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Year

1933.1

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Malraux, André. La condition humaine [ID D13269]. (1)
Note historique
Shanghai doit à sa position exceptionnelle au débouché d'une voie d'eau qui draine les régions les plus riches et les plus peuplées de la Chine d'avoir attiré les intérêts économiques étrangers. Les autorités chinoises ont renoncé à leur souveraineté sur certains quartiers de la ville placés directement sous administration française ou, pour ce qui est de la concession internationale, sous l'autorité de la Grande-Bretagne et des États-Unis. En 1927, la population étrangère de la ville s'élève à environ quarante mille personnes.
Shanghai, ville en plein essor économique, est dans les années vingt non seulement une métropole cosmopolite, mais aussi le bastion de la nouvelle bourgeoisie d'affaires chinoise, de l'intelligentsia occidentalisée et du prolétariat industriel (environ cinq cent mille personnes). Aussi la ville devient-elle le lieu d'une intense fermentation politique.
Quelles sont les forces en présence ?
1) Le Kuomintang, parti démocrate et nationaliste fondé par Sun-Yat-Sen, est soutenu par la bourgeoisie financière et commerciale qui veut reprendre aux étrangers leurs privilèges économiques. Pour arracher le pouvoir à la dictature militaire qui tient le gouvernement central de Pékin, Sun obtient l'appui de certains généraux du Sud et peut constituer un gouvernement dans le Sud de la Chine à Canton.
2) L'embryon d'un parti communiste composé surtout d'étudiants naît à Shanghai en juillet 1921. Ce parti adhère en juillet 1922 au Komintern, l'Internationale communiste dont le siège est à Moscou. L'Internationale décide de faire collaborer le PC avec le Kuomintang pour le faire évoluer de plus en plus vers la révolution. L'URSS accorde son aide aux nationalistes chinois. Des conseillers soviétiques, tel Borodine cité dans les Conquérants, s'attachent à réorganiser le Kuomintang aussi bien que le Parti communiste selon les principes de la hiérarchie et de la discipline. Le jeune colonel nationaliste Chang-Kaï-Shek, bras droit de Sun-Yat-Sen, après un stage à Moscou, prend le commandement de l'académie militaire de Whampoa,
Entre nationalistes du Kuomintang et communistes, la collaboration ne pouvait être durable et les conflits allaient se multiplier. Après une offensive du gouvernement de Canton contre les « seigneurs de la guerre » - c'est-à-dire les généraux qui assuraient le pouvoir absolu dans leurs provinces qu'ils confondaient souvent avec leur propriété personnelle — le Kuomintang exerce une autorité sur toute la Chine au sud du fleuve Yang-Tsé. C'est alors que les divergences se creusent entre les alliés. L'aile gauche du Kuomintang et les communistes décident de transférer le gouvernement de droit à Han-Kéou, la ville la plus industrialisée de Chine, sur les bords du Yang-Tsé — c'est là que se déroule la troisième partie du roman de Malraux — contre le désir du généralissime Chang-Kaï-Shek qui dispose de la puissance militaire. Ce dernier multiplie les déclarations apaisantes à propos des intérêts étrangers et se gagne l'appui de la bourgeoisie modérée effrayée par les premières mesures révolutionnaires du gouvernement de Han-Kéou.
C'est alors que Shanghai devient l'enjeu du conflit. Contrôlée encore au début de 1927 par un général nordiste, la ville est le théâtre, le 19 février, d'une grève générale et d'une insurrection armée que Chang-Kaï-Shek, resté l'arme au pied à moins de cent kilomètres, laisse en proie à une féroce répression. L'aile gauche du Kuomintang relève le 10 mars Chang-Kaï-Shek de ses fonctions, mais la décision reste lettre morte.
Le 21 mars - c'est à cette date que commence le récit de Malraux — une nouvelle grève insurrectionnelle cette fois réussit dans les faubourgs ouvriers de la ville, tandis que les concessions étrangères ne sont à aucun moment attaquées. Les troupes nordistes, après avoir résisté, se retirent le 22 en fin d'après-midi. Dans les jours qui suivent, se crée une commission municipale provisoire où les communistes détiennent cinq sièges sur dix-neuf. Mais, lors de son installation le 29 mars, la majorité non communiste se dérobe et, dans une nouvelle commission, l'aile droite du Kuomintang détient le pouvoir sans partage.
Chang-Kaï-Shek, arrivé à Shanghai le 26 mars, est bien accueilli par les milieux d'affaires tant chinois qu'étrangers qui lui accordent une aide financière importante. Il proclame encore son allégeance au gouvernement de Han-Kéou, mais il demande aux trois mille hommes des milices ouvrières de rendre leurs armes et il prépare secrètement un coup de force. Le gouvernement de Han-Kéou et, en son sein, les communistes, s'en tiennent à la ligne de l'Internationale telle que Staline la réaffirme encore le 5 avril à Moscou.
Les représentants du Komintern à Shanghai ont, pour leur part, conscience du revirement que Chang-Kaï-Shek prépare, et le 31 mars, ils lancent les consignes suivantes : « Soulever les masses contre le revirement qui se prépare et mener une campagne contre la droite. Il ne faut pas, compte tenu de l'évolution défavorable du rapport des forces, déclencher la lutte ouverte en ce moment. Les armes ne doivent être rendues qu'à la toute dernière extrémité et doivent être dissimulées. »
Chang-Kaï-Shek, avec des civils armés appuyés par des unités nationalistes et par la police, prend les communistes de vitesse en attaquant le 12 avril et en désarmant les milices ouvrières. Il y a environ trois cents morts dans les rangs ouvriers. Peu de dirigeants communistes de Shanghai échappent à l'arrestation et à l'exécution. Chou-En-Laï figure parmi les rares rescapés. Le 13, l'armée ouvre le feu sur une marche de protestation : cent morts et plusieurs centaines de blessés. La grève générale s'épuise et s'achève le 15 avril.
Ainsi le parti communiste chinois subit, dans le plus grand centre ouvrier de la Chine, une défaite complète. Elle préludera à l'élimination progressive, jusqu'au début de juillet 1927, du gouvernement de Han-Kéou, au départ des conseillers soviétiques et à la fuite des dirigeants du PC chinois, parmi lesquels Mao Tsé-toung.

Malraux, André. La condition humaine [ID D13269].
Zusammenfassung
« 21 mars 1927. Minuit et demi. Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? Frapperait-il au travers ? L'angoisse lui tordait l'estomac ; il connaissait sa propre fermeté, mais n'était capable en cet instant que d'y songer avec hébétude, fasciné par ce tas de mousseline blanche qui tombait du plafond sur un corps moins visible qu'une ombre, et d'où sortait seulement ce pied à demi incliné par le sommeil, vivant quand même - de la chair d'homme. La seule lumière venait du building voisin : un grand rectangle d'électricité pâle, coupé par les barreaux de la fenêtre dont l'un rayait le lit juste au-dessous du pied comme pour en accentuer le volume et la vie. Quatre ou cinq klaxons grincèrent à la fois. Découvert ? Combattre, combattre des ennemis qui se défendent, des ennemis éveillés ! »
Première partie (21 mars)
La préparation de l’insurrection. Tchen poignarde un trafiquant d'armes et parvient ainsi à s'emparer de ses papiers qui permettront à Kyo et à Katow, ses compagnons, de s'emparer de la cargaison d'armes d’un bateau ancré dans le port. Pour réussir cette opération, les deux révolutionnaires vont bénéficier de la complicité du baron de Clappique. Les armes sont ensuite distribuées à l'ensemble des combattants clandestins cachés à travers la ville. Kyo mène l'inspection de combattants clandestins. Il s'aperçoit en écoutant un message enregistré , que sa propre voix lui parait étrangère. Cette première partie permet également de présenter les principaux protagonistes : Kyo et sa compagne May, Tchen et son maître à penser Gisors, qui est aussi le père de Kyo. Après son meurtre, Tchen vient se confier à Gisors : il se sent séparé du monde des hommes et avoue sa fascination pour « le sang ». Gisors est partagé entre la compréhension inquiète de ses « deux fils » et la fuite dans l'opium qui lui permet de se réconcilier avec lui même.
Deuxième partie (22 mars)
C'est le jour de l’insurrection. Les troupes du général Tchang Kaï-chek sont sur le point d'entrer à Shanghai. Ferral, le président de la chambre de commerce française, étudie avec les autorités locales chinoises les chances de succès de l'insurrection. Finalement il persuade les milieux d'affaires de soutenir Tchang Kaï-chek. Ferral va rejoindre ensuite Valérie, sa maîtresse. Celle-ci subit douloureusement la relation érotique humiliante qu'il lui impose.
Les combats sont très violents. L'insurrection est victorieuse, mais Tchang Kaï-chek s'oppose aux révolutionnaires et préfère pactiser avec les forces modérées : il exige des insurgés qu'ils rendent les armes. Les insurgés s'inquiètent de l'attitude attentiste du Kouo-Min-Tang. Kyo décide d'en savoir plus et s'en va demander des explications à Han-k'eou.
Troisième partie (29 mars)
Kyo s'est rendu à Han-k'eou, où se trouve la délégation de l'Internationale communiste dont le délégué est Vologuine. Il souhaite demander au Kominterm l'autorisation de résister au général et de garder les armes. Il prend conscience que les communistes sont beaucoup moins forts que ce que l'on espérait à Shanghai. Vologuine lui indique que la tactique de Moscou est, pour le moment, de laisser faire. Tchen vient lui aussi à Han-k'eou et rencontre Kyo. Tchen ne voit comme seule solution que l'assassinat de Tchang Kaï-chek dont il est prêt à se charger. L'Internationale communiste désapprouve cette démarche mais les laisse partir. Kyo et Tchen rentrent séparément à Shanghai.
Quatrième partie (11 avril)
A Shanghai la répression bat son plein. Impliqué dans l'affaire de la cargaison d'armes, Clappique est averti par le chef de la police. Il lui conseille de quitter la ville. Clappique essaye de prévenir Kyo que la police a décidé de l'arrêter. Clappique se rend chez Kyo, mais celui-ci étant absent, il demande à Gisors de l'informer et lui donne rendez-vous dans un bar de la ville. Tchen, avec deux complices organise sans succès un premier attentat contre Tchang Kaï-chek. Il se cache ensuite chez son compagnon Hemmelrich et décide que la prochaine fois, il tentera sa chance, seul. Ferral prend conscience que la décision de Tchang Kaï-chek d'écraser l'insurrection peut servir ses propres intérêts. Il se rend, radieux à un rendez vous avec Valérie. Mais les deux amants se disputent et Valérie le ridiculise. Ferral vient alors chercher du réconfort auprès de Gisors. Il prend conscience de sa solitude et de la vacuité de ses rêves de puissance, mais n'y renonce pas pour autant.
Kyo se rend au rendez-vous de Clappique. May, sa compagne, souhaite l'accompagner. Tchen décide de se jeter avec sa bombe sur la voiture de Tchang Kaï-chek . Geste vain car le général n’est pas dans sa voiture.
Cinquième partie
Clappique n'est pas à l'heure au rendez-vous. Kyo et May se font arrêtés. Kyo est jeté en prison. Apprenant qu'un nouvel attentat a été organisé contre Tchang Kaï-chek, Hemmelrich se rend à la permanence communiste pour avoir des nouvelles de Tchen. Lorsqu'il rentre chez lui, il découvre que sa femme et son enfant ont été assassinés dans des conditions horribles. Il décide alors de participer avec Katow à un ultime combat contre Tchang Kaï-chek. Il parvient à s'enfuir de justesse. Gisors obtient de Clappique qu'il intercède auprès du chef de police, auquel il a un jour sauvé la vie, pour obtenir la libération de Kyo. Cette démarche ne fait qu'aggraver la situation de Kyo.
Sixième partie
Kyo est jeté dans une prison répugnante. Il comparait devant König, le chef de police qui a refusé sa libération. Ce dernier veut absolument faire perdre à Kyo sa dignité : où il trahit les siens, où il sera livré à la torture. Kyo refuse de collaborer et rejoint sous le préau, ses camarades communistes qui attendent d'être brûlés vifs dans la chaudière d'une locomotive. Kyo retrouve Katow. Kyo évite le supplice en se suicidant avec le cyanure qu’il dissimulait sur lui. Katow, lui, donne son cyanure à deux jeunes chinois complètement terrorisés par le sort qui les attend et marche, plein de dignité, vers le supplice. Clappique parvient à se déguiser en marin et à s'embarquer sur un bateau en partance pour la France.
Septième partie
A Paris, Ferral a une réunion au Ministère des Finances mais ne parvient pas à sauver le consortium qu'il dirigeait en Chine. A Kobé, au Japon, chez le peintre Kama, May vient retrouver Gisors. Gisors cherche la paix dans l'opium et dans la méditation. May, elle, malgré sa solitude et son désarroi, souhaite reprendre le combat révolutionnaire.

1954
Gide, André. Journal. (Paris : Gallimard, 1954). (Bibliothèque de la Pléiade).
Er schreibt über La condition humaine : « Ce livre qui, en revue, m'apparaissait touffu à l'excès, rebutant à force de richesses et presque incompréhensible à force de complexité... me semble, à le relire d'un trait, parfaitement clair, ordonné dans la confusion »

University of St Andrews : http://www.st-andrews.ac.uk/~gpb/malraux.html.
La
Condition humaine : schéma. Le roman raconte des événements en Chine en mars-avril 1927.
Quelques repères historiques :
C'est en 1911 que Sun Yat-Sen fonde la République de Chine. Mais les clans déchirent ce vaste pays. Le nord et le centre de la Chine sont sous la férule des seigneurs de guerre --'nordistes'. Le sud est sous le contrôle du Kuomintang, le parti nationaliste 'sudistes'. Le Kuomintang est en alliance avec le PCC, qui, lui, est sous le contrôle strict du Komintern, à Moscou. Aux divisions de ce pays s'ajoute une forte présence occidentale, notamment à Shanghaï, où les concessions internationales entretiennent une vie intense dans des domaines comme la négoce, l'espionnage et le trafic de drogue. Alors, le Kuomintang et le PCC mènent des campagnes populaires contre la domination étrangère et les grands seigneurs. Mais il y a des tensions insupprtables entre les deux formations: Chang Kai-Shek ne veut pas partager le pouvoir, et il s'est allié avec la bourgeoisie d'affaires et les grands propriétaires. Quant aux communistes, ils sont confrontés à une dilemme stratégique: faut-il faire la révolution ici et maintenant, donner la terre aux paysans, organiser des soulèvements d'ouvriers dans les grands centres urbains? Le Komintern, sous la direction de Staline, refuse cette politique de révolution permanente prônée notamment par son rival vaincu, Trotski. Selon le Komintern, il faut attaquer les points faibles du monde capitaliste, surtout les colonies et les pays sous tutelle étrangère, mais il faut d'abord s'allier avec des forces locales en attendant de devenir plus fort qu'elles. En mars 1927, à Shanghaï, les communistes et leurs alliés nationalistes organisent une insurrection contre les nordistes. Quand Chang Kaï-Shek arrive dans la ville, il demande aux milices ouvrières de rendre leurs armes. La direction communiste, à Han-Kéou, fidèle à sa politique d'alliance, accepte. Mais on se rend compte trop tard que Chang prépare une répression sanglante. Les communistes sont massacrés, il y a peu de rescapés. La politique d'alliance a tourné au désastre provisoire. Par la suite, les restes du PCC entameront l'épopée de la 'Longue Marche' à travers le centre de la Chine, qui mènera, en 1949, à la victoire des communistes de Mao-Tsé-Toung, et à l'exil de Chang Kaï-Shek en Taïwan.

Dans les deux premières parties de La condition humaine, nous nous trouvons à Shanghaï. Les communistes chinois viennent de réussir une grève et une insurrection contre le Gouvernment nordiste. Mais les militants, dirigés par Kyo Gisors, s'inquiètent de l'approche de leur allié, Chang Kai-Shek, chef du Kuomintang.La question se pose: faut-il lutter contre Chang? Dans la troisième partie, à Han-Kéou, le Comité Central du PC, suivant les ordres du Komintern, y répond par la négative. Mais Chang prépare un coup de force contre les communistes. Dans les parties 4 et 5, les communistes résistent désespérément au Kuomintang. Tchen rate son attentat-suicide contre Chang. La permanence du PC tombe aux nationalistes, et les communistes sont massacrés. Dans la sixième partie, les communistes, faits prisonniers, sont torturés et brûlés à vif dans la chaudrière d'un locomotive; certains d'entre eux se suicident avec la cyanure. La dernière partie évoquent les survivants de cette tragédie.
La condition humaine semble donc coller à une réalité historique. Des personnages auraient leurs équivalents dans la vie réelle: Vologuine, délégué du Komintern, serait modelé sur un certain Borodine; Kyo sur le dirigeant communiste chinois Chou-en-Lai. L'inclusion de la date et de l'heure en tête de chaque chapitre nous donnent l'illusion de lire ou de regarder un reportage, une sorte de film documentaire sur les événements de Shanghaï. Alain Meyer démontre l'aspect cinématographique de ce roman. Mais il fait des critiques très justes de la soi-disant vraisemblance de la description des communistes. Qu'est-ce que ces révolutionnaires professionnels qui, à la veille de cette tragédie, habitent à leur adresse habituelle et ne portent pas de nom de guerre? Qui ont de multiples rendez-vous dans des lieux bien connus? Quel parti communiste n'aurait pas d'organisation militaire parallèle, sans parler des cellules et des sections qui servent de relais entre le Parti et les masses? Dans La condition humaine, nous avons affaire à une poignée d'individus, dont la majorité sont européens ou métis. C'est une communauté pathétique, pas même une conspiration. On peut donc critiquer la vraisemblance de ce roman--et n'oublions pas que Malraux connaît peu la Chine: on verrait dans ce roman une transposition de l'Indochine.
Mais quel message politique se dégage de ce roman ? Certes, Malraux déclare qu'il n'a jamais été marxiste. Et dans La condition humaine, on ne trouve pas la lutte des classes qui est centrale à la vision marxiste de l'Histoire. Ici, les révolutionnaires sont le plus souvent des intellectuels, parfois des pauvres comme Hemmelrich, mais jamais des prolétaires; ils sont sans insertion sociale, sans place dans la production et dans les rapports de production entre exploiteurs et exploités. Le moteur de l'Histoire n'est pas dans ce roman la lutte des classes, mais l'héroïsme individuel et communautaire face à la domination politique.
Cependant, au moment de la parution de La condition humaine, Malraux est proche des communistes. En 1934, à Moscou, Malraux dira à un congrès d'écrivains soviétiques: 'On dira de vous: à travers tous les obstacles, à travers la guerre civile et la famine, pour la première fois, depuis des millénaires, ceux-là ont fait confiance à l'homme.' Pour Malraux, à cette époque, le communisme élargit les possibilités créatrices humaines; grâce au lien à une collectivité, il permet aux hommes d'atteindre des altitudes auxquelles ils ne peuvent pas accéder seuls. La révolution serait donc un des modes de réalisation de valeurs éthiques supérieures.
Dans La condition humaine, les révolutionnaires consacrent leur vie et courent le risque de mort pour réaliser leurs valeurs. Dans le contexte de la situation chinoise de 1927, et dans celui de la stratégie du Komintern, ces aspirations sont irréalisables. Nous avons affaire à une tragédie politique. Ils sont impuissants devant la toute-puissance des circonstances. Il faut faire un apprentissage de la révolution, apprendre à tirer parti des circonstances. Alors, beaucoup des personnages de La condition humaine sont tués avant d'avoir achevé cet apprentissage. La victoire de la Révolution est possible--le succès initial de l'insurrection le démontre--mais non pas assurée par quelconque loi de l'Histoire.
La pratique révolutionnaire est aléatoire: toute erreur d'appréciation peut mener à la catastrophe. Vologuine et Kyo s'opposent sur leur analyse de la situation: pour le délégué du Komintern, les communistes sont trop minoritaires et mal armés pour faire l'insurrection. Moscou ne tolère pas que le PCC sorte du Kuomintang. Tchen suivra une voie encore différente: un acte solitaire de terrorisme. Malraux ne tranche pas dans ce débat: il présente des problèmes importants: devrait-on se soumettre à la discipline de l'Internationale, au prix du massacre de ceux au nom de qui on lutte? Devrait-on s'appuyer exclusivement sur la nouvelle classe ouvrière, ou s'orienter vers les paysans? Dans les années suivantes, nous verrons effectivement Mao développer une politique baseé sur la lutte paysanne et l'affirmation de la nationalité chinoise.
Les retouches du manuscrit de La condition humaine indique une évolution politique chez Malraux. Dans sa première version, Malraux décrit de façon critique les représentants du Komintern: on y voit les affinités trotskistes de l'auteur. Mais dans la version finale, les phrases négatives sont supprimées, et Malraux y ajoute une lettre du militant Peï, qui met en valeur le travail accompli en URSS par le plan quinquennal. Malraux semble se rapprocher de l'orthodoxie staliennne. Cela dit, Malraux conserve des relations amicales avec Trotski et ne se fait pas d'illusions sur la nouvelle direction communiste. Mais Malraux croit que, contrairement à Trotski, homme vaincu, les communistes staliniens possèdent la force qui pourrait barrer la route au fascisme. C'est par pragmatisme que Malraux se rapproche du communisme orthodoxe, et La condition humaine reflète la complexité de cette position.
Nous lisons donc un livre écrit par un homme fortement politisé, engagé. Mais son titre, La Condition humaine, indique que nous avons affaire à des préoccupations qui échappent au cadre strict de la politique.
Les personnages de ce roman sont hantés par l'humiliation et la solitude. L'humilitation prend plusieurs formes : humiliation des pauvres exploités au nom de qui luttent les révolutionnaires; humiliation plus spécifique: Hemmelrich, communste belge réduit à la misère: 'Je me fais l'effet d'un bec de gaz sur quoi tou ce qu'il y a de libre dans le monde vient pisser' : cette vie atroce qui l'empoisone, il veut la compenser par n'importe quelle violence, par les bombes; le policier König, horriblement torturé par les bolcheviks pendant la Révolution russe, et maintenant résolu à en tuer autant que possible; Kyo, incapable de supporter l'infidélité de sa femme May, et stigmatisé par le fait d'être métis; Ferral, humilié par sa femme Valérie, emporté par des fantasmes de vengeance sadique.
Tous les personnages éprouvent la solitude.
Le vieux professeur Gisors : 'Les yeux fermés, porté par de grandes ailes immobiles, Gisors contemplait sa solitude.' Son ancien élève, Tchen: 'Malgré le meurtre, il mourrait seul.' Kyo, en écoutant l'enregistrment de sa voix sur un disque constate qu'celui-ci ne transmet pas sa voix intérieure. Quelques minutes avant sa mort, Katow est 'seul, seul entre le corps de son ami mort et ses deux compagnons épouvantés, seul entre ce mur et ce sifflet perdu dans la nuit'. Et Ferral demande à Gisors: 'Pensez-vous qu'on puisse connaître--connaître--un être vivant ?'
Mort, souffrance, solitude: comment supporter cette condition humaine ? Comment vivre sa solitude fondamentale, donner un sens à la vie et donc à la mort ?
Kyo, d'abord. Dirigeant communiste, révolutionnaire professionnel, il quitte la maison de son père, Gisors, pour consacrer sa vie à la lutte des communistes. Il a choisi l'action, comme d'autres les armes ou la mer, le sens héroïque lui a été donné comme une discipline. Sa vie conjugale mise à part, Kyo n'a pas d'états d'âme. Sa vie a un sens : donner aux hommes leur dignité. Il se bat donc avec les ouvriers contre leur misère. Cette soif de la dignité humaine sera ridiculisée par le policier König, qui l'enverra à sa mort. Mais cette mort ressemble à sa vie de lutte: il meurt avec ses frères, avec l'espoir que ce sacrifice hâtera la venue de la révolution prolétarienne. En revenant à la citation de Pascal, les révolutionnaires se voient tués un à un--mais ces hommes révoltés y attribuent un sens, qui triompherait du sadisme pratiqué par leurs bourreaux.
Les autres communistes suivent Kyo sur la voie du sacrifice. Katow est le type du révolutionnaire généreux, bon à tout faire, cosmopolite et polyglotte. La force et la générosité de ce personnage s'illustrent à la fin du roman. Katow voit que deux de ses camarades ne supportent pas l'idée d'être brulés vifs dans la chaudrière du locomotive. Il leur donne donc sa cyanure. Il ne lui en reste rien: Katow accepte d'aller stoïquement à une mort atroce.
Un autre communiste, Tchen, se démarque de ses camarades. Orphelin, élevé par un pasteur américain, avant de passer sous l'influence du marxisme grâce au Professeur Gisors. Mais la lutte de Tchen est solitaire: en proie à des pulsions violentes, hanté par des cauchemars, sexuellement frustré, en désaccord fondamental avec la ligne de son 'Surmoi', le Komintern, Tchen va sublimer son désir de tuer en se sacrifiant à une cause plus grande que lui-même. Chez Tchen, 'La destruction seule le mettait d'accord avec lui-même.' En lui nous voyons le kamikaze, que seul l'attentat-suicide peut délivrer de l'angoisse. 'Ce camarade maintenant silencieux rêvassant à ses familières visions d'épouvante avait quelque chose de fou, mais aussi quelque chose de sacré--ce qu'a toujours de sacré la présence de l'inhumain. Peut-être ne tuerait-il Chang que pour se tuer lui-même.'
Son ancien professeur et figure paternelle, Gisors, contraste encore avec ces révolutionnaires. C'est un professeur d'histoire de l'art occidental qui s'est consacré à l'enseignement de la philosophie marxiste. Mais, dans La condition humaine, Gisors se détache du marxisme, et du grand récit de l'Histoire que cette philosophie raconte. Gisors est surtout opiomane et esthète. L'opium disperse son angoissse, comme le vent disperse les nuages. L'opium se nourrit de souvenirs et d'images choisies. Quant à l'art oriental, selon le peintre Kama, il délivre l'homme parce qu'il traduit l'accord du peintre avec le monde. L'Oriental accepte l'Univers, et trouve avec plus oumoins de facilité le chemin des choses et des êtres. Il ne connaît pas de destin tragique. L'artiste oriental est humble devant la nature.
Gisors adopte donc une position détachée, contemplative, ce qui exaspère Kyo et Tchen. Gisors, Français, semble plus oriental que ses élèves: soumis au parti, en révolte contre le monde et eux-mêmes, ceux-ci se lancent dans le suicide collectif qu'est l'Histoire.
Face à Gisors et aux communistes se trouve un autre homme d'action, Ferral. Président du Consortium franco-asiatique, Ferral veut s'imposer dans tous les domaines, en affaires et en politique, en amour et dans les relations humaines. Il déclare: 'Tout homme rêve d'être fieu.' L'intelligence, c'est 'la possession des moyens de contraindre les choses et les hommes.'Ainsi, Ferral s'entraîne à se dominer en gardant un boîte de cigarettes sur son bureau et en résistant à l'envie de fumer pour affirmer la force de son caractère. Dans l'amour, on trouve également cette volonté de conquête: ridiculisé par Valérie, Ferral rêve de vengeance atroce: viol, supplices, flagellations. Henri Dumazeau voit en Ferral un symbole de la volonté de puissance qui caractérise l'homme d'Occident: chez Ferral se rencontrent Machiavel, Don Juan, Faust et Prométhée.
N'oublions pas la figure comique du baron Clappique. Tandis que Kyo, Ferral et autres cherchent à s'affirmer, Clappique veut se fuir par le mensonge. Mythomane, le baron invente des identités et des histoires par lesquelles il s'affranchit de sa condition d'homme. Le jeu fait partie de cette fuite dans le mensonge. Selon Pascal, le jeu est un des divertissements qui empêchent l'homme de penser à sa misère. Dans un passage clé du roman, Clappique se trouve au Black Cat. Il a rendez-vous avec Kyo et May: il doit les avertir du coup de force que Chang prépare. Mais Clappique est accaparé, fasciné par le jeu. En jouant, il semble dominer la vie. Mais si la boule de roulette lui donne illusion de gagner, il y a des pertes aussi: non seulement d'argent, mais aussi de la vie de Kyo et de ses camarades. Ici, Malraux fait une critique éthique du divertissment du jeu.
On ne saurait donc réduire La condition humaine à un roman politique. Ses ambitions intellectuelles sont plus grandes. Bien entendu, ce texte est toujours situabledans l'histoire des idées. Le roman de Malraux anticipe le courant existentialiste des années 30-40: l'individu se trouve en situation, face à la mort, à l'absurdité de l'univers, et aux autres. Angoissé, l'homme doit choisir ses actes: donner un sens à la vie, relever ses responsabilités envers les autres, ou fuir sa liberté dans l'illusion, la soumission, l'oppression d'autrui... On trouve tout ce drame de l'existence dans La condition humaine.
Existentialiste avant la lettre? Peut-être, bien que Malraux ne se soit pas associé à ce courant multiforme. Mystique aussi, sans exprimer de croyance en Dieu ou en une religion.
La plupart des événements ont lieu entre six heures du soir et du matin. Si 'tout n'est pas noir'--la nuit, c'est l'amour et l'hédonisme, aussi bien que l'angoisse et la mort--la tragédie du récit fait que l'ombre domine. En revanche, le jour est plus propice aux événements épiques et positifs: manifestations des ouvriers, combats victorieux des révolutionnaires...
L'Univers est dans la nuit, mais une image revient avec constance dans La condition humaine, celle de la trouée: trouée de la lumière des étoiles et de la lune dans la nuit, trouée du ciel dans les nuages. A travers cette éclaircie se matérialise un 'ailleurs'. Une énigmatique présence surplombe à une distance infinie l'agitation des hommes, ce rayonnement émanant d'une source que l'agnostique Malraux ne peut nommer. Ce rayonnement est plus mystérieux que la 'lueur de l'Est' qui inspire les communistes, ce nouveau monde en gestation que symbolise l'enfant de May. Avec ces 'trouées du sacré', on passe de la politique à la métaphysique. Des décennies plus tard, Malraux écrira, dans Le Surnaturel : 'Autre chose existe, qui n'est pas apparence et ne s'appelle pas toujours Dieu.'

Mentioned People (1)

Malraux, André  (Paris 1901-1976 Créteil bei Paris) : Schriftsteller

Subjects

Literature : Occident : France