleurs, les lettres du P. Parennin sur le procès que l'empereur fit faire à des princes du sang néophytes , qui lui avaient déplu, nous font voir un plan de tyrannie constamment suivi, et des injures faites à la nature humaine avec règle, c'est-à-dire de sang-froid. Nous avons encore les lettres de M. de Mairan et du même P. Parennin sur le gouvernement de la Chine. Après des questions et des réponses très sensées, le merveilleux s'est évanoui. Ne pourrait-il pas se faire que les missionnaires auraient été trompés par une apparence d'ordre; qu'ils auraient été frappés de cet exercice continuel de la volonté d'un seul, par lequel ils sont gouvernés eux-mêmes, et qu'ils aiment tant à trouver dans les cours des rois des Indes, parce que n'y allant que pour y faire de grands changements, il leur est plus aisé de convaincre les princes qu'ils peuvent tout faire que de persuader aux peuples qu'ils peuvent tout souffrir ? Enfin, il y a souvent quelque chose de vrai dans les erreurs mêmes. Des circonstances particulières, et peut-être uniques, peuvent faire que le gouvernement de la Chine ne soit pas aussi corrompu qu'il devrait l'être. Des causes, tirées la plupart du physique du climat, ont pu forcer les causes morales dans ce pays, et faire des espèces de prodiges. Le climat de la Chine est tel qu'il favorise prodigieusement la propagation de l'espèce humaine. Les femmes y sont d'une fécondité si grande, que l'on ne voit rien de pareil sur la terre. La tyrannie la plus cruelle n'y arrête point le progrès de la propagation. Le prince n'y peut pas dire comme Pharaon: Opprimons-les avec sagesse. Il serait plutôt réduit à former le souhait de Néron, que le genre humain n'eût qu'une tête. Malgré la tyrannie, la Chine, par la force du climat, se peuplera toujours, et triomphera de la tyrannie. La Chine, comme tous les pays ou croît le riz , est sujette à des famines fréquentes. Lorsque le peuple meurt de faim, il se disperse pour chercher de quoi vivre; il se forme de toutes parts des bandes de trois, quatre ou cinq voleurs. La plupart sont d'abord exterminées; d'autres se grossissent, et sont exterminées encore. Mais, dans un si grand nombre de provinces, et si éloignées, il peut arriver que quelque troupe fasse fortune. Elle se maintient, se fortifie, se forme en corps d'armée, va droit à la capitale, et le chef monte sur le trône. Telle est la nature de la chose, que le mauvais gouvernement y est d'abord puni. Le désordre y naît soudain, parce que ce peuple prodigieux y manque de subsistance. Ce qui fait que, dans d'autres pays, on revient si difficilement des abus, c'est qu'ils n'y ont pas des effets sensibles; le prince n'y est pas averti d'une manière prompte et éclatante, comme il l'est à la Chine. Il ne sentira point, comme nos princes, que, s'il gouverne mal, il sera moins heureux dans l'autre vie, moins puissant et moins riche dans celle-ci. Il saura que, si son gouvernement n'est pas bon, il perdra l'empire et la vie. Comme, malgré les expositions d'enfants, le peuple augmente toujours à la Chine , il faut un travail infatigable pour faire produire aux terres de quoi le nourrir: cela demande une grande attention de la part du gouvernement. Il est à tous les instants intéressé à ce que tout le monde puisse travailler sans crainte d'être frustré de ses peines. Ce doit moins être un gouvernement civil qu'un gouvernement domestique. Voilà ce qui a produit les règlements dont on parle tant. On a voulu faire régner les lois avec le despotisme: mais ce qui est joint avec le despotisme n'a plus de force. En vain ce despotisme, pressé par ses malheurs, a-t-il voulu s'enchaîner; il s'arme de ses chaînes, et devient plus terrible encore. La Chine est donc un État despotique, dont le principe est la crainte. Peut-être que dans les premières dynasties, l'empire n'étant pas si étendu, le gouvernement déclinait un peu de cet esprit. Mais aujourd'hui cela n'est pas. Livre X : Des lois dans le rapport qu’elles ont avec la force offensive. Chapitre XV : Nouveaux moyens de conserver la conquête. Lorsqu'un monarque conquiert un grand État il y a une pratique admirable, également propre a modérer le despotisme et à conserver la conquête; les conquérants de la Chine l'ont mise en usage. Pour ne point désespérer le peuple vaincu, et ne point enorgueillir le vainqueur, pour empêcher que le gouvernement ne devienne militaire, et pour contenir les deux peuples dans le devoir, la famille tartare, qui règne présentement à la Chine, a établi que chaque corps de troupes, dans les provinces, serait composé de moitié Chinois et moitié Tartares, afin que la jalousie entre les deux nations les contienne dans le devoir. Les tribunaux sont aussi moitié chinois, moitié tartares. Cela produit plusieurs bons effets : 1. les deux nations se contiennent l'une l'autre; 2. elles gardent toutes les deux la puissance militaire et civile, et l'une n'est pas anéantie par l'autre; 3. la nation conquérante peut se répandre partout sans s'affaiblir et se perdre; elle devient capable de résister aux guerres civiles et étrangères. Institution si sensée, que c'est le défaut d'une pareille qui a perdu presque tous ceux qui ont conquis sur la terre. Chapitre XVI : D'un état despotique qui conquiert. Lorsque la conquête est immense, elle suppose le despotisme. Pour lors, l'armée répandue dans les provinces ne suffit pas. Il faut qu'il y ait toujours autour du prince un corps particulièrement affidé, toujours prêt à fondre sur la partie de l'empire qui pourrait s'ébranler. Cette milice doit contenir les autres, et faire trembler tous ceux à qui on a été obligé de laisser quelque autorité dans l'empire. Il y a autour de l'empereur de la Chine un gros corps de Tartares toujours prêt pour le besoin. Chez le Mogol, chez les Turcs, au Japon, il y a un corps à la solde du prince, indépendamment de ce qui est entretenu du revenu des terres. Ces forces particulières tiennent en respect les générales. Livre XI : Des lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec la constitution. Chapitre V : De l'objet des états divers. Quoique tous les États aient en général un même objet, qui est de se maintenir, chaque État en a pourtant un qui lui est particulier. L'agrandissement était l'objet de Rome; la guerre, celui de Lacédémone; la religion, celui des lois judaïques; le commerce, celui de Marseille; la tranquillité publique, celui des lois de la Chine; la navigation, celui des lois des Rhodiens; la liberté naturelle, l'objet de la police des sauvages; en général, les délices du prince, celui des États despotiques; sa gloire et celle de l'État, celui des monarchies; l'indépendance de chaque particulier est l'objet des lois de Pologne; et ce qui en résulte, l'oppression de tous. Livre XII : Des lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec le citoyen. Chapitre VII : Du crime de lèse-majesté. Les lois de la Chine décident que quiconque manque de respect à l'empereur doit être puni de mort. Comme elles ne définissent pas ce que c'est que ce manquement de respect, tout peut fournir un prétexte pour ôter la vie à qui l'on veut, et exterminer la famille que l'on veut. Deux personnes chargées de faire la gazette de la cour, ayant mis dans quelque fait des circonstances qui ne se trouvèrent pas vraies, on dit que mentir dans une gazette de la cour, c'était manquer de respect à la cour; et on les fit mourir. Un prince du sang ayant mis quelque note par mégarde sur un mémorial signé du pinceau rouge par l'empereur, on décida qu'il avait manqué de respect à l'empereur, ce qui causa contre cette famille une des terribles persécutions dont l'histoire ait jamais parlé. C'est assez que le crime de lèse-majesté soit vague, pour que le gouvernement dégénère en despotisme. Je m'étendrai davantage là-dessus dans le livre de la composition des lois. Chapitre XXIX : Des lois civiles propres à mettre un peu de liberté dans le gouvernement despotique. Quoique le gouvernement despotique, dans sa nature, soit partout le même, cependant des circonstances, une opinion de religion, un préjugé, des exemples reçus, un tour d'esprit, des manières, des mœurs, peuvent y mettre des différences considérables. Il est bon que de certaines idées s'y soient établies. Ainsi, à la Chine, le prince est regardé comme le père du peuple; et, dans les commencements de l'empire des Arabes, le prince en était le prédicateur. Il convient qu'il y ait quelque livre sacré qui serve de règle, comme l'Alcoran chez les Arabes, les livres de Zoroastre chez les Perses, le Védam chez les Indiens, les livres classiques chez les Chinois. Le code religieux supplée au code civil, et fixe l'arbitraire. Livre XIII : Des rapports que la levée des tributs et la grandeur des revenus publics ont avec la liberté. Chapitre XI : Des peines fiscales. C'est une chose particulière aux peines fiscales, que, contre la pratique générale, elles sont plus sévères en Europe qu'en Asie. En Europe, on confisque les marchandises, quelquefois même les vaisseaux et les voitures; en Asie, on ne fait ni l'un ni l'autre. C'est qu'en Europe le marchand a des juges qui peuvent le garantir de l'oppression; en Asie, les juges despotiques seraient eux-mêmes les oppresseurs. Que ferait le marchand contre un bacha qui aurait résolu de confisquer ses marchandises ? C'est la vexation qui se surmonte elle-même, et se voit contrainte à une certaine douceur. En Turquie, on ne lève qu'un seul droit d'entrée ; après quoi, tout le pays est ouvert aux marchands. Les déclarations fausses n'emportent ni confiscation ni augmentation de droits. On n'ouvre point, à la Chine, les ballots des gens qui ne sont pas marchands. La fraude, chez le Mogol, n'est point punie par la confiscation, mais par le doublement du droit. Les princes tartares, qui habitent des villes dans l'Asie, ne lèvent presque rien sur les marchandises qui passent. Que si, au Japon, le crime de fraude dans le commerce est un crime capital, c'est qu'on a des raisons pour défendre toute communication avec les étrangers; et que la fraude y est plutôt une contravention aux lois faites pour la sûreté de l'État, qu'à des lois de commerce. Chapitre XIX : Qu'est-ce qui est plus convenable au prince et au peuple, de la ferme ou de la régie des tributs? Dans les républiques, les revenus de l'État sont presque toujours en régie. L'établissement contraire fut un grand vice du gouvernement de Rome. Dans les États despotiques où la régie est établie, les peuples sont infiniment plus heureux: témoin la Perse et la Chine. Les plus malheureux sont ceux où le prince donne à ferme ses ports de mer et ses villes de commerce. L'histoire des monarchies est pleine des maux faits par les traitants. Livre XIV : Des lois dans le rapport qu’elles ont avec la nature du climat. Chapitre V : Que les mauvais législateurs sont ceux qui ont favorisé les vices du climat, et les bons sont ceux qui s'y sont opposés. Les législateurs de la Chine furent plus sensés lorsque, considérant les hommes, non pas dans l'état paisible où ils seront quelque jour, mais dans l'action propre à leur faire remplir les devoirs de la vie, ils firent leur religion, leur philosophie et leurs lois toutes pratiques. Plus les causes physiques portent les hommes au repos, plus les causes morales les en doivent éloigner. Chapitre VIII : Bonne coutume de la Chine. Les relations de la Chine nous parlent de la cérémonie d'ouvrir les terres, que l'empereur fait tous les ans . On a voulu exciter les peuples au labourage par cet acte public et solennel. De plus, l'empereur est informé chaque année du laboureur qui s'est le plus distingué dans sa profession; il le fait mandarin du huitième ordre. Chez les anciens Perses, le huitième jour du mois nommé chorrem-ruz, les rois quittaient leur faste pour manger avec les laboureurs. Ces institutions sont admirables pour encourager l'agriculture. Livre XV : Comment les lois de l’esclavage civil ont du rapport avec la nature du climat. Chapitre XIX : Des affranchis et des eunuques. Cependant il y a des pays où on leur donne toutes les magistratures: «Au Tonquin, dit Dampierre, tous les mandarins civils et militaires sont eunuques.» Ils n'ont point de famille; et quoiqu'ils soient naturellement avares, le maître ou le prince profite à la fin de leur avarice même. Le même Dampierre nous dit que, dans ce pays, les eunuques ne peuvent se passer des femmes, et qu'ils se marient. La loi qui leur permet le mariage ne peut être fondée, d'un côté, que sur la considération que l'on y a pour de pareilles gens; et de l'autre, sur le mépris qu'on y a pour les femmes. Ainsi l'on confie à ces gens-là les magistratures, parce qu'ils n'ont point de famille; et, d'un autre côté, on leur permet de se marier, parce qu'ils ont les magistratures. On voit, dans l'histoire de la Chine, un grand nombre de lois pour ôter aux eunuques tous les emplois civils et militaires; mais ils reviennent toujours. Il semble que les eunuques en Orient soient un mal nécessaire. Livre XVI : Comment les lois de l’esclavage domestique ont du rapport avec la nature du climat. Chapitre II : Que dans les pays du midi il y a dans les deux sexes une inégalité naturelle. Ainsi la loi qui ne permet qu'une femme se rapporte plus au physique du climat de l'Europe qu'au physique du climat de l'Asie. C'est une des raisons qui a fait que le mahométisme a trouvé tant de facilité à s'établir en Asie, et tant de difficulté à s'étendre en Europe; que le christianisme s'est maintenu en Europe, et a été détruit en Asie; et qu'enfin les mahométans font tant de progrès à la Chine, et les chrétiens si peu. Les raisons humaines sont toujours subordonnées à cette cause suprême, qui fait tout ce qu'elle veut, et se sert de tout ce qu'elle veut. Quelques raisons particulières à Valentinien lui firent permettre la polygamie dans l'empire. Cette loi, violente pour nos climats, fut ôtée par Théodose, Arcadius et Honorius. Chapitre IV : De la polygamie, ses diverses circonstances. Suivant les calculs que l'on fait en divers endroits de l'Europe, il y naît plus de garçons que de filles : au contraire, les relations de l'Asie et de l'Afrique nous disent qu'il y naît beaucoup plus de filles que de garçons. La loi d'une seule femme en Europe, et celle qui en permet plusieurs en Asie et en Afrique, ont donc un certain rapport au climat. Dans les climats froids de l'Asie, il naît, comme en Europe, plus de garçons que de filles. C'est, disent les Lamas, la raison de la loi qui, chez eux, permet à une femme d'avoir plusieurs maris. Chapitre VIII : De la séparation des femmes d'avec les hommes Un livre classique de la Chine regarde comme un prodige de vertu de se trouver seul dans un appartement reculé avec une femme, sans lui faire violence. Livre XVII : Comment les lois de la servitude politique ont du rapport avec la nature du climat. Chapitre II : Différence des peuples par rapport au courage Nous avons déjà dit que la grande chaleur énervait la force et le courage des hommes; et qu'il y avait dans les climats froids une certaine force de corps et d'esprit qui rendait les hommes capables des actions longues, pénibles, grandes et hardies. Cela se remarque non seulement de nation à nation, mais encore dans le même pays, d'une partie à une autre. Les peuples du nord de la Chine sont plus courageux que ceux du midi; les peuples du midi de la Corée ne le sont pas tant que ceux du nord. Il ne faut donc pas être étonné que la lâcheté des peuples des climats chauds les ait presque toujours rendus esclaves, et que le courage des peuples des climats froids les ait maintenus libres. C'est un effet qui dérive de sa cause naturelle. Ceci s'est encore trouvé vrai dans l'Amérique; les empires despotiques du Mexique et du Pérou étaient vers la ligne, et presque tous les petits peuples libres étaient et sont encore vers les pôles. Chapitre III : Du climat de l'Asie. Les relations nous disent «que le nord de l'Asie, ce vaste continent qui va du quarantième degré, ou environ, jusques au pôle, et des frontières de la Moscovie jusqu'à la mer Orientale, est dans un climat très froid; que ce terrain immense est divisé de l'ouest à l'est par une chaîne de montagnes qui laissent au nord la Sibérie, et au midi la grande Tartarie ; que le climat de la Sibérie est si froid, qu'à la réserve de quelques endroits, elle ne peut être cultivée; et que, quoique les Russes aient des établissements tout le long de l'Irtis, ils n'y cultivent rien; qu'il ne vient dans ce pays que quelques petits sapins et arbrisseaux; que les naturels du pays sont divisés en de misérables peuplades, qui sont comme celles du Canada; que la raison de cette froidure vient, d'un côté, de la hauteur du terrain, et de l'autre, de ce qu'à mesure que l'on va du midi au nord, les montagnes s'aplanissent, de sorte que le vent du nord souffle partout sans trouver d'obstacles; que ce vent, qui rend la Nouvelle-Zemble inhabitable, soufflant dans la Sibérie, la rend inculte; qu'en Europe, au contraire, les montagnes de Norvège et de Laponie sont des boulevards admirables qui couvrent de ce vent les pays du Nord; que cela fait qu'à Stockholm, qui est à cinquante-neuf degrés de latitude ou environ, le terrain produit des fruits, des grains, des plantes; et qu'autour d'Abo, qui est au soixante-unième degré, de même que vers les soixante-trois et soixante-quatre, il y a des mines d'argent, et que le terrain est assez fertile». Nous voyons encore dans les relations « que la grande Tartarie, qui est au midi de la Sibérie, est aussi très froide; que le pays ne se cultive point; qu'on n'y trouve que des pâturages pour les troupeaux; qu'il n'y croît point d'arbres, mais quelques broussailles, comme en Islande; qu'il y a, auprès de la Chine et du Mogol, quelques pays où il croît une espèce de millet, mais que le blé ni le riz n'y peuvent mûrir; qu'il n'y a guère d'endroits dans la Tartarie chinoise, aux 43e, 44e et 45e degrés, où il ne gèle sept ou huit mois de l'année; de sorte qu'elle est aussi froide que l'Islande, quoiqu'elle dût être plus chaude que le midi de la France; qu'il n'y a point de villes, excepté quatre ou cinq vers la mer Orientale, et quelques-unes que les Chinois, par des raisons de politique, ont bâties près de la Chine; que dans le reste de la grande Tartarie, il n'y en a que quelques-unes placées dans les Boucharies, Turkestan et Charisme ; que la raison de cette extrême froidure vient de la nature du terrain nitreux, plein de salpêtre, et sablonneux, et de plus, de la hauteur du terrain. Le P. Verbiest avait trouvé qu'un certain endroit à quatre-vingts lieues au nord de la grande muraille, vers la source de Kavamhuram, excédait la hauteur du rivage de la mer près de Pékin de trois mille pas géométriques; que cette hauteur est cause que, quoique quasi toutes les grandes rivières de l'Asie aient leur source dans le pays, il manque cependant d'eau, de façon qu'il ne peut être habité qu'auprès des rivières et des lacs ». Ces faits posés, je raisonne ainsi: l'Asie n'a point proprement de zone tempérée; et les lieux situés dans un climat très froid y touchent immédiatement ceux qui sont dans un climat très chaud, c'est-à-dire la Turquie, la Perse, le Mogol, la Chine, la Corée et le Japon. En Europe, au contraire, la zone tempérée est très étendue, quoiqu'elle soit située dans des climats très différents entre eux, n'y ayant point de rapport entre les climats d'Espagne et d'Italie, et ceux de Norvège et de Suède. Mais, comme le climat y devient insensiblement froid en allant du midi au nord, à peu près à proportion de la latitude de chaque pays, il y arrive que chaque pays est à peu près semblable à celui qui en est voisin; qu'il n'y a pas une notable différence; et que, comme je viens de le dire, la zone tempérée y est très étendue. De là il suit qu'en Asie, les nations sont opposées aux nations du fort au faible; les peuples guerriers, braves et actifs touchent immédiatement des peuples efféminés, paresseux, timides: il faut donc que l'un soit conquis, et l'autre conquérant. En Europe, au contraire, les nations sont opposées du fort au fort; celles qui se touchent ont à peu près le même courage. C'est la grande raison de la faiblesse de l'Asie et de la force de l'Europe, de la liberté de l'Europe et de la servitude de l’Asie: cause que je ne sache pas que l'ont ait encore remarquée. C'est ce qui fait qu'en Asie il n'arrive jamais que la liberté augmente; au lieu qu'en Europe elle augmente ou diminue selon les circonstances. Que la noblesse moscovite ait été réduite en servitude par un de ses princes, on y verra toujours des traits d'impatience que les climats du Midi ne donnent point. N'y avons-nous pas vu le gouvernement aristocratique établi pendant quelques jours? Qu'un autre royaume du Nord ait perdu ses lois, on peut s'en fier au climat, il ne les a pas perdues d'une manière irrévocable. Chapitre IV : Conséquence de ceci. Ce que nous venons de dire s'accorde avec les événements de l'histoire. L'Asie a été subjuguée treize fois; onze fois par les peuples du Nord, deux fois par ceux du Midi. Dans les temps reculés, les Scythes la conquirent trois fois; ensuite les Mèdes et les Perses chacun une; les Grecs, les Arabes, les Mogols, les Turcs, les Tartares, les Persans et les Aguans. Je ne parle que de la haute Asie, et je ne dis rien des invasions faites dans le reste du midi de cette partie du monde, qui a continuellement souffert de très grandes révolutions. En Europe, au contraire, nous ne connaissons, depuis l'établissement des colonies grecques et phéniciennes, que quatre grands changements : le premier causé par les conquêtes des Romains; le second, par les inondations des Barbares qui détruisirent ces mêmes Romains; le troisième, par les victoires de Charlemagne; et le dernier, par les invasions des Normands. Et si l'on examine bien ceci, on trouvera, dans ces changements mêmes, une force générale répandue dans toutes les parties de l'Europe. On sait la difficulté que les Romains trouvèrent à conquérir en Europe, et la facilité qu'ils eurent à envahir l'Asie. On connaît les eines que les peuples du Nord eurent à renverser l'empire romain, les guerres et les travaux de Charlemagne, les diverses entreprises des Normands. Les destructeurs étaient sans cesse détruits. Chapitre V : Que, quand les peuples du nord de l'Asie et ceux du nord de l'Europe ont conquis, les effets de la conquête n'étaient pas les mêmes. Les peuples du nord de l'Europe l'ont conquise en hommes libres; les peuples du nord de l’Asie l'ont conquise en esclaves, et n'ont vaincu que pour un maître. La raison en est que le peuple tartare, conquérant naturel de l'Asie, est devenu esclave lui-même. Il conquiert sans cesse dans le midi de l'Asie, il forme des empires; mais la partie de la nation qui reste dans le pays se trouve soumise à un grand maître qui, despotique dans le midi, veut encore l'être dans le nord; et, avec un pouvoir arbitraire sur les sujets conquis, le prétend encore sur les sujets conquérants. Cela se voit bien aujourd'hui dans ce vaste pays qu'on appelle la Tartarie chinoise, que l'empereur gouverne presque aussi despotiquement que la Chine même, et qu'il étend tous les jours par ses conquêtes. On peut voir encore dans l’Histoire de la Chine que les empereurs ont envoyé des colonies chinoises dans la Tartarie. Ces Chinois sont devenus Tartares et mortels ennemis de la Chine; mais cela n'empêche pas qu'ils n'aient porté dans la Tartarie l'esprit du gouvernement chinois. Souvent une partie de la nation tartare qui a conquis, est chassée elle-même; et elle rapporte dans ses déserts un esprit de servitude qu'elle a acquis dans le climat de l'esclavage. L'histoire de la Chine nous en fournit de grands exemples, et notre histoire ancienne aussi . C'est ce qui a fait que le génie de la nation tartare ou gétique a toujours été semblable à celui des empires de l'Asie. Les peuples, dans ceux-ci, sont gouvernés par le bâton ; les peuples tartares, par les longs fouets. L'esprit de l'Europe a toujours été contraire à ces mœurs: et, dans tous les temps, ce que les peuples d’Asie ont appelé punition, les peuples d'Europe l'ont appelé outrage. Les Tartares détruisant l'empire grec établirent dans les pays conquis la servitude et le despotisme; les Goths conquérant l'empire romain fondèrent partout la monarchie et la liberté. Je ne sais si le fameux Rudbeck, qui, dans son Atlantique, a tant loué la Scandinavie, a parlé de cette grande prérogative qui doit mettre les nations qui l'habitent au-dessus de tous les peuples du monde; c'est qu'elles ont été la source de la liberté de l'Europe, c'est-à-dire de presque toute celle qui est aujourd'hui parmi les hommes. Le Goth Jornandès a appelé le nord de l'Europe la fabrique du genre humain . Je l'appellerai plutôt la fabrique des instruments qui brisent les fers forgés au midi. C'est là que se forment ces nations vaillantes, qui sortent de leur pays pour détruire les tyrans et les esclaves, et apprendre aux hommes que, la nature les ayant faits égaux, la raison n'a pu les rendre dépendants que pour leur bonheur. Chapitre VI : Nouvelle cause physique de la servitude de l'Asie et de la liberté de l'Europe En Asie, on a toujours vu de grands empires; en Europe, ils n'ont jamais pu subsister. C'est que l'Asie que nous connaissons a de plus grandes plaines; elle est coupée en plus grands morceaux par les mers; et, comme elle est plus au midi, les sources y sont plus aisément taries, les montagnes y sont moins couvertes de neiges, et les fleuves moins grossis y forment de moindres barrières. La puissance doit donc être toujours despotique en Asie. Car, si la servitude n'y était pas extrême, il se ferait d'abord un partage que la nature du pays ne peut pas souffrir. En Europe, le partage naturel forme plusieurs États d'une étendue médiocre, dans lesquels le gouvernement des lois n'est pas incompatible avec le maintien de l'État: au contraire, il y est si favorable que, sans elles, cet État tombe dans la décadence, et devient inférieur à tous les autres. C'est ce qui a formé un génie de liberté, qui rend chaque partie très difficile à être subjuguée et soumise à une force étrangère, autrement que par les lois et l'utilité de son commerce. Au contraire, il règne en Asie un esprit de servitude qui ne l'a jamais quittée; et, dans toutes les histoires de ce pays, il n'est pas possible de trouver un seul trait qui marque une âme libre: on n'y verra jamais que l'héroïsme de la servitude. Livre XVIII : Des lois dans le rapport qu’elles ont avec la nature du terrain. Chapitre VI : Des pays formés par l'industrie des hommes. Les pays que l'industrie des hommes a rendus habitables, et qui ont besoin, pour exister, de la même industrie, appellent à eux le gouvernement modéré. Il y en a principalement trois de cette espèce: les deux belles provinces de Kiang-nan et Tche-kiang à la Chine, l'Égypte et la Hollande. Les anciens empereurs de la Chine n'étaient point conquérants. La première chose qu'ils firent pour s'agrandir fut celle qui prouva le plus leur sagesse. On vit sortir de dessous les eaux les deux plus belles provinces de l'empire; elles furent faites par les hommes. C'est la fertilité inexprimable de ces deux provinces qui a donné à l'Europe les idées de la félicité de cette vaste contrée. Mais un soin continuel et nécessaire pour garantir de la destruction une partie si considérable de l'empire demandait plutôt les mœurs d'un peuple sage que celles d'un peuple voluptueux, plutôt le pouvoir légitime d'un monarque que la puissance tyrannique d'un des pote. Il fallait que le pouvoir y fût modéré, comme il l'était autrefois en Égypte. Il fallait que le pouvoir y fût modéré, comme il l'est en Hollande, que la nature a faite pour avoir attention sur elle-même, et non pas pour être abandonnée à la nonchalance ou au caprice. Ainsi, malgré le climat de la Chine, où l'on est naturellement porté à l'obéissance servile, malgré les horreurs qui suivent la trop grande étendue d'un empire, les premiers législateurs de la Chine furent obligés de faire de très bonnes lois, et le gouvernement fut souvent obligé de les suivre. Chapitre XIX : De la liberté des arabes et de la servitude des tartares. Les Arabes et les Tartares sont des peuples pasteurs. Les Arabes se trouvent dans les cas généraux dont nous avons parlé, et sont libres; au lieu que les Tartares (peuple le plus singulier de la terre) se trouvent dans l'esclavage politique. J'ai déjà donné quelques raisons de ce dernier fait: en voici de nouvelles. Ils n'ont point de villes, ils n'ont point de forêts, ils ont peu de marais, leurs rivières sont presque toujours glacées, ils habitent une immense plaine, ils ont des pâturages et des troupeaux, et par conséquent des biens : mais ils n'ont aucune espèce de retraite ni de défense. Sitôt qu'un kan est vaincu, on lui coupe la tête; on traite de la même manière ses enfants; et tous ses sujets appartiennent au vainqueur. On ne les condamne pas à un esclavage civil; ils seraient à charge à une nation simple, qui n'a point de terres à cultiver, et n'a besoin d'aucun service domestique. Ils augmentent donc la nation. Mais, au lieu de l'esclavage civil, on conçoit que l'esclavage politique a dû s'introduire. En effet, dans un pays où les diverses hordes se font continuellement la guerre et se conquièrent sans cesse les unes les autres; dans un pays où, par la mort du chef, le corps politique de chaque horde vaincue est toujours détruit, la nation en général ne peut guère être libre: car il n'y en a pas une seule partie qui ne doive avoir été un très grand nombre de fois subjuguée. Les peuples vaincus peuvent conserver quelque liberté, lorsque, par la force de leur situation, ils sont en état de faire des traités après leur défaite. Mais les Tartares, toujours sans défense, vaincus une fois, n'ont jamais pu faire des conditions. J'ai dit, au chapitre II, que les habitants des plaines cultivées n'étaient guère libres: des circonstances font que les Tartares, habitant une terre inculte, sont dans le même cas. Chapitre XXI : Loi civile des Tartares. Le P. Du Halde dit que, chez les Tartares, c'est toujours le dernier des mâles qui est l'héritier, par la raison qu'à mesure que les aînés sont en état de mener la vie pastorale, ils sortent de la maison avec une certaine quantité de bétail que le père leur donne, et vont former une nouvelle habitation. Le dernier des mâles, qui reste dans la maison avec son père, est donc son héritier naturel. Livre XIX : Des lois dans le rapport qu’elles ont avec les principes qui forment l’esprit général, les mœurs et les manières d'une nation. Chapitre IV : Ce que c'est que l'esprit général. Plusieurs choses gouvernent les hommes: le climat, la religion, les lois, les maximes du gouvernement, les exemples des choses passées, les mœurs, les manières; d'où il se forme un esprit général qui en résulte. À mesure que, dans chaque nation, une de ces causes agit avec plus de force, les autres lui cèdent d'autant. La nature et le climat dominent presque seuls sur les sauvages; les manières gouvernent les Chinois; les lois tyrannisent le Japon; les mœurs donnaient autrefois le ton dans Lacédémone; les maximes du gouvernement et les mœurs anciennes le donnaient dans Rome. Chapitre X : Du caractère des Espagnols et de celui des Chinois. Les divers caractères des nations sont mêlés de vertus et de vices, de bonnes et de mauvaises qualités. Les heureux mélanges sont ceux dont il résulte de grands biens, et souvent on ne les soupçonnerait pas; il y en a dont il résulte de grands maux, et qu'on ne soupçonnerait pas non plus. La bonne foi des Espagnols a été fameuse dans tous les temps. Justin nous parle de leur fidélité à garder les dépôts: ils ont souvent souffert la mort pour les tenir secrets. Cette fidélité qu'ils avaient autrefois, ils l'ont encore aujourd'hui. Toutes les nations qui commercent à Cadix confient leur fortune aux Espagnols; elles ne s'en sont jamais repenties. Mais cette qualité admirable, jointe à leur paresse, forme un mélange dont il résulte des effets qui leur sont pernicieux: les peuples de l'Europe font, sous leurs yeux, tout le commerce de leur monarchie. Le caractère des Chinois forme un autre mélange, qui est en contraste avec le caractère des Espagnols. Leur vie précaire fait qu'ils ont une activité prodigieuse et un désir si excessif du gain, qu'aucune nation commerçante ne peut se fier à eux . Cette infidélité reconnue leur a conservé le commerce du Japon; aucun négociant d'Europe n'a osé entreprendre de le faire sous leur nom, quelque facilité qu'il y eût eu à l'entreprendre par leurs provinces maritimes du Nord. Chapitre XIII : Des manières chez les Chinois. Mais c'est à la Chine que les manières sont indestructibles. Outre que les femmes y sont absolument séparées des hommes, on enseigne dans les écoles les manières comme les mœurs. On connaît un lettré à la façon aisée dont il fait la révérence. Ces choses, une fois données en préceptes et par de graves docteurs, s'y fixent comme des principes de morale, et ne changent plus. Chapitre XVI : Comment quelques législateurs ont confondu les principes qui gouvernent les hommes. Quelquefois, dans un État, ces choses se confondent. Lycurgue fit un même code pour les lois, les mœurs et les manières; et les législateurs de la Chine en firent de même. Il ne faut pas être étonné si les législateurs de Lacédémone et de la Chine confondirent les lois, les mœurs et les manières: c'est que les mœurs représentent les lois, et les manières représentent les mœurs. Les législateurs de la Chine avaient pour principal objet de faire vivre leur peuple tranquille. Ils voulurent que les hommes se respectassent beaucoup; que chacun sentît à tous les instants qu'il devait beaucoup aux autres, qu'il n'y avait point de citoyen qui ne dépendît, à quelque égard, d'un autre citoyen. Ils donnèrent donc aux règles de la civilité la plus grande étendue. Ainsi, chez les peuples chinois, on vit les gens de village observer entre eux des cérémonies comme les gens d'une condition relevée: moyen très propre à inspirer la douceur, à maintenir parmi le peuple la paix et le bon ordre, et à ôter tous les vices qui viennent d'un esprit dur. En effet, s'affranchir des règles de la civilité, n'est-ce pas chercher le moyen de mettre ses défauts plus à l'aise? Chapitre XVII : Propriété particulière au gouvernement de la Chine. Les législateurs de la Chine firent plus : ils confondirent la religion, les lois, les mœurs et les manières; tout cela fut la morale, tout cela fut la vertu. Les préceptes qui regardaient ces quatre points furent ce que l'on appela les rites. Ce fut dans l'observation exacte de ces rites que le gouvernement chinois triompha. On passa toute sa jeunesse à les apprendre, toute sa vie à les pratiquer. Les lettrés les enseignèrent, les magistrats les prêchèrent. Et, comme ils enveloppaient toutes les petites actions de la vie, lorsqu'on trouva le moyen de les faire observer exactement, la Chine fut bien gouvernée. Deux choses ont pu aisément graver les rites dans le cœur et l'esprit des Chinois: l'une, leur manière d'écrire extrêmement composée, qui a fait que, pendant une très grande partie de la vie, l'esprit a été uniquement occupé de ces rites, parce qu'il a fallu apprendre à lire dans les livres, et pour les livres qui les contenaient; l'autre, que les préceptes des rites n'ayant rien de spirituel, mais simplement des règles d'une pratique commune, il est plus aisé d'en convaincre et d'en frapper les esprits que d'une chose intellectuelle. Les princes qui, au lieu de gouverner par les rites gouvernèrent par la force des supplices, voulurent faire faire aux supplices ce qui n'est pas dans leur pouvoir, qui est de donner des mœurs. Les supplices retrancheront bien de la société un citoyen qui, ayant perdu ses mœurs, viole les lois; mais si tout le monde a perdu ses mœurs, les rétabliront-ils ? Les supplices arrêteront bien plusieurs conséquences du mal général, mais ils ne corrigeront pas ce mal. Aussi, quand on abandonna les principes du gouvernement chinois, quand la morale y fut perdue, l'État tomba-t-il dans l'anarchie, et l'on vit des révolutions. Chapitre XVIII : Conséquence du chapitre précédent. Il résulte de là que la Chine ne perd point ses lois par la conquête. Les manières, les mœurs, les lois, la religion y étant la même chose, on ne peut changer tout cela à la fois. Et comme il faut que le vainqueur ou le vaincu changent, il a toujours fallu à la Chine que ce fût le vainqueur : car ses mœurs n'étant point ses manières, ses manières ses lois, ses lois sa religion, il a été plus aisé qu'il se pliât peu à peu au peuple vaincu, que le peuple vaincu à lui. Il suit encore de là une chose bien triste: c'est qu'il n'est presque pas possible que le christianisme s'établisse jamais à la Chine. Les vœux de virginité, les assemblées des femmes dans les églises, leur communication nécessaire avec les ministres de la religion, leur participation aux sacrements, la confession auriculaire, l'extrême-onction, le mariage d'une seule femme: tout cela renverse les mœurs et les manières du pays, et frappe encore du même coup sur la religion et sur les lois. La religion chrétienne, par l'établissement de la charité, par un culte public, par la participation aux mêmes sacrements, semble demander que tout s'unisse: les rites des Chinois semblent ordonner que tout se sépare. Et, comme on a vu que cette séparation tient en général à l'esprit du despotisme, on trouvera dans ceci une des raisons qui font que le gouvernement monarchique et tout gouvernement modéré s'allient mieux avec la religion chrétienne. Chapitre XIX : Comment s'est faite cette union de la religion, des lois, des mœurs et des manières chez les Chinois. Les législateurs de la Chine eurent pour principal objet du gouvernement la tranquillité de l'empire. La subordination leur parut le moyen le plus propre à la maintenir. Dans cette idée, ils crurent devoir inspirer le respect pour les pères, et ils rassemblèrent toutes leurs forces pour cela. Ils établirent une infinité de rites et de cérémonies, pour les honorer pendant leur vie et après leur mort. Il était impossible de tant honorer les pères morts sans être porté à les honorer vivants. Les cérémonies pour les pères morts avaient plus de rapport à la religion, celles pour les pères vivants avaient plus de rapport aux lois, aux mœurs et aux manières: mais ce n'était que les parties d'un même code, et ce code était très étendu. Le respect pour les pères était nécessairement lié avec tout ce qui représentait les pères : les vieillards, les maîtres, les magistrats, l'empereur. Ce respect pour les pères supposait un retour d'amour pour les enfants; et, par conséquent, le même retour des vieillards aux jeunes gens, des magistrats à ceux qui leur étaient soumis, de l'empereur à ses sujets. Tout cela formait les rites, et ces rites l'esprit général de la nation. On va sentir le rapport que peuvent avoir, avec la constitution fondamentale de la Chine, les choses qui paraissent les plus indifférentes. Cet empire est formé sur l'idée du gouvernement d'une famille. Si vous diminuez l'autorité paternelle, ou même si vous retranchez les cérémonies qui expriment le respect que l'on a pour elle, vous affaiblissez le respect pour les magistrats qu'on regarde comme des pères; les magistrats n'auront plus le même soin pour les peuples, qu'ils doivent considérer comme des enfants; ce rapport d'amour qui est entre le prince et les sujets se perdra aussi peu a peu. Retranchez une de ces pratiques, et vous ébranlez l'État. Il est fort indifférent en soi que tous les matins une belle-fille se lève pour aller rendre tels et tels devoirs à sa belle-mère; mais, si l'on fait attention que ces pratiques extérieures rappellent sans cesse à un sentiment qu'il est nécessaire d'imprimer dans tous les cœurs, et qui va de tous les cœurs former l'esprit qui gouverne l'empire, l'on verra qu'il est nécessaire qu'une telle ou une telle action particulière se fasse. Chapitre XX : Explication d'un paradoxe sur les Chinois. Ce qu'il y a de singulier, c'est que les Chinois, dont la vie est entièrement dirigée par les rites, sont néanmoins le peuple le plus fourbe de la terre. Cela parait surtout dans le commerce, qui n'a jamais pu leur inspirer la bonne foi qui lui est naturelle. Celui qui achète doit porter sa propre balance; chaque marchand en ayant trois, une forte pour acheter, une légère pour vendre, et une juste pour ceux qui sont sur leurs gardes. Je crois pouvoir expliquer cette contradiction. Les législateurs de la Chine ont eu deux objets: ils ont voulu que le peuple fût soumis et tranquille, et qu'il fût laborieux et industrieux. Par la nature du climat et du terrain, il a une vie précaire; on n'y est assuré de sa vie qu'à force d'industrie et de travail. Quand tout le monde obéit et que tout le monde travaille, l'État est dans une heureuse situation. C'est la nécessité, et peut-être la nature du climat, qui ont donné à tous les Chinois une avidité inconcevable pour le gain; et les lois n'ont pas songé à l'arrêter. Tout a été défendu, quand il a été question d'acquérir par violence; tout a été permis, quand il s'est agi d'obtenir par artifice ou par industrie. Ne comparons donc pas la morale des Chinois avec celle de l'Europe. Chacun, à la Chine, a dû être attentif à ce qui lui était utile; si le fripon a veillé à ses intérêts, celui qui est dupe devait penser aux siens. À Lacédémone, il était permis de voler; à la Chine, il est permis de tromper. Livre XX : Des lois dans le rapport qu’elles ont avec le commerce considéré dans sa nature et ses distinctions. Chapitre IX : De l'exclusion en fait de commerce. La vraie maxime est de n'exclure aucune nation de son commerce sans de grandes raisons. Les Japonais ne commercent qu'avec deux nations, la chinoise et la hollandaise. Les Chinois gagnent mille pour cent sur le sucre, et quelquefois autant sur les retours. Les Hollandais font des profits à peu près pareils. Toute nation qui se conduira sur les maximes japonaises sera nécessairement trompée. C'est la concurrence qui met un prix juste aux marchandises, et qui établit les vrais rapports entre elles. Livre XXIII : Des lois dans le rapport qu’elles ont avec le nombre des habitants. Chapitre V : Des divers ordres de femmes légitimes. Il y a des pays où une femme légitime jouit, dans la maison, à peu près des honneurs qu'a dans nos climats une femme unique: là, les enfants des concubines sont censés appartenir à la première femme. Cela est ainsi établi à la Chine. Le respect filial la cérémonie d'un deuil rigoureux ne sont point dus à la mère naturelle, mais à cette mère que donne la loi. Chapitre XIII : Des ports de mer. Dans les ports de mer, où les hommes s'exposent à mille dangers, et vont mourir ou vivre dans des climats reculés, il y a moins d'hommes que de femmes; cependant on y voit plus d'enfants qu'ailleurs: cela vient de la facilité de la subsistance. Peut-être même que les parties huileuses du poisson sont plus propres à fournir cette matière qui sert à la génération. Ce serait une des causes de ce nombre infini de peuple qui est au Japon et à la Chine, où l'on ne vit presque que de poisson. Si cela était, de certaines règles monastiques, qui obligent de vivre de poisson, seraient contraires à l'esprit du législateur même. Chapitre XVI : Des vues du législateur sur la propagation de l'espèce. Les règlements sur le nombre des citoyens dépendent beaucoup des circonstances. Il y a des pays où la nature a tout fait; le législateur n'y a donc rien à faire. À quoi bon engager, par des lois, à la propagation, lorsque la fécondité du climat donne assez de peuple? Quelquefois le climat est plus favorable que le terrain; le peuple s'y multiplie, et les famines le détruisent: c'est le cas où se trouve la Chine. Aussi un père y vend-il ses filles, et expose-t-il ses enfants. Les mêmes causes opèrent au Tonkin les mêmes effets; et il ne faut pas, comme les voyageurs arabes, dont Renaudot nous a donné la relation, aller chercher l'opinion de la métempsycose pour cela. Les mêmes raisons font que dans l'île Formose, la religion ne permet pas aux femmes de mettre des enfants au monde qu'elles n'aient trente-cinq ans : avant cet âge, la prêtresse leur foule le ventre, et les fait avorter. Livre XXIV : Des lois dans le rapport qu’elles ont avec la religion établie dans chaque pays, considérée dans ses pratiques et en elle-même. Chapitre XIX : Que c'est moins la vérité ou la fausseté d'un dogme qui le rend utile ou pernicieux aux hommes dans l'état civil, que l'usage ou l'abus que l'on en fait. Les dogmes les plus vrais et les plus saints peuvent avoir de très mauvaises conséquences, lorsqu'on ne les lie pas avec les principes de la société; et, au contraire, les dogmes les plus faux en peuvent avoir d'admirables, lorsqu'on fait qu'ils se rapportent aux mêmes principes. La religion de Confucius nie l'immortalité de l'âme ; et la secte de Zénon ne la croyait pas. Qui le dirait ? ces deux sectes ont tiré de leurs mauvais principes des conséquences, non pas justes, mais admirables pour la société. La religion des Tao et des Foë croit l'immortalité de l'âme; mais de ce dogme si saint, ils ont tiré des conséquences affreuses. Livre XXV : Des lois dans le rapport qu’elles ont avec l’établissement de la religion de chaque pays et sa police extérieure. Chapitre VIII : Du pontificat. Lorsque la religion a beaucoup de ministres, il est naturel qu'ils aient un chef, et que le pontificat y soit établi. Dans la monarchie, où l'on ne saurait trop séparer les ordres de l'État, et où l'on ne doit point assembler sur une même tête toutes les puissances, il est bon que le pontificat soit séparé de l'empire. La même nécessité ne se rencontre pas dans le gouvernement despotique, dont la nature est de réunir sur une même tête tous les pouvoirs. Mais, dans ce cas, il pourrait arriver que le prince regarderait la religion comme ses lois mêmes, et comme des effets de sa volonté. Pour prévenir cet inconvénient, il faut qu'il y ait des monuments de la religion; par exemple, des livres sacrés qui la fixent et qui l'établissent. Le roi de Perse est le chef de la religion; mais l'Alcoran règle la religion: l'empereur de la Chine est le souverain pontife ; mais il y a des livres qui sont entre les mains de tout le monde, auxquels il doit lui-même se conformer. En vain un empereur voulut-il les abolir, ils triomphèrent de la tyrannie. Livre XXVI : Des lois dans le rapport qu'elles doivent avoir avec l'ordre des choses sur lesquelles elles statuent. Chapitre VI : Que l'ordre des successions dépend des principes du droit politique ou civil, et non pas des principes du droit naturel. Il fut réglé, dans quelques dynasties de la Chine, que les frères de l'empereur lui succéderaient, et que ses enfants ne lui succéderaient pas. Si l'on voulait que le prince eût une certaine expérience, si l'on craignait les minorités, s'il fallait prévenir que des eunuques ne plaçassent successivement des enfants sur le trône, on put très bien établir un pareil ordre de succession; et quand quelques écrivains ont traité ces frères d'usurpateurs, ils ont jugé sur des idées prises des lois de ces pays-ci. Chapitre XIV : Dans quels cas, dans les mariages entre parents, il faut se régler par les lois de la nature; dans quels cas on doit se régler par les lois civiles. Le mariage entre le père et la fille répugne à la nature comme le précédent; mais il répugne moins, parce qu'il n'a point ces deux obstacles. Aussi les Tartares, qui peuvent épouser leurs filles, n'épousent-ils jamais leurs mères, comme nous le voyons dans les Relations. Ces causes sont si fortes et si naturelles, qu'elles ont agi presque par toute la terre, indépendamment d'aucune communication. Ce ne sont point les Romains qui ont appris aux habitants de Formose que le mariage avec leurs parents au quatrième degré était incestueux; ce ne sont point les Romains qui l'ont dit aux Arabes ; ils ne l'ont point enseigné aux Maldives. Livre XXIX : De la manière de composer les lois. Chapitre XVIII : Des idées d'uniformité. À la Chine, les Chinois sont gouvernés par le cérémonial chinois, et les Tartares par le cérémonial tartare: c'est pourtant le peuple du monde qui a le Plus la tranquillité pour objet. Lorsque les citoyens suivent les lois, qu'importe qu'ils suivent la même? Montesquieu. Mes pensées. «Inconvénients arrivés à la Chine par l'introduction des sectes de Foë et de Laochium [Buddha et Laozi] : les guerres et les exécutions sanglantes qui en naquirent. Un empereur de la Chine fut obligé de faire mourir à la fois cent mille bonzes. Le peuple chinois vivait sous une morale, la plus parfaite et la plus pratique qu'aucun peuple qu'il eût dans cette partie de la Terre. On l'alla entêter, lui et ses empereurs, des illusions d'un quiétisme et d'une métempsycose qui défendoit de faire mourir jusqu'aux criminels mêmes et faisoit consiter tous les devoirs de la morale à nourrir les bonzes.» |
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