Sollers, Philippe.
Déroulement du Dao : la Chine dans les romans de Philippe Sollers. [Auszüge].
http://www.pileface.com/sollers/article.php3?id_article=736.
« Il habite le sans aspect,
il réside dans le sans lieu,
il se meut dans le sans forme,
il se tient en repos dans l'incorporel,
il existe comme s'il n'était pas, vit comme s'il était mort, sort du sans intervalle et y pénètre. »
« Le Dao est si haut que rien ne lui est supérieur, si profond que rien ne lui est inférieur,
il est plus plan que le niveau, plus droit que le cordeau, ses cercles sont plus ronds que ceux des compas, ses angles plus précis que ceux de l'équerre,
il embrasse l'espace temps, si bien que rien ne lui est intérieur ni extérieur,
il communique avec le ciel et la terre sans rencontrer d'obstacle.
Aussi celui qui fait corps avec lui n'éprouve-t-il ni peine ni joie ne contient ni contentement ni colère,
il veille sans inquiétude et dort sans rêve,
quand les êtres apparaissent il les nomme
quand les événements se produisent il leur répond »
Je répète : « Quand les êtres apparaissent il les nomme - Quand les évènements apparaissent il leur répond. » La réponse, la résonance.
Comme tout se répond et résonne, l'art de la guerre en Chine correspond à toutes les autres catégories médicales, poétiques, musicales, etc. Tout a lieu en même temps, en résonance, en corrélation.
Ce qui entraîne logiquement dans l'article 10 (De la topologie) cette remarque désagréable contre tout général vaincu : « Un général malheureux est toujours un général coupable » (Ou encore dans l'article 4, De la mesure dans la disposition des moyens : « On n'est jamais vaincu que par sa propre faute ; on n'est jamais victorieux que par la faute de l'ennemi. »). On peut, de même, rapprocher utilement, en se souvenant que « la victoire est le fruit des comparaisons », deux remarques capitales. Une de l'article 9, De la distribution des moyens : « Si vos espions disent qu'on parle bas dans le camp ennemi et d'une manière mystérieuse, allez à eux sans perdre de temps, ils veulent vous surprendre, surprenez-les vous-mêmes. Si vous apprenez au contraire qu'ils sont bruyants, fiers et hautains dans leurs discours, soyez certains qu'ils pensent à la retraite et qu’ils n'ont nullement envie d'en venir aux mains. » Et la deuxième à l'article 4 : « Une armée victorieuse remporte la victoire avant d'avoir cherché la bataille ; une armée vouée à la défaite, combat dans l'espoir de gagner. » « La Doctrine fait naître l'unité de la pensée, elle nous inspire une même manière de vivre et de mourir, elle nous rend intrépides dans les malheurs et dans la mort. » On a vu, plus dune fois des généraux qui, parce qu'il leur était indifférent de mourir, gagnaient une bataille, par une attaque désespérée, dans les « lieux de mort ». Ce n'est pas fréquent, mais cela arrive. On doit considérer ces généraux comme pleinement accomplis. Tout cela se poursuit dans une autre situation dans Studio. Cette fois nous sommes non plus avec Sun zi mais avec Les 36 stratagèmes. Ce sont des réflexions sur la guerre, mais aussi sur la façon de se comporter dans la vie ou dans la poésie, puisque la vie est une guerre et que la poésie est une guerre comme l'a dit Mandelstam qui savait de quoi il parlait : « Tromper consiste à tromper, puis à cesser de tromper. L'illusion croit et atteint son sommet pour laisser place à une attaque en force. Un coup faux, un coup faux, un coup vrai » ça me fait penser à un film où il y a une partie acharnée de poker. Le gagnant conclut ainsi : le grand poker c’est mal jouer au bon moment. Et encore : « quand le souffle de la discorde balaie l'autre camp, une seule pression de ma part suffirait à résoudre son unité. Se retirer et demeurer à distance c'est faire le lit du désordre. » Et encore : « Rien dans les mains, rien dans les poches, ruse des mauvais jours, ruse des ruses. » De la guerre on peut passer à l'amour, ce qui est évidemment la même chose.
Passion Fixe.
« En chinois, les canards mandarins, yuan yuang, sont réputés inséparables. L'expression est devenue le symbole du couple amoureux. Que font par ailleurs les amants ? Ils sont souvent à cheval (faire l’amour), ils descendent de cheval (jouir). Ils connaissent l'âme dissoute, xiao hun, c'est à dire ce que nous nommons en terme technique et réfrigérant d'orgasme. ça les détend. Il leur arrive de jouer de la flûte ou d'allumer le feu de l'autre coté de la montagne, ce qui se comprend sans peine. La branche fleurie désigne le sexe masculin, la chambre des fleurs ou la pivoine, le sexe féminin.
Pour tout ça il faut aller voir la bibliothèque chinoise qui est énorme. Voilà une question de jardin, nous surmontons notre nature mammifère. Une femme qui monte un homme est dite avaler et cracher, le libertinage, lang, est comparé à un flot d'écume, le printemps, cela va de soi, fait allusion à l'excitation. Tout cela fait partie du jeu des nuages et de la pluie, yun yu, rien de bien nouveau sous la lune. Le saule est l'arbre par excellence de cette région. Il évoque la taille féminine souple, et au pluriel, la formule « Fleurs et saules » indique les bordels, les lupanars ou, comme on disait autrefois les maisons closes. « Si l'Occident n'offre guère d'écrits sur la vie sexuelle en Chine, c'est en partie que les observateurs, vu cette carence, ont eu du mal à recueillir sur place des données pertinentes. Je n'ai pas trouvé, dans ce domaine de publication occidentale qui méritât une attention sérieuse ; quant aux choses de rebut, j'en ai rencontré d'incroyables quantités. » Van Gulick remarque enfin, et cela nous intéresse, que jusqu'au treizième siècle la séparation des sexes n'avait rien de rigoureux, et que l'on parlait et écrivait librement des relations sexuelles. Marco Polo, qui parlait turc et mongol mais pas chinois, a vu les choses « du dehors ». il a quand même entendu parler des courtisanes de la ville de « Kinsaï » (aujourd'hui Hangzhou, ancienne capitale de la Chine sous les Song du Sud, fameux jardins, Pagode des six harmonies datant de 970) : « Ces dames sont extrêmement compétentes et accomplies dans l'usage des charmes et des caresses, et savent les mots qui répondent convenablement à chaque sorte de personne ; en sorte que les étrangers qui en ont une fois joui ne se possèdent plus du tout, et sont à ce point captivés par leur douceur et leur charme qu’en rentrant chez eux, ils disent qu'ils ont été au « Kinsaï » c'est à dire dans la cité céleste, et c'est sans patience qu'ils attendent le moment où il leur sera donné d'y retourner. » Maintenant, voici quelques phrases données comme étant l'oeuvre d'un penseur du vingtième siècle :
« L'émerveillement ouvre ce qui est fermé. »
« L'attente sereine est confiante. »
« Dans la pensée, toute chose devient solitaire et lente. »
« La pensée heureuse trouve sa voie. »
Ce qui est dit dans ce qui suit c'est vraiment ce que je voulais faire avec Paradis :
« Quand on le déroule, ce livre remplit l'univers dans toutes ses directions, et, quand on l'enroule, il se retire et s'enfouit dans son secret.
Sa saveur est inépuisabletout y est réelle étude. Le bon lecteur en l'explorant pour son plaisir y a accès ; Dès lors jusqu'à la fin de ses jours, il en fait usage, sans jamais pouvoir en venir à bout. »