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1767.2

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Quesnay, François. Le despotisme de la Chine [ID D1850]. (2)
CHAPITRE II.
LOIS FONDAMENTALES DE L'EMPIRE.
1. Lois naturelles.
Le premier objet du culte des Chinois est l'être suprême; ils l'adorent comme le principe de tout, sous le nom de Chang-ti, qui
veut dire souverain, empereur; ou Tien, qui signifie la même chose. Suivant les interprètes chinois, Tien est l'esprit qui préside au ciel, et ils regardent le ciel comme le plus parfait ouvrage de l'auteur de la nature. Car l'aspect du ciel a toujours attiré la vénération des hommes attentifs à la beauté et à la sublimité de l'ordre naturel; c'est là où les lois immuables du créateur se manifestent le plus sensiblement ; mais ces lois ne doivent pas se l'apporter simplement à une partie de l'univers, elles sont les lois générales de toutes ses parties. Mais ce mot se prend aussi pour signifier le ciel matériel, et cette acception dépend du sujet où on l'applique. Les Chinois disent que le père est le Tien d'une famille, le vice-roi, le Tien d'une province; l'empereur, le Tien de l'empire. Ils rendent un culte inférieur à des esprits subordonnés au premier être et qui suivant eux président aux villes, aux rivières, aux montagnes.
Tous les livres canoniques et surtout celui appelé Chu King, nous représentent le 'Tien' comme le créateur de tout ce qui existe, le père des peuples ; c'est un être indépendant qui peut tout, qui connaît jusqu'aux plus profonds secrets de nos coeurs ; c'est lui qui régit l'univers, qui prévoit, recule, avance et détermine à son gré tous les évènements d'ici-bas ; sa sainteté égale sa toute-puissance, et sa justice sa souveraine bonté ; rien dans les hommes ne le touche que la vertu ; le pauvre sous le chaume, le roi sur un trône qu'il renverse à son gré, éprouvent également son équité et reçoivent la punition due à leurs crimes. Les calamités publiques sont des avertissements qu'il emploie pour exiter les hommes à l'amour de l'honnêteté ; mais sa miséricorde, sa clémence surpassent sa sévérité, la plus sûre voie d'éloigner son indignation, c'est de réformer de mauvaises moeurs. Ils l'appellent le père, le seigneur ; et ils assurent que tout culte extérieur ne peut plaire au 'Tien' s'il ne part du coeur et s'il n'est animé par des sentiments intérieurs.
Il est dit encore dans ces mêmes livres que le Chang-ti est infiniment éclairé, qu'il s'est servi de nos parents pour nous transmettre, par le mélange du sang, ce qu'il y a en nous d'animal et de matériel ; mais qu'il nous a donné lui-même une âme intelligente et capapble de penser, qui nous distingue des bêtes ; qu'il aime tellement la vertu que, pour lui offrir des sacrifices, il ne suffit pas que l'empereur, à qui appartient cette fonction, joigne le sacerdoce à la royauté ; qu'il faut de plus qu'il soit vertueux et pénitent ; qu'avant le sacrifice, il ait expié ses fautes par le jeûne et les larmes ; que nous ne pouvons atteindre à la hauteur des pensée et des conseils de cet être sublime ; qu'on ne doit pas croire néanmoins qu'il soit trop élevé pour penser aux choses d'ici-bas ; qu'il examine par lui-même toutes nos actions et que son tribunal, pour nous juger, est établi au fond de nos consciences.
Les empereurs ont toujours regardé comme une de leurs principales obligations, celle d'observer les rites primitifs et d'en remplir les fonctions. Comme chefs de la nation, ils sont empereurs pour gouverner, maîtres pour instruire et prêtres pour sacrifier.
L'empereur, est-il dit dans leurs livres canoniques, est le seul à qui il soit permis de rendre au Chang-ti un culte solennel ; le Chang-ti l'a adopté pour son fils ; c'est le principal héritier de sa grandeurs sur la terre, il l'arme de son autorité, le charge de ses ordres et le comble de ses bienfaits.
Pour sacrifier au maître de l'univers, il ne faut pas moins que la personne la plus élevée de l'empire. Que le souverain descende de son trône ! qu'il s'humilie en la présence du Chang-ti ! qu'il attire ainsi les bénédictions du ciel sur son peuple ! c'est le premier de ses devoirs.
Aussi est-il difficile de décrire avec quelle ardeur ces empereurs se livrent à leur zèle pour le culte et les sacrifices ; quelle idée ils se sont formée de la justice et de la bonté du maître des souverains. Dans des temps de calamités, offir des sacrifices au 'Tien' lui adresser des voeux, ce n'est pas les seuls moyens qu'ils emploient pour exciter sa miséricorde ; ils s'appliquent encore à rechercher avec soin les défauts secrets, les vices cachés qui ont pu attirer ce châtiment.
En 1725 il y eut une inondaton terrible, causée par le débordement d'un grand fleuve ; les mandarins supérieurs ne manquèrent pas d'attribuer la cause de ce malheur à la négligence des mandarins subalternes. "Ne jetez pas cette faute sur les mandarins, répondit le souverain, c'est moi qui suis coupable ; ces alamités affligent mon peuple parce que je manque des vertus que je devrais avoir. Pensons à nous corriger de nos défauts et à remédier à l'inondation ; à l'égard des mandarins que vous accusez, je leur pardonne ; je n'accuse que moi-même de mon peu de vertu."
Le P. Lecomte cite un exemple si frappant du respect religieux d'un de ces empereurs, que nous croyons faire plaisir de le rapporter ; il dit l'avoir tiré de l'histoire des Chinois.
Depuis sept années consécutives, une affreuse extrémité tenait le peuple dans l'accablement ; prières, jeûnes, pénitences, tout avait été employé inutilement ; l'empereur ne savait plus par quel moyen il pourrait terminer la misère publique et arrêter la colère du souverain de l'univers. Son amour pour son peuple lui suggéra de s'offrir lui-même pour victime. Rempli de ce généreux dessein, il assemble tous les grands de l'empire ; il se dépouille en leur présence de ses habits royaux et se revêt d'un habit de paille ; puis les pieds et la tête nus, il s'avance avec toute la cour jusqu'à une montagne éloignée de la ville ; c'est alors qu'après s'être prosterné neuf fois jusqu'à terre, il adressa ce discours à l'être suprême : "Seigneur, vous n'ignorez pas les misères où nous sommes réduits, ce sont mes péchés qui les ont attirées sur mon peuple et je viens ici pour vous en faire un humble aveu à la face du ciel et de la terre ; pour être mieux en état de me corriger, permettez mois, SOUVERAIN MAÎTRE DU MONDE, de vous demander ce qui vous a particulièrement déplu en ma personne; est-ce la magnificence de mon palais, j'aurai soin d'en retrancher. Peut-être que l'abondance des mets et la délicatesse de ma table ont attiré la disette? dorénavant on n'y verra que frugalité, que tempérance. Que si tout cela ne suffit pas pour apaiser votre juste colore et qu'il vous faille une victime: me voici, SEIGNEUR, et je consens de bon coeur à mourir, pourvu que vous épargniez ces bons peuples. Que la pluie tombe sur leurs campagnes pour soulager leurs besoins, et la foudre sur ma tête, pour satisfaire à votre justice."
Cette piété du prince, dit notre missionnaire, toucha le ciel. L'air se chargea de nuages et une pluie universelle procura, dans le temps, une abondante récolte dans tout l'empire. Que l'évènement soit naturel ou miraculeux, cela n'exige pas de discussion ; notre but est seulement de prouver quelle est la religion des empereurs de la Chine et leur amour pour leurs sujets; nous ne pouvons douter que ce trait n'ait bien secondé nos intentions.
Le culte et les sacrifices à un être suprême se perpétuèrent durant plusieurs siècles sans être infectés d'aucune idolâtrie (qui est toujours proscrite par les lois) ; et le zèle des empereurs est toujours le même; ils ont voulu cultiver de leurs propres mains un champ dont le blé, le riz et les autres productions sont aussi offertes en sacrifices.
Magalhens, jésuite, observe que les Chinois ont quatre principaux jeunes, qui répondent aux quatre saisons de l'année. Ces pénitences nationales durent trois jours avant les sacrifices solennels. Lorsqu'on veut implorer la faveur du ciel dans les temps de peste, de famine, dans les tremblements de terre, les inondations extraordinaires et dans toutes les autres calamités publiques, les mandarins vivent séparément de leurs femmes, passent la nuit et le jour à leurs tribunaux, s'abstiennent de la viande et du vin, etc.; l'empereur même garde la solitude dans son palais.
Quelques princes feudataires voulurent porter atteinte à cette religion et déranger ce beau système de subordination, établi par les premiers rois. Ils suggérèrent aux peuples la crainte des esprits, en les effrayant par des prestiges et par des moyens surnaturels en apparence. Les maisons se trouvèrent infectées de malins esprits. La populace, toujours superstitieuse, se trouvant assemblée pour les sacrifices solennels à Chang-ti, demandait qu'on en offrit aux esprits ; les temples retentissaient de ses clameurs; c'était là le germe d'une idolâtrie pernicieuse. Il fut étouffé par l'empereur, en exterminant les fauteurs de ce tumulte qui étaient au nombre de neuf, et l'ordre fut rétabli. Ce fut ce même empereur qui, réfléchissant sur l'inconvénient qu'il y avait à rassembler un peuple oisif et turbulent dans le lieu même où se faisaient les sacrifices solennels, sépara l'endroit destiné aux cérémonies des sacrifices, de celui qui servait aux instructions. Il établit en même temps deux grands mandarins pour présider au culte religieux. L'un eut la direction du cérémonial, l'autre veillait à l'instruction du peuple.
Pour ce qui est de la doctrine sur l'immortalité de l'âme, elle est peu développée dans les livres canoniques. Ils placent bien l'âme des hommes vertueux auprès du Chang-ti; mais ils ne s'expliquent pas clairement sur les châtiments éternels dans une autre vie. Ils reconnaissent la justice divine sur ce point, sans en pénétrer les jugements. De même, quoi qu'ils assurent que l'être suprême a créé tout de rien, on ne sait s'ils entendent une véritable action sur le néant, ou une production précédée du néant. Ces subtilités théologiques ne peuvent guère se démêler par les lumières de la raison qui les a guidés dans cette doctrine. Cependant, dit le P. Duhalde, il est constant qu'ils croient l'existence de l'âme après la mort et qu'ils n'ont pas avancé, comme certains philosophes grecs, que la matière, dont les êtres corporels sont composés, est éternelle.
Il est à remarquer que pendant plus de deux mille ans la nation chinoise a reconnu, respecté et honoré un être suprême, le souverain maître de l'univers, sous le nom de Chang-ti, sans qu'on y aperçoive aucuns vestiges d'idolâtrie. Ce n'est que quelques siècles après Confucius que la statue de Fo fut apportée des Indes et que les idolâtres commencèrent à infecter l'empire. Mais les lettrés, inviolablement attachés à la doctrine de leurs ancêtres, n'ont jamais reçu les atteintes de la contagion. On doit convenir aussi que ce qui a beaucoup contribué à maintenir à la Chine le culte des premiers temps, c'est l'établissement d'un tribunal souverain, presque aussi ancien que l'empire, et dont le pouvoir s'étend à condamner et réprimer les superstitions dont il peut découvrir les sources. Cette cour souveraine s'appelle le tribunal des rites.
Tous les missionnaires qui ont vu les décrets de ce tribunal s'accordent à dire que quoique les membres qui le composent exercent quelquefois, dans le particulier, différentes pratiques superstitieuses, lorsqu'ils sont assemblés en corps pour leurs délibérations communes ils n'avaient qu'une voix pour les condamner.
Par cette sévérité, les Chinois lettrés se sont préservés de cette stupide superstition qui règne dans le reste du peuple et qui a fait admettre au rang des divinités les héros du pays. S'ils ont marqué du respect et de la vénération pour leurs plus grands empereurs, ils ne leur ont jamais rendu de culte. Le souverain être est le seul qui ait eu part à leurs adorations. Des hommes recommandables par leurs vertus, par des services signalés, exigeaient sans doute, des tributs de reconnaissance ; ils les ont payés en leur mémoire, en gravant avec un court éloge les noms de ces mortels respectables sur des tablettes suspendues en leur honneur dans des temples ; mais jamais ils n'ont cherché à les représenter par des statues ou des images ressemblantes, qui les auraient pu conduire à l'idolâtrie.

2. Livres sacrés ou canonique du premier ordre.
Ces livres sont au nombre de cinq.
Le premier se nomme I-ching ou Livre des Transmutations. Ce livre antique et regardé comme mystérieux, avait beaucoup exercé la sagacité des Chinois et particulièrement de deux empereurs qui avaient entrepris de l'éclaircir, en le commentant ; mais leurs efforts furent sans succès. L'obscurité des commentaires n'avait fait qu'ajouter à celle du texte. Confucius débrouilla les lignes énigmatiques de l'I-ching et les ouvrages des commentateurs; il crut y reconnaître des mystères d'une grande importance pour le gouvernement des Etats, et il en tira d'excellentes instructions de politique et de morale, qui sont, depuis son temps, la base de la science chinoise. Les lettrés ont la plus haute estime pour ce livre ; et Fo-hi, qu'ils regardent comme son auteur, passe pour le père des sciences et d'un bon gouvernement.
Le second des cinq livres canoniques s'appelle Chu-kin ou Chang-chou : c'est-à-dire livre qui parle des anciens temps. Il contient l'histoire d'Y-ao, de Chun et d'Yu, qui passent pour les législateurs et les premiers héros de la Chine. Cette histoire, dont l'authenticité est bien reconnue par tous les savants de la Chine depuis Confucius, renferme aussi d'excellents préceptes et de bons règlements pour l'utilité publique.
Le troisième qu'on nomme Chi-King, est une collection d'odes, de cantiques et de différentes poésies saintes.
La quatrième qui porte le nom de Chun-tsy-u, n'est pas aussi ancien que les trois premiers ; il est purement historique et paraît être une continuation du Chu-King.
Le cinquième, appelé Li-King, est le dernier des livres canoniques ou classiques, il renferme les ouvrages de plusieurs disciples de Confucius et divers autres écrivains qui ont traité des rites, des usages, du devoir des enfants envers leurs pères et mères, de celui des femmes envers leurs maris, des honneurs funèbres et de tout ce qui a rapport à la société : ces cinq livres sont compris sous le nom de l'U-King.

3. Livres canoniques du second ordre.
A ces livres sacrés les Chinois joignent encore les livres canoniques du second ordre, qui ont beaucoup d'autorité parmi eux ; ils sont au nombre de six, dont cinq sont l'ouvrage de Confucius ou de ses disciples.
Le premier porte le nom de Tay-hia ou grande science, parce qu'il est destiné à l'instruction des princes dans toutes les parties du gouvernement.
Le second se nomme Chang-yong ou de l'ordre immuable. Confucius y traite du medium (ou milieu entre les passions et les besoins à satisfaire) que l'on doit observer en tout ; il fait voir qu'il en résulte de grands avantages et que c'est proprement en quoi consiste la vertu.
Le troisième, appelé Lun-y-u ou le Livre des sentences, est divisé en vingt articles, dont dix renferment des questions des disciples de Confucius à ce philosophe et les dix autres contiennent les réponses. Toutes roulent sur les vertus, les bonnes oeuvres et l'art de bien gouverner : cette collection est remplie de maximes et de sentences morales, qui surpassent celles des sept sages de la Grèce.
Le quatrième du second ordre est du docteur Mencius, disciple de Confucius, et il en porte le nom. Cet ouvrage, en forme de dialogue, traite presqu'uniquement de la bonne administration dans le gouvernement et des moyens de l'établir.
Le cinquième, intitulé Kiang-Kiang, ou du respect filial, est un petit volume de Confucius; il regarde le respect filial comme le plus important de tous les devoirs et la première des vertus ; cependant il y reconnaît que les enfants ne doivent point obéir aux pères, ni les ministres aux princes, en ce qui blesse la justice ou la civilité.
Le sixième et dernier livre canonique est le plus moderne ; il est du docteur Chut-hi qui l'a donné en 1150 ; son titre est Si-auhya, c'est-à-dire l'Ecole des enfants ; c'est un recueil de maximes et d'exemples, où l'auteur se propose de réformer les maximes de la jeunesse et de lui inspirer la pratique de la vertu.
Il faut observer que les Chinois ne distinguent point la morale de la politique ; l'art de bien vivre est, suivant eux, l'art de bien gouverner, et ces deux sciences n'en font qu'une.

4. Sciences des Chinois.
Quoique les Chinois aient beaucoup de goût pour les sciences, et d'excellentes facultés pour réussir dans tous les genres de littératures, ils n'ont fait que peu de progrès dans les sciences de pure spéculation, parce qu'elles ne sont pas animées par des récompenses ; ils ont cependant de l'astronomie, de la géographie, de la philosophie naturelle et de la physique les notions que la pratique des affaires peut exiger ; leur étude principale se tourne vers les sciences plus utiles : la grammaire, l'histoire et les lois du pays, la morale, la politique semblent être plus immédiatement nécessaires à la conduite de l'homme et au bien de la société. Si dans ce pays où les sciences spéculatives ont fait peu de progrès, celles du droit naturel y sont à leur plus haut degré de perfection, et si, dans d'autres pays, les premières y sont fort cultivées et les dernières fort négligées, il paraîtrait que les unes ne conduisent pas aux autres : mais ce serait une erreur ; les vérités s'éclairent réciproquement et on trouve partout, où ces différentes sciences ne sont pas également, bien cultivées, des défauts contraires au bon ordre ; à la Chine, où les sciences spéculatives sont négligées, les hommes y sont trop livrés à la superstition. Dans les autres pays, où l'on s'applique peu à l'étude des sciences du droit naturel, les gouvernements sont déplorables ; c'est ce qui a fait donner à la Chine la préférence à ces dernières : c'est aussi dans cette vue que, pour exciter l'émulation des jeunes gens, les honneurs et l'élévation sont des recompenses destinées a ceux qui s'appliquent à cette étude.
A l'égard de l'histoire, c'est une partie de littérature qui a été cultivée à la Chine, dans tous les temps, avec une ardeur sans pareille ; il est peu de nations qui ait apporté tant de soins a écrire ses annales, et qui conserve plus précieusement ses monuments historiques. Chaque ville a ses écrivains chargés de composer son histoire : elle ne comprend pas seulement les événements les plus remarquables, tels que des révolutions, des guerres, des successions au trône, mais encore les observations sur les grands hommes contemporains, l'éloge de ceux qui se sont distingués soit dans les arts, les sciences, soit par leurs vertus ; on n'y oublie pas non plus les faits extraordinaires, tels que les monstres et les phénomènes. Tous les ans les mandarins s'assemblent pour examiner les annales. Si l'ignorance ou l'adulation y ont introduit la partialité, ils font rentrer la vérité dans tous ses droits.
C'est à dessein d'obvier à tous ces inconvénients, si communs parmi nos historiens, que les Chinois ont la précaution de choisir certain nombre de docteurs d'une probité reconnut pour écrire l'histoire générale de l'empire. D'autres lettrés ont l'emploi d'observer tous les discours et toutes les actions de l'empereur, de les écrire chacun en particulier, jour par jour, avec défense de se communiquer leur travail. Ces historiographes doivent faire mention du mal comme du bien : on n'ouvre jamais la botte où sont ces mémoires pendant la vie du monarque, ni même tandis que sa famille est sur le trône; mais lorsque la couronne passe dans une autre maison, on rassemble les mémoires d'une longue suite d'années, on les compare soigneusement pour en vérifier les faits, puis l'on en compose les annales de chaque siècle.
L'art de l'imprimerie, qui est fort moderne en Europe, est connu de temps immémorial a la Chine ; plusieurs missionnaires rapportent qu'il était en usage 600 ans avant Jésus-Christ ; mais la méthode chinoise est bien différente de la nôtre : l'alphabet ne consistant qu'en un petit nombre de lettres, dont l'assemblage et la combinaison forment des mots, il suffit d'avoir un grand nombre de ces lettres pour composer les plus gros volumes, puisque, d'un bout à l'autre, ce ne sont que les 24 lettres de l'alphabet multipliées, répétées et placées diversement ; au contraire, à la Chine le nombre des caractères étant presque infini, le génie de la langue ne rendant pas d'un usage commun les mêmes caractères, il aurait été fort dispendieux et sans doute peu avantageux d'en fondre 80'000 ; c'est ce qui a donné lieu à une autre manière pour l'impression ; voici en quoi elle consiste : on fait transcrire, par un excellent écrivain, l'ouvrage qu'on veut faire imprimer ; le graveur colle cette copie sur une planche de bois dur, bien poli, avec un burin il suit les traits de l'écriture et abat tout le reste du bois sur lequel il n'y a rien de tracé ; ainsi il grave autant de planches qu'il y a de pages à imprimer ; cette opération se fait avec tant d'exactitude qu'on aurait de la peine à distinguer la copie de l'original.
Dans les affaires pressées, on emploie une autre façon d'imprimer ; on couvre une planche de cire, et avec un poinçon on trace les caractères d'une vitesse surprenante ; et un homme seul peut imprimer 2000 feuilles par jour.

5. Instruction.
II n'y a point de ville, de bourg, de village où il n'y ait des maîtres pour instruire la jeunesse, lui apprendre a lire et à écrire ; toutes les villes considérables ont des collèges ou des salles où l'on prend, comme en Europe, les degrés de licencié, de maître ès-arts ; celui de docteur ne se prend qu'à Pékin : ce sont ces deux dernières classes qui fournissent les magistrats et tous les officiers civils.
Les jeunes Chinois commencent à apprendre aux écoles dès l'âge de cinq ou six ans ; leur alphabet consiste en une centaine de caractères qui expriment les choses les plus communes, telles que le soleil, la lune, l'homme, etc., avec, les figures des choses mêmes : cette espèce, de bureau typographique sert beaucoup a éveiller leur attention et à leur fixer la mémoire.
On leur donne ensuite à étudier un petit livre nommé San-tse-king qui contient en abrégé tout ce que l'on doit apprendre; il est composé de plusieurs sentences fort, courtes, de trois caractères, et rangées en rimes. Quoiqu'elles soient au nombre de plusieurs mille, le jeune écolier est obligé de les savoir toutes : d'abord il en apprend cinq ou six par jour, ensuite il augmente par degrés à mesure que sa mémoire se fortifie. Il doit rendre compte deux fois par jour de ce qu'il a appris, s'il manque plusieurs fois à sa leçon, la punition suit aussitôt la faute, on le fait coucher sur un banc et il reçoit sur son caleçon dix ou douze coups d'un bâton plat comme une latte; il n'y a point de congés qui interrompent les études des écoliers, on exige d'eux une application si constante qu'ils n'ont de vacance qu'un mois au commencement et cinq ou six jours au milieu de l'année. On voit que dans ces petites écoles il ne s'agit pas simplement, comme chez nous, de montrer à lire et à écrire, on y joint en même temps l'instruction qui donne un vrai savoir.
Lorsqu'ils en sont venus à étudier les Tsée chu, ce sont quatre livres qui renferment la doctrine de Confucius et de Mencius, on ne leur permet pas d'en lire d'autres qu'ils ne les sachent exactement par coeur. En même temps qu'ils étudient ces livres, on leur apprenti à former leurs lettres avec le pinceau ; on leur donne d'abord sur de grandes feuilles des lettres fort grosses et écrites en rouge qu'ils sont obligés de couvrir d'encre noire ; après ces premiers éléments, viennent des caractères plus petits qui sont noirs ; ils calquent ceux-ci sur une feuille de papier blanc à travers un transparent ; on prend grand soin de leur donner de bons principes d'écriture, parce que l'art de bien peindre les lettres est fort estimé chez les Chinois. Les écoliers connaissent-ils assez de caractères pour la composition ? On leur donne une matière à amplifier ; c'est ordinairement une sentence des livres classiques, quelquefois ce sujet n'est qu'un simple caractère dont il faut deviner le sens ; le style de cette composition doit être concis et serré. Pour s'assurer du progrès des écoliers, l'usage dans quelques provinces est d'assembler tous ceux d'une même famille dans une salle commune de leurs ancêtres et de les faire composer ; là, chaque chef de maison leur donne à son tour un sujet et leur fait préparer un dîner ; si quelqu'écolier s'absente sans raison, ses parents sont obligés de payer vingt sols.
Outre les soins particuliers et libres à chaque famille, les jeunes gens sont obligés à des compositions deux fois par an, au printemps et en hiver, devant le maître d'école. Ces deux examens sont encore, quelquefois, suivis de plusieurs autres que font les mandarins, les lettrés ou les gouverneurs des villes qui donnent, à ceux qui ont le mieux réussi, des récompenses arbitraires.
Les personnes aisées ont, pour leurs enfants, des précepteurs qui sont licenciés ou docteurs. Ceux-ci ne donnent pas seulement à leurs élèves les premiers éléments des lettres, mais ils leur enseignent encore les règles de la civilité, l'histoire et les lois. Ces emplois de précepteurs sont également honorables et lucratifs. Ils sont traités des parents des enfants avec beaucoup de distinctions ; partout on leur donne la première place. 'Sien-sieng, notre maître, notre docteur', c'est le nom qu'on leur donne. Leurs disciples, surtout, conservent pour eux, toute leur vie, la plus profonde vénération.
L'instruction du peuple est d'ailleurs une des fonctions principales des mandarins. Le premier et le quinze de chaque mois, tous les mandarins d'un endroit s'assemblent, en cérémonie, et un d'eux prononce devant le peuple un discours dont le sujet roule toujours sur la bonté paternelle, sur l'obéissance filiale, sur la déférence qui est due aux magistrats, sur tout ce qui peut entretenir la paix et l'union.
L'empereur lui-même fait assembler, de temps en temps, les grands seigneurs de la cour et les premiers mandarins des tribunaux de Pékin pour leur faire une instruction dont le sujet est tiré des livres canoniques (Histoire générale dex voyages).
L'instruction que les mandarins doivent donner au peuple, deux fois par mois, est ordonnée par une loi de l'empire, ainsi que les seize articles sur lesquels cette instruction doit s'étendre.
1. Recommander soigneusement les devoirs de la piété filiale et la déférence que les cadets doivent à leurs aînés, pour apprendre aux jeunes gens combien ils doivent respecter les lois essentielles de la nature.
2. Recommander de conserver toujours dans les familles un souvenir respectueux de leurs ancêtres, comme un moyen d'y faire, régner la paix et la concorde.
3. D'entretenir l'union dans tous les villages pour y éviter les querelles et les procès.
4. De faire estimer beaucoup la profession du labour et de ceux qui cultivent les mûriers, parce qu'alors on ne manquera ni de grains pour se nourrir, ni d'habits pour se vêtir.
5. De s'accoutumer à l'économie, à la frugalité, à la tempérance, à la modestie; ce sont les moyens par lesquels chacun peut maintenir sa conduite et ses affaires dans un bon ordre.
6. D'encourager par toutes sortes de voies les écoles publiques, afin que les jeunes gens y puisent les bons principes de morale.
7. De s'appliquer totalement, chacun à ses propres affaires, comme un moyen infaillible pour entretenir la paix de l'esprit e du coeur.
8. D'étouffer les sectes et les erreurs dans leur naissance, afin de conserver dans toute sa pureté la vraie et la solide doctrine.
9. D'inculquer au peuple les lois pénales établies, pour éviter qu'il ne devienne indocile et revêche à l'égard du devoir.
10. D'instruire parfaitement tout le monde dans les régles de la civilité et de la bienséance, dans la vue d'entretenir les bons usages et la douceur de la société.
11. D'apporter toutes sortes de soins à donner une bonne éducation à ses enfants et à ses jeunes frères, afin de les empêcher de se livrer au vice et de suivre le torrent des passions.
12. De s'abstenir de la médisance, pour ne pas s'attirer des ennemis et pour éviter le scandale qui peut déranger l'innocence et la vertu.
13. De ne pas donner d'asile aux coupables, afin de ne pas se trouver enveloppé dans leurs châtiments.
14. De payer exactement les contributions établies, pour se garantir des recherches et des vexations des receveurs.
15. D'agir de concert avec les chefs de quartier dans chaque ville, pour prévenir les vols et la fuite des voleurs.
16. De réprimer les mouvements de colère, comme un moyen de se mettre à couvert d'une infinité de dangers.
L'obligation de satisfaire soigneusement à ces instructions est d'autant plus essentielle aux mandarins, qu'ils sont responsables de certains crimes qui peuvent se commettre dans leur territoire. S'il arrive un vol ou un meurtre dans une ville, le mandarin doit découvrir le voleur ou le meurtrier, sous peine de perdre son emploi.
La gazette du gouvernement intérieur de l'empire est encore, pour le public, une instruction historique journalière, qui lui présente des exemples de tous genres qui inspirent de la vénération pour la vertu, de l'amour pour le souverain, et de l'horreur pour le vice; elle étend les connaissances du peuple sur l'ordre, sur les actes de justice, sur la vigilance du gouvernement. On y lit le nom des mandarins destitués et les raisons de leurs disgrâces ; l'un était trop dur, l'autre trop indulgent, un autre trop négligent, un autre manquait de lumière. Cette gazette fait aussi mention des pensions accordées ou retranchées, etc. Elle rapporte, avec la plus grande vérité, les jugements des tribunaux; les calamités arrivées dans les provinces, les secours qu'ont donnés les mandarins du lieu par les ordres de l'empereur. L'extrait des dépenses ordinaires et extraordinaires du prince; les remontrances que les tribunaux supérieurs lui font sur sa conduite et sur ses décisions; les éloges que l'empereur donne à ses ministres ou les réprimandes qu'il leur fait y sont renfermées. En un mot, elle contient un détail fidèle et circonstancié de toutes les affaires de l'empire. Elle s'imprime chaque jour a Pékin, et se répand dans toutes les provinces de l'empire; elle forme une brochure de soixante-dix pages et ne comprend rien de ce qui se passe au dehors de l'empire. Ceux qui sont charges de la composer doivent toujours la présenter a l'empereur avant que de la rendre publique, mais il leur est défendu très sévèrement d'y ajouter, de leur chef, la moindre circonstance équivoque ou les réflexions les plus légères. En 1726, deux écrivains furent condamnés à mort pour y avoir inséré des faits qui se trouvèrent faux. (Mélanges intéressant et curieux)
C'est ainsi qu'à la Chine les livres qui renferment les lois fondamentales de l'Etat sont dans les mains de tout le monde ; l'empereur doit s'y conformer. En vain un empereur voulut-il les abolir, ils triomphèrent de la tyrannie.

6. Etudes des lettrés.
A peine les jeunes Chinois ont-ils achevé leurs premières études, que ceux qui tendent à de plus hautes connaissances commençent un cours de la science, qui les met à portée de parvenir aux grades académiques et d'entrer dans la classe respectable des lettrés. Tous ceux qui ne prennent pas ces grades ne jouissent d'aucune distinction; ils sont confondus parmi le reste du peuple, exclus de tous les emplois de l'Etat.
On distingue trois classes de lettrés qui répondent aux trois différents grades que prennent les savants. Pour y parvenir les aspirants sont obligés de soutenir plusieurs examens : ils subissent le premier devant le président de la juridiction où ils sont nés.
L'office du Hio-tao l'oblige de visiter tous les trois ans la province; il assemble en chaque ville du premier rang tous les bacheliers qui en dépendent ; il fait des informations sur leur conduite, examine leurs compositions, récompense les progrès et l'habileté, punit la négligence et l'inapplication. Un gradué qui ne se trouve pas à cet examen triennal, est privé de son titre et rentre dans la classe du peuple, à moins qu'il n'ait pour s'en dispenser des raisons de maladie ou du deuil de son père ou de sa mère.
Pour monter au second degré, qui est celui de licencié, il faut subir un examen qui ne se fait qu'une fois tous les trois ans dans la capitale de chaque royaume.
La cour envoie exprès deux mandarins pour présider à cet examen auquel assistent aussi les grands officiers de la province; tous les bacheliers sont obligés de s'y rendre; quelquefois ils se trouvent au nombre de dix mille, mais dans ce nombre il n'y en a guère qu'une soixantaine d'élevés au degré de licencié; leur robe est brunâtre avec une bordure bleue de quatre doigts, l'oiseau du bonnet est doré.
Le licencié doit se rendre l'année suivante à Pékin pour concourir au doctorat ; c'est l'empereur qui fait les frais de leur voyage ; ceux qui bornent leur ambition à ce titre de licencié peuvent se dispenser de se rendre à Pékin et cela n'empêche pas qu'ils ne puissent être pourvus de quelque emploi ; quelquefois l'ancienneté seul du titre mène naturellement aux premières places. On a vu des fils d'artisans devenir vice-rois par cette voie ; mais dès qu'ils sont parvenus à quelque office public, ils renoncent au degré de docteur.
Tous les licenciés qui n'ont pas d'emploi sont obligés de se rendre à Pékin pour l'examen triennal, qu'on appelle l'examen impérial ; c'est l'empereur même qui donne le sujet de la composition ; l'attention qu'il apporte à cet examen, en se faisant rendre un compte exact du travail, le fait regarder comme le seul juge. L'assemblée est quelquefois composée de cinq ou six mille aspirants, desquels on n'en élève que cent cinquante au doctorat.
Les trois premiers portent le nom de Tien-tse Men-seng ; c'est-à-dire les disciples du ciel. Parmi les autres, l'empereur en choisit un certain nombre auxquels il donne le titre de Hau-lin ; c'est-à-dire docteur du premier ordre. Ils composent un tribunal particulier, qui est dans le palais, et leurs fonctions sont très honorables. Ils sont chargés d'écrire l'histoire, et l'empereur les consulte dans les affaires importantes ; c'est de leur corps qu'on tire les censeurs qu'on envoie dans les provinces pour examiner les aspirants aux degrés de bacheliers et licenciés. Les autres docteurs s'appellent Tsin-sée. L'empereur fait présent a chacun des nouveaux docteurs d'une écuelle d'argent, d'un parasol de soie bleue, d'une chaise à porteur magnifique.
Parvenu au glorieux titre de docteur, un Chinois n'a plus à redouter l'indigence; ce titre est pour lui un établissement solide. Outre qu'il reçoit une infinité de présents de ses parents et amis, il est sur d'être employé dans les offices les plus importants de l'Etat, et sa protection est recherchée de tout le monde. Sa famille, ses amis, ne manquent pas d'ériger en son honneur de beaux arcs de triomphe, sur lesquels ils gravent son nom et l'année où il a été élevé au rang de docteur.

7. La propriété des biens.
La propriété des biens est très assurée à la Chine; on a vu ci-devant que le droit de propriété s'étend jusqu'aux esclaves ou domestiquée engagés, et dans tout l'empire les enfant héritent des biens de leurs pères et de leurs parents, selon l'ordre naturel du droit de succession. Il y a à la Chine, à l'égard de la pluralité des femmes, un usage assez conforme à celui des patriarches avant la captivité des Hébreux en Egypte. (Mélanges intéressants et curieux.)
Quoique, suivant les lois, les Chinois ne puissent avoir qu'une femme légitime, et que dans le choix que l'on en fait, on ait égard à l'égalité du rang et à l'âge, il est néanmoins permis d'avoir plusieurs concubines ; mais ce n'est qu'une tolérance, dans la vue de ne pas mourir sans postérité. La loi n'accorde cette liberté qu'à ceux dont la femme est parvenue à l'âge de quarante ans sans avoir d'enfants.
Lorsqu'un mari veut prendre une seconde femme, il paye une somme convenue avec les parents de la famille, et leur promet par écrit d'en bien user avec elle. Ces secondes femmes dépendent absolument de l'épouse légitime et doivent la respecter comme la maîtresse de la maison ; leurs enfants sont censés appartenir à la première, qui seule porte le nom de mère; ils ont droit dans ce même cas de pure tolérance, à la succession du père avec les enfants de la femme légitime, s'il en survenait, ce qui marque l'étendue du droit de succession et la sûreté du droit de propriété dans cet empire.

8. L'agriculture.
Le menu peuple de la Chine ne vivant presque que de grains, d'herbes, de légumes, en aucun endroit du monde les jardins potagers ne sont ni plus communs, ni mieux cultivés. Point de terres incultes près des villes, point d'arbres, de haies, de fossés; on craindrait de rendre inutile le plus petit morceau de terrain.
Dans les provinces méridionales, les terres ne reposent jamais, les collines, les montagnes mêmes sont cultivées depuis la base jusqu'au sommet ; rien de plus admirable qu'une longue suite d'éminenccs entourées et comme couronnées de cent terrasses qui se surmontent les unes les autres en rétrécissant on voit avec surprise des montagnes qui ailleurs produiraient à peine des ronces ou des buissons, devenir ici une image riante de fertilité. (Histoire générale des voyages).
Les terres rapportent généralement trois moissons tous les ans, la première de riz, la seconde de ce qui se sème avant que le riz soit moissonné, et la troisième de fèves ou de quelqu'autres grains. Les Chinois n'épargnent aucuns soins pour ramasser toutes les sortes d'immondices propres à fertiliser leurs terres, ce qui d'ailleurs sert beaucoup à l'entretien de la propreté des villes.
Tous les grains que nous connaissons en Europe, tels que le froment, le riz, l'avoine, le millet, les pois, les fèves, viennent bien à la Chine.
L'usage est que le propriétaire de la terre prend la moitié de la récolte, et qu'il paye les taxes; l'autre moitié reste au laboureur pour ses frais et son travail. Les terres n'étant pas chargées de la redevance de la dîme ecclésiastique dans ces pays-là, la portion du laboureur se trouve à peu près dans la même proportion que dans ce pays-ci pour les fermiers, dans les provinces ou les terres sont bien cultivées.
Les laboureurs sont à la Chine au-dessus des marchands et des artisans.
Il y a quelque royaume en Europe où l'on n'a pas encore senti l'importance de l'agriculture ni des richesses nécessaires pour les entreprises de la culture, qui ne peut être soutenue que par des habitants notables par leur capacité et par leurs richesses; en ce pays l'on regarde les laboureurs comme des simples paysans, manouvriers, et l'on a fixé leur rang au dessous du bas peuple des villes. (Voyez les lois civiles de Domat, vous connaîtrez quel est ce royaume et quelle idée on y a des lois fondamentales des sociétés.)
Au contraire l'agriculture a toujours été en vénération à la Chine, et ceux qui la professent ont toujours mérité l'attention particulière des empereurs; nous ne nous étendrons pas ici sur le détail des prérogatives que ces princes leur ont accordées dans tous les temps.
Le successeur de l'empereur Lang-hi a surtout fait des règlements très favorables pour exciter l'émulation des laboureurs. Outre qu'il a donné lui-même l'exemple du travail en labourant la terre et en y semant cinq sortes de grains, il a encore ordonné aux gouverneurs de toutes les villes de s'informer chaque année de celui qui se sera le plus distingué, chacun dans son gouvernement, par son application à la culture des terres, par une réputation intègre et une économie sage et bien entendue. Ce laboureur estimable est élevé au degré de mandarin du huitième ordre, il jouit de la noblesse et de toutes les prérogatives attachées à la qualité de mandarin.
L'empereur Xun a établi une loi qui défend expressément aux gouverneurs de province de détourner par des corvées les laboureurs des travaux de l'agriculture.
L'empereur Yao éloigna ses enfants du trône pour y placer un jeune laboureur qui s'était rendu fort recommandable par sa sagacité et sa probité. Celui-ci, après un règne glorieux, laissa la couronne à Yv, qui, par l'invention des canaux, avait trouvé le moyen de faire rentrer dans la mer les eaux qui couvraient la surface d'une partie de l'empire et de faire usage de ces canaux pour fertiliser les terres par les arrosements. C'est par son élévation au trône et par de tels travaux que l'agriculture reçut un lustre éclatant. (Mélanges intéressants et curieux).
Il y a une fête du printemps pour les habitants de la campagne ; elle consiste à promener dans les champs une grande vache de terre cuite, dont les cornes sont dorées : cette figure est si monstrueuse que quarante hommes ont peine à la soutenir, elle est, suivie immédiatement d'un jeune enfant ajant un pied nu el l'autre chaussé et qui la frappe d'une verge comme pour la faire avancer : cet enfant est le symbole de la diligence et du travail. Une multitude de laboureurs, avec tout l'attirail de leur profession, entourent la figure et la marche est fermée par une troupe de masques.
Toute cette foule se rend au palais du gouverneur ou du mandarin du lieu ; là on brise la vache et on tire de son ventre quantité de petites vaches d'argile dont elle est remplie (symbole de fécondité) et on les distribue aux assistants. Le mandarin prononce un discours à la louange de l'agriculture et c'est ce qui termine la cérémonie.

9. Le commerce considéré comme dépendance de l'agriculture.
On a vu que l'empire de la Chine est très abondant en toutes sortes de productions, il est aisé de présumer de là que le commerce de cette nation est très florissant ; mais comme les Chinois trouvent chez eux toutes les commodités de la vie (et que la grande population assure le débit et la consommation de toutes les denrées dans le pays même), leur commerce extérieur est très borné relativement à l'étendue de cet Etat. Leur principal négoce se fait dans l'intérieur de l'empire, dont toutes les parties ne sont pas également pourvues des mêmes choses ; chaque province ayant ses besoins et ses richesses particulières, elles resteraient toutes dans l'indigence si elles ne se communiquaient réciproquement ce qu'elles ont d'utile. Une circulation établie dans un pays de dix-huit cents lieues de circonférence, présente sans doute l'idée d'un commerce fort étendu; aussi l'historien dit que le commerce qui se fait dans l'intérieur de la Chine est si grand, que celui de l'Europe ne peut pas lui être comparé. Un commerce purement intérieur paraîtra bien défectueux à ceux qui croient que les nations doivent commercer avec les étrangers pour s'enrichir en argent. Ils n'ont pas remarqué que la plus grande opulence possible consiste dans la plus grande jouissance possible, que cette jouissance a sa source dans le territoire de chaque nation, que cette source est la source même de l'or et de l'argent, soit qu'on les tire des mines, soit qu'on les achète avec d'autres productions ; ceux qui ont des mines vendent en or et en argent pour étendre leur jouissance, à laquelle les métaux sont inutiles pour eux-mêmes ; ceux qui n'ont pas de cette marchandise, l'achètent simplement pour faciliter les échanges dans leur commerce, sans s'en charger au delà de cet usage, parce que l'or et, l'argent se payent avec des richesses plus nécessaires que ces métaux et que plus on en achèterait, plus on diminuerait la jouissance qui est la vraie opulence ; d'ailleurs on confond le commerce des nations, qui n'a pour objet que la jouissance, avec le commerce des marchands, qui est un service qu'ils font payer fort cher et d'autant plus cher que leur commerce s'étend au loin ; ainsi plus les nations peuvent en épargner les frais, au préjudice même des grandes fortunes des commerçants, plus elles gagnent pour la jouissance et pour les dépenses nécessaires à la reproduction perpétuelle des richesses qui naissent de la terre et assurent les revenus de la nation et du souverain.
Le transport des différentes marchandises est très facile à la Chine, par la quantité de canaux dont chaque province est coupée ; la circulation et le débit y sont très prompts ; l'intérêt, qui fait la passion dominante du peuple chinois, le tient dans une activité continuelle ; tout est en mouvement dans les villes et dans les campagnes, les grandes routes sont aussi fréquentées que les rues de nos villes les plus commerçantes et tout l'empire ne semble être qu'une vaste foire.
Mais un vice dans le commerce, c'est, dit-on, le défaut de bonne foi ; les Chinois ne se contentent pas de vendre le plus cher qu'ils peuvent, ils falsifient encore leurs marchandises ; une de leurs maximes est, que celui qui achète donne le moins qu'il lui est possible et que même ils ne donneraient rien si on y consentait ; ils infèrent de là qu'on peut exiger et recevoir les plus grosses sommes, si celui qui achète est assez simple ou assez peu intelligent pour les donner. "Ce n'est pas le marchand qui trompe, disent-ils, c'est l'acheteur qui se trompe lui-même : on ne fait nulle violence, le profit que retire le vendeur est le fruit de son industrie."
Les voyageurs ont fortement établi en Europe l'opinion de ce brigandage des Chinois dans leur commerce ; ils citent même des exemples de falsifications si grossières et si répréhensibles qu'il faudrait en conclure que le vol, le pillage, se pratiquent impunément à la Chine, où cependant la police s'exerce avec l'exactitude la plus rigoureuse pour les plus petits délits, ce qui s'étend même jusque dans l'observation du rite du cérémonial civil qui est porté à l'excès. Ceux qui ont fait ces relations ont confondu sûrement le négoce qui se fait, dans le port de Canton avec les Européens ; ils ont confondu, dis-je, ce négoce nouvellement établi, où l'on a cherché à se tromper de part et d'autre, avec le commerce qui se fait entre les sujets de l'empire. Le gouvernement qui s'intéresse peu au négoce étranger, y tolère les représailles frauduleuses, parce qu'il est, difficile d'assujettir au bon ordre des étrangers de trois mille lieues, qui disparaissent aussitôt qu'ils ont débité leurs marchandises. Nous avons beaucoup d'examples de nations très louables, qui ont été corrompues par l'accès d'un commerce étranger; mais il paraît que dans la représaille les Chinois sont devenus plus habiles que les Européens et qu'ils exercent cette habileté avec d'autant moins d'inquiétude qu'ils ne s'exposent point a venir commencer dans nos ports où les marchands se fréquentent, se connaissent et où la bonne foi s'établit. Il n'est pas concevable qu'un commerce puisse s'exercer entre les habitants d'un pays avec des représailles frauduleuses et réciproques ; que gagnerait-on a s'entre-tromper mutuellement ? cela n'apporterait qu'une inquiétude pénible et fort embarrassante, qui rendrait un commerce journalier fort difficile et presqu'impraticable ; mais cela est encore plus inconcevable dans une nation aussi policée qu'elle l'est à la Chine, où de tout temps la bonne foi et la droiture ont été recommandables dans le commerce ; c'est un des principaux objet de la morale de Confucius, morale qui fait loi dans cet empire.
Le commerce intérieur de la Chine étant très florissant, il n'est pas étonnant que ses habitants se mettent si peu en peine de l'étendre au dehors, surtout quand on fait attention au mépris naturel qu'ils ont pour les nations étrangères. Le commerce extérieur est très borné ; Canton, Emouy, Ningpo, villes maritimes, sont les seuls ports où l'on charge pour l'étranger ; leurs voyages sur mer ne sont pas non plus de longs cours, ils ne passent guère le détroit de la Sonde ; leurs embarquements ordinaires sont pour le Japon, pour Siam, Manille et Batavia.
Les commerces éloignés sont peut-être plus nuisibles que favorables à la prospérité des nations qui s'y livrent, abstraction faite des commerçants qui peuvent y faire de grosses fortunes en grande partie aux dépens de leur concitoyens ; les marchandises que l'on va chercher si loin, ne sont guère que des frivolités fort chères, qui entretiennent un luxe très préjudiciable. On pourrait nommer plusieurs nations fort attachées à ce genre de commerce qu'elles exercent dans toutes les parties du monde et qui, à la reserve des profits de leurs commerçants, ne fournissent pas des exemples de prospérité.

Mentioned People (1)

Quesnay, François  (Méré bei Versailles 1694-1774 Versailles) : Arzt, Nationalökonom, Philosoph, Begründer der Physiokratenschule

Subjects

History : China : General / Philosophy : Europe : France

Documents (1)

# Year Bibliographical Data Type / Abbreviation Linked Data
1 1767 Quesnay, François. Le despotisme de la Chine. In : Ephémérides du citoyen. (Paris : 1767). = Quesnay, François. Oeuvres économiques et philosophiques ; accompagnées des Eloges et d'autres travaux biographiques sur Quesnay par différents auteurs. Publ. avec une introd. et des notes par Auguste Oncken ; réimpr. de l'édition Francfort 1888. (Aalen : Scientia Verlag, 1965). Publication / Ques1
  • Cited by: Handbook of christianity in China. Ed. by Nicolas Standaert. (Leiden : Brill, 2001). (Handbook of Oriental studies ; vol. 15, 1-2). (Sta, Published)