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1767.4

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Quesnay, François. Le despotisme de la Chine [ID D1850]. (4)
CHAPITRE VII.
DEFAUTS ATTRIBUES AU GOUVERNEMENT DE LA CHINE.
Le despotisme ou le pouvoir absolu du souverain de la Chine est fort exagéré par nos auteurs politiques, ou du moins leur est-il tort suspect. M. de Montesquieu a surtout hasardé beaucoup de conjectures, qu'il a fait valoir avec tant d'adresse qu'on pourrait les regarder comme autant de sophismes spécieux contre ce gouvernement : nous pourrions, en renvoyant nos lecteurs au Recueil des mélanges intéressants et curieux, pages 164 et suivantes, tome V, nous dispenser d'entrer dans aucun examen des raisonnements de M. de Montesquieu, que l'auteur de ce recueil a très savamment discutés et réfûtés ; mais il semblerait peut-être que nous chercherions à les éluder si nous négligions de les exposer ici ; on pourra du moins les comparer avec les faits rassemblés dans notre compilation. "Nos missionnaires, dit M. de Montesquieu, nous parlent du vaste empire de la Chine comme d'un gouvernement admirable, qui mêle dans son principe la crainte, l'honneur et la vertu ; j'ignore ce que c'est que cet honneur chez un peuple qui ne fait rien qu'à coups de bâton." La charge n'est pas ménagée dans ce tableau ; les coups de bâton sont, à la Chine, une punition réservée aux coupables comme le fouet, les galères, etc., sont de même dans d'autres royaumes des punitions. Y a-t-il aucun gouvernement sans lois pénales ? mais y en a-t-il un dans le monde où l'on emploie autant de moyens pour exciter l'émulation et l'honneur ? Le silence de M.de Montesquieu, à cet égard, est une preuve bien manifeste de son exagération et de son intention décidée à nous représenter les Chinois comme des hommes serviles et esclaves sous une autorité tyrannique. "D'ailleurs il s'en faut beaucoup que nos commerçants nous donnent une idée de cette vertu dont, parlent les missionnaires." II s'agit ici d'un point de conduite libre de particuliers, concernant le commerce avec les étrangers, qui n'a aucun rapport avec la dureté de l'exercice d'une autorité absolue : c'-est une querelle fort déplacée relativement à l'objet de l'auteur. Le reproche dont il s'agit doit-il s'étendre jusques sur le commerce intérieur que les Chinois exercent entre enx ? Les marchands de l'Europe qui vont à la Chine ne pénètrent pas dans l'intérieur de ce royaume : ainsi M. de Montesquieu ne peut pas, à cet égard, s'appuyer du témoignage de ces marchands. Si celui des missionnaires avait favorisé les idées de M. de Montesquieu, il aurait pu le citer avec plus de sûreté, parce qu'ils ont résidé assidûment et pendant longtemps dans cet empire, et qu'ils en ont parcouru toutes les provinces. C'est trop hasarder que d'opposer à leurs récits celui des marchands de l'Europe, qui ne nous diront pas si la mauvaise foi des Chinois dans le commerce qu'ils exercent avec eux, n'est pas un droit de représailles ; mais toujours l'auteur n'en peut-il rien conclure relativement au prétendu despotisme tyrannique du prince. Si c'est précisément la vertu des Chinois que M. de Montesquieu veut censurer, celle du marchand qui commerce avec l'étranger est-elle un échantillon de la vertu du laboureur et des autres habitants ? Avec, un pareil échantillon, jugerait-on bien exactement de la vertu des autres nations, surtout de celle où tout le commerce extérieur est en monopole sous la protection des gouvernements ? "Les lettres du P. Perennin, sur le procès que l'empereur fit faire à des princes du sang néophytes, qui lui avaient déplu, nous font voir un plan de tyrannie constamment suivi, et des injures faites à la nature avec règle, c'est-à-dire de sang-froid." 'Sur le procès que l'empereur fit faire à des princes du sang néophytes ; ce dernier mot semble être mis à dessein d'insinuer que ces princes furent poursuivis pour avoir embrassé le christianisme ; mais tous les royaumes du monde ont eu leurs martyrs, et en grand nombre, pour cause de religion, par la propre sanction des lois. Cela n'a encore aucun rapport avec le despotisme de la Chine ; pas même avec l'idée de l'intolérance du gouvernement de cet empire, où l'on n'a presque jamais exercé de cruautés pour cause de religion : et le fait dont il s'agit n'était pas de ce genre : car le prince était fort tolérant à l'égard du christianisme. Ces princes, dit-on, 'lui avaient déplu' : il y avait plus, selon l'histoire, ils avaient tramé contre lui ; et quelques jésuites furent compris dans cette malheureuse affaire : c'est un cas particulier de politique, où il est difficile de pénétrer à fond les motifs du procès. Mais un cas particulier de ce genre ne permettait pas à M. de Montesquieu de le rapporter comme un exemple d'un 'plan de tyrannie constamment suivi' : ce qui est d'autant plus outré que cet empereur est reconnu pour un des bons princes qui ait jamais régné. Un auteur qui est aussi peu attentif à la vérité, quand il plaide en faveur de son opinion, ferait penser qu'il n'était pas assez en garde contre la prévention. "Nous avons encore les lettres du P. Parennin et de M. de Mairan sur le gouvernement de la Chine: après bien des questions et des réponses sensées, tout le merveilleux s'est évanoui." Ces lettres attaquent-elles la constitution même du gouvernement ; c'est de quoi il s'agit ici ; ou révèlent-elles seulement des abus qui se fissent dans l'administration ? M. de Montesquieu, si avide de faits reprochables, n'en rapporte aucun. N'aurait-il trouvé dans ces lettres que des raisonnements vagues, propres à marquer seulement la mauvaise humeur du P. Perennin, qui, dans ce temps, n'était pas bien disposé en faveur du souverain ? Mais toujours faut-il convenir que la simple allégation de ces lettres ne nous instruit de rien, surtout lorsqu'on connaît le penchant de l'auteur qui les cite.
"Ne peut-il pas se faire que les premiers missionnaires aient, été trompés d'abord par une apparence d'ordre ; qu'ils aient été frappés de cet exercice continuel de la volonté d'un seul, par lequel ils sont gouvernés eux-mêmes, et qu'ils aiment, tant à trouver dans les cours des rois d'Asie ; parce que n'y allant que pour faire de grands changements, il leur est plus aisé de convaincre 1es princes qu'ils peuvent tout faire, que de persuader aux peuples qu'ils doivent tout souffrir.
II faut être bien dépourvu de preuves pour avoir recours à de pareils soupçons ; et après de tels efforts, on doit s'apercevoir que, le gouvernement de la Chine donne peu de prises à ses détracteurs. Les missionnaires ont pu être trompés, dit-on, d'abord par une apparence d'ordre : ils auraient, fait plus, ils auraient formellement avancé des faussetés ; car ils sont entrés dans un grand détail de faits. Pourquoi avoir glissé dans cet exposé le mot d'abord ; et pourquoi dire, les 'premiers' missionnaires ? les autres qui ont continué de donner des relations de ce pays-là, les ont-ils contredits, ou se sont-ils retractés ensuite ? Il est bien ingénieux de trouver que les missionnaires pensent que le despotisme des souverains d'Asie est favorable aux succès de leurs missions. Ces missions ont-elles donc fait de si grands progrès en Asie par le secours des despotes ? N'est-ce pas partout, chez le peuple, que les missions commencent à réussir, et qu'elles parviennent quelquefois à dominer au point d'inquiéter les souverains ? Les jésuites ont obtenu d'un empereur de la Chine, il est vrai, une loi favorable au christianisme ; mais cette loi a été nulle, parce qu'elle n'a pu être revêtue de formalités nécessaires pour avoir force de loi. La volonté d'un seul n'est donc pas à la Chine assez décisive pour faciliter, autant que le dit M. de Montesquieu, les succès des missionnaires, et pour les avoir induits à fonder toute leur espérance sur ce despotisme.
"Telle est la nature de la chose, que le mauvais gouvernement y est d'abord puni. Le désordre naît soudain, parce que le peuple prodigieux y manque de subsistance."
Une grande population ne peut s'accumuler que dans les bons gouvernements ; car les mauvais gouvernements anéantissent les richesses et les hommes. Un peu d'attention sur ce peuple prodigieux suffit pour dissiper tous les nuages qu'on voudrait répandre sur le gouvernement de la Chine. En nous disant que les besoins d'une si grande multitude d'hommes en imposent dans un mauvais gouvernement, M. de Montesquieu forme un raisonnement qui implique contradiction ; un peuple prodigieux et un mauvais gouvernement ne peuvent, se trouver ensemble dans aucun royaume du monde.
"Un empereur de la Chine ne sentira pas, comme nos princes, que s'il gouverne mal il sera moins heureux dans l'autre vie."
Si M. de Montesquieu a eu le bonheur d'être plus éclairé sur la religion que les empereurs de la Chine, il ne devait pas moins y reconnaître les dogmes de la loi naturelle et la persuasion d'une vie future, dont ces princes sont pénétrés. Il n'ignorait pas non plus qu'il y a une multitude d'exemples de la pieté qu'ils ont marquée d'une manière éclatante, dans les cas où les besoins de l'Etat les ont, portés a implorer la providence divine.
"Il saura que si son gouvernement n'est pas bon, il perdra son royaume et la vie."
Les empereurs de la Chine ont donc de moins, selon M. de Montesquieu, que les autres souverains, la crainte des châtiments d'une autre vie. Ce motif n'entrait pas nécessairement dans le plan général de l'auteur, qui s'est fixé à l'esprit des lois humaines, établies selon lui pour la sûreté des nations contre les dérèglements des gouvernements, et contre les abus du pouvoir des souverains, qui doit être modéré par des contrepoids qui le contiennent dans l'ordre.
La crainte de l'empereur de la Chine de perdre son royaume et sa vie, serait-elle envisagée par M. de Montesquieu comme un motif insuffisant pour tempérer le despotisme de ce souverain ? Les contre-forces qu'il voudrait établir seraient-elles plus puissantes et plus compatibles avec la solidité permanente d'un bon gouvernement ?
"Comme, malgré les expositions des enfants, le peuple augmente toujours à la Chine, il faut un travail infatigable pour faire produire aux terres de quoi les nourrir ; cela demanda une grande attention de la part du gouvernement. Il est, en tout temps intéressé à ce que tout le monde puisse travailler, sans crainte d'être frustré de ses peines. Ce doit donc être moins un gouvernement civil qu'un gouvernement domestique. Voilà ce qui a produit les règlements dont on parle tant."
C'est donc, selon l'auteur, la grande population qui réduit le despotisme de la Chine à un gouvernement domestique, et qui a produit les règlements nécessaires pour assurer la subsistance aux habitants de cet empire; M. de Montesquieu prend ici l'effet pour la cause. Il n'a pas aperçu que ce nombre prodigieux d'habitants ne peut être qu'une suite du bon gouvernement de cet empire ; cependant il aurait dû apercevoir, en consultant l'histoire de la Chine, qu'effectivement ces bons règlements, dont on parle tant, y sont établis depuis un temps immémorial.
"On a voulu faire régner les lois avec le despotisme; mais ce qui est joint avec le despotisme n'a pas de force. En vain ce despotisme, pressé par ses malheurs, a-t-il voulu s'enchaîner ! Il s'arme de ses chaînes et devient plus terrible encore."
L'auteur a voulu terminer ce discours avec une vigueur qui ne consiste que dans le style ; car on ne comprend pas et il n'a pas compris lui-même ce qu'il a voulu dire par ce langage : 'En vain ce despotisme, pressé par ses malheurs, a-t-il voulu s'enchaîner ! il s'arme de ses propres chaînes et devient plus terrible encore. Les chaînes dont il s'agit ici sont les lois qui affermissent le gouvernement dont l'empereur est seul le chef; mais ces lois deviennent pour lui des armes qui le rendent encore plus terrible à la nation qu'il gouverne.
Une grande reine fort impérieuse disait à ses sujets : 'vous avez des lois et je vous les ferai bien observer' ; cette menace ne pouvait effrayer que les méchants. Ce sont les bonnes lois qui forment un bon gouvernement et sans l'observation de ses lois le gouvernement n'aurait pas de réalité. Le despote sévère, armé des lois, les fera observer rigoureusement et le bon ordre régnera dans ses Etats ; mais M. de Montesquieu nous dit que 'ce qui est joint au despotisme n'a point de force' : quel assemblage d'idées ! Les lois, jointes au despotisme, sont fort redoutables ; les lois, jointes au despotisme, sont sans force : avec les lois le despotisme est terrible ; avec le despotisme les lois sont nulles. M. de Montesquieu rassemble toutes ces contradictions à propos d'un gouvernement qui est le plus ancien, le plus humain, le plus étendu et le plus florissant qui ait jamais existé dans l'univers ! Pourquoi ce gouvernement a-t-il jeté un si grand trouble dans l'esprit de l'auteur ? c'est qu'il est régi par un despote et qu'il voit toujours dans le despotisme un gouvernement arbitraire et tyrannique.
'Les abus furtifs', quoique rigoureusement réprimés à la Chine, forment un chef d'imputation dont on charge le gouvernement de cet empire.
Les mandarins sont réprimés par les visiteurs que l'on nomme 'Kolis', que la cour envoie dans chaque province ; ces censeurs ont le droit de dépouiller les mandarins en faute, de leur crédit et de leurs emplois, cependant leurs visites ne se terminent pas sans revenir en cour chargés, dit-on, de quatre ou cinq cent mille écus, que les coupables leur donnent pour se garantir d'une accusation ; il arrive à la Chine, comme partout ailleurs, que la sévérité des censeurs et la justice ne s'exercent que sur ceux dont les désordres sont trop connus pour être déguisés, ou sur ceux à qui la pauvreté ôte les moyens de flatter leur avarice et d'acheter des témoignages de vertus.
On peut consulter, dit M. de Montesquieu, nos commerçants sur le brigandage des mandarins.
Près de l'endroit le plus périlleux du lac Jao-tcheou on voit un temple placé sur un rocher escarpé, qui donne lieu à de grandes superstitions ; quand on en est proche, les matelots chinois battent d'une sorte de tambour de cuivre pour avertir l'idole de leur passée ; ils allument des bougies sur le devant de la barque, brûlent des parfums et sacrifient un coq en son honneur ; le gouvernement entretient près de là des barques pour secourir ceux qui se trouvent exposés au naufrage, mais quelquefois ceux qui sont établis dans ces barques pour prêter du secours, sont les premiers à faire périr les marchands pour s'enrichir de leurs dépouilles, surtout s'ils espèrent, de n'être pas découverts.
Cependant la vigilance des magistrats est très active, principalement dans les occasions d'apparat : un mandarin s'occupe moins de ses intérêts que de ceux du peuple, il fait consister sa gloire à l'assister et à s'en montrer le père. Dans un temps d'orage, on a vu le mandarin de 'Jao-tcheou', après avoir défendu de traverser sur le lac, se transporter lui-même sur le rivage et y demeurer tout le jour pour empêcher, par sa présence, que quelque téméraire, emporté par l'avidité du gain ne s'exposât au danger de périr.
(Ces brigandages dont nous venons de rapporter des exemples peuvent, être comparés dans ce royaume comme dans tous les autres, au dangereux métier des voleurs qui, malgré la rigueur des loi, s'exposent aux dangers de subir les châtiments décernés contre eux; mais on ne doit point imputer ces forfaits au gouvernement, lorsqu'il use de toutes les précautions qu'il peut employer pour les prévenir, et qu'il punit sévèrement les coupables qui en sont convaincus.)
On dit que les emplois de la justice se vendent dans toutes les parties de la Chine, surtout à la cour, et que l'empereur est le seul qui ait à coeur l'intérêt public, tous les autres n'ayant en vue que leur propre intérêt ; cependant les lois sont établies contre les extorsions des gouverneurs et des autres mandarins, qu'ils ont bien de la peine à exercer sans que l'empereur le sache, car ils ne peuvent empêcher les plaintes du peuple dans l'oppression.
Ce prétendu abus qu'on dit qui s'exerce à la cour est contredit par d'autres historiens ; "l'empereur de la Chine, dit l'auteur des révolutions, veut tout voir par ses yeux, et il n'y a point de prince dans le reste du monde qui s'occupe davantage des affaires du gouvernement ; il ne s'en fie surtout qu'à lui-même, lorsqu'il s'agit de nommer des magistrats : ce ne sont point les intrigues de cour qui, comme partout ailleurs, élèvent un homme aux premiers emplois".
Un gouverneur est regardé comme le chef d'une grande famille dans laquelle la paix ne peut être troublée que par sa faute ; aussi est-il responsable des moindres émeutes, et si la sédition n'est pas apaisée sur-le-champ, il perd au moins son emploi ; il doit empêcher que les officiers subalternes qui sont tous, comme lui, faits pour n'être occupés que du bien public, n'oppriment le peuple : pour cela la loi défend qu'on fasse mandarin d'une ville, un homme né non seulement dans la même ville, mais encore dans la même province, et même on ne le laisse pas pour longtemps dans son emploi, de crainte qu'il ne devienne partial : ainsi la plupart des autres mandarins de la même province lui étant inconnus, il arrive rarement qu'il ait aucune raison de les favoriser.
Si un mandarin obtient un emploi dans la province qui touche à celle dont il est sorti, ce doit être dans une ville qui en soit éloignée de 50 lieues au moins ; et la délicatesse va si loin qu'on ne place jamais un mandarin subalterne dans un lieu où son frère, son oncle, etc. tient un rang supérieur, tant parce qu'ils pourraient s'entendre à commettre des injustices, que parce qu'il serait trop dur pour un officier supérieur, d'être obligé d'accuser son frère, etc.
De trois ans en trois ans on fait une revue générale de tous les mandarins, dans laquelle on examine leurs bonnes et mauvaises qualités pour le gouvernement. Chaque mandarin supérieur, par exemple, d'une ville du troisième rang, examine la conduite de ses inférieurs : les notes qu'ils font sont envoyées au mandarin supérieur de la ville du second rang qui les change ou confirme. Lorsque le mandarin d'une ville du second rang a reçu les notes de tous les mandarins des villes du troisième rang qui sont de son district, il y joint ses propres notes, ensuite il envoie le catalogue aux mandarins généraux qui résident dans la capitale; ce catalogue passe de leurs mains dans celles du vice-roi qui, après l'avoir examiné en particulier, ensuite avec les quatre mandarins ses assistants, l'envoie à la cour augmenté de ses propres notes : ainsi par cette voie, le premier tribunal connaît exactement tous les tribunaux de l'empire et est en état de punir et de récompenser. Le tribunal suprême, après avoir examiné les notes, renvoie tout de suite au vice-roi les ordres pour récompenser ou châtier les mandarins notés : celui-ci destitue ceux dont les notes contiennent le moindre reproche sur l'article du gouvernement, ou élève à d'autres postes ceux dont on fait l'éloge, et on a grand soin d'instruire le public de ces destitutions et de ces récompenses, et des raisons pourquoi.
De plus, l'empereur envoie de temps en temps dans les provinces des visiteurs qui s'informent du peuple, et qui se glissent dans les tribunaux pendant l'audience du mandarin ; si ces visiteurs découvrent, par quelqu'une de ces voies, de l'irrégularité dans la conduite des officiers, il fait voir aussitôt les marques de sa dignité, et comme son autorité est absolue, il poursuit aussitôt et punit avec rigueur le coupable selon la loi ; mais si la faute n'est pas grave, il envoie ses informations à la cour, qui décide de ce qu'il doit faire.
Quoique ces visiteurs ou inspecteurs soient choisis entre les principaux officiers et qu'ils soient reconnus de la plus grande probité, l'empereur, pour n'être pas trompé et crainte qu'ils ne se laissent corrompre par l'argent, etc., prend le temps que ces inspecteurs y pensent le moins, pour voyager dans différentes provinces et s'informer par lui-même des plaintes du peuple contre les gouverneurs.
L'empereur Kang-hi, dans une de ces visites, aperçut un vieillard qui pleurait amèrement ; il quitta son cortège et fut à lui, et lui demanda la cause de ses larmes ; je n'avais qu'un fils, répondit le vieillard, qui faisait toute ma joie et le soutien de ma famille, un mandarin tartare me l'a enlevé ; je suis désormais privé de toute assistance humaine ; car pauvre et vieux comme je suis, quel moyen d'obliger le gouverneur à me rendre justice ? Il y a moins de difficultés que vous ne pensez répliqua l'empereur ; montez derrière moi et me servez de guide jusqu'à la maison du ravisseur. Le vieillard monta sans cérémonie. Le mandarin fut convaincu de violence et condamne sur-le-champ à perdre la tète. L'exécution faite, l'empereur dit au vieillard d'un air sérieux, pour préparation je vous donne l'emploi du coupable qui vient d'être puni : conduisez-vous avec plus de modération que lui, et que son exemple vous apprenne à ne rien faire qui puisse vous mettre à votre tour, dans le cas de servir d'exemple.
(Quand un gouvernement veille soigneusement sur les 'abus furtifs', et qu'il les punit sévèrement, ces abus ne doivent pas plus lui être reprochés que la punition même qu'il exerce contre les coupables. Les passions des hommes qui forcent l'ordre ne sont pas des vices du gouvernement, qui les réprime; les hommes réfractaires qui déshonorent l'humanité peuvent-ils servir de prétexte pour décrier les meilleurs gouvernements ?)
Les 'abus tolérés' sont, sans doute des défauts dans un gouvernement, parce que tout abus est un mal ; mais lorsque le gouvernement qui les supporte, les condamne et ne leur accorde, par les lois, d'autre protection que celle qui est personnelle aux citoyens, il y a certainement des considérations particulières qui ne permettent pas d'employer la violence pour les extirper, surtout lorsque ces abus n'attaquent pas l'ordre civil de la société et qu'ils ne consistent que dans quelques points de morale surérogatoire ou de crédulité chimérique, qui peuvent être tolérés comme une multitude d'autres préjugés attachés à l'ignorance, et qui se bornent aux personnes mêmes qui se livrent à ces idées particulières. Telles sont, à la Chine, les 'religions intruses' que la superstition y a admises ; mais la police réprime le prétendu zèle qui tendrait à les étendre, par des actes injurieux à ceux qui restent attachés à la pureté de la religion ancienne, comprise dans la constitution du gouvernement. Cette religion simple, qui est la religion primitive de la Chine, dictée par la raison, est adoptée par toutes les autres religions particulières qui rêvèrent la loi naturelle; c'est à cette condition essentielle qu'elles sont, tolérées dans l'empire, parce, qu'elles ne donnent aucune atteinte aux lois fondamentales du gouvernement, et parce que la violence que l'on exercerait pour les extirper pourrait causer destroubles fort dangereux dans l'ordre civil.
L'une de ces religions intruses forme la secte de 'Laokuim' ; elle s'est accrue de plus en plus avec le temps et rien n'est moins étonnant. Une religion protégée par les princes et par les grands, dont elle flattait les passions ; une religion avidement adoptée par un peuple lâche et superstitieux; une religion séduisante par de faux prestiges qui triomphent de l'ignorance, qui a toujours cru aux sorciers, est une religion de tous les pays ; pouvait-elle manquer de se répandre ? Encore aujourd'hui est-il peu de personnes du peuple qui n'aient quelque foi aux ministres imposteurs de cette secte ; on les appelle pour guérir les malades et chasser les malins esprits.
On voit ces prêtres, après avoir invoqué les démons, faire paraître en l'air la ligure de leurs idoles, annoncer l'avenir et répondre à différentes questions, en faisant écrire ce qu'on veut savoir par un pinceau qui parait seul et sans être dirigé par personne. Ils font passer en revue, dans un grand vase d'eau, toutes les personnes d'une maison ; font voir, dans le même vase, tous les changements qui doivent arriver dans l'empire, et les dignités qu'ils promettent à ceux qui embrasseront leur secte. Rien n'est si commun à la Chine que les récits de ces sortes d'histoires. Mais quoique l'historien de cet empire dise pieusement qu'il n'est guère croyable que tout soit illusion, et qu'il n'y ait réellement plusieurs effets qu'on ne doive attribuer à la puissance du démon, nous sommes bien éloignes de nous rendre à cette réflexion : au contraire, les prétendus sortilèges des magiciens chinois nous causent moins de surprise que de voir un écrivain aussi éclairé que le P. Duhalde attribuer bonnement au pouvoir des diables, des choses dans lesquelles ce qu'il y a de surnaturel et de surprenant, à la Chine comme ailleurs, n'existe que dans des têtes fanatiques ou imbécile. On passera facilement au gouvernement de la Chine sa tolérance pour cette secte, car partout la défense de croire aux sorciers paraît un acte d'autorité bien ridicule.
L'autre secte de religions superstitieuses est celle des bonzes ; ils soutiennent qu'après la mort, les urnes passent en d'autres corps ; que dans l'autre vie il y a des peines et des récompenses ; que le Dieu Fo naquit pour sauver le monde et pour ramener dans la bonne voie ceux qui s'en étaient écartés ; qu'il y a cinq préceptes indispensables : 1. de ne tuer aucune créature vivante, de quelque espèce qu'elle soit ; ce précepte qui ne s'accorde pas avec la bonne chair, est mal observé par les bonzes mêmes ; 2. de ne point s'emparer du bien d'autrui ; ce précepte est de loi générale ; 3. d'éviter l'impureté ; ce n'est pas là encore un précepte particulier à cette secte, non plus que celui qui suit ; 4. de ne pas mentir ; 5. de s'abstenir de l'usage du vin. Il n'y a rien dans ces préceptes qui exige la censure du gouvernement.
Ces bonzes recommandent encore fortement de ne pas négliger de faire des oeuvres charitables, qui sont prescrites par leurs instructions. Quoique les bonzes soient intéressés à ces exhortations, elles n'ont rien que de volontaire. Traitez, bien les bonzes, répèlent-ils sans cesse : fournissez-leur tout ce qui leur est nécessaire à leur subsistance; bâtissez-leur des monastères, des temples : leurs prières, les pénitences qu'ils s'imposent, expieront vos péchés et vous mettront à l'abri des peines dont vous êtes menacés.
Ce n'est ici que la doctrine ostensible de Fo, qui ne consiste qu'en ruses et en artifices pour abuser de la crédulité des peuples. Tous ces bonzes n'ont pas d'autre vue que d'amasser de l'argent, et malgré toute la réputation qu'ils peuvent acquérir, ils ne sont qu'un amas de la plus vile populace de l'empire. Les dogmes de la doctrine secrète sont des mystères : il n'est pas donné à un peuple grossier et au commun des bonzes, d'y être initié. Pour mériter cette distinction, il faut être doué d'un génie sublime et capable de la plus haute perfection. Cette doctrine, que ses partisans vantent comme la plus excellente et la plus véritable, n'est au fond qu'un pur matérialisme ; mais comme elle ne se divulgue pas, elle reste engloutie dans ses propres ténèbres. Il y a toujours eu dans tous les royaumes du monde, des raisonneurs dont l'esprit ne s'étend pas au delà du paralogisme ou de l'argument incomplet : c'est un défaut de capacité de l'esprit, qui est commun non seulement en métaphysique, mais même dans les choses palpables, et qui s'étend jusque sur les lois humaines. Comment ces lois elles-mêmes entreprendraient-elles de le proscrire ? On ne peut lui opposer que de l'évidence développée par des esprits supérieurs.
Malgré tous les efforts des lettrés pour extirper cette secte qu'ils traitent d'hérésie, et malgré les dispositions de la cour à l'abolir dans toute I'étendue de l'empire, on l'a toujours tolérée jusqu'à présent, dans la crainte d'exciter des troubles parmi le peuple, qui est fort attaché à ses idoles (ou pagodes) ; on se contente de la condamner comme une hérésie, et tous les ans cette cérémonie se pratique à Pékin.
La secte de 'Iu-Kiau' ne tient qu'à une doctrine métaphysique sur la nature du premier principe; elle est si confuse et si remplie d'équivoques et de contradictions, qu'il est très difficile d'en concevoir le système ; elle est même devenue suspecte d'athéisme. Si l'on en croit l'historien de la Chine, cette secte ne compte que très peu de partisans : les véritables lettrés demeurent attachés aux anciens principes et sont fort éloignés de l'athéisme "Plusieurs missionnaires de différents ordres, prévenus contre la religion des Chinois furent portés à croire, dit cet écrivain, que tous les savants ne reconnaissent pour principe qu'une vertu céleste aveugle et matérielle ; ils disaient ne pouvoir porter d'autre jugement, à moins que l'empereur ne voulût bien déclarer la vraie signification des mots 'Tien' et 'Chang-ti' ; et ce qu'on entendait par ces deux termes, le maître du ciel, et non le ciel matériel."
L'empereur, les princes du sang, les mandarins de la première classe s'expliquèrent clairement, ainsi que les missionaires le demandaient. En 1710 l'empereur rendit un édit qui fut inséré dans les archives de l'empire et publié dans toutes les gazettes : il faisait entendre qu'ils invoquaient le souverain seigneur du ciel, l'autour de toutes choses ; un Dieu qui voit tout, qui gouverne l'univers avec autant de sagesse que de justice. Ce n'est point au ciel visible et matériel, portait cet édit, qu'on offre des sacrifices ; mais uniquement au seigneur, au maître de tout : on doit donner aussi le même sens à l'inscription du mot Chant-ti, qu'on lit sur les tablettes devant lesquelles on sacrifie. Si l'on n'ose donner au souverain seigneur le nom qui lui convient, c'est par un juste sentiment de respect ; et l'usage est de l'invoquer sous le nom de 'ciel suprême, bonté suprême du ciel, ciel universel', comme en parlant respectueusement de l'empereur, au lieu d'employer son propre nom, on se sert de ceux de 'marches du trône', de 'cour suprême de son palais'. Le P. Duhalde rapporte encore beaucoup de preuves qu'il tire des déclarations de l'empereur et de ses décisions en différentes occasions.
La religion du grand lama, le judaïsme, le mahométisme, le christianisme ont aussi pénétré dans la Chine : mais nos missionnaires y ont joui, auprès de plusieurs empereurs, d'une faveur si marquée qu'elle leur a attiré des ennemis puissants, qui ont fait proscrire le christianisme; il n'y est plus enseigné et professé que secrètement.
On dit qu'il y a à la Chine, outre la contribution sur les terres, quelques impôts irréguliers, comme des droits de douane et de péage en certains endroits, et une sorte d'imposition personnelle en forme de capitation. Si ces allégations ont quelque réalité, cela marquerait qu'en ce point l'Etat ne serait pas suffisamment éclairé sur ses véritaliles intérêts ; car dans un empire dont les richesses naissent du territoire, de telles impositions sont destructives de l'impôt même et des revenus de l.a nation. Cette vérité, qui se conçoit difficilement par le raisonnement, se démontre rigoureusement par le calcul.
Les effets funestes de ces impositions irrégulières, ne doivent pas au moins être fort ruineux dans cet empire, parce qu'en général l'impôt y est fort modéré, qu'il y est presque toujours dans un état fixe, et qu'il s'y lève sans frais : mais toujours est-il vrai que de telles impositions, quelque faillies qu'elles aient été jusqu'à présent, ne doivent pas moins être regardées comme le germe d'une dévastation qui pourrait éclore dans d'autres temps. Ainsi cette erreur, si elle existe, est un défaut bien réel qui se serait introduit dans ce gouvernement, mais qui ne doit pas être imputée au gouvernement même; puisque ce n'est qu'une méprise de l'administration, et non du gouvernement, car elle peut être réformée sans apporter aucun changement dans la constitution de cet empire.
L'excès de la population de la Chine y force les indigents à exercer quelquefois des actes d'inhumanité qui font horreur : néanmoins on ne doit pas non plus imputer cette calamité à la constitution même d'un bon gouvernement ; car un mauvais gouvernement qui extermine les hommes à raison de l'anéantissement des richesses qu'il cause dans un royaume, ou à raison des guerres continuelles injustes ou absurdes, suscitées pur une ambition déréglée, ou par le monopole du commerce extérieur, présente a ceux qui y font attention un spectacle bien plus horrible.
La population excède toujours les richesses dans les bons et dans les mauvais gouvernements, parce que la propagation n'a de bornes que celles de la subsistance, et qu'elle tend toujours a passer au delà : partout il y a des hommes dans l'indigence.
On dira peut-être que partout il y a aussi des richesses, et que c'est l'inégalité de la distribution de biens qui met les uns dans l'abondance et qui refuse aux autres le nécessaire ; qu'ainsi la population d'un royaume ne surpasserait pas les richesses de la nation si elles étaient plus également distribuées ; cela peut être vrai en partie dans les nations livrées brigandage des impositions déréglées ou du monopole autorisé dans le commerce et dans l'agriculture par la mauvaise administration du gouvernement; car ces desordres forment des accumulations subites de richesses qui ne se distribuent pas, et qui causent dans la circulation un vide qui ne peut être occupé que par la misère. Mais partout où les riches ont leur état fondé en propriété de biens-fonds, dont ils retirent annuellement de gros revenus qu'ils dépensent annuellement, l'indigence d'un nombre d'habitants ne peut pas être attribuée à l'inégalité de la distribution des richesses : les riches sont, il est vrai, dans l'abondance; et d'autant plus réellement dans l'abondance, qu'ils jouissent effectivement de leurs richesses ; mais ils ne peuvent en jouir qu'à l'aide des autres hommes qui profitent de leurs dépenses car les hommes ne peuvent faire de dépenses qu'au profit les uns des autres ; c'est ce qui forme cette circulation constante de richesses sur laquelle tous les habitants d'un royaume bien gouverne fondent leurs espérances. Ce n'est donc en effet que sur la mesure de ces richesses que doit être réglée celle de la population.
Pour en prévenir l'excès dans une nation bien gouvernée, il n'y a que la ressource des colonies qu'elle peut établir sous les auspices d'une bonne administration. Les peuplades qu'elle forme par l'émigration de la surabondance de ses habitants, qui sont attirés parla fertilité d'un nouveau territoire, la décharge d'une multitude d'indigents qui méritent une grande attention et une protection particulière de la part du gouvernement. Ou peut trouver à cet égard, dans l'administration du gouvernement ou dans les habitants de la Chine, un préjugé bien reprochable.
Il y a au voisinage de cet empire beaucoup d'îles fort considérables, abandonnées ou presque abandonnées, dont les Européens ont pris possession depuis assez peu de temps. Ces terres ne devaient-elles pas être d'une grande ressource pour la Chine contre l'excès de sa population ? Mais le nostratisme ou l'amour du pays est si dominant chez les Chinois, qu'ils ne peuvent se résoudre à s'expatrier; il paraît aussi qu'ils n'y sont pas déterminés par les intentions de l'administration, puisqu'elle tolère l'exposition des enfants et l'esclavage d'un nombre de sujets réduits à se porter à ces extrémités, plutôt que de fonder hors du pays des établissements qui seraient tout à l'avantage de la population et qui en éviteraient la surcharge dans le royaume. C'est manquer à un devoir que l'humanité et la religion prescrivent par des motifs bien intéressants et bien dignes de l'attention des hommes que la providence charge du gouvernement, des nations ; en remplissant ce devoir, ils rétablissent le droit des hommes sur les terres incultes ; ils étendent leur domination et la propagation du genre humain.
Les lois des Incas retardaient le mariage des filles jusqu'à l'âge de vingt ans, et celui des garçons, jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans, afin d'assurer plus longtemps aux pères et mères le service de leurs enfants et d'augmenter par ce moyen leurs richesses ; cette loi ne serait pas moins convenable à la Chine qu'elle l'était au Pérou ; car outre le motif qui avait déterminé les Incas à l'instituer, elle aurait encore à la Chine l'avantage de prévenir un excès de population, d'où résultent de funestes effets qui semblent dégrader le gouvernement de cet empire.

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Quesnay, François  (Méré bei Versailles 1694-1774 Versailles) : Arzt, Nationalökonom, Philosoph, Begründer der Physiokratenschule

Subjects

History : China : General / Philosophy : Europe : France

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# Year Bibliographical Data Type / Abbreviation Linked Data
1 1767 Quesnay, François. Le despotisme de la Chine. In : Ephémérides du citoyen. (Paris : 1767). = Quesnay, François. Oeuvres économiques et philosophiques ; accompagnées des Eloges et d'autres travaux biographiques sur Quesnay par différents auteurs. Publ. avec une introd. et des notes par Auguste Oncken ; réimpr. de l'édition Francfort 1888. (Aalen : Scientia Verlag, 1965). Publication / Ques1
  • Cited by: Handbook of christianity in China. Ed. by Nicolas Standaert. (Leiden : Brill, 2001). (Handbook of Oriental studies ; vol. 15, 1-2). (Sta, Published)